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Écarter brutalement un journaliste présentateur de son émission, sans aucun préavis, est un manquement de l’employeur à son obligation de loyauté.
Le salarié peut alors prendre acte de la rupture du contrat de travail et cette prise d’acte produit, soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu’il rapporte la preuve de manquements de l’employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d’une démission. Si le salarié ne peut effectivement valablement reprocher à son employeur de lui retirer la direction de l’émission, le principe de loyauté le plus élémentaire exigeait qu’il l’en informât, plutôt que de lui laisser découvrir l’information dans la presse. Par ailleurs, si, comme le prétend la société, il ne s’agissait alors que d’une rumeur, il lui appartenait de la démentir publiquement et surtout de répondre rapidement à son salarié lorsqu’il se préoccupait de son éviction, plutôt que de le laisser dans l’incertitude, ne serait ce qu’à l’égard de son entourage professionnel. En la cause, c’est à juste titre quele salarié argue du caractère vexatoire de la rupture, laquelle a été causée par une mise à l’écart brutale et publique, l’employeur ne pouvant sérieusement s’abriter derrière le fait qu’elle ne serait pas responsable de ce caractère public, alors qu’elle n’a pas démenti l’information publiée et n’a répondu que tardivement et laconiquement aux interrogations de son salarié, comportement qui a causé à ce dernier un préjudice spécifique (5 000 euros). Il résulte de ces considérations que le salarié a été mis à l’écart de façon brutale tant de ses fonctions d’encadrement que de celles de spécialiste du cinéma, attitude constitutive de manquements de l’employeur à son obligation de loyauté, d’une gravité telle qu’elle empêchait la poursuite du contrat de travail et justifiait la prise d’acte de sa rupture aux torts de l’employeur, avec les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié est fondé à percevoir une indemnité conventionnelle de licenciement spécifique aux journalistes, telle que prévue par l’article l’article L.7112-3 du code du travail et égale à un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements, l’article 44 de la convention collective des journalistes précisant que cette indemnité est calculée pour les journalistes professionnels employés à plein temps ou à temps partiel sur le dernier salaire perçu et que cette somme est augmentée d’un douzième pour tenir compte du treizième mois conventionnel défini à l’article 25. |
Résumé de l’affaire : Monsieur [C] [Z] a été engagé par la société Europe News en tant que journaliste reporter à partir du 18 mai 2009, et a occupé le poste de chef de services société et culture à Europe 1 depuis le 1er janvier 2021. Le 7 juin 2021, un accord collectif de rupture conventionnelle a été signé, mais la candidature de Monsieur [Z] a été rejetée. Le 28 juillet 2021, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail, imputant la responsabilité à son employeur. Le 30 septembre 2021, il a saisi le conseil de prud’hommes de Paris pour contester un licenciement qu’il considérait sans cause réelle et sérieuse. Le jugement du 19 janvier 2022 a débouté Monsieur [Z] de ses demandes et l’a condamné aux dépens, tout en déboutant également la société Europe News de sa demande reconventionnelle. Monsieur [Z] a interjeté appel le 21 février 2022 et a ensuite déposé une requête pour réparer une omission de statuer sur d’autres demandes. Le 9 décembre 2022, le conseil de prud’hommes a déclaré recevable la requête mais a rejeté les demandes. Monsieur [Z] a de nouveau interjeté appel le 8 février 2023. Dans ses conclusions, il demande la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que diverses indemnités. La société Europe News conteste les demandes de Monsieur [Z] et demande la confirmation du jugement initial, tout en formulant des demandes reconventionnelles. L’ordonnance de clôture a été prononcée le 18 juin 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 9
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2024
(n° 2024/ , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/02781 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFIVW
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Janvier 2022 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F 21/08034
APPELANT
Monsieur [C] [Z]
[Adresse 3]
[Localité 1]
né le 23 Août 1987 à [Localité 7]
Représenté par Me Jessica WOZNIAK-FARIA, avocat au barreau de REIMS, toque : 48
INTIMEE
S.N.C. EUROPE NEWS
[Adresse 2]
[Localité 4]
N° SIRET : 343 508 750
Représentée par Me Jérémie ASSOUS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0021
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 19 Juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
M. Stéphane MEYER, Président
M. Fabrice MORILLO, Conseiller
Madame Nelly CHRETIENNOT, Conseillère
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Monsieur Jadot TAMBUE
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Monsieur Stéphane MEYER, président de chambre et par Monsieur Jadot TAMBUE, greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [C] [Z] a été engagé par la société Europe News, pour une durée indéterminée à compter du 18 mai 2009, en qualité de journaliste reporter. Il exerçait en dernier lieu les fonctions de chef de services société et culture de la station de radio Europe 1 depuis le 1er janvier 2021.
