Éclaircissements sur les demandes et la notion de recours abusif dans le cadre d’un litige immobilier

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Éclaircissements sur les demandes et la notion de recours abusif dans le cadre d’un litige immobilier

La société SODEVIM a obtenu un permis de construire pour un immeuble mixte à [Adresse 4] à [Localité 12] en juin 2016. Le syndicat des copropriétaires de l’immeuble voisin a contesté ce permis par un recours gracieux, qui a été rejeté par le maire en septembre 2016. En décembre 2017, le permis a été transféré à la SCCV [Localité 12] [Adresse 4]. Un nouveau recours gracieux a été formé en février 2018, également rejeté. En mai 2018, le syndicat a saisi le tribunal administratif pour annuler la décision du maire et demander le retrait du permis pour fraude. La SCCV a réagi en demandant des dommages et intérêts pour recours abusif. En mai 2019, le tribunal administratif a rejeté la requête du syndicat et a condamné ses membres à des amendes. Le syndicat a interjeté appel de cette décision. Parallèlement, la SCCV a assigné le syndicat devant le tribunal judiciaire pour obtenir réparation du préjudice. En juin 2022, les deux parties ont présenté leurs demandes respectives au tribunal. L’affaire a été plaidée en juin 2024 et mise en délibéré pour une décision prévue en septembre 2024. Le tribunal a finalement débouté les deux parties de leurs demandes respectives et a laissé à chacune la charge de ses frais.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

26 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Nanterre
RG
18/10224
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE NANTERRE

PÔLE CIVIL

7ème Chambre

JUGEMENT RENDU LE
26 Septembre 2024

N° R.G. : N° RG 18/10224 – N° Portalis DB3R-W-B7C-UF2Q

N° Minute :

AFFAIRE

SCCV [Localité 12] [Adresse 4]

C/

Syndic. de copro. [Adresse 3] à [Localité 12], [J] [N] [Z] [F], [K] [W], [E] [O]

Copies délivrées le :

DEMANDERESSE

SCCV [Localité 12] [Adresse 4]
c/o SVM PROMOTION IMMOBILIERE
[Adresse 8]
[Localité 7]

représentée par Maître Guillaume GHAYE de la SELARL LAZARE AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : J067

DEFENDEURS

Syndicat des copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 3] [Localité 12]
Syndic : société FONCIA FOUBERT
[Adresse 9]
[Localité 11]

représentée par Me Corinne LEPAGE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0001

Monsieur [J] [F]
[Adresse 1]
[Localité 10]

représenté par Me Corinne LEPAGE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0001

Monsieur [K] [W]
[Adresse 2]
[Localité 12]

représenté par Me Corinne LEPAGE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0001

Madame [E] [O]
[Adresse 2]
[Localité 12]

représentée par Me Corinne LEPAGE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0001

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Juin 2024 en audience publique devant :

Aurélie GRÈZES, Vice-Présidente, magistrat chargé du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries au tribunal composé de :

Gabrielle LAURENT, Première Vice-Présidente adjointe
Aurélie GRÈZES, Vice-Présidente
Anne MAUBOUSSIN, Vice-Présidente

qui en ont délibéré.

Greffier lors du prononcé : Florence GIRARDOT, Greffier.

JUGEMENT

prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

EXPOSE DU LITIGE

La société SODEVIM, société spécialisée dans la construction et autres ouvrages de génie civil, a obtenu le 13 juin 2016 par arrêté municipal un permis de construire (n°PC 920331600010) portant sur la réalisation d’un immeuble mixte à usage d’habitation et commercial sur un terrain cadastré section AK n°[Cadastre 6] sis [Adresse 4] à [Localité 12].

Le 9 août 2016, le SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES de l’immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 12], représenté par son syndic en exercice, la société FONCIA FOUBERT, Monsieur [J] [F], Madame [D] [F], Monsieur [K] [W] et Madame [E] [O] ont formé un recours gracieux auprès du maire de [Localité 12] pour annuler le permis de construire. Ce dernier a rejeté leur demande le 8 septembre 2016.

Le 13 décembre 2017, le permis de construire du 13 juin 2016 a été transféré à la société SCCV [Localité 12] [Adresse 4].

Le 26 février 2018, le syndicat des copropriétaires, Monsieur et Madame [F], Monsieur [W] et Madame [O] ont formé un nouveau recours gracieux auprès du Maire de [Localité 12] contre le permis de construire et son arrêté de transfert. Ce recours a été rejeté par le Maire le 19 mars 2018.

Le syndicat des copropriétaires, Monsieur et Madame [F], Monsieur [W] et Madame [O] ont formé le 17 mai 2018 devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise un recours en annulation de la décision de rejet du maire en date du 19 mars 2018, et ont sollicité le retrait pour fraude du permis de construire du 13 juin 2016 et son arrêté de transfert du 13 décembre 2017.

Le 17 juillet 2018, la SCCV [Localité 12] [Adresse 4] a produit devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise un mémoire en dommages et intérêts contre les requérants pour recours abusif en se fondant notamment sur l’article L.600-7 du Code de l’Urbanisme.

