Libération de la Retenue de Garantie : Conditions et Obligations du Maître d’Ouvrage

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Libération de la Retenue de Garantie : Conditions et Obligations du Maître d’Ouvrage

M. [S] [R] a confié à la S.A.R.L. APL la construction d’une piscine pour un montant de 92.775,60 euros, avec réception des travaux le 7 juin 2022, accompagnée de réserves et d’une retenue de garantie de 4.314,78 euros. La S.A.R.L. APL a assigné M. [S] [R] pour obtenir le paiement de cette retenue, ainsi que des dommages et intérêts et des frais de justice, arguant que les réserves avaient été levées et que les désordres n’étaient pas de son fait. M. [S] [R] a réclamé la levée des réserves, des indemnités pour préjudices subis, et a contesté les demandes de la S.A.R.L. APL, soutenant que la retenue de garantie ne devait être libérée qu’après la levée complète des réserves et l’expiration de la période de parfait achèvement. Les deux parties ont présenté leurs arguments lors de l’audience du 17 juin 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Bordeaux
RG
23/03467
Du 10 septembre 2024

56C

SCI/

PPP Contentieux général

N° RG 23/03467 – N° Portalis DBX6-W-B7H-YLSS

S.A.R.L. APL (AMENAGEMENTS PISCINES LOISIRS)

C/

[S] [R]

– Expéditions délivrées à

– FE délivrée à

Le 10/09/2024

Avocats : la SELARL BARDET & ASSOCIES
Me Amélie CAILLOL

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
Pôle protection et proximité
[Adresse 1]

JUGEMENT EN DATE DU 10 SEPTEMBRE 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

JUGE : Madame Edith VIDALIE-TAUZIA, Magistrat

GREFFIER : Madame Françoise SAHORES

DEMANDERESSE :

S.A.R.L. APL (AMENAGEMENTS PISCINES LOISIRS)
Exerçant sous le nom commercial AGRETEC PISCINES
RCS n° 400664082
[Adresse 5]
[Localité 4]

représentée par Me Max BARDET, Avocat au barreau de BORDEAUX

DEFENDEUR :

Monsieur [S] [R]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représenté par Me Amélie CAILLOL, membre de la SCP EYQUEM-BARRIEREDONITIAN CAILLOL, Avocat au barreau de BODEAUX
substituée par Me Eve DONITIAN

DÉBATS :

Audience publique en date du 17 Juin 2024

PROCÉDURE :

Articles 480 et suivants du code de procédure civile.

QUALIFICATION DU JUGEMENT :

Le jugement contradictoire est rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe.

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon acte d’engagement signé le 27 septembre 2019, sous la maîtrise d’oeuvre de la Société AGRAM, M. [S] [R] a confié à la S.A.R.L. APL (AMENAGEMENTS PISCINES LOISIRS), exerçant sous le nom commercial AGRETEC, le lot n° 13 correspondant à la construction d’une piscine sur le terrain de son immeuble situé [Adresse 2] à [Localité 3]. Le montant du marché a été fixé à 92.775,60 euros.
La réception des travaux est intervenue le 7 juin 2022 avec réserves. Des retenues de garantie ont été effectuées par le maître de l’ouvrage à hauteur de 4.314,78 euros.

Faisant valoir que les réserves ne concernaient pas ses travaux, ont été levées et que la retenue de garantie ne se justifie pas, par acte de commissaire de justice délivré le 27 septembre 2023, la S.A.R.L. APL a fait assigner M. [S] [R] à l’audience du 23 octobre 2023 de la chambre de Proximité du tribunal judiciaire de Bordeaux, pour le faire condamner au paiement de :
– la somme principale de 4.314,78 euros correspondant au montant des retenues de garantie
– la somme principale de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts
– la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code procédure civile et aux dépens.
Il demandait en outre qu’il soit fait application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Après plusieurs reports pour échanges des pièces et conclusions entre les parties, l’affaire a été examinée à l’audience du 17 juin 2024.

La S.A.R.L. APL, représentée par avocat, a maintenu ses demandes initiales, sauf à porter à 2.400 euros sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code procédure civile. Elle invoque les dispositions de la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971 qui réglemente les retenues de garantie. Elle observe que l’architecte a émis les certificats de paiement, qu’un procès-verbal de levée de réserves a été établi et qu’en l’absence d’opposition du maître de l’ouvrage la retenue de garantie est exigible depuis le 7 juin 2023. Elle soutient que les réserves, au demeurant levées, et les désordres nouveaux invoqués ne concernent pas ses travaux. Elle indique que le désordre allégué provient d’un problème d’entretien dont elle n’a pas été chargée, alors qu’elle a proposé ce service. Elle conclut au rejet des demandes reconventionnelles et arguant du caractère abusif du défaut de paiement maintient sa demande en dommages et intérêts sur le fondement de l’article 2 la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971.