La relation de travail est régie par la convention collective des journalistes.
Le 7 juin 2021, un accord collectif de rupture conventionnelle a été signé.
La candidature de Monsieur [Z] pour bénéficier de la rupture conventionnelle collective a été écartée.
Par lettre du 28 juillet 2021, Monsieur [Z] a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.
Le 30 septembre 2021, Monsieur [Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’à l’exécution de son contrat de travail.
Par jugement du 19 janvier 2022, le conseil de prud’hommes de Paris a débouté Monsieur [Z] de ses demandes et l’a condamné aux dépens. Le Conseil a également débouté la société Europe News de sa demande reconventionnelle.
Monsieur [Z] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 21 février 2022, en visant expressément les dispositions critiquées.
Le 18 octobre 2022, il a ensuite saisi le conseil de prud’hommes de Paris d’une requête afin de réparer une omission de statuer sur ses demandes relatives à la convention de forfait, à un rappel de salaires pour heures supplémentaires et à un travail dissimulé.
Par jugement du 9 décembre 2022, le conseil de prud’hommes de Paris a déclaré recevable la requête mais a rejeté ces demandes.
Monsieur [Z] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 8 février 2023, en visant expressément les dispositions critiquées.
Les deux instances ont été jointes.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 novembre 2022, Monsieur [Z] demande à la cour de le juger recevable en ses demandes, d’infirmer le jugement déféré, de requalifier sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, de déclarer nulle la convention de forfait et de condamner la société Europe News à lui payer les sommes suivantes :
– indemnité conventionnelle de licenciement : 386 056,85 € ou subsidiairement : 104 015,55 € ;
– indemnité compensatrice de préavis : 9 510 € ;
– congés payés afférents : 951 € ;
– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 55 646,77 € ;
– dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture : 10 000 € ;
– rappel de salaire pour heures supplémentaires : 88 280,87 € ;
– congés payés afférents : 8 828,09 € ;
– indemnité pour travail dissimulé : 28 530 € ;
– indemnité pour frais de procédure : 5 000 € ;
– les intérêts au taux légal ;
– Monsieur [Z] demande également que soit ordonnée la remise des documents sociaux conformes, sous astreinte de 100 € par jour de retard.
Au soutien de ses demandes et en réplique à l’argumentation adverse, Monsieur [Z] expose que :
– ses demandes sont toutes recevables, puisque sa déclaration d’appel mentionne les chefs du jugement, dont il demande l’infirmation ;
– la prise d’acte au torts exclusifs de l’employeur est justifiée par sa mise à l’écart ;
– l’indemnité conventionnelle de licenciement est calculée conformément aux dispositions applicables
– la rupture du contrat a eu lieu dans des conditions vexatoires ;
– la convention de forfait jours est nulle et il a effectué des heures supplémentaires qui n’ont pas été rémunérées ;
– la volonté de l’employeur de s’affranchir des obligations relatives à la durée du travail justifie sa condamnation au paiement d’une indemnité pour travail dissimulé ;
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 8 août 2022, la société Europe News demande que les demandes de Monsieur [Z] relatives à la nullité de la convention de forfait, aux heures supplémentaires et au travail dissimulé soient déclarées irrecevables, à titre subsidiaire la confirmation du jugement, sauf en ce qu’il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail par Monsieur [Z] et forme à cet égard une demande de 10 000 €. A titre subsidiaire, elle demande la fixation du salaire mensuel de référence à 4 755 euros bruts, la limitation du montant de l’indemnité légale de licenciement à la somme de 57 820,80 euros, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 14 265 € et le rejet de ses autres demandes. Elle demande également la condamnation de Monsieur [Z] à lui payer 20 000 de dommages et intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail ainsi qu’une indemnité pour frais de procédure de 5 000 €. Elle fait valoir que :
– les demandes formées au titre de la nullité de la convention de forfait jour et des heures supplémentaires sont irrecevables car non citées dans la déclaration d’appel ;
– la prise d’acte de la rupture du contrat de travail est injustifiée et abusive. Les manquements invoqués ne sont pas établis ;
– le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement réclamée est erroné ;
– les conditions prétendument vexatoires de la rupture du contrat de travail ne sont pas établies ;
– la convention de forfait jour est parfaitement valide et Monsieur [Z] n’établit pas la réalité d’heures supplémentaires ;
– la constitution de l’élément matériel caractérisant le travail dissimulé n’est pas démontrée .
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 18 juin 2024.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées par RPVA.
Sur la saisine de la cour
Aux termes de l’article 562 du code de procédure civile, l’appel défère à la cour la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s’opère pour le tout que lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible
Aux termes de l’article 901-4°, du même code, la déclaration d’appel est faite par acte comportant, le cas échéant, une annexe, contenant, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.
En l’espèce, la société Europe News fait valoir que la déclaration d’appel effectuée par Monsieur [Z] ne vise ni la question des heures supplémentaires, ni la nullité de la convention de forfait jours, ni le travail dissimulé.
Cependant, Monsieur [Z] objecte à juste titre que, le conseil de prud’hommes n’ayant pas statué sur ces demandes dans le dispositif de son jugement du 19 janvier 2022, il a déposé une requête en omission de statuer, ayant abouti à un second jugement rendu le 9 décembre 2022, aux termes duquel le conseil a rejeté ces demandes, jugement dont il a interjeté appel par une déclaration mentionnant expressément ces trois chefs du jugement critiqués.
La cour est donc valablement saisie de ces demandes.
Sur l’imputabilité de la rupture et ses conséquences
Il est de règle que le salarié peut prendre acte de la rupture du contrat de travail et que cette prise d’acte produit, soit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu’il rapporte la preuve de manquements de l’employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d’une démission.
En l’espèce, Monsieur [Z] expose qu’à compter de mai 2021, il a été soudainement écarté de ses fonctions d’encadrement et destitué de ses fonctions de spécialiste cinéma, lesquelles représentaient la majeure partie de son travail.
Concernant ses fonctions d’encadrement, il expose avoir été écarté de ses fonctions de chef de service, n’étant plus convié aux réunions organisées par la Direction pour programmer la rentrée, ni informé de la place de la culture et de la société sur l’antenne pour la prochaine saison. Il ajoute ne pas avoir davantage été informé des départs des membres de son service dans le cadre de la rupture conventionnelle collective, alors même que la moitié de ses effectifs quittait la société, ni de la nouvelle organisation du service en découlant.
La société Europe News réplique, d’une part, que Monsieur [Z] n’avait précédemment jamais été invité aux réunions organisées par les membres de la direction avec les autres chefs de services car celles-ci n’ont jamais eu lieu et d’autre part que les chefs de service ne sont pas impliqués dans l’élaboration des grilles de programmation , seuls l’étant les directeurs de la rédaction, des programmes, du marketing ainsi que la présidente. Elle produit à cet égard les attestations de Monsieur [J] [M], directeur de l’information et de Madame [L], secrétaire générale de la rédaction.
Cependant, si la réalité de réunions antérieures n’est effectivement pas établie, Monsieur [Z] produit des copies de sms, échangés en mai 2020 avec le directeur adjoint de la rédaction, lequel le sollicitait pour des « idées de chroniqueurs qui incarnent le monde qui change » et lui demandait de travailler à leur recrutement.
Concernant le grief relatif à l’absence d’information des départs des membres du service de Monsieur [Z] dans le cadre de la rupture conventionnelle collective, la société Europe News expose que la période de volontariat afférente s’étendant du 28 juin 2021 au 6 juillet 2021, l’absence d’information alléguée ne peut concerner au maximum que la période s’étendant du 28 juin au 17 juillet, date du départ en vacances de Monsieur [Z] et que, durant ces deux semaines, la société était en pleine période de dialogue social du fait de la mise en place de cette la rupture conventionnelle, Monsieur [Z] étant à [Localité 6] pour le Festival. Elle ajoute que s’il est exact que deux postes de son équipe étaient visées par une suppression il n’ignorait toutefois aucunement cet élément pour en avoir été informé par sa hiérarchie, comme tous les autres collaborateurs de la chaîne.
Cependant, aucun élément produit par la société ne permet d’établir la réalité d’une telle information et le fait que Monsieur [Z] se soit trouvé au festival de [Localité 6] pendant la période considérée n’empêchait nullement cette dernière de l’informer de la situation, afin de lui permettre de s’organiser à la rentrée, sauf à considérer qu’il était impossible de recevoir des appels téléphoniques, des sms ou des courriels à [Localité 6], ce qui n’est pas soutenu.
Concernant ses fonctions de « spécialiste cinéma », Monsieur [Z] produit des captures d’écran du site interne d’Europe 1, ainsi que des courriels échangés, faisant apparaître une activité soutenue et qu’il était présenté aux auditeurs et aux internautes comme « le spécialiste Cinéma d’Europe 1 ».
Or, il expose que le 5 juillet 2021, en pleine couverture du Festival de [Localité 6], il a découvert avec stupeur dans le journal Le Parisien qu’il était remplacé dans ses fonctions de Spécialiste cinéma par une autre journaliste ; il produit à cet égard l’article en cause titré « Europe 1 recrute [S] [X] et [F] [T] visages de CNews » et précisant que [S] [X] était en « bonne position » pour prendre les rênes de « Clap », émission hebdomadaire consacrée au cinéma et qu’elle y remplacera [C] [Z], chef du service société/culture de la station, qui en était aux commandes depuis son lancement. Il produit un sms du 9 juillet, aux termes duquel il demandait des explications sur cette découverte, ainsi qu’un sms et un courriel reçus le 19 juillet 2021, confirmant la réalité de son éviction.
La société Europe News objecte que la présentation de l’émission « Clap », que Monsieur [Z] ne présentait que depuis dix mois, n’avait jamais fait l’objet d’une contractualisation, qu’il s’était déjà vu décharger de la présentation d’une précédente émission, sans que cela ne remette en cause son avenir professionnel, que la baisse d’audience constante de l’émission « Clap » impliquait un nécessaire renouvellement et enfin que le 5 juillet 2021, lors de la publication dans le journal Le Parisien de l’information en cause, aucune décision n’avait encore été prise, qu’il ne s’agissait que d’une information confidentielle, que d’une rumeur.
Cependant, si Monsieur [Z] ne peut effectivement valablement reprocher à son employeur de lui retirer la direction de l’émission, le principe de loyauté le plus élémentaire exigeait qu’il l’en informât, plutôt que de lui laisser découvrir l’information dans la presse. Par ailleurs, si, comme le prétend la société, il ne s’agissait alors que d’une rumeur, il lui appartenait de la démentir publiquement et surtout de répondre rapidement à son salarié lorsqu’il se préoccupait de son éviction, plutôt que de le laisser dans l’incertitude, ne serait ce qu’à l’égard de son entourage professionnel.
Enfin, l’argumentation développée par la société Europe News relative à l’installation de Monsieur [Z] et de sa famille à [Localité 5] est inopérante, outre le fait que, de même que la ville de [Localité 6] est équipée de moyens modernes de communication, celle de [Localité 5] est desservie par des tgv.
Il résulte de ces considérations que Monsieur [Z] a été mis à l’écart de façon brutale tant de ses fonctions d’encadrement que de celles de spécialiste du cinéma, attitude constitutive de manquements de l’employeur à son obligation de loyauté, d’une gravité telle qu’elle empêchait la poursuite du contrat de travail et justifiait la prise d’acte de sa rupture aux torts de l’employeur, avec les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Monsieur [Z] est fondé à percevoir une indemnité conventionnelle de licenciement spécifique aux journalistes, telle que prévue par l’article l’article L.7112-3 du code du travail et égale à un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements, l’article 44 de la convention collective des journalistes précisant que cette indemnité est calculée pour les journalistes professionnels employés à plein temps ou à temps partiel sur le dernier salaire perçu et que cette somme est augmentée d’un douzième pour tenir compte du treizième mois conventionnel défini à l’article 25.
A cet égard, la société Europe News estime que le salaire de référence s’élève à 4 755 € bruts, tandis que Monsieur [Z] le fixe à 31 730,70 €.
Monsieur [Z] fait valoir à juste titre que l’indemnité de récupération d’un montant de 9 589,25 €, qui apparaît sur son bulletin de salaire de juillet 2021 étant calculée en application de l’accord d’entreprise du 22 décembre 2000, lequel prévoit en son article 8 que lorsqu’un salarié est en astreinte et effectue une ou plusieurs interventions, il bénéficie à titre de compensation globale et forfaitaire d’heures de récupération, constitue un élément de salaire devant être inclus dans l’assiette de calcul de l’indemnité de licenciement.
En revanche, aucune disposition applicable en l’espèce ne permet d’inclure dans cette assiette les indemnités compensatrices de congés payés perçues.
Le dernier salaire de Monsieur [Z], qui doit servir de référence au calcul de l’indemnité conventionnelle de licenciement, s’élève donc à 14 740,50 (4 755 € + 1/12 ème+9 589,25 €).
Le montant de l’indemnité due s’élève donc à 179 244,48 euros (14 740,50 € x 12,16 mois).
Monsieur [Z] est également fondé à percevoir une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire sur le fondement de l’article L.7112-2 du code du travail, soit la somme de 9 510 euros, ainsi que l’indemnité de congés payés afférente, soit 951 euros.
Monsieur [Z] justifie de 12 années complètes d’ancienneté et la moyenne de ses douze derniers mois de salaire s’élève à 5 058,80 bruts par mois.
En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail, il est fondé à obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse égale à une somme comprise entre 3 et 11 mois de salaire, soit entre 15 176,40 euros et 55 646,80 euros.
Au moment de la rupture, Monsieur [Z] était âgé de 34 ans. Il a retrouvé un emploi entraînant une baisse de rémunération de 15 %
Au vu de cette situation, et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle il convient d’évaluer son préjudice à 35 000 euros.
Par ailleurs, c’est à juste titre que Monsieur [Z] argue du caractère vexatoire de la rupture, laquelle a été causée par une mise à l’écart brutale et publique, l’employeur ne pouvant sérieusement s’abriter derrière le fait qu’elle ne serait pas responsable de ce caractère public, alors qu’elle n’a pas démenti l’information publiée et n’a répondu que tardivement et laconiquement aux interrogations de son salarié, comportement qui a causé à ce dernier un préjudice spécifique, qu’il convient d’évaluer à 5 000 euros.
Enfin, sur le fondement de l’article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l’employeur à rembourser les indemnités de chômage ayant pu être versées, dans la limite de six mois.
Sur la demande de rappel de salaires
Les parties s’opposent tout d’abord sur la validité de la convention de forfait en jours stipulée par le contrat de travail.
Il résulte des dispositions de l’article L.3121-64 du code du travail que l’accord collectif prévoyant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours doit, notamment, déterminer les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié, les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise, ainsi que les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion prévu au 7° de l’article L. 2242-17.
En l’espèce, l’accord collectif du 22 décembre 2000 et son avenant du 6 avril 2011 ne répondent pas à ces conditions, ce dont il résulte que la convention de forfait en jours prévue par le contrat de travail de Monsieur [Z] est nulle .
Au surplus, la société Europe News ne prouve, ni même n’allègue, avoir respecté ses obligations relatives à l’évaluation et au suivi régulier de la charge de travail du salarié ainsi que l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle.
Monsieur [Z] est donc fondé à se prévaloir des dispositions relatives à la durée légale du travail.
Aux termes de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il appartient donc au salarié de présenter, au préalable, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies, afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement, en produisant ses propres éléments.
Le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies, soit avec l’accord de l’employeur, soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.
Il résulte des dispositions des articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, lus à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 11, paragraphe 3, et de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, qu’il incombe à l’employeur, l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.
En l’espèce, Monsieur [Z] expose que ses journées de travail s’étendaient en moyenne de 9 h à 19h30 (avec une pause de 30 minutes) ce qui portait sa durée hebdomadaire moyenne de travail à 50 heures et produit un tableau récapitulatif conforme à ces allégations.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à la société Europe News de les contester utilement.
Cette dernière fait valoir que Monsieur [Z] n’a jamais réclamé le paiement de prétendues heures supplémentaires.
Cependant, aux termes de l’article L. 3243-3 du code du travail, l’acceptation sans protestation ni réserve d’un bulletin de paie par le travailleur ne peut valoir de sa part renonciation au paiement de tout ou partie du salaire et des indemnités ou accessoires de salaire qui lui sont dus en application de la loi, du règlement, d’une convention ou d’un accord collectif de travail ou d’un contrat.
La société fait également valoir que le tableau produit par Monsieur [Z] n’est pas suffisamment précis et ne tient pas compte des effets de la crise sanitaire sur la charge de travail, précisant que ses missions de spécialiste cinéma ont nécessairement été allégées par la fermeture des cinémas, que plusieurs membres de son service ont été placés au chômage partiel pendant cette période, ce qui a nécessairement eu un impact sur sa charge de travail et enfin que Monsieur [Z] exerçait parallèlement d’autres fonctions (enseignant et entrepreneur individuel)
Monsieur [Z] répond que lui-même n’ayant pas été placé en chômage partiel, a été obligé de reprendre les sujets des salariés qui l’étaient et dont il produit la liste, et précise, sans être contredit sur ce point, que la Direction lui a même demandé de renoncer à deux semaines de vacances posées. Il ajoute et établit avoir cessé ses activités d’enseignement depuis 2019 et que son activité entrepreneuriale était réduite à des missions effectuées à la demande et pour la Société elle-même.
Par ailleurs, la société Europe News, qui se contente de contester les horaires allégués par Monsieur [Z], ne produit aucun élément contraire.
La demande de rappel de salaires pour heures supplémentaires est donc fondée en son principe.
Cependant, au vu des éléments produit par les parties, la cour estime à 50 000 euros le rappel de salaire dû, correspondant aux heures supplémentaires effectivement effectuées, outre une indemnité de congés payés afférente de 5 000 euros.
Sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé
Il résulte des dispositions des articles L.8221-5 et L 8223-1 du code du travail, que le fait, pour l’employeur, de mentionner intentionnellement sur le bulletin de paie du salarié un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli est réputé travail dissimulé et ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaires.
En l’espèce, s’il résulte des développements qui précèdent que la convention de forfait est sans effet en conséquence de l’inexécution de ses obligations par l’employeur et que Monsieur [Z] est donc fondé en sa demande de rappel de salaires pour heures supplémentaires, il ne rapporte néanmoins pas la preuve d’une intention de dissimulation de sa part.
Le jugement doit donc être reconfirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.
Sur les demandes reconventionnelles de la société Europe News
La rupture du contrat de travail par Monsieur [Z] étant imputable à la société Europe News, ne présente pas de caractère abusif ; la société Europe News doit donc être déboutée de sa demande de dommages et intérêts formée à cet égard.
La déloyauté dans l’exécution du contrat de travail incombant exclusivement à la société Europe News, elle doit également être déboutée de sa demande de dommages et intérêts afférente.
Sur les autres demandes
Il convient d’ordonner la remise d’un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d’un certificat de travail et d’une attestation destinée à France Travail, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans que le prononcé d’une astreinte apparaisse nécessaire.
Sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner la société Europe News à payer à Monsieur [Z] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu’il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu’il y a lieu de fixer à 3 500 euros.
Il convient de dire, conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du code civil, que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2021, date de convocation directe devant le bureau de jugement, conformément aux dispositions de l’article 1231-6 du même code.
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
SE DÉCLARE valablement saisie de toutes les demandes de Monsieur [C] [Z] ;
INFIRME le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [C] [Z] de sa demande d’indemnité pour travail dissimulé et la société Europe News de sa demande reconventionnelle ;
Statuant à nouveau ;
CONDAMNE la société Europe News à payer à Monsieur [C] [Z] les sommes suivantes :
– indemnité conventionnelle de licenciement : 179 244,48 € ;
– indemnité compensatrice de préavis : 9 510 € ;
– congés payés afférents : 951 € ;
– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 35 000 € ;
– dommages et intérêts pour circonstances vexatoires de la rupture : 5 000 € ;
– rappel de salaire pour heures supplémentaires : 50 000 € ;
– congés payés afférents : 5 000 € ;
– indemnité pour frais de procédure : 3 500 € ;
DIT que les condamnations au paiement, de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages et intérêts, de l’indemnité pour travail dissimulé et de l’indemnité pour frais de procédure porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et que les autres condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2021.
ORDONNE la remise d’un bulletin de salaire rectificatif, ainsi que d’un certificat de travail et d’une attestation destinée à France Travail, conformes aux dispositions du présent arrêt, dans un délai de 30 jours à compter de sa signification ;
DÉBOUTE la société Europe News de ses demandes reconventionnelles ;
ORDONNE le remboursement par la société Europe News des indemnités de chômage éventuellement versées à Monsieur [C] [Z] dans la limite de six mois d’indemnités ;
RAPPELLE qu’une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à France Travail ;
DÉBOUTE Monsieur [C] [Z] du surplus de ses demandes ;
DÉBOUTE la société Europe News de sa demande d’indemnité pour frais de procédure formée en cause d’appel ;
CONDAMNE la société Europe News aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT