Monsieur [V] conteste certaines clauses de son prêt, arguant qu’elles sont abusives. Il soutient que la prescription de l’action en restitution des sommes versées ne commence qu’à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif de ces clauses, en se basant sur une décision de la Cour de justice de l’Union Européenne. Cependant, la jurisprudence indique que la prescription ne doit pas nécessairement courir à partir de cette date, car cela pourrait rendre l’action imprescriptible. Monsieur [V] a eu connaissance du caractère abusif des clauses au plus tard en 2015, ce qui signifie que la prescription quinquennale est acquise depuis cette date. Par conséquent, son action engagée en juillet 2023 est déclarée irrecevable. Il est également condamné à payer des frais à la Banque Populaire.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE LYON
Quatrième Chambre
N° RG 23/05889 – N° Portalis DB2H-W-B7H-X236
Minute Numéro :
Notifiée le :
1 Grosse et 1 Copie à
Me Bertrand DE BELVAL de la SELARL DE BELVAL,
vestiaire : 654
Me Victoire LAJUGIE,
vestiaire : 2139
Me Marion DOLIGEZ,
vestiaire : 3051
Copie DOSSIER
ORDONNANCE SUR INCIDENT
Le 10 Septembre 2024
ENTRE :
DEMANDEUR
Monsieur [Z] [V]
né le [Date naissance 3] 1981 à [Localité 6] (06)
[Adresse 2]
[Localité 1]
représenté par Maître Victoire LAJUGIE, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, Maître Marion DOLIGEZ, avocat au barreau de LYON, avocat postulant, Maître David DANA de la SELARL DANA AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant
ET :
DEFENDERESSE
La BANQUE POPULAIRE AUVERGNE RHONE-ALPES (BP AURA), anciennement dénommée BANQUE POPULAIRE DES ALPES, Société Anonyme Coopérative de Banque Populaire à capital variable, prise en la personne de son représentant légal en exercice dont le siège social est
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Maître Bertrand DE BELVAL de la SELARL DE BELVAL, avocats au barreau de LYON, avocat postulant, Maître Christophe FOUQUIER, membre de l’Association DE CHAUVERON VALLERY-RADOT LECOMTE FOUQUIER, avocats au barreau de PARIS, avocat plaidant
Monsieur [V] expose qu’il a souscrit le 25 décembre 2007 un prêt immobilier correspondant à la contre-valeur en Francs Suisses de la somme de 180 000,00 Euros, les remboursements étant effectués en Francs Suisses.
Il travaillait alors en Suisse et percevait ses revenus en Francs Suisses.
Il a perdu son emploi en suisse et perçoit désormais ses revenus en Euros.
Il explique qu’il s’est alors aperçu que, contrairement à ce qu’il avait compris, il devait continuer à régler ses échéances en Francs Suisses, ce qui l’oblige à des opérations de change très défavorables compte tenu de l’évolution du taux de change.
Il ajoute qu’il a dû renoncer à vendre son bien, le remboursement anticipé n’étant possible qu’en Francs Suisses.
Par acte en date du 31 juillet 2023, Monsieur [V] a donc fait assigner la BANQUE POPULAIRE Auvergne Rhône Alpes devant la présente juridiction.
Il demande au Tribunal, au visa de l’article L 212-1 du Code de la Consommation :
– de constater le caractère abusif de la clause « Remboursement » et de la clause « Conditions spéciales des prêts en devises », contenant la clause de change en lien avec celle-ci, objet du prêt
– de constater que le contrat ne peut subsister amputé des clauses abusives et que les parties doivent être replacées dans la situation qui aurait été la leur si les clauses jugées abusives n’avaient pas existé
– en conséquence, de le condamner à rembourser la contre-valeur en Euro du capital emprunté au titre du contrat de prêt, soit 180 000,00 Euros
– de condamner la BANQUE POPULAIRE à lui restituer les amortissements, les intérêts, cotisations et commissions perçues ainsi que les primes d’assurance emprunteur, au titre du prêt
– d’ordonner la compensation des créances réciproques et l’application des intérêts au taux légal à compter de l’assignation
– en tout état de cause, de condamner la BANQUE POPULAIRE à lui payer la somme de 8 000,00 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
* * *
Dans ses dernières conclusions sur incident notifiées le 13 mai 2024, la BANQUE POPULAIRE demande au Juge de la mise en état :
– de déclarer irrecevable comme prescrite l’action en restitution de Monsieur [V] fondée sur le régime juridique des clauses abusives, quelle que soit la clause du contrat de crédit visée
– de condamner Monsieur [V] à lui payer la somme de 5 000,00 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile
– de débouter Monsieur [V] de ses demandes
– de condamner Monsieur [V] aux dépens dont distraction au profit de son avocat.
La banque rappelle que les conséquences pécuniaires d’une éventuelle clause abusive relèvent d’une action financière qui demeure soumise à la prescription extinctive.
Elle explique que pour la C.J.U.E., la directive 93/13 ne s’oppose pas, sous certaines conditions, à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l’action tendant à constater l’existence d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation.
Elle invoque les dispositions de l’article 2224 du Code Civil «faisant partir la prescription au jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, soit en l’espèce en juin 2008, date à laquelle Monsieur [V] a démissionné auprès de son employeur suisse et dit avoir réalisé « être exposé à un risque de change » et en avoir « subi les conséquences en réglant les échéances au moyen d’euros ».
Elle ajoute qu’il suffit que l’emprunteur ait été en mesure d’apprécier lui-même le caractère abusif de la clause et que la décision par laquelle le juge reconnaît le caractère abusif d’une clause est seulement déclarative, le juge ne faisant que constater une situation juridique préexistante à sa décision.
La BANQUE POPULAIRE soutient que la fixation du point de départ du délai de prescription de l’action en restitution initiée par Monsieur [V] au mois de juin 2008 est parfaitement conforme aux principes d’effectivité et d’équivalence du droit communautaire édictés par la C.J.U.E.
Elle souligne que le constat du caractère abusif soit un préalable nécessaire à la restitution ne signifie donc pas que la prescription doive courir du jour de la décision judiciaire admettant le caractère abusif de la clause, car le consommateur peut prendre conscience de l’existence d’un déséquilibre induit par la clause avant que le juge ne le constate.
Elle relève que la solution contraire aboutirait à une imprescriptibilité qui doit rester exceptionnelle et fait remarquer que la prescription de l’action en indemnisation du fait d’un défaut d’information sur le risque de change, qui repose sur les mêmes faits que l’action en restitution de sommes versées en vertu d’une clause de risque de change arguée d’abusive, se prescrit bien par 5 ans.
Dans ses dernières conclusions sur incident notifiées le 31 mai 2024, Monsieur [V] demande au Juge de la mise en état :
– de juger son action en constatation du caractère abusif de certaines clauses du prêt recevable
– de juger son action en restitution des sommes versées sur le fondement des clauses qui seront jugées abusives recevable
– de débouter la BANQUE POPULAIRE de ses demandes reconventionnelles
– de condamner la BANQUE POPULAIRE à lui payer la somme de 5 000,00 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Il expose que l’action tendant à la reconnaissance du caractère abusif d’une clause est imprescriptible et que le point de départ du délai de prescription quinquennal de l’action en restitution des sommes indûment versées sur le fondement des clauses abusives relatives au remboursement du prêt en francs suisses et au risque de change supporté par l’emprunteur doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses
Il fait valoir que si la C.J.U.E. admet la prescription de l’action en restitution, c’est à condition que soient respectés les principes d’équivalence et d’effectivité et pour autant que son application ne rende pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par la directive 93/13,
Il explique que le principe d’effectivité n’est respecté que si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s’écoule.
Il ajoute que les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre, en pratique, impossible ou excessivement difficile, l’exercice des droits confèrés par l’ordre juridique de l’Union.
S’agissant du respect du principe d’équivalence, il rappelle que le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l’annulation d’un contrat ou d’un testament, ne court qu’à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l’accord des parties ou d’une décision de justice.
Il sera renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions en application de l’article 455 du Code de Procédure Civile.
En application de l’article 122 du Code de Procédure Civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La prescription n’est pas invoquée concernant l’action en constatation du caractère abusif de certaines clauses du prêt.
Au visa de la décision de la Cour de justice de l’Union Européenne du 10 juin 2021, Monsieur [V] soutient que la prescription de l’action en restitution des sommes versées sur le fondement d’une clause abusive ne commence à courir qu’à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif de cette clause, la prescription ne pouvant courir plus tôt afin d’assurer au consommateur une protection effective de ses droits.
L’article 2224 du Code Civil dispose que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
La Cour de justice de l’Union Européenne a jugé pour droit que si « l’article 6 §1, et l’article 7 § 1, de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l’action tendant à constater la nullité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation », c’est à la condition que soient respectés les principes d’équivalence et d’effectivité et que son application ne rende pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par cette directive ».
Il ne se déduit pas de cette jurisprudence que la prescription court nécessairement à compter de la date à laquelle un Tribunal a constaté le caractère abusif d’une clause.