M. [S] [R] , représenté par avocat, demande au tribunal de :
– condamner la S.A.R.L. APL à lever les réserves émises lors de la réception dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard
– condamner la S.A.R.L. APL à lui payer la somme de 8.000 euros au titre des préjudices subis
– rejeter les prétentions de la S.A.R.L. APL
– condamner la S.A.R.L. APL à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code procédure civile et aux entiers dépens, incluant les frais de constat d’huissier de justice.
Il explique que la libération de la retenue de garantie ne devait intervenir qu’après l’année de parfait achèvement et la levée des réserves, que la S.A.R.L. APL a signé le procès-verbal de réception et accepté les réserves, que celles- ci n’ont pas été complètement levées et que de nombreuses défaillances sont apparues dans l’année de la garantie de parfait achèvement. Il soutient que le procès-verbal de levée de réserves produit ne concerne pas le lot de la S.A.R.L. APL et qu’au demeurant il n’est pas possible d’identifier l’auteur du procès-verbal qu’il n’a lui-même pas signé. Il observe que les dysfonctionnements sont apparus dès l’origine et ne peuvent être imputables à un défaut d’entretien. Il invoque l’exception d’inexécution et demande la réparation des préjudices qu’il subit.

Pour le détail de l’argumentation des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions écrites maintenues à l’audience.

MOTIFS

Sur la demande en paiement de la retenue de garantie
L’article 1er de la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971 dispose:
“Les paiements des acomptes sur la valeur définitive des marchés de travaux privés visés à l’article 1779-3° du code civil peuvent être amputés d’une retenue égale au plus à 5 p. 100 de leur montant et garantissant contractuellement l’exécution des travaux, pour satisfaire, le cas échéant, aux réserves faites à la réception par le maître de l’ouvrage.
Le maître de l’ouvrage doit consigner entre les mains d’un consignataire, accepté par les deux parties ou à défaut désigné par le président du tribunal judiciaire ou du tribunal de commerce, une somme égale à la retenue effectuée.
Dans le cas où les sommes ayant fait l’objet de la retenue de garantie dépassent la consignation visée à l’alinéa précédent, le maître de l’ouvrage devra compléter celle-ci jusqu’au montant des sommes ainsi retenues.
Toutefois, la retenue de garantie stipulée contractuellement n’est pas pratiquée si l’entrepreneur fournit pour un montant égal une caution personnelle et solidaire émanant d’un établissement financier figurant sur une liste fixée par décret.”
L’article 2 prévoit quant à lui que :
“A l’expiration du délai d’une année à compter de la date de réception, faite avec ou sans réserve, des travaux visés à l’article précédent, la caution est libérée ou les sommes consignées sont versées à l’entrepreneur, même en l’absence de mainlevée, si le maître de l’ouvrage n’a pas notifié à la caution ou au consignataire, par lettre recommandée, son opposition motivée par l’inexécution des obligations de l’entrepreneur. L’opposition abusive entraîne la condamnation de l’opposant à des dommages-intérêts.”
L’article 3 dispose enfin que :
“Sont nuls et de nul effet, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements, qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions des articles 1er et 2 de la présente loi.”

En l’espèce, dans le cadre de la construction d’une maison individuelle, M. [S] [R] a confié à la S.A.R.L. APL le lot n°13 relatif à la construction d’une piscine. Le procès-verbal de réception a été signé le 7 juin 2022 par le maître d’ouvrage, l’entreprise et le maître d’oeuvre avec la mention des réserves suivantes :
– habillage du volet
– margelle immergé déborde uniquement coté jardin, réserves à lever avant le 4 juillet 2022.

Le montant de la retenue de garantie opérée par le maître de l’ouvrage s’élève à 4.314,78 euros.

Il ne justifie pas avoir consigné les sommes et ne produit aucun courrier recommandé par lequel il aurait formé son opposition motivée par l’inexécution des obligations de l’entrepreneur au versement de la retenue de garantie à l’entreprise, alors que plus d’une année s’est écoulée depuis la réception de l’ouvrage.

Il s’ensuit qu’en son principe l’entrepreneur est fondé à demander la libération de la retenue de garantie à son profit.

M. [S] [R] soutient néanmoins être fondé à opposer l’exception d’inexécution, pour conserver les fonds, d’une part car les réserves ne sont pas levées, d’autre part car des désordres apparus postérieurement à la réception affectent les travaux.

Selon l’article 1217 du code civil la partie envers laquelle un engagement n’a pas été exécuté peut :
– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
– obtenir une réduction du prix ;
– provoquer la résolution du contrat ;
– demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter.

L’article 1219 du code civil prévoit quant à lui qu’une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.

La S.A.R.L. APL soutient s’agissant des réserves ci-dessus rappelées, d’une part qu’elles ont été levées, d’autre part qu’elles ne concernaient pas son lot.

Il découle de la comparaison entre le procès-verbal de réception du lot 13 confié à la S.A.R.L. APL et du lot 15 confié à l’entreprise l’ATELIER DU MARBRE que le défaut de débordement de la piscine était imputable à la margelle posée par cette seconde entreprise, qui devait exécuté des travaux de surfaçage pour permettre le débordement.
Les photos produites en pièce 14 par le demandeur permettent de se convaincre qu’après cette reprise la fonction débordement était bien en service et qu’en conséquence les conditions de la levée de cette réserve étaient bien réunies après ces travaux.

Il est allégué par M. [S] [R] que le débordement ne fonctionne pas ou plus, mais le procès-verbal de constat en date du 7 avril 2023 établi par Maître [V] [Z] [T] sur ce point reprend les affirmations de M. [S] [R] sans établir un constat technique de dysfonctionnement, l’huissier de justice indiquant “Monsieur [R] me déclare que sa piscine est normalement à débordement. Elle n’est actuellement pas au niveau habituel. La première rangée de carrelage est normalement immergé. Il me précise que les carreaux s’effritent et laissent de la poussière dans l’eau. Je peux constater que cette rangée de carrelage ne présente pas la même texture que les autres. Sous la main la surface est rugueuse et poussiéreuse.”

Or le carrelage a été posé par l’entreprise l’ATELIER DU MARBRE qui a aussi réalisé les travaux de surfaçage pour permettre le débordement de la piscine et le descriptif de l’huissier de justice ne démontre pas la réalité de l’absence de débordement le jour de ces constatations en raison d’une malfaçon imputable à la S.A.R.L. APL.

Il n’est pas allégué par M. [S] [R] par ailleurs que les travaux relatifs à l’habillage du volet n’auraient pas été faits.

Quant aux désordres apparus postérieurement reprochés à la S.A.R.L. APL, M. [S] [R] produit un second procès-verbal de constat en date du 28 septembre 2023 du même huissier de justice, qui dans le bassin relève des coulures blanchâtres et des morceaux de silicone, qui n’avaient pas fait l’objet de réserves lors de la réception, et dont il n’était pas fait état dans le constat du 7 avril 2023. Il n’est nullement établi au seul vu de ce constat que ces désordres soient imputables à la S.A.R.L. APL.
De même le constat dans le local technique, que la S.A.R.L. APL n’a pas réalisé, de désordres de type ruissellement d’eau sur la tuyauterie, qui peut générer des désordres du système à électrolyse, ne permet pas de démontrer l’existence de désordres imputables aux travaux de la S.A.R.L. APL.

Dès lors M. [S] [R] ne justifie pas d’une inexécution lui permettant de retenir une partie du prix.

Il sera donc condamné à payer à la S.A.R.L. APL la somme de 4.314,78 euros.

Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de l’assignation et en application de l’article 1343-2 du code civil les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt.

Sur la demande reconventionnelle en exécution de travaux
Il découle de ce qui précède que M. [S] [R] n’est pas fondé en sa demande en levée des réserves, lesquelles seraient au demeurant non imputables à la S.A.R.L. APL, dans l’hypothèse où le défaut de débordement serait persistant bien que non caractérisé à ce jour.

Il sera donc débouté en cette demande.

Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts
Il découle de ce qui précède que M. [S] [R] ne démontre que les travaux effectués par la S.A.R.L. APL seraient affectés de désordres persistants. Par suite aucun préjudice dont la S.A.R.L. APL devrait réparation n’est caractérisé.

M. [S] [R] sera débouté en sa demande de ce chef.

Sur la demande en dommages et intérêts formée par la S.A.R.L. APL
La S.A.R.L. APL, rappelant les dispositions de l’article 2 de la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971 qui prévoit que l’opposition abusive entraîne la condamnation de l’opposant à des dommages-intérêts, demande la condamnation de M. [S] [R] à lui payer la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Si M. [S] [R] n’était pas fondé à conserver la retenue de garantie à l’issue de la première année suivant la réception, la S.A.R.L. APL ne caractérise aucun préjudice permettant de chiffrer l’indemnisation, le principe de la réparation imposant que le demandeur fournisse les éléments propres à cette évaluation.

La demande de dommages et intérêts sera donc rejetée.

Sur les autres demandes
Il résulte des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie. En outre l’article 700 du même code prévoit que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.

Les dépens seront supportés par M. [S] [R], qui succombe et l’indemnité due par la partie perdante au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile sera fixée à la somme de 1.500 euros, sa propre demande ne pouvant prospérer.

En application de l’article 514 du code de procédure civile la présente décision est de droit exécutoire par provision.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire, en premier ressort,

CONDAMNE M. [S] [R] à payer à la S.A.R.L. APL (AMENAGEMENTS PISCINES LOISIRS) la somme de 4.314,78 euros avec intérêts légaux à compter du 27 septembre 2023 ;

DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt ;

DÉBOUTE M. [S] [R] en ses prétentions ;

DÉBOUTE la S.A.R.L. APL (AMENAGEMENTS PISCINES LOISIRS) en sa demande en dommages et intérêts ;

CONDAMNE M. [S] [R] aux dépens ainsi qu’à payer à la S.A.R.L. APL (AMENAGEMENTS PISCINES LOISIRS) la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

CONSTATE l’exécution provisoire de droit de la décision.

Ainsi jugé les jour, mois et an susdits.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


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