La société Baretti a proposé à la société LJBAH, par un devis daté du 2 décembre 2021, la réalisation de travaux pour un montant de 145.000 euros HT, régularisé par un acte le 15 février 2022. Le chantier devait débuter en mars 2022 avec un délai d’exécution de huit mois. Le 16 mai 2022, l’architecte a informé Baretti des difficultés financières de LJBAH, demandant un plafonnement de la révision du prix. Baretti a ensuite proposé deux nouveaux devis en mai 2022, avec des montants supérieurs, mais LJBAH a refusé ces offres, les considérant comme nouvelles. Baretti a alors indiqué que le prix révisé du contrat initial était de 149.360,90 euros HT. En décembre 2022, Baretti a assigné LJBAH en justice pour obtenir des dommages et intérêts, arguant que LJBAH avait résilié unilatéralement le contrat. Baretti réclame 15.788 euros pour les dépenses engagées et 59.856 euros pour son manque à gagner, tandis que LJBAH conteste la demande, affirmant que Baretti a manqué à ses obligations contractuelles en proposant des devis avec des prix supérieurs. LJBAH demande également que la demande de Baretti soit déclarée irrecevable.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AFFAIRE :
S.A.S.U. BARETTI
C/
S.C.I. LJBAH SCI
N° RG 22/02477 – N° Portalis DBY2-W-B7G-HAP6
Assignation :07 Décembre 2022
Ordonnance de Clôture : 10 Juin 2024
Autres demandes relatives à un contrat de réalisation de travaux de construction
TRIBUNAL JUDICIAIRE D’ANGERS
1ère Chambre
JUGEMENT
JUGEMENT DU VINGT TROIS SEPTEMBRE DEUX MIL VINGT QUATRE
DEMANDERESSE :
S.A.S.U. BARETTI
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentant : Maître Louis-René PENNEAU de la SELAS ORATIO AVOCATS, avocats au barreau d’ANGERS
DÉFENDERESSE :
S.C.I. LJBAH SCI
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Maître Francois-Xavier JUGUET, avocat au barreau d’ANGERS
EVOCATION :
L’affaire a été évoquée à l’audience du 17 Juin 2024,
Composition du Tribunal :
Président : Geneviève LE CALLENNEC, Vice-Présidente, statuant comme JUGE UNIQUE
Greffier, lors des débats et du prononcé : Séverine MOIRÉ.
A l’issue de l’audience, le Président a fait savoir aux parties que le jugement serait rendu le 23 Septembre 2024
JUGEMENT du 23 Septembre 2024
rédigé par [G] [C], auditrice de justice, sous le contrôle de Geneviève LE CALLENNEC, Vice-Présidente et rendu à cette audience par mise à disposition au Greffe (en application de l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile)
par Geneviève LE CALLENNEC, Vice-Présidente,
contradictoire
signé par Geneviève LE CALLENNEC, Vice-Présidente, et par Séverine MOIRÉ, Greffier.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
Par devis n° D22/040 en date du 02 décembre 2021, la société Baretti a proposé à la société LJBAH la réalisation de travaux de terrassement, maçonnerie et canalisations sur un bâtiment artisanal situé au [Adresse 4] à [Localité 5], moyennant un prix total de 145.000 euros HT, soit 174.000 euros TTC, révisable selon l’index BT 01.
Cette offre a été retenue et régularisée sur la base du devis susvisé par un acte sous seing privé en date du 15 février 2022. Le démarrage du chantier est prévu au mois de mars 2022, le délai d’exécution des travaux étant fixé à huit mois à compter de la date de l’ordre de service général.
Par mail en date du 16 mai 2022, l’architecte en charge du chantier a fait part à la société Baretti des difficultés financières rencontrées par la société LJBAH, sollicitant l’absence de révision du prix de la prestation ou le plafonnement de cette révision.
Par devis n° D22/244 en date du 18 mai 2022, la société Baretti a proposé à la société LJBAH la réalisation de travaux identiques, moyennant un prix total de 164.000 euros HT, soit 196.800 euros TTC, révisable selon l’index BT 01.
Puis, par devis n° D22/247 en date du 19 mai 2022, ces mêmes prestations étaient proposées moyennant un prix total de 158.999,98 euros HT, soit 190.799,98 euros TTC, révisable selon l’index BT 01.
