Le 25 août 1999, Mme [S] [P] épouse [R] et M. [N] [R] ont ouvert un compte bancaire auprès de Blominvest pour des opérations sur les marchés financiers, comprenant trois sous-comptes. Le 21 octobre 2016, ils ont transféré leur compte à Blom Bank SAL. Le 20 décembre 2021, ils ont demandé le transfert de leur solde en euros vers une banque au Portugal. Le 23 décembre, Blom Bank SAL a informé les époux de la clôture de leur compte et a déposé des chèques auprès d’un notaire, ce que les époux ont refusé par lettre le 28 décembre.
Le 6 janvier 2022, les époux ont assigné Blom Bank SAL devant le tribunal de Paris pour obtenir le paiement de leurs soldes, ainsi que des dommages-intérêts. Le 16 mars 2022, le juge a autorisé une saisie conservatoire sur les actifs de Blom Bank SAL en France. Les saisies ont été effectuées le 6 avril 2022. Le 27 janvier 2023, Blom Bank SAL a demandé la mainlevée de ces saisies. Le 25 juillet 2023, le juge a débouté Blom Bank SAL de sa demande de mainlevée et a condamné la banque à payer des frais et 6000 euros aux époux. Le juge a constaté que l’offre de paiement n’avait pas d’effet libératoire immédiat et que la crise économique au Liban menaçait le recouvrement de la créance. Le 21 novembre 2023, Blom Bank SAL a fait appel du jugement. Dans ses conclusions, elle demande la mainlevée des saisies et, à titre subsidiaire, le cantonnement de celles-ci. Les époux [R] demandent la confirmation du jugement et la mainlevée de certaines saisies pour faciliter le fonctionnement des organes sociaux. La banque Banorient France a également demandé à intervenir et a formulé des demandes similaires concernant le cantonnement des saisies. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 10
ARRET DU 19 SEPTEMBRE 2024
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/18816 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CISIB
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Juillet 2023 -Juge de l’exécution de PARIS RG n° 23/80436
APPELANTE
Société BLOM BANK SAL société de droit libanais, immatriculée au registre du Commerce de Beyrouth sous le n°2464, agissant poursuites et diligences de tous représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 4] – LIBAN
Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Plaidant par Me Laurent MARTINET, avocat au barreau de PARIS
INTIMES
Monsieur [N] [R]
[Adresse 6]
[Localité 2] PORTUGAL
Représenté par Me Virginie DOMAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2440
Plaidant par Me Michel FERRAND, avocat au barreau de PARIS
Madame [S] [P] épouse [R]
[Adresse 6]
[Localité 2] PORTUGAL
Représentée par Me Virginie DOMAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2440
Plaidant par Me Michel FERRAND, avocat au barreau de PARIS
INTERVENANTE
S.A. BANQUE BANORIENT FRANCE
Prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Plaidant par Me Xavier CLEDAT, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 26 Juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre
Madame Catherine LEFORT, Conseillère
Madame Valérie DISTINGUIN, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
Le 25 août 1999, Mme [S] [P] épouse [R] et M. [N] [R] ont ouvert, auprès de la société Blominvest, filiale de la société Blom Bank SAL, un compte bancaire ayant pour finalité d’exécuter des opérations sur les marchés financiers, composé de trois sous-comptes, deux sous-comptes courants libellés en euros et livres libanaises et un compte de dépôt à terme libellé en livres libanaises.
Le 21 octobre 2016, les époux [R] ont signé une convention de compte afin de transférer leur compte vers la société Blom Bank SAL.
