La reconnaissance de la créance et les obligations d’information dans le cadre d’un prêt in fine

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La reconnaissance de la créance et les obligations d’information dans le cadre d’un prêt in fine

La Caisse d’Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes (CERA) a consenti un prêt immobilier in fine de 282.000€ à M. et Mme [C] pour la construction d’une maison, garanti par le nantissement de deux PEA. Les emprunteurs n’ont pas remboursé le prêt à l’échéance du 5 janvier 2018, entraînant une mise en demeure de la CERA en octobre 2019. Après des discussions infructueuses, la CERA a assigné M. et Mme [C] en paiement devant le tribunal judiciaire de Grenoble. Par jugement du 14 novembre 2022, le tribunal a condamné M. et Mme [C] à rembourser la somme due, a rejeté leur demande reconventionnelle et a ordonné l’exécution provisoire. M. et Mme [C] ont interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement et alléguant un manquement de la CERA à ses obligations de mise en garde. La CERA a contesté ces demandes, arguant de leur irrecevabilité et de l’absence de preuve de la perte de chance. L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 avril 2024, renvoyant aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 septembre 2024
Cour d’appel de Grenoble
RG
22/04569
N° RG 22/04569

N° Portalis DBVM-V-B7G-LUCX

C3

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Charlotte DE NEEFF

la SELARL EYDOUX MODELSKI

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 17 SEPTEMBRE 2024

Appel d’une décision (N° RG 19/05224)

rendue par le Tribunal judiciaire de Grenoble

en date du 14 novembre 2022

suivant déclaration d’appel du 20 décembre 2022

APPELANTS :

M. [W] [C]

né le [Date naissance 3] 1960 à [Localité 7]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 5]

Mme [I] [G] épouse [C]

née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 5]

représentés par Me Charlotte DE NEEFF, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me Martine DI PALMA de la SELARL DDW AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMEE :

S.A. CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE RHÔNE-ALPES Banque coopérative régie par les articles L’512-85 et suivants du Code monétaire et financier, société anonyme à directoire et conseil d’orientation et de surveillance au capital de 1’150’000’000’euros, dont le siège social est situé [Adresse 2], immatriculée au RCS de Lyon sous le numéro 384’006’029, Intermédiaire d’assurance, immatriculé à l’ORIAS sous le n°07’004’760, et titulaire de l’identifiant unique REP Papiers n°’FR232581-03FWUB (BPCE ‘ SIRET 493’455’042)

représentée par Me Pascale MODELSKI de la SELARL EYDOUX MODELSKI, avocat au barreau de GRENOBLE, et par Me Alban VILLECROZE, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Catherine Clerc, président de chambre,

Mme Joëlle Blatry, conseiller

Mme Véronique Lamoine, conseiller,

DÉBATS :

A l’audience publique du 28 mai 2024 Madame Clerc président de chambre chargé du rapport, assistée de Anne Burel, greffier, a entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile.

Elle en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTION DES PARTIES

Selon offre préalable éditée le 12 juin 2002 acceptée le 27 juin suivant, la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes (la CERA) a consenti à M. [W] [C] et Mme [I] [G] épouse [C] un contrat de prêt immobilier in fine n°1021093155 d’un montant de 282.000€,d’une durée de 15 ans remboursable à la date d’échéance finale du 5 janvier 2018, au taux d’intérêt fixe de 5,65 % l’an, destiné au financement de la construction d’une maison individuelle.

Ce prêt était garanti par le nantissement de deux PEA d’un montant total de 110.000€ en SICAV Portefeuille Ecureuil.

Les emprunteurs n’ayant pas remboursé le prêt à l’échéance convenue, la CERA les a mis en demeure par courriers recommandés avec AR du 18 octobre 2019 (réceptionnés le 22 octobre suivant) de régulariser, sous quinze jours, cet impayé de 283.562,75€ en principal outre 2.083,21€ de pénalités et intérêts de retard.

Les discussions entre les parties se sont poursuivies par lettres et courriels sans qu’aucun accord amiable ne soit trouvé.

Selon décompte du 5 décembre 2019, la CERA a évalué le montant de sa créance à la somme de 283.567,75€ outre intérêts de retard au taux contractuel du 5 janvier 2018 à la date du décompte.

Par acte extrajudiciaire du 13 décembre 2019, la CERA a assigné en paiement M. et Mme [C] devant le tribunal judiciaire de Grenoble.

Par jugement contradictoire du 14 novembre 2022, le tribunal précité a’:

condamné in solidum M. et Mme [C] à payer à la CERA la somme de 283.562,75€, outre intérêts au taux conventionnel de 5,65% l’an à compter du 5 décembre 2019, en règlement du prêt in fine n°1021093155 souscrit le 27 juin 2002,

dit que les intérêts des sommes dues seront capitalisés par périodes annuelles conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

débouté M. et Mme [C] de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts au titre du devoir d’information et de mise en garde,

condamné M. et Mme [C] à payer à la CERA la somme de 1.500€ au titre des frais irrépétibles,

condamné M. et Mme [C] aux entiers dépens,

rejeté la demande d’intégration dans les dépens des frais d’exécution à intervenir,

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

ordonné l’exécution provisoire.

Par déclaration déposée le 20 décembre 2022, M. et Mme [C] ont relevé appel.

Aux termes de leurs uniques conclusions déposées le 20 mars 2023 sur le fondement des articles 1101 et suivants, 1128 et suivants, 1231-1 et suivants, 1382 et 1383 du code civil et L.312-8 et suivants du code de la consommation, M. et Mme [C] demandent à la cour d’infirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il a’rejeté la demande d’intégration dans les dépens des frais d’exécution à intervenir,

et statuant à nouveau,

à titre principal,

rejeter l’intégralité des demandes de la CERA,

à titre reconventionnel et principal,

juger que la CERA ‘a manqué à ses obligations de mise en garde et de conseil à leur égard en leur conseillant un prêt in fine,

juger qu’il existe à leur égard une perte de chance de ne pas contracter ce prêt in fine’en raison des agissements de la CERA,

à titre subsidiaire,

juger que le comportement de la CERA’est fautif et a vicié leur consentement,

par conséquent,

annuler le contrat de prêt in fine souscrit,

condamner la CERA’à leur régler la somme de 283.567,75€,

en tout état de cause,

condamner la CERA’à leur régler la somme de 283.567,75€,

condamner la CERA’à la somme de 2.000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner la CERA’aux entiers dépens de la présente instance.

Dans ses uniques conclusions déposées le 5 mai 2023 au visa de l’article 103 nouveau, 1315, 1907, 2224 et suivants du code civil, 122 et suivants du code de procédure civile, L.312-8, L.313-1, L.312-33 et R.313-1 et suivants du code de la consommation, la CERA entend voir la cour’:

juger irrecevable la demande nouvelle formée pour la première fois en cause d’appel par M. et Mme [C] tendant à voir prononcer la nullité du contrat de prêt in fine qui leur a été consenti,

confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes plus amples ou contraires,

réformer ou infirmer le jugement du tribunal judiciaire en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes plus amples ou contraires,

et ainsi,

à titre principal,

débouter M. et Mme [C] de leurs demandes comme irrecevables du fait de la prescription de leur action et subsidiairement infondés en celle-ci,

à titre subsidiaire,

juger que du fait de leur qualité d’emprunteurs avertis, M. et Mme [C] n’étaient pas créanciers d’un devoir de mise en garde,

juger en tout état que M. et Mme [C] ne rapportent pas la preuve de la perte de chance alléguée, ni même de son lien de causalité avec sa faute évoquée,

en conséquence, les débouter leur demande de dommages-intérêts,

juger n’y avoir lieu à déchéance de son droit aux intérêts,

à défaut, limiter la déchéance de son droit aux intérêts à 1€,

juger que M. et Mme [C] ne démontrent pas que leur consentement aurait été vicié, et ainsi les débouter de leurs demandes de nullité du contrat de prêt et de dommages-intérêts,

en tout état de cause,

rejeter l’ensemble des demandes formées pour le compte de M. et Mme [C],

en conséquence,

condamner solidairement M. et Mme [C] à lui payer la somme de 283.562,75€ au titre du prêt n° 1021093155, outre intérêts au taux contractuel de 5,65 % l’an postérieurs au 5 décembre 2019, date du décompte de créance,

condamner solidairement M. et Mme [C] au paiement d’une somme de 4.000€ au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile exposée en cause d’appel,

condamner solidairement M. et Mme [C] aux entiers dépens de première instance et d’appel,

L’ordonnance de clôture est intervenue le 9 avril 2024

Il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens en droit et en fait.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes des emprunteurs

Se fondant sur l’article 1383 du code civil, la CERA oppose que M. et Mme [C], ensuite des mises en demeure qui leur ont été adressées, ont reconnu le bien fondé de sa créance en sollicitant des modalités de règlement pour s’acquitter de leur dette, quand bien même celles-ci n’ont pas été suivies d’effet, et qu’il s’agit là d’un aveu extra-judiciaire, dès lors qu’il «’ne saurait y avoir de demande de délai d’une dette qui ne serait pas reconnue’».

M. et Mme [C] n’ont pas conclu en réponse sur ce point.

Si les emprunteurs ont, après réception des mises en demeure du 18 octobre 2019, suggéré des pistes de remboursement (vente de deux sociétés, vente de la maison d’habitation, proposition de versement de 30.000€ courant septembre 2019 et 20.000€ début d’année 2020), ils n’ont pas renoncé à discuter les conditions d’octroi de ce prêt in fine, M. [C] ayant ainsi écrit le 27 octobre 2019 «’par ailleurs, comme invoqué à diverses reprises, je souhaite comprendre ce qui a motivé votre établissement à m’orienter vers un prêt in fine. Il ne semble pas que la formule de prêt soit adaptée au projet immobilier que j’avais’».

En conséquence, c’est à bon droit que le premier juge n’a pas retenu l’existence d’un aveu extra-judiciaire à l’encontre des emprunteurs.

Sur l’action en responsabilité fondée sur l’obligation de mise en garde et de conseil de la CERA

Sur la recevabilité de l’action

La CERA soutient que l’action des emprunteurs fondée sur cette obligation est prescrite au motif qu’ils disposaient jusqu’au 18 juin 2013 pour agir en responsabilité envers elle dès lors qu’ils ont conclu que «’dès la date de souscription du prêt in fine, ils n’ont pas reçu une information complète des caractéristiques et des risques attachés à chacune des options d’investissement qui s’offraient à eux’».

Or, c’est à bon droit que M. et Mme [C] opposent que cette action en responsabilité n’est pas prescrite.

En effet, il est jugé (Cour de cassation 3ème ch. civile, 1er’févr. 2024, n°’22-13.446) que le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité pour manquement au devoir de mise en garde ou de conseil dans le cadre d’un prêt à remboursement différé est le jour où le risque s’est réalisé, soit celui ou l’acquéreur a appris qu’il serait dans l’impossibilité de revendre le bien à un prix lui permettant de rembourser le capital emprunté, ce qui transposé au cas d’espèce correspond au jour où M. et Mme [C] ont appris qu’ils seraient dans l’impossibilité de rembourser le capital emprunté à la date prévue du 5 janvier 2018.

L’assignation en paiement a été délivrée par la CERA le 13 décembre 2019, soit dans les cinq ans du prononcé de la déchéance du terme et les emprunteurs ont dénoncé le manquement de la banque à son devoir de mise en garde et de conseil par conclusions notifiées en septembre 2020 de sorte que leur action n’est pas prescrite car exercée dans le délai de cinq ans à compter du 5 janvier 2018.

Le jugement querellé est confirmé sur ce point.

Sur le bien fondé de l’action

La banque dispensatrice de crédit, qui n’a pas à s’immiscer dans les affaires de son client pour apprécier l’opportunité des opérations auxquelles il procède, n’est tenue, en cette seule qualité, non d’une obligation de conseil envers les emprunteurs, sauf si elle en a pris l’engagement, mais seulement d’une obligation d’information sur les caractéristiques du prêt qu’elle leur propose de souscrire afin de leur permettre de s’engager en toute connaissance de cause.

La banque dispensatrice de crédit est tenue par ailleurs à l’égard d’un emprunteur non averti d’un devoir de mise en garde lors de la conclusion du contrat de prêt.

Le manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt prive cet’ emprunteur’ d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt.

Le banquier auquel il appartient de démontrer qu’il a rempli son obligation de mise en garde, est dispensé de cette obligation lorsque son client a la qualité d’emprunteur averti’; enfin, la constatation que le crédit était adapté aux capacités financières de l’emprunteur exclut d’elle-même le devoir de mise en garde.

L’obligation de mise en garde à laquelle peut être tenue la banque à l’égard d’un emprunteur non averti avant de lui consentir un prêt ne porte que sur l’inadaptation de celui-ci aux capacités financières de l’emprunteur et sur le risque de l’endettement qui résulte de son octroi, et ce, que le prêt soit remboursable par échéances ou en une seule fois à la fin.

M. et Mme [C], qui revendiquent la qualité d’emprunteurs non avertis, soutiennent que la CERA a failli à son devoir de conseil en leur faisant souscrire un prêt in fine qui était inadapté à leur situation, sans leur proposer un autre mode de financement, mais également à son devoir de mise en garde en ne les avertissant pas des caractéristiques et des risques du prêt in fine, en concluant tout à la fois que celle-ci n’a pas pris en compte leurs revenus modestes et leur départ prochain à la retraite, qu’elle n’a pas respecté son obligation de les aviser des risques de fluctuation du marché et de leurs répercussions sur leur épargne (deux PEA de 55.000€ chacun apportés en garantie du prêt) et de l’inadéquation de ce montage appliqué à l’acquisition d’une habitation principale, que le risque auquel ils s’exposaient était accru étant donné que la vente du bien immobilier financé par l’opération ne suffirait peut-être pas pour solder le montant de la dette, que le risque d’endettement excessif existait donc bel et bien.

La CERA réplique que M. et Mme [C] sont des emprunteurs avertis dès lors que M. [C] était dirigeant d’une EURL depuis plusieurs années, et qu’ils avaient des connaissances en placements financiers pour avoir souscrit les deux PEA auprès d’une autre banque, la BNP Paribas, qu’elle n’est tenue sur ce point d’aucun devoir de mise en garde sur la nature et les risques de ces placements dont elle n’était pas à l’origine et n’est pas débitrice «’des résultats catastrophiques de ces placements qui devaient permettre de rembourser le prêt tant en capital qu’intérêts’» (dixit les appelants).

Elle ajoute que les appelants qui se prévalent d’un prêt excessif à raison de leurs capacités financières ne justifient pas de leur situation financière au jour du contrat de prêt.

Elle soutient enfin qu’elle a apporté toutes les informations utiles sur les caractéristiques du prêt litigieux, l’offre de prêt étant par ailleurs parfaitement claire sur le fonctionnement d’un prêt in fine, et que ce prêt était la seule solution viable et en adéquation avec la situation de M. et Mme [C] qui remboursaient déjà un prêt au titre du terrain acquis pour la construction de la maison, en ce que l’octroi d’un prêt amortissable classique aurait entraîné des mensualités trop importantes eu égard à leurs revenus et charges et un dépassement du seuil raisonnable de 33’% de taux d’endettement ce qu’ils ne discutent pas.

Il ne peut être sérieusement contesté que M. et Mme [C] sont des emprunteurs non avertis alors même qu’ils n’avaient souscrit qu’un prêt immobilier pour l’acquisition d’un terrain avant le prêt litigieux, la circonstance que M. [C] soit dirigeant d’une EARL étant à cet égard plus qu’insuffisant, de même que le fait pour les époux de détenir chacun un PEA.

Il est démontré que le prêt était adapté à la situation financière de M. et Mme [C] en ce qu’ils se sont acquittés régulièrement et sans incident du paiement des intérêts durant 15 ans, (soit 1.562,75€/mois), la détention de leurs deux PEA constituant un gage de remboursement du capital en fin de contrat’; sur ce point, la CERA n’était pas tenue d’un devoir de mise en garde du chef des produits d’investissement détenus par les emprunteurs et portés en nantissement du prêt litigieux, n’étant pas à l’origine de la souscription de ces placements et ne saurait donc être comptable des mauvais résultats de ces produits, la cour relevant à cet égard que les emprunteurs ne communiquent pas de justificatifs établissant que ces deux PEA auraient enregistrés des pertes à l’époque de la date d’exigibilité du prêt, au 5 janvier 2018.

M. et Mme [C] n’établissent’ pas que ce prêt était, au jour de sa souscription, inadapté’ à leur capacité de remboursement (revenus et charges), alors qu’ils travaillaient tous les deux (Monsieur maître d’oeuvre et Madame assistante sociale) et qu’il était de nature à entraîner pour eux un risque d’endettement excessif, le prêt litigieux leur ayant permis de se constituer un patrimoine immobilier, à savoir de construire une maison d’habitation dont il n’apparaît pas dans l’offre de prêt si elle était destinée à un usage locatif ou à leur usage personnel mais dont la valeur in fine avoisinait 650.000€ comme relevé par le premier juge.

Quant au devoir de conseil, ce prêt ne peut être dit inadapté aux besoins des emprunteurs, la CERA expliquant sans être contredite, que M. et Mme [C] n’étaient plus éligibles à un prêt classique eu égard au seuil d’endettement atteint avec leur premier prêt immobilier ; elle s’est acquittée de son obligation d’information sur les caractéristiques du prêt proposé et leur a permis de s’engager en toute connaissance de cause, les spécificités du prêt in fine étaient clairement énoncées dans l’offre de prêt proposée par la CERA et acceptée par les époux au terme du délai légal de réflexion imposé en matière de prêt immobilier et ressortait également du plan de remboursement, à savoir 176 mensualités de 1.562,75€ au titre des intérêts et de l’assurance, puis une 177ème mensualité le 5 janvier 2018 d’un montant de 283.562,75€.

M. et Mme [C] qui n’établissent pas avoir cherché et s’être vus proposé un autre mode de financement pour leur projet immobilier par un autre établissement bancaire ne peuvent en conséquence affirmer sans offre de preuve que l’offre de prêt in fine de la CERA était inadaptée à leur situation.

De fait, il n’est pas démontré que la CERA a manqué à son obligation d’information et de conseil quant à l’adéquation du prêt in fine associé au nantissement de deux PEA devant garantir le remboursement en partie ou en totalité du capital emprunté à l’échéance du prêt, et qu’un tel manquement aurait privé les emprunteurs d’une chance d’éviter le risque qu’ils disent s’être réalisé, à savoir de ne pas être en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt , alors même qu’ils disposent désormais d’un patrimoine immobilier, que M. [C] ainsi qu’il l’a déclaré lui-même dans les pourparlers avec la CERA relatifs au règlement du capital exigible (cf son courriel du 15 septembre 2019) est titulaire de deux sociétés (Acore et Ami) qu’il envisageait de vendre à une holding dans laquelle il serait actionnaire, avait le projet d’acquérir des chalets à usage locatif dans le cadre d’une SCI ou une SARL familiale et n’excluait pas l’éventualité de vendre la maison financée par le prêt litigieux à une SCI.

En conséquence de l’ensemble de ces constatations et considérations, le jugement dont appel est confirmé sur le rejet de la demande indemnitaire de M. et Mme [C] au titre de la perte de chance de ne pas souscrire le prêt litigieux.

Sur la demande subsidiaire d’annulation du contrat de prêt

La CERA soutient l’irrecevabilité de cette prétention qualifiée de demande nouvelle en tant que présentée pour la première fois en appel.

M. et Mme [C] n’ont pas conclu en réponse sur ce point.

La lecture du jugement déféré enseigne que M. et Mme [C] avaient demandé à titre subsidiaire sur le fondement de l’article 1128 du code civil que le premier juge dise que le comportement de la CERA était fautif et avait vicié leur consentement’; ils développaient que le contrat de prêt était nul pour défaut de consentement libre et éclairé, affirmant que leur consentement avait été vicié par le défaut de communication des modalités du prêt in fine et par le caractère inadapté du contrat proposé au regard de leurs besoins, cette erreur engageant la responsabilité délictuelle de la CERA.

S’il est acquis à la lecture du jugement déféré que les emprunteurs n’avaient pas saisi le premier juge d’une demande en annulation du contrat de prêt, celui-ci ayant clairement énoncé dans sa motivation que «’le moyen tiré des vices du consentement ne sera donc pas examiné en l’absence de demande subséquente au sens de l’article 768 du code de procédure civile’» après avoir relevé que «’les époux [C] soulèvent le défaut d’information et de mise en garde au titre des vices du consentement, pour autant, ils n’en tirent aucune conséquence juridique et ne sollicitent pas l’annulation du contrat’», il n’en demeure pas moins qu’à hauteur d’appel, la demande d’annulation du contrat de prêt requise sur le fondement des vices du consentement n’est pas une demande nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure civile.

En effet, cette demande d’annulation est la conséquence au sens de l’article 566 du code de procédure civile de la demande présentée sur le fondement de l’article 1128 du code civil en tant que constituant la conséquence juridique d’une action fondée sur les vices du consentement comme rappelé à l’article 1131 du code civil.

Par suite, la demande d’annulation du contrat de prêt quoique non formulée en première instance n’est pas une demande nouvelle en appel et doit être jugée recevable.

M. et Mme [C] concluent devant la cour à l’existence d’une erreur, au motif qu’ils n’auraient pas contracté s’ils avaient eu les informations adéquates de la part de la CERA sur l’étendue de leur engagement et les conséquences d’un tel prêt.

Aux termes de l’ article 1132 du code civil, l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant.

L’article 1133 du même code précise que les qualités essentielles de la prestation sont celles qui ont été expressément ou tacitement convenues et en considération desquelles les parties ont contracté. L’erreur est une cause de nullité qu’elle porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie. L’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut l’erreur relative à cette qualité.

Selon l’article 1135, l’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement.

L’article 1136 du code civil dispose que l’erreur sur la valeur par laquelle, sans se tromper sur les qualités essentielles de la prestation, un contractant fait seulement de celle-ci une appréciation économique inexacte, n’est pas une cause de nullité.

De fait, M. et Mme [C] ont bénéficié d’un prêt in fine, qui correspondait en tous points, de par sa nature, son coût, sa durée et son montant aux propositions contractuelles de la CERA qu’ils ont acceptées en signant l’offre préalable de prêt après le délai de réflexion légal et dont ils ont exécuté les modalités en s’acquittant des intérêts mensuels durant près de 15 ans jusqu’à la date d’échéance terminale convenue’; en conséquence, aucune erreur sur les qualités substantielles du prêt c’est-à-dire celles qui avaient été expressément convenues, ne peut être retenue, et ce d’autant qu’ils ont reçu les informations sur ce prêt au moment de sa souscription.

Le jugement est en conséquence infirmé pour dire mal fondée la demande des emprunteurs aux fins d’annulation du contrat de prêt litigieux.

Sur la créance de la CERA

A considérer la cour saisie de cette prétention, bien que non reprise au dispositif des dernières conclusions des appelants dès lors que la CERA demande clairement au dispositif de ses dernières écritures d’appel le rejet de leur demande en déchéance de son droit aux intérêts tirée de l’irrégularité du taux effectif global (TEG)et subsidiairement à limitation de cette déchéance à 1€, il sera dit avec le premier juge dont les justes motifs sont adoptés par la cour que’:

la demande en déchéance du droit aux intérêts formée par les emprunteurs en défense à l’action en paiement de la CERA est recevable, aucune prescription ne pouvant lui être opposée en tant que constituant une défense au fond,

M. et Mme [C] ne démontrent pas que le calcul du TEG de leur prêt est erroné alors même que le contrat contient les mentions prévues à l’article L.312-8 du code de la consommation, notamment les éléments constitutifs du calcul (assurance, frais de dossier, coût des sûretés réelles ou personnelles exigées ).

Il est ajouté que les emprunteurs s’abstiennent de caractériser non seulement l’existence d’une quelconque erreur du TEG mais également que cette erreur serait supérieure à la décimale comme exigé par l’article R.313-1 II alinéa 5 du code de la consommation.

Sans plus ample discussion, le jugement querellé est confirmé sur le rejet de cette demande en déchéance du droit aux intérêts.

Il est corrélativement confirmé sur la condamnation solidaire de M. et Mme [C] à payer la somme de 283.562,75€, avec intérêts au taux légal de 5,65’% l’an à compter du 5 décembre 2019 et capitalisation de ceux-ci, dès lors que les appelants, quoique que sollicitant que la cour «’rejette l’intégralité des demandes de la CERA’» ne présentent aucun fait, comme le leur impose l’article 9 du code de procédure civile, ne visent aucune pièce dans leurs conclusions comme le prescrit l’article 954 du code de procédure civile et ne développent aucun moyen de droit ou de fait pour contester le quantum de cette condamnation ainsi rappelé.

Sur les mesures accessoires

Succombant dans leur recours, M.et Mme [C] sont condamnés aux dépens d’appel et conservent la charge de leurs dépens personnels exposés devant la cour’; ils sont condamnés à verser à la CERA une indemnité de procédure pour l’instance d’appel.Ces condamnations sont prononcées in solidum, la solidarité ne se présumant pas en ces matières.

Les mesures accessoires de première instance sont confirmées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement,’dans les limites de l’appel, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives à la demande sur les vices du consentement,

Statuant à nouveau sur ce point et ajoutant,

Disant recevable en appel la demande d’annulation du contrat de prêt in fine n° 1021093155 soutenue par M.[W] [C] et Mme [I] [G] épouse [C],

Dit mal fondés M. [W] [C] et Mme [I] [G] épouse [C] en leur demande d’annulation du contrat de prêt in fine n° 1021093155 et les en déboute,

Condamne in solidum M. [W] [C] et Mme [I] [G] épouse [C] à verser à la Caisse d’Epargne et de Prévoyance Rhône Alpes une indemnité de procédure de 1.500€ pour l’instance d’appel,

Déboute M. [W] [C] et Mme [I] [G] épouse [C] de leur demande présentée en appel sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum M. [W] [C] et Mme [I] [G] épouse [C] aux dépens d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de la procédure civile,

Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


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