Conditions de recevabilité et enjeux de la subrogation en matière d’assurance

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Conditions de recevabilité et enjeux de la subrogation en matière d’assurance

En 2011, la SARL SACVI a acquis un ensemble immobilier destiné à un centre de formation, avec des travaux réalisés par plusieurs entreprises, dont la société GUINTOLI pour le terrassement. Les travaux ont été réceptionnés en septembre 2012. La SARL SACVI a ensuite vendu l’immeuble à la SCI DES CENTRES DE FORMATION TRANSPORT LOGISTIQUE (SCI CFTI), qui a signalé des dommages sur l’enrobé de la piste de poids lourds en mars 2020. La société ALBINGIA, assureur de la SARL SACVI, a refusé la garantie après expertise.

La SCI CFTI a contesté ce refus en 2021, entraînant une réouverture de l’expertise. En novembre 2021, un nouveau sinistre a été déclaré en raison de l’aggravation des dommages, mais ALBINGIA a de nouveau refusé la garantie, invoquant l’accord de GUINTOLI pour des travaux de reprise.

En juillet 2022, la SCI CFTI a assigné ALBINGIA en référé pour obtenir une provision. ALBINGIA a ensuite assigné plusieurs entreprises, dont GUINTOLI et ARCHI 3, pour obtenir le remboursement des sommes qu’elle pourrait être amenée à verser à la SCI CFTI.

Des incidents de procédure ont eu lieu, avec des demandes de sursis à statuer et de jonction des affaires, impliquant plusieurs parties, dont ALPHA BTP et SMABTP. L’affaire est actuellement en délibéré, avec une audience prévue pour mai 2024 et une décision attendue en septembre 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

5 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Nanterre
RG
22/07514
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE

7ème Chambre

ORDONNANCE DE MISE EN ETAT

Rendue le 05 Septembre 2024

N° R.G. : 22/07514 – N° Portalis DB3R-W-B7G-XY3F

N° Minute :

AFFAIRE

S.A. ALBINGIA

C/

S.A.R.L. ARCHI 3A, Société GUINTOLI, Mutuelle SMABTP,Société [E] TECH-IMMO, S.A. QBE EUROPE SA/NV

Copies délivrées le :
Nous, Aurélie GRÈZES, Juge de la mise en état assistée de Florence GIRARDOT, Greffier ;

DEMANDERESSE

S.A. ALBINGIA
[Adresse 1]
[Localité 11]

représentée par Maître Emmanuelle BOCK de la SCP NABA ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0325

DEFENDERESSES

S.A.R.L. ARCHI 3A
[Adresse 9]
[Localité 5]

représentée par Me Isabelle CHARBONNIER, avocat postulant au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : Pn 355 et par la SELARL TOURNAIRE MEUNIER, avocat plaidant au barreau de CLERMONT-FERRAND

Société GUINTOLI
[Adresse 13]
[Localité 3]

représentée par Maître Jérôme BERTIN de la SELARL BERTIN & BERTIN AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : J126

Mutuelle SMABTP
[Adresse 8]
[Localité 7]

représentée par Maître Jérôme BERTIN de la SELARL BERTIN & BERTIN AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : J126

Société [E] TECH-IMMO
[Adresse 4]
[Localité 6]

représentée par Maître Claire JAGER de la SCP LC2J, avocat postulant au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : NAN752 et par la SCP REFFAY & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de LYON

S.A. QBE EUROPE SA/NV
[Adresse 2]
[Localité 10]

représentée par Maître Claire JAGER de la SCP LC2J, avocat postulant au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : NAN752 et par la SCP REFFAY & ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de LYON

ORDONNANCE

Par décision publique, rendue en premier ressort, contradictoire susceptible d’appel dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile, et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

Les avocats des parties ont été entendus en leurs explications, l’affaire a été ensuite mise en délibéré et renvoyée pour ordonnance.

Avons rendu la décision suivante :

EXPOSE DU LITIGE

En 2011, la SARL SACVI a acquis en l’état futur d’achèvement un ensemble immobilier à usage de centre de formation situé à [Adresse 12].

Dans le cadre de la réalisation de ces travaux, il a été confié à :

– la société ARCHI 3 et à la société 3A REALISATION, assurées auprès de QBE EUROPE, une mission de maîtrise d’œuvre,

– la société GUINTOLI, assurée, auprès de la SMABTP, le lot terrassement.

La SARL SACVI a souscrit une police DO et une police CNR après de la société ALBINGIA.
Les travaux ont été réceptionnés le 7 septembre 2012.

La SARL SACVI a vendu l’ensemble immobilier à la SCI DES CENTRES DE FORMATION TRANSPORT LOGISTIQUE (SCI CFTI), propriétaire actuel.

Cet immeuble est exploité par la SARL AFTRA.

Se plaignant de dommages affectant l’enrobé en zone piste de poids lourds, la SCI CFTI a déclaré auprès de la société ALBINGIA un sinistre le 9 mars 2020.

Après organisation d’une mesure d’expertise confiée à la société SARETEC, la société ALBINGIA a notifié un refus de garantie.

Le refus de garantie a fait l’objet d’une contestation par la SCI CFTI le 3 juillet 2021, contestation réitérée le 27 septembre 2021.

A la suite de cette contestation, la société ALBINGIA a réouvert les opérations d’expertise.

Le 27 novembre 2021, la SCI CFTI a déclaré un nouveau sinistre constitué par l’aggravation des dommages.

La société ALBINGIA a notifié un refus de garantie en raison de l’accord de la société GUINTOLI pour intervenir en reprise sur son ouvrage.

Par acte d’huissier du 13 juillet 2022, la SCI CFTI a fait assigner la société ALBINGIA, devant le juge des référés du tribunal judiciaire de NANTERRE, aux fins de condamnation provisionnelle au paiement de la somme de 20.270,92 euros.

Par acte d’huissier en date du 29 août 2022, la société ALBINGIA a fait assigner la société GUINTOLI et son assureur la SMABTP, la société ARCHI 3, la société 3A REALISATION et leur assureur QBE EUROPE, devant le tribunal judiciaire de NANTERRE, aux fins de les voir condamner à lui rembourser toute somme qui serait mise à sa charge pour le compte de la SCI CFTI en raison des dommages visés à l’assignation de cette dernière en référé-provision. L’affaire a été enregistrée sous le n°RG 22/07514.

Par acte d’huissier en date du 6 septembre 2022, la société ALBINGIA a fait assigner la société ALPHA BTP et son assureur la SMABTP, devant le tribunal judiciaire de NANTERRE, aux fins de les voir condamner à lui rembourser toute somme qui serait mise à sa charge pour le compte de la SCI CFTI en raison des dommages visés à l’assignation de cette dernière en référé-provision. L’affaire a été enregistrée sous le n°RG 22/07708.

*

Dans le RG 22/7514 :

Selon des conclusions d’incident signifiées par la voie électronique le 3 mars 2023, la société [E]TECH-IMMO, anciennement dénommée LICIUM, anciennement dénommée G5 CONSTRUCTION, anciennement dénommée 3A REALISATION, et la société QBE EUROPE SA/NV (venant aux droits de la société QBE INSURANCE EUROPE LIMITED), en qualité d’assureur de la société TECH-IMMO, demandent au juge de la mise en état, de :

– Surseoir à statuer dans l’attente d’une décision définitive du juge des référés, ayant force de chose jugée au provisoire, dans le cadre de l’instance principale opposant la société ALBINGIA à la SCI CENTRE DE FORMATION TRANSPORT LOGISTIQUE,

– Réserver les dépens.

*

Selon des conclusions d’incident signifiées par la voie électronique le 26 mai 2023, la société ARCHI 3A demande au juge de la mise en état, de :

– Déclarer irrecevable la demande formée par la société ALBINGIA,

Subsidiairement, statuer ce que de droit sur la demande formée par la société TECH-IMMO,
– Condamner la société ALBINGIA aux dépens de l’incident.

*

Selon des conclusions d’incident signifiées par la voie électronique le 7 juin 2023, la société ALBINGIA demande au juge de la mise en état, de :

– Juger la Compagnie ALBINGIA recevable en ses demandes,

– Prononcer la jonction de la procédure RG 22/07708 avec la procédure RG 22/07514,

– Prononcer le sursis à statuer dans l’attente d’une décision définitive dans le cadre de l’instance opposant la SCI CFTL à la Compagnie ALBINGIA,

– Débouter la SARL ARCHI 3 A de ses demandes d’irrecevabilité formulées à l’encontre de la Compagnie ALBINGIA,

– Débouter la société ETECH-IMMO, QBE EUROPE SA/NV et ARCHIA 3 A de leurs demandes au titre des frais irrépétibles,

– Réserver les dépens.

*

Selon des conclusions d’incident signifiées par la voie électronique le 6 juin 2023, la SMABTP et la société GUINTOLI demandent au juge de la mise en état, de :

– Statuer ce que de droit sur la demande de sursis à statuer formulée par la société E TECH IMMO et son assureur QBE EUROPE,

– Condamner la SA ALBINGIA aux entiers dépens.

*

Dans le RG 22/07708 :

Selon des conclusions d’incident signifiées par la voie électronique le 12 octobre 2023, la SAS ALPHA BTP NORD et la SMABTP demandent au juge de la mise en état, de :

– Prononcer la jonction des deux procédures au fond initiées par la société ALBINGIA enrôlées sous les RG n°22/07708 et RG n°22/07514,

– Surseoir à statuer dans l’attente d’une décision rendue par la juridiction des référés dans le cadre du litige opposant la SCI Centre de Formation Transport Logistique à la société ALBINGIA en sa qualité d’assureur Dommages-Ouvrage et CNR,

– Réserver les dépens.

