Le 29 août 2011, Mme [P] [B] ouvre un compte chèque à la banque Barclays, devenue Milleis Banque en mai 2018. En 2019, elle effectue plusieurs virements totalisant 147.000 euros vers des comptes à l’étranger, notamment à la London Metal Exchange et Bforfinance. Après avoir déposé une plainte pour escroquerie en juin 2019 et demandé le retour des fonds, elle se rend compte que les comptes des bénéficiaires sont clôturés. Estimant que Milleis Banque a manqué à son devoir de vigilance, elle l’assigne en justice en janvier 2022 pour obtenir réparation. Dans ses conclusions, elle réclame 147.000 euros pour préjudice financier, 8.000 euros pour préjudice moral, et 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle soutient que la banque aurait dû lui demander des justificatifs pour ces virements inhabituels, étant donné son statut de cliente non avertie.
De son côté, Milleis Banque conteste les accusations, affirmant que Mme [P] [B] avait demandé à ne pas avoir à confirmer ses ordres de virement par écrit et que les virements étaient conformes à ses instructions. La banque souligne qu’elle n’a pas d’obligation de vigilance en l’absence d’anomalies apparentes et que les virements n’étaient pas suspects. La procédure a été clôturée le 2 avril 2024, et l’affaire sera jugée le 16 avril 2024, avec une décision attendue le 23 septembre 2024. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NICE
GREFFE
M I N U T E
(Décision Civile)
JUGEMENT : [P] [B] c/ Société MILLEIS BANQUE
N°
Du 23 Septembre 2024
4ème Chambre civile
N° RG 22/00356 – N° Portalis DBWR-W-B7G-N7MC
Grosse délivrée à
le Cabinet TALLIANCE AVOCATS
expédition délivrée à
la SELARL CABINET ROVERE
le 23 Septembre 2024
mentions diverses
Par jugement de la 4ème Chambre civile en date du vingt trois Septembre deux mil vingt quatre
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame SANJUAN-PUCHOL Présidente, assistée de Madame PROVENZANO, Greffier.
Vu les Articles 812 à 816 du Code de Procédure Civile sans demande de renvoi à la formation collégiale.
DÉBATS
A l’audience publique du 16 Avril 2024 le prononcé du jugement étant fixé au 02 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe de la juridiction, les parties en ayant été préalablement avisées.
PRONONCÉ
Par mise à disposition au Greffe le 23 Septembre 2024 après prorogation du délibéré, signé par Madame SANJUAN-PUCHOL Présidente, assistée de Madame PROVENZANO, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DE LA DÉCISION :
contradictoire, en premier ressort, au fond.
DEMANDERESSE:
Madame [P] [B]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
MARTINIQUE
représentée par Me Guillaume ROVERE de la SELARL CABINET ROVERE, avocats au barreau de NICE, avocats plaidant
DÉFENDERESSE:
Société MILLEIS BANQUE – S.A. venant aux droits de la société BARCLAYS FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 2]
venant aux droits de la société BARCLAYS FRANCE à la suite d’un apport partiel d’actif soumis au régime juridique des scissions et entraînant une transmission universelle de patrimoine de BARCLAYS FRANCE au profit de MILLEIS BANQUE
prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié es qualité audit siège
représentée par Me Philippe BAYLE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, Me Thibault POZZO DI BORGO du Cabinet TALLIANCE AVOCATS, avocats au barreau de NICE, avocats postulant
Le 29 août 2011, Mme [P] [B] a ouvert un compte chèque dans les livres de la banque Barclays aux droits de laquelle est venue la société Milleis Banque le 18 mai 2018.
Désireuse de réaliser à des placements et investissements, Mme [P] [B] a procédé à des virements d’un montant total de 147.000 euros formalisés par lettres de la manière suivante :
10.000 euros auprès de la banque London Metal Exchange le 3 janvier 2019,50.000 euros auprès de la banque London Metal Exchange le 26 février 2019,70.000 euros auprès de la banque London Metal Exchange le 12 avril 2019,7.000 euros auprès de la banque London Metal Exchange le 12 avril 2019,10.000 euros auprès de la banque Bforfinance le 28 février 2019.
Mme [P] [B] a déposé une plainte pour escroquerie auprès des services de police le 17 juin 2019 et a sollicité auprès de la société Milleis Banque le retour des fonds virés sur les comptes domiciliés à l’étranger, ce qui s’est avéré impossible en raison de la clôture des comptes des bénéficiaires des virements.
Estimant que la société Milleis Banque avait manqué à son devoir de vigilance dans l’exécution des ordres de virements, Mme [P] [B] l’a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Nice pour obtenir réparation de son préjudice par acte délivré le 20 janvier 2022.
Dans ses conclusions responsives n°2 communiquées le 22 mars 2024, Mme [P] [B] sollicite la condamnation de la société Milleis Banque à lui payer les sommes suivantes :
– 147.000 euros en réparation de son préjudice financier,
– 8.000 euros en indemnisation de son préjudice moral,
– 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle expose que, depuis l’ouverture de son compte, chacun de ses virements bancaires a fait l’objet d’un contrôle par la banque qui lui a demandé des justificatifs en exécution de son devoir de vigilance. Elle explique qu’il en fût ainsi à l’occasion d’un achat immobilier ou d’un prêt consenti à sa fille en 2016. Elle souligne qu’elle a cessé toute activité professionnelle et qu’elle est une cliente non avertie, n’ayant aucune compétence en matière financière. Elle ajoute qu’elle n’effectuait que très rarement des virements bancaires pour des montants importants de sorte que les opérations réalisées au début de l’année 2019 au profit de banques étrangères présentaient un caractère inhabituel.
Elle fait valoir que pèsent sur les établissements bancaires, en application de l’article 1231-1 du code civil, un devoir de conseil et une obligation de vigilance à l’égard de leurs clients non avertis. Elle soutient que la banque était tenue de l’informer des risques encourus par la réalisation de virements à l’étranger, d’un montant important qui constituaient une anomalie au regard de l’usage habituel de son compte. Or, elle indique que la banque n’a sollicité aucun justificatif avant de les réaliser alors que des anomalies intellectuelles apparentes pouvaient être constatées. Elle considère qu’en manquant à son devoir de vigilance, la société Milleis Banque a conduit à la perte des sommes transférées, ce qui lui cause un préjudice financier dont elle évalue la réparation à la somme de 147.000 euros mais également un préjudice moral en raison de la perte d’une part conséquente de ses économies.
Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 27 mars 2024, la société Milleis Banque conclut au débouté ainsi qu’à la condamnation de Mme [P] [B] à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle explique que Mme [P] [B] a ouvert trois comptes dans ses livres en demandant expressément, le 8 mars 2013, à être dispensée d’avoir à confirmer par écrit les ordres de virement de fonds qu’elle serait amenée à donner par téléphone, par télécopie ou par courriel. Elle relate que c’est dans ces conditions que Mme [P] [B] a régulièrement effectué des virements, exécutés sur instruction de sa part, notamment au cours de l’année 2016. Elle souligne que si elle a sollicité des documents sur l’origine des fonds à l’occasion de la donation effectuée au profit de sa fille, c’est dans le cadre de ses obligations en matière de lutte anti-blanchiment.
Elle rappelle que la banque qui exécute un virement valablement ordonné par le client n’a pas d’obligation de vigilance en l’absence d’anomalie apparente de l’ordre de virement. Elle souligne que le devoir de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client lui impose de ne pas intervenir sur l’opportunité des ordres de virements donnés dès lors qu’ils constituent l’exacte expression de sa volonté.
Elle relève que les cinq virements litigieux ont été réalisés par Mme [P] [B] conformément à ses instructions à destination de comptes ouverts dans des établissements bancaires non signalés comme suspects.
Or, elle fait valoir que, conformément à la jurisprudence constante de la cour de cassation, la banque, tenue d’un devoir de non immixtion sur la pertinence d’une opération, ne peut engager sa responsabilité que si les opérations litigieuses présentaient une anomalie apparente caractérisée par le fait que la banque ou le pays de destination des fonds étaient signalés comme suspects, que l’investissement n’était pas un investissement financière classique ou que l’ordre n’était pas conforme à la volonté du client.
Elle soutient que tel n’étant pas le cas en l’espèce des cinq ordres de virement, dont Mme [P] [B] ne conteste pas qu’ils étaient conformes à sa volonté lorsqu’elle les a donnés, aucune faute ne peut lui être reprochée dans l’exécution de ses instructions.
La clôture de la procédure est intervenue le 2 avril 2024. L’affaire a été retenue à l’audience du 16 avril 2024. La décision a été mise en délibéré au 2 juillet 2024 prorogé au 23 septembre 2024.
Sur la responsabilité de la société Milleis Banque.
Il est de principe que le banquier est débiteur, sur le fondement de la responsabilité de droit commun de l’article 1231-1 du code civil, d’un devoir de vigilance ou de surveillance du fonctionnement des comptes de ses clients.
Cette responsabilité est cependant limitée par un principe de non-ingérence, qui peut se définir comme l’interdiction faite au banquier de s’immiscer dans les affaires de son client.
Ainsi, le banquier teneur de compte n’a pas, en principe, à effectuer de recherches ou à réclamer de justifications pour s’assurer que les opérations qui lui sont demandées par son client sont régulières, non dangereuses pour lui et qu’elles ne sont pas susceptibles de nuire à un tiers, sauf son obligation spéciale de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme résultant des articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier.
Le devoir de vigilance du banquier est en effet limité à la détection des seules anomalies apparentes, qu’elles soient matérielles, lorsqu’elles affectent les mentions figurant sur les documents ou effets communiqués au banquier, ou intellectuelles, lorsqu’elles portent sur des éléments extrinsèques tenant à la nature des opérations effectuées par le client et le fonctionnement du compte.
En revanche, n’étant investi d’aucune mission générale de police de la relation bancaire, que ce soit dans l’intérêt public ou dans l’intérêt des tiers, ni même de sa clientèle, le banquier n’a pas à accomplir de diligence particulière pour s’assurer de la régularité et de l’opportunité des actes de son client.
C’est la raison pour laquelle est essentiellement prise en compte l’apparence de l’anomalie de l’opération et, notamment, sauf indices évidents, propres à faire douter de la régularité des opérations effectuées par son client, la banque n’a pas à procéder à des investigations sur l’origine et l’importance des fonds qu’il verse sur son compte.
Il faut donc une évidence particulière pour que le comportement du banquier soit jugé fautif notamment si les opérations passées en compte sont, par leur nature, leur montant ou leurs fréquences sans rapport avec les habitudes, les possibilités ou les besoins du client.
L’existence d’une anomalie intellectuelle apparente suppose la caractérisation d’éléments objectifs de contexte qu’un banquier diligent devra prendre en considération.
Le seul fait que le virement soit d’un montant important ou qu’il soit à destination d’un bénéficiaire domicilié à l’étranger, ne suffit pas à caractériser une anomalie intellectuelle apparente dès lors que le compte du client est toujours resté créditeur, et que les montants des virements devaient être mis en rapport avec l’importance du patrimoine de ce client.
En revanche, le fait qu’un virement soit opéré en France à destination du bénéficiaire dont le nom et l’IBAN sont répertoriés sur la liste de l’AMF, est de nature à conférer un caractère suspect à l’opération.
En l’espèce, le 29 août 2011, Mme [P] [B] a ouvert un compte chèque dans les livres de la banque Barclays aux droits de laquelle est venue la société Milleis Banque le 18 mai 2018.
Le 8 mars 2013, elle a signé une lettre demandant à l’établissement bancaire de procéder à l’exécution de tous les ordres de virement de fonds ou demandes de chèques de banque transmis par téléphone, télécopie ou courriels en le dispensant de solliciter leur confirmation.
Désireuse de procéder à des placements et investissements, sans le concours de la société Milleis Banque, elle a procédé à des virements d’un montant total de 147.000 euros formalisés par lettres de la manière suivante :
10.000 euros auprès de la banque London Metal Exchange le 3 janvier 2019,50.000 euros auprès de la banque London Metal Exchange le 26 février 2019,70.000 euros auprès de la banque London Metal Exchange le 12 avril 2019,7.000 euros auprès de la banque London Metal Exchange le 12 avril 2019,10.000 euros auprès de la banque Bforfinance le 28 février 2019.
Elle ne conteste pas avoir émis ces ordres de virements qui ont donc été exécutés par la société Milleis Banque conformément à ses instructions.
Ayant constaté qu’elle avait été victime d’une escroquerie, elle a déposé une plainte le 17 juin 2019 et a sollicité auprès de la société Milleis Banque le retour des fonds virés sur les comptes domiciliés à l’étranger, ce qui s’est avéré impossible en raison de la clôture des comptes des bénéficiaires des virements.
Elle estime que la société Milleis Banque a manqué à son devoir de vigilance en ne l’alertant pas sur les risques présentés par le virement de sommes importantes à destination de comptes domiciliés à l’étranger (Allemagne et Angleterre) mais également au regard du fonctionnement habituel de son compte, ce qui constituait une anomalie intellectuelle apparente.
Toutefois, la société Milleis Banque verse aux débats les relevés du compte de Mme [P] [B] qui révèlent que des mouvements de fonds importants ont eu lieu sur ce compte entre les mois de janvier et d’avril 2019, dont la réception de virements de 50.000 euros le 4 janvier 2019, de 57.496,51 euros le 22 février 2019, de 15.000 et 278.167,13 euros le 10 avril 2019 mais également divers débits autres que ceux résultant des virements litigieux.
Par ailleurs, il n’est pas discuté que les deux établissements bancaires teneurs des comptes récipiendaires des fonds ayant fait l’objet des ordres de virement ne sont pas des établissements inscrits sur la liste noire de l’autorité des marchés financiers.
Dans ce contexte, le seul fait que les cinq virements opérés à destination de bénéficiaires de comptes ouverts dans des établissements étrangers ne suffit pas à caractériser une anomalie intellectuelle apparente alors que le compte de Mme [P] [B] est toujours resté créditeur et que leur montant, en rapport avec son patrimoine, ne présentait pas de caractère exceptionnel au regard du fonctionnement habituel de son compte.
Aucun élément objectif ne permet donc de caractériser l’existence d’une anomalie intellectuelle apparente qui aurait dû conduire un banquier normalement diligent, tenu d’un devoir de non-ingérence lui faisant interdiction de s’immiscer dans les affaires de son client pour se prononcer sur l’opportunité des opérations qu’il a reçu pour instruction de réaliser, à un devoir particulier de vigilance.
Il sera souligné que Mme [P] [B] s’est aperçue qu’elle avait été victime d’agissements frauduleux plusieurs mois après l’exécution des ordres de virements qu’elle a donnés, ce dont il se déduit que si le banquier le lui avait demandé, elle aurait manifestement confirmé ses instructions.
Par conséquent, en l’absence d’anomalie intellectuelle apparente des ordres de virement donnés par Mme [P] [B], la société Milleis Banque n’a pas commis de faute en exécutant les opérations litigieuses qui constituaient l’exacte expression de la volonté de sa cliente.
Mme [P] [B] sera par conséquent déboutée de toutes ses demandes d’indemnisation de préjudices qui n’ont pas été causés par une faute de la société Milleis banque.
Sur les demandes accessoires.
Partie perdante au procès, Mme [P] [B] sera condamnée aux dépens ainsi qu’à verser à la société Milleis Banque la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe :
DEBOUTE Mme [P] [B] de toutes ses demandes ;
CONDAMNE Mme [P] [B] à verser à la société Milleis Banque la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [P] [B] aux dépens.
Le présent jugement a été signé par le Président et le Greffier.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT