La société SNC BOIS COLOMBES PACIFIC a engagé la construction d’un immeuble de bureaux, « Immeuble Pacific », avec la société SEFRI CIME ACTIVITES ET SERVICES comme maître d’ouvrage délégué et ARTELIA en tant que maître d’œuvre d’exécution. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 13 avril 2023. En raison de réserves non levées et de désordres apparus dans l’année suivant la réception, la SNC BOIS COLOMBES PACIFIC a assigné plusieurs sociétés devant le tribunal judiciaire de Paris en référé, demandant la désignation d’un expert, la préservation des droits au fond, et d’autres mesures.
Lors des audiences, la question de la compétence territoriale a été soulevée, et les parties ont été invitées à la médiation, sans succès. La demanderesse a maintenu ses demandes en se fondant sur une clause de compétence dans le contrat. Plusieurs défenderesses ont demandé leur mise hors de cause ou ont contesté leur responsabilité. La décision est mise en délibéré pour le 10 septembre 2024. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
N° RG 24/53386 –
N° Portalis 352J-W-B7I-C4SKE
N° : 4-CB
Assignation du :
10, 11 et 12 avril 2024
[1]
[1] 7 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 10 septembre 2024
par Emmanuelle DELERIS, Vice-présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Clémence BREUIL, Greffier.
DEMANDERESSE
La S.N.C. BOIS COLOMBES PACIFIC
[Adresse 11]
[Localité 19]
représentée par Maître Sonia PAAL, avocat au barreau de PARIS – #J 139
DEFENDERESSES
La S.A.S.U. FRANCE SOLS
[Adresse 23]
[Localité 31]
La société SPIE PARTESIA
[Adresse 23]
[Localité 31]
représentées par Maître Eva MARQUET de la SELARL CABOUCHE & MARQUET, avocats au barreau de PARIS – #P0531
La S.A.S. BALAS
[Adresse 8]
[Localité 27]
représentée par Maître Renaud FRANCOIS de la SELEURL Renaud FRANCOIS Avocat, avocats au barreau de PARIS – #P0197
La société RAGUENEAU
[Adresse 7]
[Localité 20]
représentée par Maître Nicolas KOHEN, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE – #PC250
La société OTIS
[Adresse 38]
[Adresse 13]
[Localité 29]
représentée par Maître Elise ORTOLLAND de la SELARL ORTOLAND & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS – #R0231
La S.A.S. ARTELIA
[Adresse 6]
[Localité 30]
représentée par Maître Catherine MAUDUY-DOLFI de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS – #P0133
La S.C.O.P. S.A. LES MACONS PARISIENS
[Adresse 10]
[Localité 24]
représentée par Maître Floriane BEAUTHIER DE MONTALEMBERT, avocat au barreau de PARIS – #A0935
La S.A.S. OUEST ALU
[Adresse 14]
[Localité 22]
représentée par Maître Carole FONTAINE de la SELAS DFG Avocats, avocats au barreau de PARIS – #G0156
La S.A.S. AUGAGNEUR – PMG
[Adresse 18]
[Localité 21]
non représentée
La S.A.S. ORBIS
[Adresse 4]
[Localité 32]
non représentée
La S.A.S. ENTREPRISE LEFORT FRANCHETEAU
[Adresse 2]
[Localité 28]
non représentée
La S.A. SPIE BATIGNOLLES ENERGIE
[Adresse 17]
[Localité 34]
non représentée
La S.A.S. SPORTS ET PAYSAGES
[Adresse 3]
[Localité 35]
non représentée
La société SFB – SOCIETE FRANCILIENNE DE BATIMENT
Centre “LE FRANCILIEN”
[Adresse 16]
[Adresse 16]
[Localité 25]
non représentée
La S.A.S. SOCIETE NOUVELLE D’ASPHALTES
[Adresse 12]
[Localité 33]
non représentée
La S.A.S. TMB – TREUIL MENUISERIE BATIMENT
[Adresse 41]
[Localité 15]
non représentée
La société ATOLE
[Adresse 37]
[Adresse 39]
[Localité 1]
non représentée
La société BANGUI
[Adresse 5]
[Localité 26]
non représentée
DÉBATS
A l’audience du 25 Juin 2024, tenue publiquement, présidée par Emmanuelle DELERIS, Vice-présidente, assistée de Clémence BREUIL, Greffier,
Après avoir entendu les conseils des parties,
La société SNC BOIS COLOMBES PACIFIC a fait procéder, en qualité de maître de l’ouvrage, à la construction d’un immeuble à usage de bureaux dénommé » Immeuble Pacific » situé dans la [Adresse 40] au [Adresse 9] à [Localité 36] (92).
La société SEFRI CIME ACTIVITES ET SERVICES est intervenue comme maître d’ouvrage délégué et la maîtrise d’œuvre d’exécution a été confiée à la société ARTELIA.
Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 13 avril 2023.
Se prévalant de la persistance de réserves non levées et de l’apparition de désordres durant l’année suivant la réception de l’immeuble, la SNC BOIS COLOMBES PACIFIC a, par exploits délivrés les 10, 11 et 12 avril 2024, fait assigner devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé, les sociétés SFB (Société Francilienne de Bâtiment), Les Maçons Parisiens, SNA (Société Nouvelle d’Asphaltes), OUEST ALU, TM, ATOLE (FERRALIER), SPIE PARTESIA, BANGUI, France SOLS, AUGAGNEUR, ORBIS, BALAS, LEFORT FRANCHETEAU, RAGUENEAU, OTIS, SEPA (SPORTS ET PAYSAGES), ARTELIA, ATOLE MONTLUCON, TREUIL MENUISERIE BATIMENT aux fins de voir :
– désigner un expert avec mission précisée au dispositif de l’assignation ,
– donner acte aux parties qui les formuleront, de leurs protestations et réserves d’usage quant à la préservation de leurs droits au fond,
– rappeler en tant que de besoin, que la demande en justice interrompt les délais de prescription et de forclusion, dont le délai de garantie de parfait achèvement,
– débouter les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
– dire n’y avoir pas lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
– dire que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
A l’audience du 28 mai 2024, la question de la compétence territoriale de la présente juridiction a été soulevée d’office et débattue.
Les parties ont par ailleurs été enjointes de rencontrer un médiateur, mais ne sont pas entrées en médiation.
A l’audience du 25 juin la demanderesse, représentée, maintient les demandes de son assignation et se prévaut, pour fonder la compétence de la présente juridiction, de la clause attributive de compétence matérielle et territoriale prévue au contrat, et du fait que le juge compétent pour connaître du litige au fond est le tribunal judiciaire de Paris.
Les défenderesses comparantes s’en rapportent sur la question de la compétence.
La société RAGUENEAU, représentée, dépose des conclusions auxquelles elle se réfère et demande à titre principal, sa mise hors de cause et à titre subsidiaire, qu’il lui soit donné acte de ses protestations et réserves, et la condamnation de la demanderesse à supporter les frais de consignation et les dépens.
Aux termes de ses conclusions déposées et visées, la société LES MACONS PARISIENS sollicite à titre principal sa mise hors de cause, et à titre subsidiaire qu’il lui soit donné acte de ses protestations et réserves.
La société ARTELIA dépose des conclusions par lesquelles elle demande de :
– lui donner acte de ce qu’elle conteste toute responsabilité n’étant pas débitrice de la garantie de parfait achèvement,
– lui donner acte de ses protestations et réserves sur la mesure d’expertise,
– condamner la demanderesse au règlement des frais de consignation à valoir sur la mesure d’expertise,
– lui donner acte de ce qu’elle se réserve de faire valoir devant le juge du fond l’indemnisation des frais irrépétibles pour le suivi et l’organisation de sa défense,
– condamner la demanderesse aux dépens.
Les sociétés OUEST ALU, SPIE PARTESIA, France SOLS, BALAS et OTIS, représentées, formulent protestations et réserves.
Les autres défenderesses, régulièrement citées, n’ont pas constitué avocat.
Conformément aux dispositions de l’article 446-1 du code de procédure civile, il convient de se référer à l’acte introductif d’instance, aux écritures déposées par les parties et aux notes d’audience pour un plus ample exposé des faits et des moyens qui y sont contenus.
La décision a été mise en délibéré au 10 septembre 2024.
En vertu de l’article 472 du code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparaît pas, le juge fait droit à la demande s’il l’estime régulière, recevable et bien fondée.
En application de l’article 76 du code de procédure civile, sauf application de l’article 82-1, l’incompétence peut être prononcée d’office en cas de violation d’une règle de compétence d’attribution lorsque cette règle est d’ordre public ou lorsque le défendeur ne comparaît pas. Elle ne peut l’être qu’en ces cas.
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Les mesures d’instruction in futurum sont régies par le seul article 145 du code de procédure civile et se caractérisent par une grande autonomie, leur régime étant une création purement prétorienne.
Cette autonomie englobe également la question de la compétence territoriale, aucun texte ne posant de règle de compétence pour les mesures d’instruction in futurum et les règles posées par l’article 42 du code de procédure civile n’ayant pas vocation à s’appliquer.
C’est ainsi, en se référant au principe d’une bonne administration de la justice, objectif à valeur constitutionnelle, qu’il convient de déterminer le juge des référés territorialement compétent pour connaître d’une telle mesure, étant relevé qu’il entre dans l’office du juge d’adapter l’interprétation des textes sur la compétence territoriale aux enjeux du référé, mais aussi aux enjeux modernes du principe de proportionnalité.
La notion de proximité avec le juge est une des composantes essentielles d’une bonne administration de la justice, en particulier dans le cadre d’une mesure d’expertise judiciaire portant sur un bien immobilier.
Il sera en effet relevé, en premier lieu, que c’est le juge chargé du contrôle des expertises appartenant à la juridiction des référés qui a ordonné l’expertise, qui sera chargé de son contrôle, l’efficience, l’efficacité et la célérité de ce contrôle étant étroitement liées à la proximité du juge du contrôle avec le lieu où se situe l’immeuble.
En deuxième lieu, le choix d’un expert local sera souvent le plus pertinent notamment au regard de la nécessité de limiter le coût de l’expertise, le juge le plus éclairé pour effectuer le choix d’un expert local étant celui du ressort dans lequel se trouve l’immeuble (de par les informations détenues par ce juge sur la compétence et la disponibilité des experts judiciaires de son ressort).
En troisième lieu, si en application du principe de proportionnalité qui impose au juge de rechercher le mode de règlement du litige le plus adapté, le juge des référés envisage de convoquer les parties à une audience de règlement amiable avec un éventuel transport sur les lieux, ou le juge chargé du contrôle de la mesure en cas de difficultés rencontrées dans l’exécution de la mesure, la proximité sera un critère décisif, étant rappelé qu’en application de l’article 147 du code de procédure civile, le juge doit limiter le choix de la mesure à ce qui est suffisant, en s’attachant à retenir ce qui est le plus simple et le moins onéreux.
Il s’infère de ces éléments que lorsque la mesure d’instruction in futurum sollicitée est une mesure d’expertise judiciaire portant sur un bien immobilier, le principe d’une bonne administration de la justice impose de retenir la compétence exclusive du président du tribunal statuant en référé dans le ressort duquel la mesure doit être exécutée, à l’exclusion de toute autre compétence et notamment celle de la juridiction des référés du ressort du domicile d’un des défendeurs, souvent nombreux dans ces procédures (promoteurs, intervenants à l’acte de construire, assureurs), qui peut se situer à une distance très éloignée du lieu de situation de l’immeuble et du domicile de l’ensemble des autres parties.
Au cas présent, la requérante se prévaut de la clause attributive de compétence prévue à l’article XIX du contrat de maîtrise d’œuvre générale, ainsi qu’au cahier des clauses administratives particulières.
Il est exact que ces clauses prévoient la compétence du » Tribunal de grande instance de Paris » pour connaître des litiges relatifs au marché et au contrat de maîtrise d’œuvre générale.
Elles sont cependant contredites par les termes du procès-verbal de réception, qui est le document le plus récent des trois en ce qu’il a été signé le 13 avril 2023, et qui prévoit dans son article 5 la » compétence des tribunaux du lieu de situation de l’immeuble » pour connaître de tout litige découlant de son interprétation.
Ces clauses qui se contredisent ne sauraient donc être utilement invoquées pour faire échec au principe d’ordre public, ci-dessus énoncé, de compétence exclusive de la juridiction des référés du tribunal dans le ressort duquel la mesure doit être exécutée.
Il y a donc lieu de se déclarer territorialement incompétent au profit du président du tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé.
La décision de renvoi ne mettant pas fin au litige, il n’y a pas lieu de statuer sur les frais irrépétibles et les dépens.
Statuant publiquement en premier ressort, par ordonnance réputée contradictoire mise à disposition au greffe,
Nous déclarons incompétent au profit du président du tribunal judiciaire de Nanterre, statuant en référé,
Ordonnons que la présente décision soit notifiée aux parties par lettre recommandée en application de l’article 84 du code de procédure civile,
Disons qu’à défaut d’appel dans un délai de quinze jours à compter de cette notification, le dossier de l’affaire sera transmis par le secrétariat avec une copie de la décision de renvoi à la juridiction désignée, en application de l’article 82 du code de procédure civile ;
Réservons les dépens de l’instance et les demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait à Paris le 10 septembre 2024.
Le Greffier, Le Président,
Clémence BREUIL Emmanuelle DELERIS