D’une part, cela retarderait le point de départ du délai de prescription, lui conférant un caractère putatif dès lors qu’il dépendrait du seul choix du consommateur du moment pour agir sur le fondement des clauses abusives, et tendrait à rendre cette action imprescriptible, alors que la C.J.U.E. admet le principe d’une prescription.
D’autre part, le consommateur, ou l’emprunteur en l’espèce, a nécessairement eu connaissance du caractère abusif d’une clause au plus tard à la date à laquelle il a engagé une action tendant à faire constater l’abus.
En effet, que le constat du caractère abusif soit un préalable nécessaire à la restitution ne signifie pas que la prescription doive courir du jour de la décision admettant le caractère abusif de la clause, le jugement ne faisant que constater situation juridique préexistante, car le consommateur peut prendre conscience de l’existence d’un déséquilibre induit par la clause avant que le juge ne le constate.
Enfin, cela nuirait à la sécurité des transactions de façon disproportionnée au regard de l’intérêt privé ainsi protégé mais dont la défense est limitée à 5 ans par le législateur.
Il convient donc de déterminer la date à laquelle Monsieur [V] a eu ou aurait dû avoir effectivement connaissance du caractère abusif des clauses contestées en application de l’article 2224 précité, laquelle peut être fixée aussi bien à la date du contrat qu’à toute autre date ultérieure, mais nécessairement avant l’assignation du 26 octobre 2022, date à laquelle il avait nécessairement conscience du caractère abusif invoqué.
En l’espèce, Monsieur [V] indique dans son assignation qu’il « a démissionné auprès de son employeur suisse au mois de juin 2008 de sorte qu’à compter de cette date, il réalisait s’être exposé à un risque de change et subissait ses conséquences en réglant les échéances au moyen d’euros » .
Il explique également « qu’à compter de la crise des subprimes puis surtout à compter de la crise l’euro en 2010, le cours EUR/CHF a varié de manière significative », que « le 15 janvier 2015, la Banque Nationale Suisse a aboli le taux plancher de 1,20 CHF pour 1 EUR » et que « la valeur du franc suisse s’est continuellement appréciée tandis que la valeur de l’euro, la devise dans laquelle le bien est libellé, a chuté pour atteindre 0,95 CHF pour 1 EUR ».
Dans ses conclusions sur incident Monsieur [V] précise que lorsqu’il a cessé de percevoir des revenus en francs suisses, il pensait « que les paiements en euros ne seraient pas reconvertis en francs suisses car le prêt avait été précédemment converti en euros » et qu’après avoir discuté avec le conseiller de la BANQUE POPULAIRE « il a réalisé que sa dette était restée libellée en francs suisses et ce, malgré la conversion en euros du prêt lors du déblocage des fonds » et
« découvert que les modalités de remboursement en euros fonctionnaient en réalité de manière opposée à ce qu’il avait initialement compris » puisque « le montant des échéances de 1 552,76 francs suisses restait constant, quelles que soient les fluctuations du taux de change CHF/EUR, ce qui signifiait que les paiements en euros devaient être reconvertis en francs suisses, au taux de change en vigueur avant chaque prélèvement trimestriel », et que « cette situation a suscité son inquiétude et l’a laissé perplexe quant au fonctionnement réel du prêt ».
Dans ces conditions, Monsieur [V] a nécessairement eu conscience du caractère abusif des clauses dont il se prévaut dès 2008, et au plus tard en 2015, et il a pu en constater les effets sur le montant de sa dette.
La prescription quinquennale est donc acquise depuis 2015 au plus tard, et l’action de Monsieur [V] engagée le 31 juillet 2023 est irrecevable.
Il est équitable de condamner Monsieur [V] à payer à la Banque Populaire la somme de 1 000,00 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile.
Monsieur [V] qui succombe en ses demandes sera condamné aux dépens.
Nous, Florence BARDOUX, Juge de la mise en état de la 4ème chambre du Tribunal Judiciaire de Lyon, assistée de Karine ORTI, Greffier ;
Statuant publiquement, par décision contradictoire susceptible d’appel ;
Déclarons l’action de Monsieur [V] irrecevable comme étant prescrite ;
Condamnons Monsieur [V] à payer à la BANQUE POPULAIRE Auvergne Rhône Alpes la somme de 1 000,00 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
Condamnons Monsieur [V] aux dépens.
Fait en notre cabinet, à Lyon, le 10 septembre 2024.
LE GREFFIER LE JUGE DE LA MISE EN ETAT