Par mail du 09 juin 2022, la société LJBAH a indiqué à la société Baretti ne pas être en mesure de donner suite à ce dernier devis, analysé par elle comme une offre nouvelle.
Par courrier en date du 10 juin 2022, la société Baretti a indiqué à la société LJBAH que le prix convenu au devis n° D22/040, tel que régularisé par acte d’engagement du 15 février 2022 et révisé selon l’indice BT 01, s’élevait à 149.360,90 euros HT pour l’exécution des travaux.
C’est dans ce contexte que la société Baretti a fait délivrer assignation à la société LJBAH devant le tribunal judiciaire d’Angers, par acte de commissaire de justice en date du 07 décembre 2022, pour solliciter l’indemnisation de son préjudice, considérant que la défenderesse a mis fin unilatéralement au contrat.
La clôture de l’instruction est intervenue par ordonnance en date du 10 juin 2024.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Dans ses dernières conclusions notifiées le 19 septembre 2023, la société Baretti demande au tribunal de :
Condamner la société LJBAH à lui verser la somme de 15.788 euros de dommages et intérêts au titre des dépenses engagées pour la passation du contrat ;Condamner la société LJBAH à lui verser la somme de 59.856 euros de dommages et intérêts au titre de son manque à gagner ;Condamner la société LJBAH aux entiers dépens ;Condamner la société LJBAH à lui verser la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Baretti invoque les articles 1103 et 1794 du code civil. Elle fait valoir que l’acte sous seing privé du 15 février 2022 engageait la société LJBAH à son égard, que pour autant celle-ci a confié ces travaux à un autre entrepreneur. Elle estime n’avoir commis aucune faute dans l’exécution de son engagement. En réponse à la société LJBAH soulevant une augmentation illicite du prix prévu entre les parties, elle explique que cette dernière a sollicité la renonciation à l’application de la clause de révision en demandant une absence de révision du prix initialement prévu, ou à défaut un plafonnement des prix revalorisés. Elle souligne donc que les négociations des conditions économiques du contrat ont été engagées à l’initiative de la défenderesse. Ainsi, les devis envoyés les 18 et 19 mai 2022, et 10 juin 2022, doivent s’analyser en des révisions du contrat existant, et non en de nouvelles offres formulées auprès de la société LJBAH. Par conséquent, elle fait valoir que c’est bien cette dernière qui a résilié unilatéralement le contrat alors même que la Société Baretti souhaitait rester engagée pour la réalisation des travaux.
La société Baretti considère que la résiliation unilatérale du contrat par la défenderesse lui ouvre droit à réparation. Elle décompose son préjudice en deux sommes distinctes : d’une part les dommages et intérêts dus au titre des dépenses engagées pour la passation du contrat, d’autre part ceux dus au titre de son manque à gagner. S’agissant des premiers, elle les évalue à hauteur de 15.788 euros HT, correspondant aux sommes de 2.750 euros pour l’étude du dossier et la réalisation du devis, 350 euros pour l’établissement des plans béton-armé, 500 euros pour l’étude du dimensionnement du dallage, 12.188 euros pour le coût des effectifs affectés sur le chantier. Elle précise, en réponse à la société LJBAH, qu’aucun justificatif n’est apporté par le défendeur pour que ces sommes soient considérées comme excessives ou infondées. S’agissant des seconds, elle les estime à la somme de 59.856 euros HT, correspondant à 41,28% du marché et représentant ainsi la marge nette qu’elle aurait dû réaliser sur son chiffre d’affaire s’il avait été mené à son terme.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 24 mai 2023, la société LJBAH demande au tribunal de :
Déclarer la demande de la société Baretti irrecevable, et en tous cas mal fondée ;Débouter la société Baretti de l’ensemble de ses demandes ;Condamner la société Baretti aux entiers dépens ;Condamner la société Baretti à lui verser la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de sa demande d’irrecevabilité de l’action de la société Baretti, la société LJBAH ne développe aucun moyen.
La société LJBAH invoque par ailleurs l’article 1793 du code civil. Elle explique que la société Baretti a manqué à ses obligations contractuelles en lui proposant deux nouveaux devis visant précisément les mêmes travaux, moyennant un prix supérieur à l’augmentation encadrée par l’index BT 01 prévue par le contrat initial. Elle ajoute que ces devis, portant des numéros différents et nouveaux, s’analysent en des offres nouvelles et non en une simple révision du devis initial, preuve en est que celui en date du 10 juin 2022 se présente autrement et explicite la volonté de la société Baretti d’actualiser le montant initialement prévu pour sa prestation. De ce fait, elle estime que la demanderesse a rompu unilatéralement son engagement et qu’ainsi elle n’était plus liée par ledit contrat.
S’agissant des dommages et intérêts sollicités par la société Baretti, la défenderesse indique que celle-ci ne démontre l’existence d’aucun des préjudices avancés.
I. Sur la demande d’irrecevabilité formulée par la société LJBAH
Au soutien de cette demande, la société LJBAH ne développe aucun moyen, de sorte qu’il convient uniquement de statuer sur le bien fondé de l’action.
II. Sur le bien fondé de la demande d’indemnisation formulée par la société Baretti
Sur la qualification du marché conclu entre les parties
Au soutien de leurs demandes, la société Baretti et la société LJBAH invoquent respectivement les articles 1794 et 1793 du code civil, textes spéciaux applicables au marché à forfait. Il convient alors de vérifier si le marché litigieux s’analyse en un marché à forfait.
Aux termes de l’article 1794 du code civil, le maître peut résilier, par sa seule volonté, le marché à forfait, quoique l’ouvrage soit déjà commencé, en dédommageant l’entrepreneur de toutes ses dépenses, de tous ses travaux, et de tout ce qu’il aurait pu gagner dans cette entreprise.
L’article 1793 du même code dispose que lorsqu’un architecte ou un entrepreneur s’est chargé de la construction à forfait d’un bâtiment, d’après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l’augmentation de la main-d’oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d’augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n’ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire.
Le marché à forfait est le contrat par lequel l’entrepreneur s’engage à effectuer des travaux dont la nature et la consistance sont nettement définies, pour un prix fixé à l’avance, globalement et définitivement avant la conclusion du contrat. L’existence d’un marché à forfait est soumise à trois conditions, soit une construction, un forfait, un plan arrêté et convenu avec le propriétaire, impliquant notamment un cahier des charges.
En l’espèce, par devis n° D22/040 en date du 02 décembre 2021, la société Baretti a proposé à la société LJBAH la réalisation de travaux de terrassement, maçonnerie et canalisations sur un de ses bâtiments, moyennant un prix total de 145.000 euros HT révisable selon l’index BT 01. Ledit devis détaille la quantité et le coût de chaque prestation à effectuer.
Ce devis est visé dans l’acte d’engagement du 15 février 2022 qui fait référence, en son article 5, au CCAP (cahier des clauses administratives particulières) dont il n’est pas justifié l’existence. Bien que repris dans le cadre d’un acte d’engagement individuel signé par les parties le 15 février 2022, ce marché ne prévoit pas de cahier des charges à respecter, de sorte qu’au moins une des conditions permettant la caractérisation d’un marché à forfait fait défaut en l’espèce.
En ce sens, le marché conclu entre la société Baretti et la société LJBAH ne peut être analysé comme un marché à forfait. Les textes spéciaux prévus pour ce type de contrat ne sont donc pas applicables.
Sur le contrat conclu entre les parties
Aux termes de l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
En l’espèce, par devis n° D22/040 en date du 02 décembre 2021, la société Baretti a proposé à la société LJBAH la réalisation de travaux, moyennant un prix total de 145.000 euros HT révisable selon l’index BT 01. Par acte d’engagement du 15 février 2022, cette offre a été retenue. L’acte vise précisément la réalisation des travaux en application du devis n° D22/040 du 02 décembre 2021, et prévoit un commencement du chantier au mois de mars 2022.
La date de début des travaux a été repoussée à trois reprises, la société Baretti en ayant été informée par le compte-rendu de réunion du 07 mars 2022, puis par mails de l’architecte en charge du chantier datant des 11 mars et 16 mai 2022. Ce report était expliqué d’abord par un blocage administratif, puis par les difficultés financières rencontrées par la société LJBAH.
