Examen de la recevabilité d’une demande de réparation pour manquement à l’obligation de conseil dans le cadre d’un prêt

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Examen de la recevabilité d’une demande de réparation pour manquement à l’obligation de conseil dans le cadre d’un prêt

La SA CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE HAUTS DE FRANCE a accordé un prêt de 43 750 euros à Monsieur [P] [T] en mai 2007 pour l’acquisition d’un terrain et la construction d’un local professionnel. En raison d’impayés, la banque a prononcé la déchéance du terme des contrats en novembre 2013. Monsieur [P] [T] est décédé en 2015, laissant une épouse et trois enfants. En novembre 2022, la CAISSE D’ÉPARGNE a poursuivi en justice la veuve et les enfants pour obtenir le remboursement des crédits. Les consorts [T] ont réclamé la prescription de l’action et des dommages et intérêts pour manquement au devoir de mise en garde. La CAISSE D’ÉPARGNE a contesté la demande de dommages et intérêts comme étant prescrite. Le juge de la mise en état a rendu une ordonnance le 12 juillet 2023.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

19 septembre 2024
Cour d’appel d’Amiens
RG
23/03472
ARRET

S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HAUTS DE FRANCE

C/

[M]

[T]

[T]

[T]

copie exécutoire

le 19 septembre 2024

à

Me

Me

VD

COUR D’APPEL D’AMIENS

CHAMBRE ÉCONOMIQUE

ARRET DU 19 SEPTEMBRE 2024

N° RG 23/03472 – N° Portalis DBV4-V-B7H-I26Y

ORDONNANCE DU TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP D’AMIENS DU 12 JUILLET 2023

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HAUTS DE FRANCE agissant poursuites et diligences en son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Localité 5]

Représentée par Me Fabrice CHIVOT de la SELARL CHIVOT-SOUFFLET, avocat au barreau d’AMIENS, vestiaire : 92

ET :

INTIMES

Madame [O] [S] [M]

[Adresse 1]

[Localité 9]

Monsieur [Y] [R] [B] [T]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Madame [C] [T]

[Adresse 7]

[Localité 8]

Monsieur [G] [Y] [T]

[Adresse 1]

[Localité 9]

Représentés par Me Anaïs CASSEL, avocat au barreau d’AMIENS, vestiaire : 65

DEBATS :

A l’audience publique du 16 Mai 2024 devant :

Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre,

Mme Françoise LEROY-RICHARD, Conseillère,

et Mme Valérie DUBAELE, Conseillère,

qui en ont délibéré conformément à la loi, la Présidente a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 19 Septembre 2024.

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions de l’article 785 du Code de procédure civile.

GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame Diénéba KONÉ

PRONONCE :

Le 19 Septembre 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au 2ème alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile ; Mme Odile GREVIN, Présidente de chambre a signé la minute avec Mme Diénéba KONÉ, Greffier.

*

* *

DECISION

Faits et procédure

Par acte sous seing privé en date du 16 mai 2007, la SA CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HAUTS DE FRANCE (ci-après « CAISSE D’ÉPARGNE ») venant aux droits de la SA CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE PICARDIE a accordé un concours bancaire à Monsieur [P] [T] d’un montant de 43 750 euros réparti en deux crédits distincts destinés à financer l’acquisition d’un terrain et la construction d’un local à usage professionnel situé [Adresse 12] à [Localité 11] et les frais afférents.

Du fait d’impayés non régularisés, la banque s’est prévalue de la déchéance du terme des deux contrats par lettre recommandée du 28 novembre 2013 reçue le 30 novembre par l’emprunteur.

Monsieur [P] [T] est décédé le [Date décès 3] 2015 laissant pour lui succéder son épouse et leurs trois enfants [Y], [C] et [G].

Par exploit en date du 7 et 9 novembre 2022, la CAISSE D’ÉPARGNE a attrait devant le tribunal judiciaire d’Amiens Madame [O] [M] veuve [T] et leurs trois enfants, [Y], [C], et [G] [T], ce dernier alors représenté par sa mère en raison de sa minorité comme étant né le [Date naissance 10] 2005, afin d’obtenir le remboursement des deux crédits susmentionnés.

En réponse, les consorts [T] demandaient au tribunal de juger prescrite l’action en paiement intentée par la CAISSE D’ÉPARGNE et reconventionnellement de condamner cette dernière à leur payer la somme de 20 000 euros au titre de dommages et intérêts pour manquement au devoir de mise en garde à l’endroit de leur auteur.

Par conclusions d’incident, la CAISSE D’ÉPARGNE demandait au juge de la mise en état de juger la demande de condamnation pour dommages et intérêts de la famille [T] prescrite en application de l’article 2224 du code civil.

Par une ordonnance du 12 juillet 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Amiens a :

Déclaré non-prescrite et par conséquent recevable la demande de la famille [T] tendant à condamner la CAISSE D’ÉPARGNE à leur verser des dommages et intérêts pour manquement à son devoir de mise en garde ;

Débouté la CAISSE D’ÉPARGNE de son incident de prescription ;

Condamné la CAISSE D’ÉPARGNE à verser la somme de 1 000 euros globalement aux consorts [T] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Débouté la CAISSE D’ÉPARGNE de sa demande présentée sur le même fondement ;

Réservé les dépens ;

– Renvoyé l’examen de l’affaire à l’audience de mise en état du 14 septembre 2023 pour conclusions au fond de la CAISSE D’ÉPARGNE.

Le 28 juillet 2023, la CAISSE D’ÉPARGNE a interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions auprès de la cour d’appel d’Amiens (déclaration numéro 23/02657).

Prétentions et moyens des parties

Dans ses secondes conclusions en date du 26 janvier 2024, l’appelant demande à la cour d’appel d’Amiens :

D’infirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Amiens en date du 12 juillet 2023 en toutes ses dispositions.

Et statuant à nouveau :

De déclarer la demande tendant à obtenir condamnation de la CAISSE D’ÉPARGNE à payer une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts présentée par les ayants-droits de la succession de Monsieur [P] [T], prescrite sur le fondement des dispositions des articles 2224 et suivants du code civil et les en débouter ;

De débouter les consorts [T] de toutes leurs demandes contraires ;

De condamner in solidum les consorts [T] à payer à la CAISSE D’ÉPARGNE la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux frais entiers frais et dépens dont distraction au profit de la SELARL CHIVOT-SOUFFLET, avocats aux offres de droit.

Dans ses conclusions en date du 30 octobre 2023, l’intimé demande à la cour d’appel d’Amiens :

De dire et de juger la CAISSE D’ÉPARGNE recevable en son appel mais mal-fondé.

En conséquence et en statuant à nouveau :

De confirmer en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Amiens le 12 juillet 2023 ;

De condamner la CAISSE D’ÉPARGNE à verser à la famille [T] une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont la distraction est requise au profit de la SELARL MAEVA PAINEAU, avocat aux offres de droit conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

*

SUR CE,

Sur la prescription de la demande de dommages et intérêts pour défaut de mise en garde :

La CAISSE D’ÉPARGNE soutient que cette demande est prescrite au titre de l’article 2224 du code civil qui définit une prescription de cinq ans, faisant valoir à cet égard que le délai de prescription a commencé à courir, soit à compter du 5 juin 2013, date du premier incident de paiement non régularisé, soit au plus tard à compter du 28 novembre 2013, date à laquelle a été prononcée la déchéance du terme en l’absence de paiement, sans qu’il n’y ait aucune suspension de ce délai au profit de la succession qui continue les droits du défunt avec toutes les conséquences attachées, les ayants-droits ne bénéficiant pas d’une action propre mais venant aux droits du défunt et le notaire mandaté pour la succession ayant questionné la CAISSE D’ÉPARGNE à sa requête.

La CAISSE D’ÉPARGNE estime au demeurant que Monsieur [P] [T] était un débiteur averti en sa qualité d’artisan et qu’il avait déjà souscrit plusieurs crédits antérieurement.

L’intimé réplique que le délai de prescription court à compter du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaitre les faits permettant de l’exercer et que le point de départ n’est donc pas fixe.

Elle fait valoir que seul Monsieur [P] [T] était partie aux contrats, et Madame [O] [M] veuve [T] n’a appris l’existence de ces créances qu’à réception de l’acte introductif d’instance que ces prêts n’étaient pas pris en charge par l’assurance décès ce qu’elle ignorait, la CAISSE D’ÉPARGNE ne lui ayant jamais écrit par rapport à cette créance, si bien que la demande n’est pas prescrite puisque le point de départ du délai de prescription quinquennale est le 7 novembre 2022.

La cour constate que pour considérer que la demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance d’éviter un état d’endettement et de souscrire un contrat mieux adapté formée le 10 janvier 2023 par les consorts [T] contre la banque du fait du manquement de cette dernière à son devoir de mise en garde et de conseil, n’était pas prescrite, le premier juge a considéré que la banque ne démontrait pas que les héritiers avaient eu connaissance des incidents de paiement des deux prêts professionnels avant la réception de l’assignation en paiement du 7 novembre 2022.

Cependant les consorts [T] agissent manifestement ès qualités d’héritiers de [P] [T] seul titulaire en sa qualité d’emprunteur d’une action en responsabilité pour défaut de mise en garde et de conseil par le prêteur, comme le leur permet l’article 724 du code civil qui dispose que les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens droits et actions du défunt.

Or la cour constate que par application de l’article 2224 du code civil éclairé par la cour de cassation (Civ.1ère, 5 janvier 2022, n°20-17325), l’action en responsabilité de l’emprunteur non averti à l’encontre du prêteur au titre d’un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l’emprunteur d’appréhender l’existence et les conséquences éventuelles d’un tel manquement.

En l’espèce le premier incident de paiement non régularisé date du 5 juin 2013, le délai pour agir en responsabilité de la banque a donc commencé à courir à compter de cette date soit bien avant le décès de l’emprunteur.

Par ailleurs les consorts [T] ne se prévalent d’aucune suspension du délai pour agir en application de l’article 2234 du code civil et ne démontrent en tout état de cause aucune force majeure les empêchant d’agir en responsabilité contre la banque avant le 5 juin 2018, le fait que l’épouse de l’emprunteur ignore le cas échéant que certains emprunts n’étaient pas couverts par une assurance décès ne pouvant être considéré comme une force majeure étant au demeurant précisé à cet égard qu’interrogée par le notaire chargé de la succession la banque lui a adressé le décompte des sommes lui restant dues notamment au titre des deux prêts litigieux, par courriers des 26 avril 2016 et 14 février 2017.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Les consorts [T] succombant à l’instance d’incident seront condamnés à en supporter les dépens, l’ordonnance étant infirmée de ces chefs.

L’équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais hors dépens de l’instance d’incident.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe,

Infirme l’ordonnance d’incident entreprise et,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Déclare prescrite la demande de dommages et intérêts des consorts [T] pour manquement au devoir de mise en garde et de conseil de la banque envers l’emprunteur,

Condamne in solidum Mme [O] [M], M. [Y] [T], M. [C] [T] et M. [G] [T] aux dépens de l’instance d’incident en première instance et en appel,

Dit que chaque partie supportera la charge de ses frais hors dépens de l’instance d’incident en première instance et en appel.

Le Greffier, La Présidente,


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