L’incident a été plaidé à l’audience du 6 mai 2024 et mis en délibéré au 5 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur la fin de non-recevoir

Aux termes de l’article 789 du Code de procédure civile dans sa version issue du décret n°2024-673 du 3 juillet 2024, entré en vigueur le 01/09/2024 et applicable aux instances en cours,  » Le juge de la mise en état est, à compter de sa désignation et jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :

1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l’article 47 et les incidents mettant fin à l’instance ;

2° Allouer une provision pour le procès ;

3° Accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Le juge de la mise en état peut subordonner l’exécution de sa décision à la constitution d’une garantie dans les conditions prévues aux articles 514-5,517 et 518 à 522 ;

4° Ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées ;

5° Ordonner, même d’office, toute mesure d’instruction ;

6° Statuer sur les fins de non-recevoir.

Par dérogation au premier alinéa, s’il estime que la complexité du moyen soulevé ou l’état d’avancement de l’instruction le justifie, le juge de la mise en état peut décider que la fin de non-recevoir sera examinée à l’issue de l’instruction par la formation de jugement appelée à statuer sur le fond.

Dans le cas visé au précédent alinéa, la décision du juge de la mise en état, qui constitue une mesure d’administration judiciaire, est prise par mention au dossier. Avis en est donné aux avocats. Les parties sont alors tenues de reprendre la fin de non-recevoir dans les conclusions adressées à la formation de jugement.  »

L’irrecevabilité est une fin de non-recevoir qui sanctionne, sans examen au fond, un défaut de droit d’agir tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée conformément à l’article 122 du code de procédure civile.

En l’espèce, la société ARCHI 3A soutient que la société ALBINGIA est dépourvue de qualité à agir dès lors que l’on ne sait pas si elle a indemnisé ou non le maître de l’ouvrage, ce qui est une condition de recevabilité de son action subrogatoire.

La société ALBINGIA fait valoir que la recevabilité de l’action en garantie et de l’action subrogatoire de l’assureur dommages-ouvrage n’est pas subordonnée au paiement préalable de l’indemnité d’assurance à l’assuré.

En application de l’article L.121-12 relatif à la subrogation spéciale, le recours subrogatoire n’est valablement exercé que si l’assureur a versé l’indemnité d’assurance au bénéfice de l’assuré.

Néanmoins, il est désormais admis qu’est recevable l’action engagée par un assureur avant l’expiration du délai de forclusion décennale, contre les responsables du dommage dont il doit sa garantie, bien qu’il n’ait pas eu au moment de la délivrance de son assignation, la qualité de subrogé de son assuré, faute de l’avoir indemnisé, dès lors qu’il a payé l’indemnité due à celui-ci avant que le juge du fond ait statué sur cette action.

Le principe d’une subrogation in futurum, conditionnée au paiement ultérieur de l’indemnité d’assurance, est par conséquent admis.

En l’espèce, il n’est pas contestable que la société CFTL a initié, le 13 juillet 2022, une procédure de référé-provision à l’encontre de la société ALBINGIA.

La société ALBINGIA, qui a vocation à préfinancer le paiement des travaux de reprise, a un intérêt légitime à préserver ses recours à l’encontre des constructeurs avant l’expiration de la forclusion décennale au 7 septembre 2022.

Il appartiendra au juge du fond de statuer sur l’action subrogatoire et notamment de vérifier la réalisation de la condition. À cet égard, la compétence du juge de la mise en état pour statuer sur les fins de non-recevoir, qui n’est d’ailleurs plus exclusive depuis le décret n°2024-673 du 3 juillet 2024, entré en vigueur le 01/09/2024 et applicable aux instances en cours, n’a pas rendu cette jurisprudence obsolète.

Il en résulte que la société ALBINGIA justifie pleinement de son intérêt à agir afin de préserver ses recours en garantie et subrogatoire.

Il convient en conséquence de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la société ARCHI 3A.

2. Sur la demande de jonction

La société ALBINGIA sollicite la jonction entre les RG 22/07708 et 22/07514.

Cependant, il ressort des bulletins de procédure que toutes les parties n’ont pas eu la dénonciation des actes de procédure relatifs à l’instance enregistrée sous le RG 22/07708.

La jonction ne peut dès lors d’ores et déjà être ordonnée.
3. Sur la demande de sursis à statuer

Les parties s’accordent sur un sursis statuer dans l’attente d’une décision définitive dans le cadre de l’instance opposant la SCI CFTL à la compagnie ALBINGIA.

Il convient cependant de trancher l’incident sur la jonction avant de statuer sur un sursis à statuer.

4. Sur les autres demandes

Les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état,

Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, susceptible d’appel dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile,

REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la société ARCHI 3A ;

RESERVE à l’examen du litige au fond les demandes des parties au titre des dépens ;

RENVOIE à l’audience de mise en état du 4 novembre 2024 pour jonction éventuelle entre les RG 22/07708 et 22/07514 et sursis à statuer et retrait du rôle, sauf opposition des parties, (Merci à la société ALBINGIA de bien vouloir dénoncer la procédure RG 22/07708 à l’ensemble des parties du RG 22/07514).

signée par Aurélie GRÈZES, Vice-Présidente, chargée de la mise en état, et par Florence GIRARDOT, Greffier présent lors du prononcé.

LE GREFFIER

LE JUGE DE LA MISE EN ETAT


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