Par mail du 16 mai 2022, l’architecte a demandé aux différents entrepreneurs intervenant sur le chantier s’il leur était possible de ne pas réviser le prix présent sur les engagements passés malgré le retard des travaux, ou à défaut s’il leur était possible de plafonner la révision du prix au montant le plus faible possible au regard des situations de chacun.
Par un devis n° D22/244 en date du 18 mai 2022, la société Baretti a proposé à la société LJBAH la réalisation de travaux en tous points identiques car reprenant précisément le même détail sur la quantité et le coût de chaque prestation que le devis initial. Ces travaux pouvaient être réalisés moyennant un prix total de 164.000 euros HT, soit 196.800 euros TTC, révisable selon l’index BT 01.
Puis, par un devis n° D22/247 du 19 mai 2022, elle a de nouveau proposé ces mêmes travaux, le prix total de la prestation étant abaissé à 158.999,98 HT, soit 190.799,98 euros TTC.
Ces deux devis sont présentés de la même manière que le devis initial n° D22/040, indiquant les conditions permettant de donner suite à cette proposition ainsi que les modalités de révision du prix, toujours en application de l’indice BT 01.
Par courrier du 10 juin 2022, la société Baretti a indiqué à la défenderesse que ces deux devis devaient être analysés en une révision du premier, bien que le nouveau prix n’ait pas été calculé en application de l’index BT 01. Elle joignait à ce courrier un document précisant qu’il s’agit de la révision du devis n° D22/040 suivant le BT 01. Le nouveau prix était calculé en application de l’indice BT 01 en décembre 2021 et en mars 2022, portant le coût des travaux à la somme de 149.360,90 euros HT.
Ainsi, par l’envoi du devis du 18 mai 2022, la société Baretti a opéré une modification substantielle du contrat passé avec la société LJBAH en prévoyant une augmentation du prix convenu HT de 13,10%.
En proposant ce tout nouveau prix pour l’exécution de travaux identiques, alors même que le contrat initial prévoyait les modalités précises et encadrées de révision du prix, la société Baretti a formulé une offre nouvelle auprès de la défenderesse et témoigné de sa volonté d’anéantir leur premier accord. Cette intention de former un nouveau contrat se trouve renforcée par la présentation d’un autre devis le 19 mai 2022, prévoyant toujours une augmentation conséquente du prix initialement convenu.
Bien que la société Baretti ait finalement communiqué un document d’actualisation du prix du contrat initial par application de l’indice BT 01, cette révision intervient le 10 juin 2022, soit 23 jours après sa nouvelle offre ayant mis fin à l’engagement passé entre les parties le 15 février 2022.
Par conséquent, les parties n’étant plus contractuellement liées depuis le 18 mai 2022 sur décision de la société Baretti ayant proposé une offre nouvelle, cette dernière est mal fondée à considérer que la société LJBAH a résilié unilatéralement le contrat signé le 15 février 2022.
De ce fait, il convient de débouter la société Baretti de ses demandes en dommages et intérêts au titre des dépenses engagées pour la passation du contrat et de son manque à gagner.
III. Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
Sur les dépens
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
Ainsi, la société Baretti, qui succombe à l’instance, est condamnée aux entiers dépens.
Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.
Il parait équitable en l’espèce de condamner la société Baretti à verser à la société LJBAH la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 pour les frais exposés et non compris dans les dépens.
Le tribunal statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, par décision mise à disposition au greffe,
DEBOUTE la société Baretti de sa demande en dommages et intérêts au titre des dépenses engagées pour la passation du contrat ;
DEBOUTE la société Baretti de sa demande en dommages et intérêts au titre du manque à gagner;
CONDAMNE la société Baretti aux entiers dépens ;
DEBOUTE la société Baretti de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Baretti à verser à la société LJBAH la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Jugement rendu par mise à disposition au Greffe le VINGT TROIS SEPTEMBRE DEUX MIL VINGT QUATRE, par Geneviève LE CALLENNEC, Vice-Présidente, assistée de Séverine MOIRÉ, Greffier, lesquelles ont signé la minute du présent Jugement.
LE GREFFIER LE PRESIDENT