Le 20 décembre 2021, ils ont demandé à la société Blom Bank SAL de transférer le solde de leur sous-compte courant en euros, soit 3.173.144,99 euros sur un compte courant ouvert auprès de leur banque au Portugal. Le 23 décembre suivant, la banque a informé les époux [R] de ce qu’elle avait procédé le 21 décembre à la clôture de leur compte et déposé des chèques bancaires tirés sur la Banque du Liban pour les soldes de ces derniers, s’élevant respectivement à 3.172.894,99 euros, correspondant au solde du sous-compte en euros, et 123.003.760 livres libanaises, correspondant aux soldes des sous-comptes en livres libanaises, auprès de Me [W], notaire à [Localité 4] en application de la procédure de droit libanais d’offre réelle et consignation. Par lettre du 28 décembre 2021, les époux [R] ont refusé cette offre.
Par acte du 6 janvier 2022, les époux [R] ont assigné la société Blom Bank SAL devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de la voir condamner à leur payer les sommes de 3.172.894,99 euros et 123.003.760 livres libanaises, outre intérêts moratoires au taux de 9%, outre la somme de 400.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leurs préjudices matériel et moral.
Par ordonnance sur requête en date du 16 mars 2022, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris a autorisé les époux [R], en garantie d’une créance évaluée provisoirement à 3.300.000 euros, à pratiquer une saisie conservatoire sur :
les parts sociales détenues par la société Blom Bank SAL au sein de sa filiale française, la société Banorient France,
les comptes bancaires ouverts au nom de la société Blom Bank SAL auprès de la banque Société Générale ;
les comptes bancaires ouverts au nom de la société Blom Bank SAL auprès de la banque Banorient France.
Les saisies conservatoires autorisées ont été pratiquées par actes d’huissier du 6 avril 2022 et dénoncées par actes remis à parquet en France le 13 avril 2022 et à partie au Liban le 30 août 2022.
Par acte signifié à parquet en France le 27 janvier 2023, la société Blom Bank SAL a assigné les époux [R] devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’obtenir la mainlevée des saisies conservatoires pratiquées en exécution de l’ordonnance précitée.
Par jugement du 25 juillet 2023, le juge de l’exécution a :
débouté la société Blom Bank SAL de ses demandes de mainlevée des mesures conservatoires prises par les époux [R] le 6 avril 2022 sur ses créances détenues par les banques Société Générale et Banorient France et sur ses droits d’associé et valeurs mobilières au sein du capital de la banque Banorient France,
débouté la société Blom Bank SAL de sa demande de cantonnement des effets desdites mesures conservatoires,
condamné la société Blom Bank SAL aux dépens,
condamné la société Blom Bank SAL à payer aux époux [R] la somme de 6000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Pour retenir l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe, le juge de l’exécution a constaté que les parties s’opposaient sur la portée de l’article 825 du code de procédure civile libanais et en l’absence de production pertinente de la jurisprudence libanaise, s’est référé à l’arrêt RG 21/22505 rendu par la cour d’appel de Paris le 23 novembre 2022. Il a retenu que l’offre réelle et consignation n’a pas d’effet libératoire immédiat pour la débitrice, celui-ci, à défaut d’acceptation de l’offre par le créancier, dépendant de la décision rendue par le juge du fond ; qu’à la suite de la demande de virement par les époux [R], la débitrice ne lui avait pas offert de paiement, que celui-ci aurait refusé.
Il a ensuite considéré que l’existence de circonstances menaçant le recouvrement de la créance était démontrée, la crise économique et financière touchant l’ensemble des banques libanaises étant de notoriété publique et la monnaie libanaise dans laquelle les époux [R] seraient contraints d’accepter le versement par le notaire ne cessant de se déprécier.
Enfin, il a rejeté la demande de cantonnement, au motif que la saisie conservatoire pratiquée entre les mains de la Société Générale n’avait permis d’appréhender qu’une somme très inférieure à la créance alléguée et que la réponse de la banque Banorient France n’était pas connue.
Par déclaration du 21 novembre 2023, la société Blom Bank SAL a fait appel de ce jugement.
Par dernières conclusions notifiées le 19 juin 2024, la société Blom Bank SAL demande à la cour de :
infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau,
ordonner la mainlevée des saisies conservatoires de créances et de droits d’associé autorisées,
à titre subsidiaire,
constater que l’objet des saisies conservatoires pratiquées par les époux [R] est manifestement disproportionné au regard du montant de la créance poursuivie,
en conséquence,
ordonner le cantonnement de la saisie conservatoire de droits d’associé pratiquée le 6 avril 2022 à 115.000 actions de la banque Banorient France, numérotées 2 354 634 à 2 469 633 et ordonner la mainlevée pour le surplus,
ordonner la mainlevée totale des saisies conservatoires de créances pratiquées par les époux [R] entre les mains de la banque Banorient France et de la Société Générale le 6 avril 2022,
à titre plus subsidiaire,
ordonner le cantonnement de la saisie conservatoire de droits d’associé pratiquée le 6 avril 2022 afin de libérer 500 actions de la banque Banorient France numérotées 1 à 500,
condamner les époux [R] à lui payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens, en ce compris le coût du présent acte et des saisies ainsi que de leur mainlevée à intervenir.
Par dernières conclusions signifiées le 19 juin 2024, les époux [R] demandent à la cour de :
débouter la société Blom Bank SAL de l’ensemble de ses demandes,
confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
par exception à ce qui précède, prononcer la mainlevée de la saisie conservatoire sur 500 actions de la banque Banorient France détenues par la société Blom Bank SAL, afin de faciliter le fonctionnement des organes sociaux,
subsidiairement,
autoriser l’appelante ou l’intervenante volontaire à proposer une garantie bancaire irrévocable délivrée par une banque française de premier rang ou une consignation en compte CARPA au bénéfice de l’intimé d’un montant de 4,4 millions d’euros en lieu et place des saisies pratiquées,
en tout état de cause,
condamner la société Blom Bank SAL à leur payer la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens,
condamner la banque Banorient France à leur payer la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens, dont distraction au profit de Me Virginie Domain.
Par dernières conclusions signifiées le 11 juin 2024, la société Banque Banorient France demande à la cour de :
déclarer recevable son intervention volontaire,
Si la cour ne faisait pas droit aux demandes principales de la société Blom Bank SAL de mainlevée totale des saisies conservatoires pratiquées par les époux [R],
infirmer le jugement du 25 juillet 2023 en ce qu’il a débouté la société Blom Bank SAL de sa demande de cantonnement des effets des mesures conservatoires prises par les époux [R],
statuant à nouveau,
ordonner le cantonnement de la saisie conservatoire des droits d’associé, laquelle porte actuellement sur 4.499.916 de ses actions, afin qu’elle ne porte plus que sur 115.000 actions de ses actions, numérotées 2 354 634 à 2 469 633,
ordonner pour le surplus la mainlevée de la saisie conservatoire de droits d’associé pratiquée par les époux [R],
subsidiairement,
ordonner le cantonnement de la saisie conservatoire de droits d’associé pratiquée par les époux [R] afin de libérer 500 actions de la banque Banorient France numérotées de 1 à 500,
en tout état de cause,
débouter les époux [R] de leur demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile à son encontre,
condamner les époux [R] à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Sur l’intervention volontaire de la banque Banorient France
Selon l’article 554 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d’appel dès lors qu’elles y ont intérêt les personnes qui n’ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.
En l’espèce, l’intérêt pour la banque Banorient France d’intervenir à hauteur d’appel est réel, l’intervenante se prévalant du préjudice subi du fait de la saisie conservatoire de ses droits d’associé de la société Blom Bank SAL en son sein, celle-ci détenant 99,99 % de ses parts sociales.
Sur la demande de mainlevée des saisies conservatoires
Aux termes de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire.
Il résulte de ces dispositions que le juge de l’exécution apprécie souverainement si la créance invoquée paraît fondée en son principe, sans avoir à rechercher l’existence d’un principe certain de créance et encore moins à établir la preuve d’une créance existante.
Les conditions édictées par l’article L. 511-1 du code de procédure civile, tenant d’une part à l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe, d’autre part à l’existence de circonstances menaçant le recouvrement de la créance sont cumulatives. L’article R 512-1 du Code des procédures civiles d’exécution dispose que si les conditions prévues pour pratiquer une saisie conservatoire ne sont pas réunies, la mainlevée de la mesure conservatoire peut être ordonnée à tout moment.
Au soutien de son appel, la société Blom Bank Sal fait valoir que :
elle n’a pu déférer aux demandes de virement international des époux [R] dès lors que :
les banques libanaises n’ont, en droit libanais, aucune obligation de procéder à des virements à la demande de leurs clients et la convention de compte courant ne le lui imposait pas non plus ;
elle s’est conformée aux restrictions imposées par la Banque du Liban par voie de circulaires à peine de sanction, sur les transferts de fonds vers l’étranger ;
elle disposait du droit de clôturer le compte ;
elle s’est valablement acquittée de son obligation de restitution à l’égard des intimés via la procédure d’offre réelle et consignation le 21 décembre 2021, la consignation valant paiement, et l’obligation de restitution pèse désormais sur le seul notaire ; contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, l’article 822 du code de procédure civile libanais ne subordonne aucunement l’offre réelle et consignation à une offre préalable de paiement au créancier, ni au fait que celle-ci soit refusée, ni encore qu’elle soit constatée par un acte officiel ;
la consignation des fonds entre les mains d’un officier public et ministériel exclut toute menace sur le recouvrement ;
la référence générale à la crise libanaise par le juge ne permet pas de caractériser en l’espèce une menace sur le recouvrement au sens de l’article L. 511-1 du code des procédures civiles d’exécution ;
la solidité de sa propre situation financière exclut toute menace sur le recouvrement, car elle s’est conformée aux obligations, imposées par la Banque du Liban, d’augmentation de ses fonds propres de base à hauteur de 20% sous forme d’augmentation de capital et de maintien des liquidités auprès des correspondants étrangers.
En réplique, les époux [R] soutiennent que :
l’obligation d’exécuter le virement s’impose à la banque comme résultant tant de la loi que du contrat ; la banque n’avait aucune interdiction de virer ses fonds à l’étranger ; la banque n’a pas valablement proposé de se libérer ;
le droit de la banque de clôturer le compte est étranger aux débats ;
dès lors qu’eux-mêmes n’ont pas refusé le paiement, la procédure d’offre réelle et consignation ne pouvait être mise en ‘uvre, le refus de l’offre réelle et consignation ne constituant pas un refus de paiement, et n’est pas libératoire pour la banque, la provision qui lui aurait été transférée ne permettant pas au notaire d’émettre un chèque « fresh money », de sorte que sa créance subsiste ;
le recouvrement de leur créance est plus que jamais menacé, la remise d’un chèque portant solde du compte libellé à l’ordre d’un notaire n’étant nullement libératoire en raison de la situation du système financier du pays ; de nombreuses publications de la Banque du Liban et de l’Association des banques du Liban confirment l’insolvabilité du secteur bancaire libanais, les clients étant dans l’incapacité d’accéder à leurs dépôts ; les déclarations de l’Association des banques du Liban et de son secrétaire général du 8 février 2023 en témoignent ; l’arrêt de la cour d’appel de Beyrouth du 21 mai 2024 motive d’ailleurs sa décision de non restitution des avoirs en invoquant la force majeure, avec pour justification le risque systémique frappant le secteur bancaire libanais.
Sur l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe
La société Blom Bank SAL cherche à démontrer qu’elle n’avait aucune obligation, ni légale ni contractuelle, d’exécuter la demande de virement à l’étranger formulée par les époux [R]. Mais à supposer même qu’elle en ait reçu interdiction par les circulaires 151 et 158 de la Banque du Liban imposant des restrictions sur l’utilisation des fonds disponibles au Liban, il demeure que les intimés détiennent des avoirs très importants dans ses livres, soit 3.172.894,99 euros et 123.003.760 livres libanaises, lesquels constituent une créance paraissant incontestablement fondée en son principe, sauf à ce que l’appelante justifie s’en être d’ores et déjà libérée par la voie de l’offre réelle et consignation faite aux intimés le 23 décembre 2021.
Il convient d’observer que le droit pour la société Blom Bank SAL de clôturer les comptes des époux [R] à la suite du refus de cette offre n’est pas contesté. Il n’est pas davantage contesté que le notaire, Maître [W], a bien reçu de la banque les fonds litigieux.
Selon les dispositions de l’article 822 du code de procédure civile libanais, le débiteur qui entend se libérer de sa dette à l’égard de son créancier peut offrir à ce dernier, par l’intermédiaire d’un notaire, la chose ou la somme dont il se considère redevable, et la consigner auprès du même notaire ou, s’il s’agit d’une somme d’argent, la déposer par l’intermédiaire et au nom de ce dernier dans une banque agréée ou au Trésor.
Cependant le texte susvisé organise une procédure, dite des offres réelles et consignation, pour libérer le débiteur en cas de refus du créancier de recevoir le paiement. Mais elle ne constitue qu’une proposition qui peut être refusée par le créancier. Au cas où ce dernier refuse le paiement qui lui est fait de manière régulière, sans cause légitime, l’article 294 du code des obligations et des contrats libanais le constitue de plein droit en demeure, à condition que son refus soit constaté par un acte officiel. Dans ce cas, le débiteur a le droit de consigner l’objet de l’obligation, ce qui tient alors lieu de paiement libératoire. Si le créancier maintient son refus, à la suite de l’information qui lui est donnée par le notaire ayant reçu cette consignation, le débiteur dispose d’un délai pour engager une action en validation d’offre réelle et consignation, et ce à peine de caducité de l’offre réelle selon l’article 824 du code de procédure civile libanais. Il n’est pas justifié, ni même allégué, en l’espèce de l’introduction d’une telle action.
C’est donc à juste titre que le premier juge a retenu, en l’absence de refus par le créancier d’une offre de paiement, l’offre réelle et consignation ne s’analysant pas en une offre de paiement, et de validation de celle-ci par le juge, que les époux [R] disposaient à l’égard de la société Blom Bank SAL d’une créance paraissant fondée en son principe.
Sur l’existence de circonstances menaçant le recouvrement de la créance
La consignation des fonds entre les mains de l’officier public et ministériel qu’est le notaire ne constitue pas une circonstance de nature à exclure toute menace sur le recouvrement de la créance des époux [R], compte tenu du contexte de crise économique et financière du Liban, dès lors que le notaire, pour le cas où les créanciers lui réclameraient le versement des fonds, ne pourrait y procéder qu’en livres libanaises, monnaie se dépréciant constamment. Il résulte des nombreuses pièces produites par les parties (articles de presse, arrêt rendu le 21 mai 2024 par la cour d’appel de Beyrouth, produit en dernier lieu par l’appelante elle-même, faisant référence au rapport établi en juin 2023 par le FMI sur le Liban ainsi qu’à la déclaration de son directeur exécutif pour le Liban), que le Liban traverse une crise bancaire systémique, touchant non pas une banque en particulier, mais l’ensemble du secteur bancaire. D’ailleurs le fait que l’appelante invoque les circulaires bancaires lui interdisant de restituer les soldes des comptes des époux [R] par virement à l’étranger, illustre les conséquences de cette crise sur la présente espèce. Enfin, du fait d’une inflation très importante, la livre libanaise s’est effondrée.
Enfin, l’appelante ne produit aucune pièce de nature à remettre en cause la juste appréciation qu’a faite le premier juge des circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance des intimés.
Les conditions de mise en place des saisies conservatoires litigieuses restent réunies à ce jour, de sorte qu’il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de mainlevée des mesures conservatoires.
Sur la demande subsidiaire tendant au cantonnement des mesures conservatoires
Se prévalant d’une disproportion manifeste entre la saisie conservatoire de ses actions dans Banorient France, valorisées au 31 décembre 2023 à 390 millions d’euros, et une créance évaluée à 3,3 millions d’euros, l’appelante sollicite le cantonnement de cette saisie à 115.000 actions de la banque Banorient France, représentant une valeur trois fois supérieure au montant de la créance alléguée.
Subsidiairement, elle sollicite à tout le moins la mainlevée partielle de la saisie afin de libérer 500 actions pour éviter que la saisie ne nuise pas au bon fonctionnement de la banque Banorient France (nomination de nouveaux administrateurs), étrangère au litige.
En réplique, les époux [R] contestent l’évaluation faite par la société Blom Bank SAL de ses parts sociales dans la banque Banorient France au moyen d’attestations rédigées par elle, sa filiale ou leurs commissaires aux comptes, en vertu du principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à lui-même. Ils s’opposent ensuite à la demande de cantonnement au motif que les actions de la banque Banorient France ne seraient pas susceptibles de trouver preneur si elles venaient à être vendues.
A titre subsidiaire, ils proposent, conformément à l’article L. 512-1 du code des procédures civiles d’exécution, qu’une garantie bancaire irrévocable délivrée par une banque française de premier rang, ou une consignation sur compte CARPA du principal augmenté des intérêts sur les cinq années prévisibles du déroulement de la procédure, soit 4 millions d’euros, soit délivrée par Blom Bank ou Banorient. Enfin ils ne s’opposent pas à la demande subsidiaire de Banorient tendant à voir libérer 500 actions en maintenant la saisie sur les autres titres.
La banque Banorient France réclame l’application de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution, la saisie pratiquée sur 99,9 % de son capital social, pour sûreté d’une créance de 3,3 millions d’euros représentant 1% seulement de la valeur dudit capital, étant très excessive et alors qu’elle-même est étrangère au litige. Elle souligne que le nombre de titres auquel elle propose de voir cantonner la saisie représente trois fois la valeur estimée de la créance alléguée par les époux [R].
A titre subsidiaire, elle sollicite la mainlevée partielle de la saisie afin de libérer 500 actions, de sorte que la saisie ne nuise pas à sa vie sociale et à sa gouvernance.
Aux termes de l’article L. 121-2 du code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution a le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d’abus de saisie. En cas de cumul de mesures conservatoires, il peut être donné mainlevée partielle ou totale de celles qui ne seraient pas nécessaires à garantir le recouvrement de la créance paraissant fondée en son principe.
En l’occurrence, la créance dont se prévalent les intimés s’élève à 3,3 millions d’euros. Pour considérer que la disproportion entre les mesures conservatoires pratiquées et le montant de celle-ci n’était pas démontrée, le premier juge a bien tenu compte de ce que la saisie conservatoire de créances sur les comptes bancaires ouverts par la société Blom Bank SAL dans les livres de la Société Générale avait permis de geler une somme de 1.190.524,03 euros, mais de ce que, en revanche, la réponse de la banque Banorient France n’était pas connue. A hauteur d’appel, la réponse apportée par la banque Banorient France en sa qualité de tiers saisi, le 8 avril 2022, est au contraire produite. Compte tenu de ce que certaines créances détenues par Blom Bank à l’encontre de Banorient étaient d’ores et déjà indisponibles comme faisant l’objet d’un gage avec dépossession (via la succursale de la société Blom Bank SAL aux Emirats Arabes Unis) ou d’un nantissement (sur une créance de 197.477,55 euros), la saisie conservatoire de créances détenues par la société Blom Bank SAL à l’égard de la banque Banorient France s’est avérée fructueuse, selon la réponse du tiers saisi, à hauteur de la somme de « C/V d’euros 1.113.094,72 » au 6 avril 2022 (49.435,72 + 38.764,62 + 1.024.894,38 euros).
Cependant la réponse de la banque Banorient France en qualité de tiers saisi mentionne également qu’une saisie conservatoire de ses comptes bancaires est pratiquée simultanément à celle des époux [R] par M. [T], ce dernier se prévalant d’une créance de 3 millions d’euros. Il s’ensuit que les soldes des comptes bancaires de la banque Banorient France sont propres à garantir la créance des époux [R] à hauteur de la somme de : (1.190.524 + 1.113.094,72 = 2.303.618,72 euros) x (3.300.000 : 6.300.000 = 52,38%) = 1.206.635,49 euros.
Par conséquent, il convient donc de proportionner la mesure de saisie des droits d’associé et de valeurs mobilières au solde restant à garantir de 3.300.000 – 1.206.635,49 euros = 2.093.364,51 euros.
Aux fins de justifier de la valeur de ses parts sociales, la banque Banorient France produit ses bilans et comptes de résultats arrêtés aux 31 décembre des années 2021, 2022 et 2023, audités par deux cabinets de commissaires au compte, Ernst & Young et Deloitte, rappelant que leur authenticité et leur fiabilité sont encore confortées par le fait qu’elle relève, en sa qualité de banque française, de la supervision de la haute autorité de régulation bancaire, l’ACPR.
En réplique, les intimés se bornent à soutenir que la valeur des actions de la banque Banorient France, détenue à 99,99% par l’appelante, ne peut valablement être attestée par cette dernière, nul ne pouvant se constituer de preuve à lui-même, et que la notoriété des commissaires aux comptes ne garantit pas nécessairement l’exactitude de leurs travaux. Cependant ils produisent à cet effet un article de presse étranger au présent litige et ne proposent aucun autre moyen d’évaluation des parts sociales de la banque Banorient France, dont il convient de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une banque libanaise mais d’une banque française.
Quoi qu’il en soit, et à supposer même que la valeur des parts sociales de la banque Banorient France soit très variable dans le temps et que soit surévaluée la valorisation des actions litigieuses sur la base des capitaux propres du tiers saisi, inscrits au bilan arrêté au 31 décembre 2023 pour la somme de 387.422.009 euros, selon le calcul suivant :
387.422.009 : 4.500.000 actions = 86,094 euros/action,
la saisie conservatoire de droits d’associé cantonnée à 115.000 actions, portant alors sur une somme de 86,094 x 115.000 = 9.900.810 euros, serait suffisante pour garantir la somme de 2.093.364,51 euros ci-dessus calculée.
Par conséquent, par application des dispositions de l’article L. 121-2 précité, il y a lieu de faire droit à la demande de cantonnement à 115.000 actions de la saisie des droits d’associé entre les mains de la banque Banorient France, formée tant par cette dernière que par la société Blom Bank.
Sur les mesures accessoires
La société Blom Bank SAL, succombant principalement en ses prétentions, doit être condamnée aux dépens d’appel, ainsi qu’au paiement aux intimés d’une somme globale de 3000 euros, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que d’une même somme à l’intervenante volontaire.
Déclare recevable l’intervention volontaire de la SA Banque Banorient France en cause d’appel ;
Infirme le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de cantonnement des effets de la saisie conservatoire de droits d’associé et valeurs mobilières au sein du capital de la SA Banque Banorient France ;
Statuant à nouveau dans cette limite,
Cantonne les effets de la saisie conservatoire des droits d’associé au sein du capital de la SA Banque Banorient France à 115.000 actions numérotées 2 354 634 à 2 469 633 ;
Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;
Condamne la société de droit libanais Blom Bank SAL à payer à Mme [S] [P] épouse [R] et M. [N] [R] la somme globale de 3000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile, en compensation de ses frais irrépétibles d’appel ;
Condamne la société de droit libanais Blom Bank SAL à payer à la SA Banque Banorient France la somme de 3000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile, en compensation de ses frais irrépétibles d’appel ;
Condamne la société de droit libanais Blom Bank SAL aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,