Le 29 mai 2019, le juge administratif a :
– rejeté la requête du SDC et des copropriétaires,
– condamné les demandeurs à deux amendes de 2.000 €, au bénéfice d’une part de la SCCV [Localité 12] et d’autre part de la société SODEVIM au titre de l’article L 761-1 du code de la justice administrative
– rejeté les conclusions de la SCCV [Localité 12] et de la société SOVEDIM tendant à l’application de l’article L 600-7 du code de l’urbanisme
– rejeté les conclusions de la commune de [Localité 12] au titre de l’article L 761-1 du code de la justice administrative
– condamné le SDC et les copropriétaires au paiement d’une amende de 2.000 € pour recours abusif au visa de l’article R 741-12 du code de justice administrative.

Le SDC et les copropriétaires ont interjeté appel de cette décision du seul chef de l’amende pour recours abusif.

Concomitamment à cette procédure devant le juge administratif, la SCCV [Localité 12] [Adresse 4] a fait assigner par actes d’huissier des 12 et 16 juillet 2018 le SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DE L’IMMEUBLE SIS [Adresse 3] à [Localité 12], représenté par son syndic en exercice, la société FONCIA FOUBERT, Monsieur et Madame [F], Monsieur [W] et Madame [O] devant le tribunal de grande instance de Nanterre, devenu tribunal judiciaire, aux fins d’indemnisation du préjudice subi du fait de ces recours.

L’affaire a été clôturée le 19 janvier 2023.

Par jugement du 7 avril 2022, le tribunal de céans a révoqué l’ordonnance de clôture et rouvert les débats aux fins de production de l’arrêt de la cour administrative d’appel.

*

Par conclusions délivrées par voie électronique le 14 juin 2022, la SCCV [Localité 12] [Adresse 4] demande au Tribunal, au visa de l’article 1240 du Code civil, de:

– DEBOUTER le Syndicat des Copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 12], les époux [F], Monsieur [W] et Madame [O] de l’ensemble leurs demandes, fins et prétentions,

– CONDAMNER le Syndicat des Copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 12], les époux [F], Monsieur [W] et Madame [O] à verser à la SCCV [Localité 12] [Adresse 4] une somme de 304 094,07 euros à titre de dommages et intérêts compensatoires,

– DIRE ET JUGER que l’ensemble des condamnations prononcées portera intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l’assignation,

– PRONONCER l’exécution provisoire du jugement à intervenir,

– CONDAMNER le Syndicat des Copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 12], les époux [F], Monsieur [W] et Madame [O] à verser à la SCCV [Localité 12] [Adresse 4] une somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

*

Par conclusions signifiées par voie électronique le 15 juin 2022, le SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DE L’IMMEUBLE SIS [Adresse 3] à [Localité 12], représenté par son syndic en exercice, la société FONCIA FOUBERT, Monsieur [F], Monsieur [W] et Madame [O] demandent au Tribunal de :

– DECLARER le Syndicat des Copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 12], Monsieur [F], Monsieur [W] et Madame [O] recevables et bien fondés en leurs demandes reconventionnelles, fins et conclusions ;

Y faisant droit,
– DEBOUTER la société SCCV [Localité 12] [Adresse 4] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions à l’encontre des concluants et de feu [D] [F] à l’égard de laquelle l’instance est éteinte du fait de son décès ;

– CONDAMNER la société SCCV [Localité 12] [Adresse 4] à payer au Syndicat des Copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 12], à Monsieur [F], à Monsieur [W] et à Madame [O] la somme de 12.000 euros au titre des frais irrépétibles ;
– CONDAMNER la société SCCV [Localité 12] [Adresse 4] à payer au Syndicat des Copropriétaires de l’immeuble sis [Adresse 3] à [Localité 12], à Monsieur [F], à Monsieur [W], et à Madame [O] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

– CONDAMNER la société SCCV [Localité 12] [Adresse 4] aux entiers dépens.

*

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits de la cause, des prétentions et des moyens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 19 janvier 2023.

L’affaire a été plaidée le 6 juin 2024 et mise en délibéré au 26 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I- Sur les demandes de  » dire et juger « ,  » constater « ,  » dire « ,  » considérer  »

Les demandes dont la formulation ne consiste qu’en une reprise de simples moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions formulées par les parties ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4 et 5 du code de procédure civile.

En conséquence, le tribunal ne statuera pas sur les demandes formulées de la sorte.

II- Sur les demandes à l’encontre de Madame [F]

Dans ses dernières conclusions, la SCCV [Localité 12] [Adresse 4] maintient ses demandes à l’encontre de Madame [F] décédée le [Date décès 5] 2022 selon acte de décès.

La SCCV [Localité 12] [Adresse 4] sera déboutée de ses demandes à son encontre.

III- Sur la demande de dommages et intérêts pour recours abusif

La SCCV [Localité 12] [Adresse 4] estime que le SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES du [Adresse 3] à [Localité 12], Monsieur [F], Monsieur [W] et Madame [O] ont formé un recours abusif devant les juridictions administratives.

L’article 1240 du code civil dispose  » que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.  »

En application de cet article, toute personne qui a subi un dommage du fait d’un recours abusif contre un permis de construire peut se retourner contre l’auteur de ce recours pour obtenir la réparation du préjudice subi.

La responsabilité de l’auteur d’un recours abusif peut en conséquence être engagée non seulement par le titulaire du permis de construire mais aussi par toute autre personne qui aurait subi un préjudice du fait de ce recours, comme le promettant qui verrait la vente de son terrain retardée ou compromise.

Toutefois l’échec dans l’exercice d’une voie de droit ne peut, en aucun cas, laisser à penser que l’action engagée serait abusive. En effet, le fait qu’un requérant ait vu son recours en annulation contre le permis de construire rejeté n’implique pas pour autant qu’il puisse lui être reproché d’avoir engagé une action abusive dès lors par exemple que sa demande était légitime ou reposait sur des arguments sérieux ou qu’.en parfaite bonne foi, il aurait pu se méprendre sur la réelle étendue de ses droits au vu du caractère technique de la matière.

Un recours est abusif dans le cas où est caractérisée, de la part de l’auteur du recours, une intention malicieuse, une mauvaise foi, ou l’existence d’une erreur grossière équipollente au dol.

Le caractère abusif du recours n’est jamais présumé si bien que la charge de la preuve repose sur celui qui l’invoque.

En l’espèce, la SCCV [Localité 12] [Adresse 4] reproche aux défendeurs le caractère abusif du recours engagé à l’encontre du permis de construire accordé.

Si le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné le SDC et les copropriétaires au paiement d’une amende de 2.000 € pour recours abusif par décision du 29 mai 2019, cette sanction a été annulée par la Cour administrative d’appel de Versailles dans son arrêt du 29 juin 2021, motivé de façon très claire :  » Il ressort des pièces du dossier que les demandeurs ont la qualité de voisins immédiats du projet et ont présenté des moyens dont la teneur ne présentait pas de nature dilatoire et n’ont d’ailleurs pas empêché la poursuite des travaux. Ce recours ne révèle de surcroît, aucune mauvaise foi ni intention de nuire des demandeurs.  »

Si la SCCV [Localité 12] [Adresse 4] conteste cette motivation aux motifs que celle-ci n’a pas apporté les éléments permettant de comprendre en quoi la mauvaise foi des requérants n’était pas caractérisée, ni dans quelle mesure le tribunal administratif avait mal apprécié les faits de l’espèce, il lui appartenait de saisir le Conseil d’État en cassation.

Outre le fait que la juridiction administrative d’appel a déjà écarté le caractère abusif du recours sur le plan de l’amende civile, la SCCV [Localité 12] [Adresse 4] ne démontre pas davantage devant la juridiction judiciaire ce caractère abusif.

En effet, le simple fait que le permis critiqué ait été, in fine, validé par le tribunal administratif ne suffit pas à lui seul à affirmer que le recours était voué au rejet et ainsi à démontrer le caractère abusif du recours intenté, la seule appréciation inexacte que le SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES du [Adresse 3] à [Localité 12], Monsieur [F], Monsieur [W] et Madame [O] ont fait de leurs droits n’étant pas en soi constitutive d’un abus.

Le fait que le SDC et les copropriétaires n’aient pas formé de recours contre le premier rejet du maire ne rend pas leur recours contre le second rejet suspicieux.

De même, l’intention de nuire à la réalisation de l’opération immobilière du SDC et des copropriétaires en vue d’en tirer une satisfaction vénale n’est pas démontrée.

Il convient par conséquent de débouter la SCCV [Localité 12] [Adresse 4] de sa demande de dommages et intérêts.

IV- Sur la demande reconventionnelle

Le SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES du [Adresse 3] à [Localité 12], Monsieur [F], Monsieur [W] et Madame [O] ne démontrent pas le caractère abusif de la présente procédure.

Il convient par conséquent de les débouter de leur demande de dommages et intérêts.

V- Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

La SCCV [Localité 12] [Adresse 4] succombant à l’instance, est condamnée aux entiers dépens.

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il y a pas lieu à ces condamnations.

L’équité commande de laisser à chacune des parties la charge de ses frais sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur l’exécution provisoire

Au vu de la solution du litige, il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition au greffe,

DEBOUTE la SCCV [Localité 12] [Adresse 4] de l’ensemble de ses demandes ;

DEBOUTE le SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES du [Adresse 3] à [Localité 12], Monsieur [F], Monsieur [W] et Madame [O] de leur demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts ;

LAISSE à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SCCV [Localité 12] [Adresse 4] aux entiers dépens ;

DIT n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire.

signé par Gabrielle LAURENT, Première Vice-Présidente adjointe et par Florence GIRARDOT, Greffier présent lors du prononcé.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


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