Interprétation des règles de recevabilité et d’intérêt à agir dans le cadre des garanties décennales des constructeurs

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Interprétation des règles de recevabilité et d’intérêt à agir dans le cadre des garanties décennales des constructeurs

En 2014, la SARL 1001 Fenêtres a remplacé des menuiseries extérieures et construit une véranda pour M. [D]. Un procès-verbal de réception a été signé en février 2015, mentionnant un paiement de 12’600 €, mais la SARL a ensuite affirmé que ce montant n’avait pas été réglé. Elle a donc réclamé le paiement de plusieurs factures, totalisant 10’557,70 €. M. [D] a, de son côté, signalé des défauts d’étanchéité et a engagé une procédure en référé-expertise, qui a abouti à un rapport concluant à la non-conformité des travaux et chiffrant les réparations à 33’357 €.

En mars 2022, le Tribunal Judiciaire de Lyon a statué en faveur de M. [D], fixant ses créances à 23’877 € pour les travaux de reprise et 16’695 € pour le préjudice de jouissance, après compensation avec la créance de la SARL. La SARL a fait appel, contestant la recevabilité des demandes de M. [D] et le montant des indemnités.

En novembre 2022, des conclusions de M. [D] ont été déclarées irrecevables. La cour a confirmé certaines décisions du tribunal tout en infirmant d’autres, déclarant M. [D] irrecevable pour ses demandes de paiement des travaux de reprise, mais recevable pour le préjudice de jouissance. Finalement, la SARL a été condamnée à verser 6’137,30 € à M. [D] après compensation des créances.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

11 septembre 2024
Cour d’appel de Lyon
RG
22/03465
N° RG 22/03465 – N° Portalis DBVX-V-B7G-OJME

Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON

au fond du 31 mars 2022

RG : 17/06238

S.A.R.L. 1001 FENETRES

C/

[D]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

8ème chambre

ARRÊT DU 11 Septembre 2024

APPELANTE :

SARL 1001 FENETRES, Société à responsabilité limitée au capital de 8.000,00 €, immatriculée au RCS de LYON sous le n° 499 835 775 dont le siège social est [Adresse 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Jérôme ORSI de la SELARL VERNE BORDET ORSI TETREAU, avocat au barreau de LYON, toque : 680

INTIMÉ :

M. [Y] [D]

né le 12 Juillet 1958 à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Richard DE LAMBERT de la SELARL DE LAMBERT AVOCAT ASSOCIE (ERDEEL AVOCATS), avocat au barreau de LYON, toque : 2673

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 14 Mars 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 03 Avril 2024

Date de mise à disposition : 12 Juin prorogée au11 Septembre 2024

Audience tenue par Bénédicte BOISSELET, président, et Véronique MASSON-BESSOU, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport,

Composition de la Cour lors du délibéré :

– Bénédicte BOISSELET, président

– Véronique MASSON-BESSOU, conseiller

– Véronique DRAHI, conseiller

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

En exécution d’une série de 6 devis et bons de commande acceptés courant 2014, la SARL 1001 Fenêtres a réalisé le remplacement de diverses menuiseries extérieures de la maison située [Adresse 1] appartenant à M. [Y] [D], ainsi que la création d’une véranda en toit-terrasse.

Un procès-verbal de réception a été signé le 23 février 2015 sans réserve et avec la mention’: «’le règlement du solde des travaux d’un montant de 12’600 € est effectué par un chèque ce jour.’».

Les travaux de construction de la véranda en toit-terrasse ont été réalisés en mai 2015 et, sans avoir fait l’objet d’une réception expresse, ces travaux ont été facturés et payés à l’entreprise.

Prétendant qu’en réalité, la somme de 12’600 € mentionnée dans le procès-verbal de réception du 23 février 2015 n’avait pas été payée, la SARL 1001 Fenêtres a mis en demeure M. [D] de lui payer les trois factures suivantes’:

une facture n°150401943 émise le 20 avril 2015 portant sur la fourniture et la pose de deux gardes-corps au prix de 7’500 € TTC,

une facture n°160902388 émise le 23 septembre 2016 portant sur la modification de la porte d’entrée par le remplacement du système de crémone existant au prix de 420,20 € TTC,

une facture n°160902389 émise le 23 septembre 2016 portant sur la fourniture et la pose de garde-corps à remplissage au prix de 2’637,50 € TTC.

En l’absence de règlement, la SARL 1001 Fenêtres a, par exploit du 8 juin 2017, fait assigner M. [Y] [D] en paiement de la somme totale en principal de 10’557,70 € TTC.

Parallèlement à cette procédure, M. [D], se plaignant de défauts d’étanchéité des menuiseries et de la véranda, a, par exploit du 12 juin 2019, attrait la SARL 1001 Fenêtres devant le tribunal de grande instance de Lyon en référé-expertise. Par ordonnance de référé rendue le 24 septembre 2019, M. [V] [I] a été désigné expert.

La SARL 1001 Fenêtres n’a pas participé aux opérations d’expertise et l’expert a déposé son rapport le 2 juillet 2020 aux termes duquel il conclut en la non-conformité de l’ouvrage aux règles de l’art, évalue le coût des travaux de reprise à 33’357 € et le préjudice de jouissance souffert à 16’695 €.

Au vu de ce rapport, M. [D] a, par exploit du 23 septembre 2020, fait assigner la SARL 1001 Fenêtres et la jonction des procédures au fond a été ordonnée.

Par jugement contradictoire rendu le 31 mars 2022, le Tribunal Judiciaire de Lyon, statuant à jge unique, a’:

Rejeté l’intégralité des fins de non-recevoir soulevées par la SARL 1001 Fenêtres et Déclaré recevables les demandes formées par M. [Y] [D] ;

Fixé la créance de la SARL 1001 Fenêtres sur M. [D], au titre du solde de ses marches de travaux, à la somme de 10’557,70 euros (dix mille cinq cent cinquante sept euros et soixante dix cents) ;

Fixé les créances de M. [Y] [D] sur la SARL 1001 Fenêtres au titre du coût de reprise des désordres et du préjudice accessoire de jouissance aux sommes de 23’877 euros (vingt trois mille huit cent soixante dix sept euros) et 16’695 euros (seize mille six cent quatre vingt quinze euros) ;

Après compensation entre les créances respectives, Condamné la SARL 1001 Fenêtres à payer à M. [Y] [D] la somme de 30’014,30 euros (trente mille quatorze euros et trente cents) ;

Condamné la SARL 1001 Fenêtres à payer à M. [Y] [D] la somme de 3’800 euros (trois mille huit cents euros) en indemnisation des frais non répétibles du procès ;

Condamné la SARL 1001 Fenêtres aux dépens de l’instance, en ce compris les frais d’expertise judiciaire, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Richard de Lambert, avocat, sur son affirmation de droit ;

Rappelé que le présent jugement est exécutoire de droit par provision ;

Rejeté le surplus des demandes.

Le tribunal a retenu en substance’:

Sur les fins de non-recevoir’:

Que la SARL 1001 Fenêtres, qui prétend que M. [D] a vendu le bien immobilier à un promoteur, n’en rapporte pas la preuve’; que dès lors, il n’y a pas lieu d’accueillir, ni la fin de non-recevoir tirée d’un défaut général de qualité à agir, ni celle tirée du défaut d’intérêt à solliciter le coût des travaux réparatoires’;

Qu’il est indifférent que la commande relative à la véranda ait été passée par la société COGEFOB et le paiement de la facture correspondante ait été payée par cette société puisqu’en qualité de propriétaire de l’immeuble, M. [D] a qualité à agir en responsabilité décennale’;

Que le désordre affectant la porte d’entrée, à raison de sa nature qui rend la porte impropre à sa destination, relève de la garantie décennale quand bien même la porte constituerait un élément d’équipement dissociable de l’ouvrage pré-existant’; que dès lors, le délai biennal de forclusion de l’article 1792-3 ne s’applique pas mais que le délai de la garantie décennale a couru à compter de la réception du 23 février 2015′;

Sur l’indemnisation au titre des 4 désordres allégués’:

Que concernant le désordre affectant la porte d’entrée, qu’il rend l’ouvrage impropre à sa destination, qu’il n’est pas démontré qu’il ait présenté un caractère apparent lors de la réception du 23 février 2015 et que l’expert judiciaire a chiffré le coût de sa reprise à 473 € qu’il convient de mettre en compte’;

Que concernant le désordre affectant le châssis coulissant de la porte vitrée du salon côté droit, constitué par un défaut d’étanchéité, qu’il rend l’ouvrage impropre à sa destination, qu’il n’est pas démontré que ce désordre ait présenté un caractère apparent dans toute son ampleur et ses conséquences lors de la réception du 23 février 2015 et que l’expert judiciaire a chiffré le coût de sa reprise à 150 € qu’il convient de mettre en compte’;

Que concernant le désordre affectant le châssis coulissant de l’autre porte vitrée du salon côté gauche, constitué par un défaut de renfort verticaux entraînant un fléchissement par grand vent, qu’il rend l’ouvrage impropre à sa destination, qu’il n’est pas démontré que ce désordre ait présenté un caractère apparent dans toute son ampleur et ses conséquences lors de la réception du 23 février 2015 et que l’expert judiciaire a chiffré le coût de sa reprise à 3’254 € qu’il convient de mettre en compte’;

Que concernant le désordre affectant l’édicule en verre monté sur châssis installé sur le toit-terrasse, constitué par un problème de support de la poutre faîtière conduisant à des fléchissements et un défaut d’étanchéité à l’eau, qu’il rend l’ouvrage impropre à sa destination, qu’il n’est pas démontré que ce désordre ait présenté un caractère apparent lors de la réception tacite de la véranda qui est intervenue fin mai 2015, que le coût des travaux de reprise tel que chiffré par l’expert est de 29’480 € sur la base d’une pièce qui n’a pas été régulièrement communiquée de sorte qu’il y a lieu d’allouer 20’000 €, somme en rapport au prix de 19’750 € facturé’;

Sur l’indemnisation du préjudice de jouissance’: Que l’expert a justement évalué ce préjudice à la somme raisonnable de 9 € par jour lissée sur 12 mois, soit 16’695 € de juin 2015 à mai 2020 qui s’ajoute au coût total des travaux de reprise de 23’877 €’;

Sur le solde du marché’: Que les créances de M. [D] viennent se compenser avec la créance de 10’557,70 € détenue par la société 1001 Fenêtres, soit un solde de 30’014,30 € en faveur du maître de l’ouvrage.

Par déclaration en date du 12 mai 2022, la SARL 1001 Fenêtres a relevé appel de cette décision en tous ses chefs, à l’exception de celui fixant sa créance à 10’557,70 € au titre du solde de ses marchés de travaux.

***

Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 13 juillet 2022 (conclusions d’appelant), la SARL 1001 Fenêtres demande à la cour’:

Vu l’article 122 du Code de procédure civile,

Vu les articles 1231-1 et 1792 du Code civil,

INFIRMER purement et simplement le jugement du 31 mars 2022,

Statuant à nouveau,

Sur la recevabilité des demandes de M. [D] :

DECLARER irrecevable M. [D] en ses demandes faute de qualité et d’intérêt pour agir à l’encontre de la société 1001 Fenêtres,

En outre, DECLARER irrecevable pour cause de prescription M. [D] en ses demandes en ce qui concerne les non-conformités affectant la porte d’entrée, ces réclamations étant soumises au délai biennal de bon fonctionnement,

DEBOUTER, en conséquence, M. [D] de toutes fins, moyens et prétentions,

Sur le montant des sommes réclamées :

DEBOUTER M. [D] de toute demande indemnitaire tendant à consacrer un enrichissement sans cause à son bénéfice,

DEBOUTER M. [D] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice de jouissance,

A défaut, RAMENER à de bien plus justes proportions les sommes allouées à M. [D],

Dans tous les cas :

CONDAMNER M. [D] à la somme de 3’500 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNER M. [D] aux entiers dépens, dont ceux d’appel, dont distraction au profit de maître Jérôme ORSI, Avocat, sur son affirmation de droit,

REJETER toute demande contraire, plus ample.

A titre principal, elle soulève plusieurs fins de non-recevoir. La première est tirée du défaut de qualité à agir de M. [D] qui, selon elle, a vendu son bien à un promoteur immobilier, lequel a édifié sur les lieux un nouvel ensemble immobilier et elle en justifie par les photographies issues de Google.maps insérées dans ses conclusions. La deuxième est tirée du défaut de qualité d’intérêt de M. [D] pour les mêmes raisons, outre qu’à supposer que l’acte de vente prévoit que l’intimé resterait partie à la procédure, il serait irrecevable à solliciter le coût des travaux réparatoires. La troisième est tirée du défaut de qualité à agir de M. [D] concernant les désordres de la véranda, commandée et payée par la société COGEFOB. La quatrième est tirée de la prescription de l’action concernant le désordre affectant la porte d’entrée («’gâche électrique tordue et poignée intérieure non-fixée’»), en faisant valoir que le premier juge a donné une lecture très extensive d’un procès-verbal de constat établi non-contradictoirement et se substituant aux conclusions du demandeur en l’absence de défaut de sécurité de la porte d’entrée qui relèvent à l’évidence de la garantie biennale de bon fonctionnement.

A titre subsidiaire, sur le fond, elle demande l’infirmation du jugement quant aux sommes allouées. Elle considère d’abord qu’il ne peut être alloué à M. [D] 20’000 € au risque d’un enrichissement sans cause, même minime, de sorte que l’indemnité concernant le préjudice matériel sera ramenée à 19’750 € correspondant au prix de la prestation (se rapportant à la véranda en toit-terrasse). Concernant les préjudices immatériels et de jouissance, elle estime ensuite que le premier juge n’a fait aucun effort d’explication, ni de réponse à ses arguments. Elle observe que la somme de 9 € par jour réclamée n’est pas justifiée, ni dans son principe, ni dans son quantum, d’autant moins que M. [D] a vendu son bien et que les photographies figurant au rapport d’expertise montrent que cette véranda a été occupée puisqu’elle apparaît meublée. Elle rappelle que ce type d’équipement est utilisée à mi-saison (printemps et automne).

***

Par ordonnance rendue le 30 novembre 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé d’office l’irrecevabilité des conclusions déposées le 7 novembre 2022 par M. [Y] [D], soit au-delà du délai de 3 mois courant à compter de la signification des conclusions de l’appelante intervenue le 29 juillet 2022.

***

Il est renvoyé aux écritures de la partie appelante pour plus ample exposé des moyens venant à l’appui de ses prétentions.

MOTIFS,

En vertu du dernier alinéa de l’article 954 du Code de procédure civile, tel qu’interprété par la jurisprudence, dès lors que les conclusions de l’intimé ont été déclarées irrecevables, celui-ci est réputé s’être approprié les motifs du jugement.

En l’espèce, les conclusions de M. [D] ont été, par une décision définitive du conseiller de la mise en état, déclarées irrecevables. Il s’ensuit que l’intimé est réputé demander la confirmation du jugement et s’en approprier les motifs.

La cour rappelle en outre que les pièces produites par l’intimé en première instance ne restent pas acquises aux débats et sont irrecevables en vertu du dernier alinéa de l’article 906 tel qu’interprété par la jurisprudence. En conséquence, il revient à la cour de statuer en l’état, d’une part, des énonciations du jugement attaqué concernant les faits constants, et d’autre part, des seules pièces versées aux débats par la société appelante. Il sera observé que le bordereau de pièces de la société 1001 Fenêtres se limite aux 4 pièces suivantes’: le procès-verbal de réception du 23 février 2015 (pièce 1), la facture n°160902388 du 23 septembre 2016 (pièce 2), la facture n°160902389 du 23 septembre 2016 (pièce 3) et la facture n°150401943 du 20 avril 2015 (pièce 4).

Sur les fins de non-recevoir’:

Selon l’article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L’intérêt au succès ou au rejet d’une prétention s’apprécie au jour de l’introduction de la demande en justice et ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l’auraient rendues sans objet.

Toutefois, il est jugé que le bénéfice de la garantie décennale des constructeurs est attaché à la propriété de l’immeuble.

En cas de vente de l’immeuble, l’action en responsabilité des constructeurs est transmissible aux acquéreurs successifs et le vendeur ne conserve un intérêt à agir, même pour les dommages nés antérieurement à la vente et nonobstant l’action en réparation intentée avant cette vente pour rechercher la responsabilité des constructeurs, que si l’acte de vente prévoit expressément que ce vendeur s’est réservé le droit d’agir.

En cas de disparition de l’immeuble, le maître de l’ouvrage ne perd pas la faculté d’exercer une action en garantie décennale à la condition que cette action conserve, pour lui, un intérêt direct et certain.

Ainsi, en l’absence de possibilité de réaliser des travaux réparatoires sur un immeuble qui a disparu, le maître de l’ouvrage n’a plus intérêt à solliciter le coût des travaux de reprise mais il conserve notamment un intérêt à solliciter, le cas échéant, l’indemnisation d’une perte de valeur de l’immeuble ou l’indemnisation d’un préjudice de jouissance souffert avant la disparition de l’ouvrage.

En l’espèce, la société 1001 Fenêtres prétend d’abord que les travaux relatifs à la véranda en toit-terrasse ont été commandés et acquittées par une société COGEFOB. Or, la société appelante ne produit aucune pièce au soutien de cette affirmation puisque ne sont pas versés aux débats, à hauteur d’appel, ni les devis, bons de commande et factures acquittées correspondant aux travaux de création de la véranda, ni le rapport d’expertise judiciaire qui confirmerait ses dires à ce sujet. Même si le jugement de première instance tend à retenir cette commande et ce paiement par un tiers comme étant des faits avérés, la société 1001 Fenêtres ne prétend pas que l’immeuble sur lequel elle a édifié la véranda en toit-terrasse appartiendrait ou ait appartenu à la société COGEFOB. Le bénéfice de la garantie décennale des constructeurs étant attachée à la propriété de l’immeuble, la commande et le paiement des travaux par une autre personne que le propriétaire, seraient, à supposer ces faits démontrés, sans aucune incidence sur le droit d’agir du propriétaire. Le jugement attaqué, qui a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [D] concernant les désordres de la véranda, sera confirmé.

La société appelante prétend ensuite que la maison située [Adresse 1], lieu du sinistre, a été vendue par M. [D] à un promoteur immobilier qui a fait raser l’immeuble et qui y a fait édifier un nouvel ensemble immobilier. Pour en rapporter la preuve, la société appelante produit uniquement deux impressions d’écran insérées dans ses écritures, issues du module de recherche sur internet «’Google maps – Street View’». Elle prétend que la première photographie, datée de juillet 2020 comme mentionné en légende de l’impression d’écran correspondante, établirait que la maison de M. [D] a été rasée avant l’assignation que M. [D] lui a fait délivrer au fond, et que la seconde photographie, datée de février 2022 comme mentionné en légende de l’impression d’écran correspondante, montrerait qu’un nouvel ensemble immobilier a été édifié à l’adresse du sinistre.

Elle en conclut d’abord que l’intimé était, au jour de l’assignation au fond du 23 septembre 2020 qu’il lui a fait délivrer, dépourvu de qualité à agir en garantie décennale. Or, en s’abstenant de produire un extrait de matrice cadastrale ou tout autre document émanant d’un service de publicité foncière, la société appelante échoue à établir la vente immobilière qu’elle invoque. En effet, les impressions d’écran ci-avant évoquées émanant du module de recherche sur internet «’Google maps – Street View’» sont insusceptibles d’établir une vente immobilière, s’agissant d’un acte juridique. Le jugement attaqué, qui a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [D] concernant l’ensemble des désordres, sera confirmé.

La société appelante conclut encore qu’à raison de la destruction de la maison de l’intimé, ce dernier est dépourvu d’intérêt direct et certain à solliciter le coût des travaux de reprise puisqu’il ne pourra pas réaliser lesdits travaux. La photographie datée de juillet 2020 ci-avant évoquée montre effectivement que la maison, lieu du sinistre, n’existait plus à cette date. Il y a lieu de considérer que les légendes mentionnées sur cette impression d’écran, quant à l’adresse et à la date de l’image, présentent des garanties suffisantes pour établir la preuve d’un fait, une telle preuve étant admissible par tout moyen, à savoir que la maison de M. [D] a été rasée au plus tard en juillet 2020.

Or, ce dernier ayant engagé son action postérieurement à la disparition de sa maison, il était dépourvu, au jour de l’assignation au fond qu’il a fait délivrer le 23 septembre 2020 à la société 1001 Fenêtres, d’intérêt à agir pour obtenir le coût des travaux de reprise des désordres qu’il allègue. Le jugement attaqué, qui a rejeté la fin de non-recevoir tirée d’un défaut d’intérêt à solliciter le coût de travaux réparatoires, sera infirmé.

Statuant à nouveau, la cour déclare M. [D] irrecevable en ses demandes au titre du coût des travaux de reprise des désordres qu’il allègue, sans examen au fond. Il s’ensuit que le jugement attaqué, qui a fixé la créance de M. [D] sur la société 1001 Fenêtres au titre du coût de reprise des désordres à 23’877 €, sera infirmé.

Il n’y a pas lieu d’examiner la fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale de la garantie de bon fonctionnement applicable au désordre affectant la porte d’entrée, devenue sans objet.

En revanche, l’irrecevabilité ci-avant accueillie pour défaut d’intérêt à agir ne s’étend pas à la demande d’indemnisation d’un préjudice de jouissance, qui demeure recevable et qui sera examinée ci-après.

Sur la demande d’indemnisation d’un préjudice de jouissance’:

Les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit.

En l’espèce, l’on comprend des faits constants retenus par le jugement de première instance qu’en exécution de plusieurs devis et bons de commande signés par les parties courant 2014, la société 1001 Fenêtres a réalisé ses prestations en deux temps. Elle a d’abord procédé au remplacement des menuiseries extérieures et de la porte d’entrée, cette première phase de travaux ayant donné lieu à une réception sans réserve le 23 février 2015. Elle a ensuite procédé à l’édification de la véranda en toit-terrasse en mai 2015, sans réception expresse mais avec une réception tacite survenue fin mai 2015 qui n’est pas discutée par les parties.

Sous ces précisions liminaires quant aux faits, la cour constate que les désordres de nature décennale allégués par M. [D] concernent ces deux phases de travaux puisque affectant, d’une part, la porte d’entrée et les châssis-coulissants de la porte vitrée du salon, soit des ouvrages compris dans la première phase de travaux, et d’autre part, la véranda, soit l’ouvrage compris dans la seconde phase de travaux.

Concernant la demande indemnitaire litigieuse, l’on comprend du jugement de première instance que le préjudice de jouissance allégué résulterait de l’absence d’imperméabilité à l’eau et à l’air des portes fenêtres du salon et de la véranda en toit-terrasse. Selon les faits constants retenus par le jugement de première instance, le cabinet Ceres, qui a établi une expertise amiable le 14 juin 2017, a constaté ce défaut d’étanchéité, ainsi que la survenance de remontées capillaires venant dégrader le doublage mural et le revêtement de sol du salon. Par ailleurs, il résulte du jugement que l’expert judiciaire a retenu que ces mêmes désordres causaient un préjudice de jouissance à M. [D].

La société 1001 Fenêtres prétend d’abord que ce préjudice de jouissance ne serait pas justifié dans son principe. Ce faisant, elle fait abstraction du défaut d’étanchéité parfaitement objectivé comme ci-avant relevé et du fait que ce défaut est en outre suffisamment important pour dégrader le doublage mural et le revêtement de sol du salon. La circonstance que des photographies qui figureraient au rapport d’expertise montreraient que la véranda ait été meublée n’est pas de nature à écarter le préjudice de jouissance souffert par M. [D] mais elle tend au contraire à établir que ce dernier, qui a utilisé la véranda comme dépendance de son logement, a nécessairement été gêné dans cette utilisation.

La société 1001 Fenêtres prétend ensuite que ce préjudice de jouissance ne serait pas justifié dans son quantum. Or, en allouant la somme de 9 € par jour lissée sur 12 mois, le premier juge a entendu faire une moyenne des périodes d’utilisation de la véranda selon les saisons, cette moyenne tenant compte du fait que ce type d’ouvrage est plus ou moins utilisé selon les saisons.

Par ailleurs, dès lors que la société 1001 Fenêtres ne rapporte pas la preuve que M. [D] a vendu son bien immobilier, ni que l’immeuble a été détruit avant mai 2020, elle échoue à critiquer la période d’indemnisation retenue par le premier juge de juin 2015 à mai 2020.

A la lueur de ces éléments, c’est par des motifs exacts et pertinents tant en droit qu’en fait et que la cour adopte expressément que le premier juge a condamné la société 1001 Fenêtres à indemniser M. [D] de son préjudice de jouissance en lui allouant la somme de 16’695 €. Dès lors, le jugement attaqué, qui a fixé la créance de M. [D] sur la société 1001 Fenêtres au titre du préjudice de jouissance à cette somme, sera confirmé.

La cour rappelle qu’il résulte du chef non-critiqué du jugement de première instance que la créance de la société 1001 Fenêtres sur M. [D] au titre du solde de ses marchés de travaux.

Dès lors, le jugement attaqué, en ce qu’il a condamné, après compensation, la SARL 1001 Fenêtres à payer à M. [D] la somme de 30’014,30 €, sera infirmé.

Statuant à nouveau, la cour ordonne la compensation entre les créances réciproques des parties et condamne la SARL 1001 Fenêtres à payer à M. [D] la somme de 6’137,30 € et elle rappelle que le présent arrêt vaut titre de restitution des sommes versées en exécution des chefs infirmés du jugement rendu le 31 mars 2022 par le Tribunal Judiciaire de Lyon.

Sur les autres demandes’:

La cour confirme la décision attaquée qui a condamné la société 1001 Fenêtres, partie principalement perdante, aux dépens de première instance et à payer à M. [D] la somme de 3’800 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Y ajoutant, la cour condamne M. [D], partie partiellement perdante à hauteur d’appel, aux dépens de l’instance d’appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Jérôme Orsi, avocat, dans les conditions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Pour finir et pour des raisons tirées de l’équité tenant au fait que chaque partie succombe partiellement en ses prétentions, la cour rejette la demande d’indemnisation présentée par la société 1001 Fenêtres d’indemnisation de ses frais irrépétibles à hauteur d’appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement rendu le 31 mars 2022 par le Tribunal Judiciaire de Lyon en ce qu’il a’:

Fixé la créance de M. [Y] [D] sur la SARL 1001 Fenêtres au titre du préjudice accessoire de jouissance à la somme de 16’695 €,

Condamné la SARL 1001 Fenêtres à payer à M. [Y] [D] la somme de 3’800 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamné la SARL 1001 Fenêtres aux dépens de l’instance, en ce compris les frais de l’expertise judiciaire, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Richard De Lambert, avocat, sur son affirmation de droit.

Infirme le jugement rendu le 31 mars 2022 par le Tribunal Judiciaire de Lyon pour le surplus de ses dispositions critiquées,

Statuant à nouveau,

Accueille partiellement les fins de non-recevoir soulevées par la SARL 1001 Fenêtres et déclare M. [Y] [D] irrecevable, pour défaut d’intérêt à agir, en ses demandes en paiement aux titres du coût des travaux de reprise, sans examen au fond,

Déclare M. [Y] [D] recevable en sa demande en indemnisation d’un préjudice de jouissance,

Condamne, après compensation entre les créances respectives des parties, la SARL 1001 Fenêtres, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [Y] [D] la somme de 6’137,30 €,

Rappelle que le présent arrêt vaut titre de restitution des sommes versées en exécution des chefs infirmés du jugement rendu le 31 mars 2022 par le Tribunal Judiciaire de Lyon.

Y ajoutant,

Condamne M. [Y] [D] aux dépens de l’instance d’appel, avec droit de recouvrement direct au profit de Maître Jérôme Orsi, avocat, dans les conditions de l’article 699 du Code de procédure civile,

Rejette la demande de la SARL 1001 Fenêtres présentée sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


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