La Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] a accordé plusieurs prêts à la SARL [R] paysage, pour un montant total de 69.477,98 euros, avec M. [R] comme caution solidaire. Après l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire pour la société en janvier 2021, la banque a déclaré ses créances et a mis en demeure M. [R] de rembourser. Le tribunal de commerce de Caen a rendu un jugement en janvier 2022, déboutant la banque de ses demandes concernant un des prêts et condamnant M. [R] à rembourser les autres prêts. La banque a interjeté appel, demandant la révision de la décision concernant le prêt contesté. M. [R] a également fait appel, soutenant que ses engagements de caution étaient disproportionnés et demandant des délais de paiement. La mise en état de l’affaire a été clôturée en avril 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
NLG
ORIGINE : DECISION du Tribunal de Commerce de CAEN en date du 05 Janvier 2022
RG n° 21/002522
COUR D’APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 19 SEPTEMBRE 2024
APPELANT :
CREDIT MUTUEL [Localité 6]
N° SIRET : 306 897 539
[Adresse 2]
[Localité 6]
pris en la personne de son représentant légal
Représenté et assistée par Me Mickaël DARTOIS, avocat au barreau de CAEN
INTIME :
Monsieur [F] [H] [P] [R]
né le [Date naissance 1] 1986 à [Localité 5]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté et assisté par Me Frédéric GUILLEMARD, avocat au barreau de CAEN
DEBATS : A l’audience publique du 27 mai 2024, sans opposition du ou des avocats, M. GOUARIN, Conseiller, a entendu seul les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Madame EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement le 19 septembre 2024 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
* *
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS
Selon acte sous seing privé du 27 septembre 2018, la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] (la banque) a consenti à la SARL [R] paysage un prêt n°0212820414603 d’un montant de 10.000 euros, au taux d’intérêt de 1,2 % l’an, afin de financer l’acquisition d’un fonds de commerce.
M. [R] s’est porté caution solidaire du remboursement de ce prêt à hauteur de la somme de 10.000 euros pour une durée de 110 mois.
Le 20 octobre 2018, la banque a accordé à la société [R] paysage un prêt n°0212820414604 d’un montant de 12.500 euros, au taux d’intérêt de 1,1 % l’an, en vue de financer l’acquisition de matériel professionnel.
M. [R] s’est porté caution solidaire du remboursement de ce prêt à hauteur de la somme de 12.499 euros pour une durée de 85 mois.
Le 28 février 2019, la banque a consenti à la société [R] Paysage un prêt n°0212820414606 d’un montant de 47.000 euros, au taux d’intérêt de 1,15 % l’an, destiné à financer l’acquisition d’un camion.
M. [F] [R] s’est porté caution solidaire du remboursement de ce prêt à hauteur de la somme de 56.400 euros pour une durée de 108 mois.
Par jugement du 13 janvier 2021, le tribunal de commerce de Caen a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société [R] paysage.
La banque a déclaré ses créances auprès des organes de la procédure collective, pour un montant total de 70.778,54 euros à titre chirographaire.
Le 10 février 2021, la banque a mis en demeure la caution de lui payer la somme globale de 69.477,98 euros.
Suivant acte d’huissier du 29 avril 2021, la banque a fait assigner la caution devant le tribunal de commerce de Caen aux fins, notamment, de voir condamner cette dernière au paiement des sommes de 8.439,72 euros au titre du solde débiteur du crédit n°0212820414603 outre les intérêts au taux contractuel de 1,2 % et les cotisations d’assurance à compter du 14 janvier 2021, de 9.312,50 euros au titre du crédit n°0212820414604 outre les intérêts au taux contractuel de 1,1 % et les cotisations d’assurance à compter du 14 janvier 2021 et de 41.999,89 euros au titre du prêt n°0212820414606 outre les intérêts au taux contractuel de 1,15 % et les cotisations d’assurance à compter du 14 janvier 2021.
Par jugement du 5 janvier 2022, le tribunal de commerce de Caen a :
– dit que la banque ne peut se prévaloir de l’engagement de caution de M. [R] souscrit le 28 février 2019 au titre du crédit n°0212820414606,
– débouté la banque de toutes ses demandes à l’encontre de M. [R] au titre du prêt n°0212820414606,
– condamné M. [R] à payer à la banque les sommes de :
* 8.439,72 euros au titre du solde débiteur du crédit n°0212820414603 outre les intérêts au taux contractuel de 1,2 % et les cotisations d’assurance à compter du 14 janvier 2021,
* 9.312,50 euros au titre du crédit n°0212820414604 outre les intérêts au taux contractuel de 1,1 % et les cotisations d’assurance à compter du 14 janvier 2021,
– débouté M. [R] de sa demande de report de dette,
– écarté l’exécution provisoire de sa décision,
– condamné M. [R] à payer à la banque la somme de 750 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux dépens comprenant les frais de greffe liquidés à la somme de 72,13 euros TTC.
Selon déclaration du 11 octobre 2022, la banque a interjeté appel de cette décision.
Par dernières conclusions du 29 juin 2023, l’appelante demande à la cour d’infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a dit que la banque ne peut se prévaloir de l’engagement de caution de M. [R] souscrit le 28 février 2019 au titre du crédit n°0212820414606 et a débouté la banque de toutes ses demandes à l’encontre de M. [R] au titre du prêt n°0212820414606, statuant à nouveau de ces chefs, de dire qu’elle peut se prévaloir de l’engagement de caution de M. [R] souscrit le 28 février 2019 au titre du crédit n°0212820414606, de condamner ce dernier à lui payer la somme de 41.999,89 euros au titre du crédit n°0212820414606 outre les intérêts au taux contractuel de 1,15 % et les cotisations d’assurance à compter du 14 janvier 2021, de confirmer le jugement entrepris pour le surplus, de débouter l’intimé de toutes ses prétentions et de condamner celui-ci à lui verser la somme de 3.000 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens.
Par dernières conclusions du 5 avril 2023, M. [R] demande à la cour de confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a débouté la banque de toutes ses demandes à son encontre au titre du prêt n°0212820414606, d’infirmer le jugement entrepris pour le surplus, statuant à nouveau de ces chefs, de dire que ses engagements de caution étaient manifestement disproportionnés à ses biens et revenus et de débouter en conséquence la banque de toutes ses demandes.
Subsidiairement, il demande à la cour de dire que la mise en demeure du 10 février 2021 est irrégulière, de dire en conséquence que les sommes réclamées ne sont pas exigibles à son égard et de débouter la banque de toutes ses demandes.
Plus subsidiairement, l’intimé demande à la cour de lui ‘accorder des délais de paiement de deux ans pour s’acquitter du paiement des éventuelles condamnations mises à sa charge’ et de lui ordonner de ‘s’acquitter des condamnations mises à sa charge par échéances mensuelles d’un même montant pendant 48 mois’.
En toute hypothèse, M. [R] sollicite la condamnation de la banque au paiement de la somme de 4.000 euros à titre d’indemnité de procédure ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
La mise en état a été clôturée le 17 avril 2024.
Pour plus ample exposé des prétentions et moyens, il est référé aux dernières écritures des parties.
1. Sur les cautionnements
Aux termes de l’article L 332-1 du code de la consommation, dans sa version applicable au litige, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Il incombe à la caution de rapporter la preuve de la disproportion, qui doit être manifeste, lors de la souscription de son engagement, et si celle-ci est démontrée, au créancier d’établir que le patrimoine de la caution lui permet de faire face à ses engagements lorsqu’elle est appelée.
La banque n’est pas tenue de vérifier la situation financière de la caution lors de son engagement.
Elle n’est pas tenue de vérifier, en l’absence d’anomalies apparentes, l’exactitude des informations contenues dans la fiche de renseignements.
La communication des informations repose sur le principe de bonne foi, à charge pour la caution de supporter les conséquences d’un comportement déloyal.
L’anomalie apparente dans la fiche de renseignement peut résulter d’éléments non déclarés par la caution mais dont la banque avait connaissance tels des engagements précédemment souscrits par la caution au profit de la même banque ou au profit d’un pool dont faisait partie la banque.
En l’espèce, M. [R] a rempli une fiche de renseignements le 20 septembre 2018, par laquelle il a déclaré être propriétaire indivis pour moitié d’une maison d’habitation d’une valeur de 230.000 euros sur laquelle un emprunt restait en cours pour un montant de 98.000 euros et une mensualité de 682 euros, la valeur de sa part s’élevant à la somme de 66.000 euros, percevoir des revenus mensuels d’environ 1.500 euros constitués de bénéfices industriels et commerciaux tirés de l’activité de la société [R] et disposer d’une épargne d’un montant de 6.800 euros.
Contrairement à ce que soutient la caution, cette fiche de renseignements ne comporte pas d’anomalies apparentes.
En effet, M. [R] ne peut soutenir que la valeur de sa maison mentionnée dans la fiche de renseignements qu’il a lui-même remplie a été surévaluée alors que celle-ci avait été acquise en 2011 au prix de 140.000 euros, dès lors que l’intimé ne produit aucune pièce de nature à établir la valeur de ce bien immobilier et que le prêteur, qui n’est pas un professionnel de l’immobilier, n’a pu déceler dans cette évaluation une anomalie apparente compte tenu de l’évolution du marché immobilier, étant relevé que l’appelante communique un avis de valeur estimant ledit bien à 360.000 euros.
Il ne saurait davantage être reproché à la banque de ne pas avoir décelé le défaut de déclaration par la caution d’un second prêt d’un montant de 24.750 euros à taux zéro souscrit le 6 octobre 2011 auprès d’un autre établissement de crédit, le Crédit agricole, pour financer l’acquisition de son bien immobilier, ni de ne pas avoir pris en considération que le bien immobilier appartenant à la caution était grevé de deux hypothèques et d’un privilège de prêteur de deniers inscrits en 2018 et 2021 pour un montant total de 95.000 euros portant la valeur nette de l’immeuble à 135.000 euros soit 67.500 euros pour M. [R], valeur supérieure à celle déclarée dans la fiche de renseignements.
Contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, les revenus tirés de bénéfices industriels et commerciaux déclarés par la caution doivent être pris en compte dans l’examen de la disproportion des engagements de caution, peu important leur caractère fluctuant, étant d’ailleurs relevé que les revenus annuels de M. [R] ont été portés à la somme de 18.558 euros en 2019 et de 19.730 euros en 2020 selon les pièces produites par ce dernier.
Ainsi, au 27 septembre 2018, date du premier engagement de caution d’un montant de 10.000 euros, M. [R] disposait de revenus annuels de 18.000 euros et d’un patrimoine de 72.800 euros, de sorte que cet engagement ne saurait être considéré comme manifestement disproportionné.
Au 20 octobre 2018, date du deuxième engagement de caution d’un montant de 12.499,99 euros, M. [R] disposait du même patrimoine et des mêmes revenus selon la fiche de renseignements remplie par ses soins et, même compte tenu du précédent engagement de caution à hauteur de la somme de 10.000 euros, ce deuxième engagement n’était pas manifestement disproportionné à ses biens et revenus.
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ces points.
Au 20 février 2019, date du troisième engagement de caution d’un montant de 56.400 euros, M. [R] disposait du même patrimoine et de revenus annuels s’élevant à 18.558 euros selon l’avis d’imposition produit par l’intimé et, compte tenu des deux précédents engagements de caution, ce troisième engagement de caution n’était pas manifestement disproportionné.
Le jugement attaqué sera en conséquence infirmé de ce chef et, la cour statuant à nouveau, M. [R] sera condamné à verser à la banque la somme de 41.999,89 euros au titre du prêt n°0212820414606 outre les intérêts au taux contractuel de 1,15 % et les cotisations d’assurance à compter du 14 janvier 2021.
2. Sur la régularité de la mise en demeure et la demande de délais de paiement
M. [R] n’est pas fondé à invoquer l’irrégularité de la mise en demeure adressée par la banque le 10 février 2021 motif pris du caractère erroné de la somme de 69.477,98 euros réclamée, alors que cette somme correspond exactement au montant global des sommes dues par le destinataire de cette mise en demeure au titre non seulement des trois engagements de caution litigieux mais également du solde débiteur d’un compte bancaire dont la banque ne poursuit pas le recouvrement dans le cadre de la présente instance.
M. [R] ayant d’ores et déjà bénéficié d’importants délais de fait, le rejet de sa demande de délais de paiement sera confirmé.
3. Sur les demandes accessoires
Les dispositions du jugement entrepris relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance, fondées sur une exacte appréciation, seront confirmées.
M. [R], qui succombe, sera condamné aux dépens d’appel, débouté de sa demande d’indemnité de procédure et condamné à payer à la banque la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a dit que la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] ne pouvait se prévaloir de l’engagement de caution de M. [F] [R] souscrit le 28 février 2019 au titre du crédit n°0212820414606 et a débouté la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] de toutes ses demandes à l’encontre de M. [F] [R] au titre du prêt n°0212820414606 ;
Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant,
Condamne M. [F] [R] en sa qualité de caution à payer à la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] la somme de 41.999,89 euros au titre du prêt n°0212820414606 outre les intérêts au taux contractuel de 1,15 % et les cotisations d’assurance à compter du 14 janvier 2021 ;
Condamne M. [F] [R] aux dépens d’appel et à payer à la Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY