Responsabilité d’un expert-comptable : les limites du référé

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Responsabilité d’un expert-comptable : les limites du référé

En la cause, il existe une première difficulté tenant à l’appréciation d’une faute commise par la société Varoise d’expertise comptable Sovaco, à savoir ne pas avoir effectué les déclarations de TVA intracommunautaire nécessaires et ne pas avoir averti la société [P] [K] de la nécessité de payer cet impôt sur les importations, au regard du contenu de la lettre de mission liant les parties, excluant les déclarations de TVA et alors que la société appelante avait de surcroît effectué elle-même ses formalités d’immatriculation en optant pour la franchise en base de TVA avant de se rapprocher de l’expert-comptable. De même, tout manquement au devoir de conseil d’un expert-comptable doit être regardé au regard des missions qui lui sont dévolues.

Il existe, par ailleurs, une difficulté tenant à l’existence du préjudice déploré par l’appelante et du lien de causalité entre la faute alléguée et ce préjudice en ce que la société [P] [K] réclame, à titre de provision, le montant de la somme qu’elle a dû finalement s’acquitter au titre de la TVA dont elle était redevable, alors que le paiement de l’impôt auquel une personne est légalement tenue et qu’elle aurait en tout état de cause dû régler ne revêt pas le caractère d’un préjudice indemnisable.

La complexité des points à trancher a pour conséquence que l’appréciation que portera la cour, statuant au fond, sur ces questions revêt un caractère aléatoire et incertain, ne permettant pas l’allocation d’une provision

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 septembre 2024
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG
22/03206
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

[Adresse 2]

[Localité 1]

Chambre 3-4

N° RG 22/03206 – N° Portalis DBVB-V-B7G-BI66Z

Ordonnance n° 2024/M182

S.A.S.U. [P] [K]

représentée et assistée de Me Thomas RAMON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, plaidant

Appelante

S.A.R.L. SOCIETE VAROISE D’EXPERTISE COMPTABLE (SOVECO)

représentée par Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON – KLEIN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, et assistée de Me Cassandra DIDIER, avocat au barreau de NIMES, plaidant

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

représentée par Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON – KLEIN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

S.A. MMA IARD

représentée par Me Philippe KLEIN de la SCP RIBON – KLEIN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

Intimées

ORDONNANCE D’INCIDENT

Du 5 septembre 2024

Nous, Laetitia VIGNON, conseiller de la mise en état de la Chambre 3-4 de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, assistée de Valérie VIOLET, greffier ;

Après débats à l’audience du 12 Juin 2024, ayant indiqué à cette occasion aux parties que l’incident était mis en délibéré, avons rendu le 5 septembre 2024, l’ordonnance suivante :

EXPOSE DE L’INCIDENT

Vu le jugement du tribunal de commerce de Fréjus en date du 21 février 2022 ayant notamment:

– débouté la SASU [P] [K] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– condamné la SASU [P] [K] à verser à la société Varoise d’expertise comptable Sovaco la somme de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– mis les entiers dépens à la charge de la SASU [P] [K] ;

Vu l’appel interjeté à l’encontre de ce jugement le 2 mars 2022 par la SASU [P] [K] ;

Vu les conclusions d’incident notifiées par RPVA le 26 janvier 2024 par la société [P] [K] aux fins de :

A titre provisionnelle :

– condamner solidairement la société Varoise d’expertise comptable Sovaco et ses assureurs MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD à payer à la société [P] [K] une provision d’un montant de 32.174 € au titre du préjudice résultant du redressement fiscal imputable à la SOVACO,

– condamner solidairement la société Varoise d’expertise comptable Sovaco et ses assureurs MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD à payer à la société [P] [K] une provision d’un montant de 10.000 € au titre du préjudice économique,

– condamner solidairement la société Varoise d’expertise comptable Sovaco et ses assureurs MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD à payer à la société [P] [K] une provision d’un montant de 773,89 € au titre des honoraires et frais exposés,

– débouter la société Varoise d’expertise comptable Sovaco et ses assureurs MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD de leurs demandes à l’encontre de la société [P] [K],

– condamner solidairement la société Varoise d’expertise comptable Sovaco et ses assureurs MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD à payer à la société [P] [K] une somme de 5.369,74 € à titre de provision sur le procès;

Vu les dernières conclusions d’incident notifiées par RPVA le 24 mai 2024 par la société [P] [K] maintenant l’intégralité de ses prétentions ;

Vu les conclusions d’incident en réponse de la société Varoise d’expertise comptable Sovaco et des sociétés d’assurance MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD aux fins de :

– débouter la SASU [P] [K] de toutes ses demandes, fins et conclusions formulées dans le cadre de l’incident, dirigées contre l’expert comptable qui n’a commis aucune faute, tenant à la lettre de mission signée, en l’absence de lien de causalité direct avec un préjudice qui n’est ni actuel, ni certain,

– condamner la SASU [P] [K] à payer à la société Varoise d’expertise comptable Sovaco et des sociétés d’assurance MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens;

MOTIFS

La SASU [P] [K], qui a pour activité l’exploitation d’un club de plongée, a effectué elle-mêmes ses formalités d’immatriculation en optant pour le régime de la franchise en base en matière de TVA et a contacté le cabinet Sovaco, expert-comptable pour la tenue de sa comptabilité, une lettre de mission ayant été alors établie.

Il est constant que la SASU [P] [K] a introduit la présente procédure recherchant la responsabilité du cabinet d’expertise comptable, lui reprochant de ne pas avoir effectué les déclarations de TVA intracommunautaire nécessaires, ni de l’avoir avertie de la nécessité de payer cet impôt sur les importations, à l’origine d’un redressement de l’administration fiscale à son encontre pour un montant de 32.174 €.

Elle sollicite dans le cadre du présent incident l’allocation d’une provision à hauteur de 32.174 €, outre un préjudice économique et une provision pour le procès, soutenant que l’obligation du cabinet Sovaco et ses assureurs est incontestable aux motifs que :

– l’expert comptable n’a pas respecté les obligations déclaratives issues de la lettre de mission, ni davantage les normes professionnelles qui s’imposent à lui et encore moins son obligation de conseil,

– ces manquements lui ont causé un préjudice financier issu du rehaussement d’imposition qui est imputable à la société Sovaco.

Les intimés ne partagent pas cette analyse et soutiennent que la demande de provision se heurte à des contestations sérieuses, que le tribunal de commerce a écarté la responsabilité du cabinet d’expertise comptable, que les déclarations de TVA ne faisaient pas partie des tâches et travaux qui lui étaient dévolues aux termes de la lettre de mission, que les conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’expert-comptable ne sont pas réunies, d’autant que le paiement de l’impôt auquel une personne est légalement tenue ne revêt pas le caractère d’un préjudice indemnisable.

Conformément à l’article 907 du code de procédure civile, à moins qu’il ne soit fait application de l’article 905, l’affaire est instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée dans les conditions prévues par les articles 780 à 807 et sous réserve des dispositions qui suivent.

L’article 789 du code de procédure civile dispose que lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent à l’exclusion de toute autre formation du tribunal pour (…)

2. Allouer une provision pour le procès,

3. Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable.

Il convient de rappeler que la mise en jeu de la responsabilité de l’expert-comptable suppose la démonstration d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice en lien direct avec cette faute.

Or, il existe une première difficulté tenant à l’appréciation d’une faute commise par la société Varoise d’expertise comptable Sovaco, à savoir ne pas avoir effectué les déclarations de TVA intracommunautaire nécessaires et ne pas avoir averti la société [P] [K] de la nécessité de payer cet impôt sur les importations, au regard du contenu de la lettre de mission liant les parties, excluant les déclarations de TVA et alors que la société appelante avait de surcroît effectué elle-même ses formalités d’immatriculation en optant pour la franchise en base de TVA avant de se rapprocher de l’expert-comptable. De même, tout manquement au devoir de conseil d’un expert-comptable doit être regardé au regard des missions qui lui sont dévolues.

Il existe, par ailleurs, une difficulté tenant à l’existence du préjudice déploré par l’appelante et du lien de causalité entre la faute alléguée et ce préjudice en ce que la société [P] [K] réclame, à titre de provision, le montant de la somme qu’elle a dû finalement s’acquitter au titre de la TVA dont elle était redevable, alors que le paiement de l’impôt auquel une personne est légalement tenue et qu’elle aurait en tout état de cause dû régler ne revêt pas le caractère d’un préjudice indemnisable.

La complexité des points à trancher a pour conséquence que l’appréciation que portera la cour, statuant au fond, sur ces questions revêt un caractère aléatoire et incertain, ne permettant pas l’allocation d’une provision au profit de la société [P] [K].

En l’état de l’existence d’une contestation sérieuse au sens de l’article 789 du code de procédure civile, les demandes présentées dans le cadre du présent incident seront rejetées, en ce compris la demande de provision pour procès, la SASU [P] [K] ayant seule interjeté appel du jugement entrepris, de sorte qu’il lui appartient de s’acquitter du timbre fiscal et des honoraires de son conseil.

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

Vu l’article 696 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS

Déboutons la société [P] [K] de ses demandes présentées dans le cadre du présent incident,

Condamnons la société [P] [K] à payer à la société Varoise d’expertise comptable Sovaco et des sociétés d’assurance MMA IARD Assurances Mutuelles et MMA IARD la somme de 800 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ,

Condamnons la société [P] [K] aux dépens du présent incident.

Le greffier Le conesiller de la mise en état

Copie délivrée aux avocats des parties ce jour.

Le greffier


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