Téléphone du salarié avec application GPS : une atteinte à la vie privée ?

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Téléphone du salarié avec application GPS : une atteinte à la vie privée ?
Ce point juridique est utile ?

Faute de rapporter la preuve que le téléphone fourni lors de son embauche était déjà affecté de l’application imposant la géolocalisation et la réception des SMS, alors qu’il a refusé d’utiliser un nouveau téléphone, le salarié ne peut invoquer une quelconque violation de sa vie privée.

Selon l’article L. 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

L’utilisation d’un dispositif de géolocalisation est susceptible de porter atteinte à la liberté d’aller et de venir et à la vie privée des salariés concernés dans la mesure où il permet de connaître avec précision les itinéraires des conducteurs des véhicules. Il s’agit d’un traitement de données nominatives.

Lors de la conclusion du contrat de travail, tout traitement automatisé d’informations nominatives ne devait plus faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL, cette obligation ayant été supprimée par le règlement européen du 27 avril 2016 sur le traitement des données personnelles (RGPD) a disparu le 24 mai 2018.

L’employeur ne justifie pas avoir informé le salarié de la mise en oeuvre de la géolocalisation au sein de l’entreprise ainsi que l’y oblige l’article L 1222-4 u code du travail. Quand bien même cette possibilité n’avait pas été mise en place délibérément, il n’en demeure pas moins que l’incompatibilité de la nouvelle version d’Androïd et de l’application avait pour résultat l’impossibilité pour le salarié de désactiver l’application permettant la géolocalisation, ce que l’employeur n’ignorait pas comme le confirme les échanges de courriels de la directrice des ressources humaines et du service informatique.

M. [N], né le 15 juillet 1974, a été embauché par la société Decoceram en tant que chef d’agence le 4 février 2019. Le 25 septembre 2020, il a signalé à son employeur qu’un système de géolocalisation était activé sur son téléphone professionnel. Une rupture conventionnelle de son contrat de travail a été signée le 16 décembre 2020, et le contrat a été rompu le 26 janvier 2021. Estimant que ses droits n’avaient pas été respectés, M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes d’Abbeville le 11 mai 2021.

Le jugement du 28 novembre 2022 a déclaré la demande de M. [N] irrecevable, affirmant qu’il n’y avait pas eu de violation de sa vie privée, et a débouté les deux parties de leurs demandes respectives. M. [N] a fait appel, demandant des dommages et intérêts pour violation de la vie privée, tandis que la société Decoceram, désormais représentée par BMRA, a demandé la confirmation du jugement initial et a formulé un appel incident.

M. [N] soutient que l’employeur a installé un système de géolocalisation sur son téléphone sans l’en informer, ce qui constitue une atteinte à sa vie privée. La société, de son côté, argue que le système était destiné à retrouver des téléphones perdus et que M. [N] avait été informé de son existence.

La cour a examiné les arguments des deux parties, concluant que M. [N] n’a pas prouvé que la géolocalisation avait été activée sans son consentement et a confirmé le jugement initial, déboutant M. [N] de ses demandes. En outre, M. [N] a été condamné à payer des frais de justice à la société.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

11 juin 2024
Cour d’appel d’Amiens
RG n°
23/00288
ARRET

[N]

C/

S.A.S. LA SOCIÉTÉ BMRA

copie exécutoire

le 11 juin 2024

à

Me Bonnard-Plancke

Me Nisol

CB/MR/BG

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 11 JUIN 2024

*************************************************************

N° RG 23/00288 – N° Portalis DBV4-V-B7H-IUYP

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE D’ABBEVILLE DU 28 NOVEMBRE 2022 (référence dossier N° RG F 21/00038)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANT

Monsieur [G] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté et concluant par Me Laetitia BONNARD PLANCKE, avocat au barreau de BOULOGNE-SUR-MER substituée par Me Elodie KAESER, avocat au barreau D’AMIENS

ET :

INTIMEE

S.A.S. LA SOCIÉTÉ BMRA VENANT AUX DROITS DE LA SOCIÉTÉ DECOCERAM agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée et concluant par Me Pierre-Luc NISOL de la SELARL ACO, avocat au barreau de VIENNE substitué par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LX AMIENS-DOUAI, avocat au barreau D’AMIENS

DEBATS :

A l’audience publique du 11 avril 2024, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 805 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.

Madame Corinne BOULOGNE indique que l’arrêt sera prononcé le 11 juin 2024 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 11 juin 2024, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Blanche THARAUD, Greffière.

*

* *

DECISION :

M. [N], né le 15 juillet 1974, a été embauché à compter du 4 février 2019 dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée par la société Decoceram, ci-après dénommée, en qualité de chef d’agence.

La convention collective applicable est celle du négoce de matériaux de construction.

Le 25 septembre 2020, M. [N] s’est plaint auprès de la société Decoceram qu’un système de géolocalisation était activé sur son téléphone portable professionnel.

Une rupture conventionnelle du contrat de travail a été signée le 16 décembre 2020.

Le contrat de travail a été rompu le 26 janvier 2021.

Ne s’estimant pas rempli de ses droits au titre de l’exécution de son contrat de travail, M. [N] a saisi le conseil de prud’hommes d’Abbeville le 11 mai 2021.

Par jugement du 28 novembre 2022, le conseil a :

dit et jugé que la demande de M. [N] n’était pas recevable en l’état et qu’il n’y avait pas eu de violation de sa vie privée ;

débouté M. [N] de toutes ses demandes ;

débouté la société Decoceram de sa demande reconventionnelle ;

dit que chaque partie conservait la charge de ses propres dépens.

M. [N], qui est régulièrement appelant, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 3 octobre 2023, demande à la cour de :

réformer entièrement le jugement.

Statuant à nouveau,

condamner l’employeur au paiement des sommes suivantes :

– 15 000 euros au titre des dommages et intérêts pour violation de la vie privée ;

– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

La société BMRA, venant aux droits de la société Decoceram, par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 8 juin 2023, demande à la cour de :

confirmer le jugement en ce qu’il a :

– dit et jugé que M. [N] n’avait subi aucune violation de sa vie privée ;

– débouté M. [N] de sa demande de dommages et intérêts au titre de violation de la vie privée ;

– débouter M. [N] de sa demande indemnitaire au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

faire droit à son appel incident ;

infirmer le jugement en ce qu’il :

– l’a déboutée de sa demande de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

En conséquence,

débouter M. [N] de l’intégralité de ses demandes ;

condamner M. [N] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 29 novembre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoirie du 11 avril 2024.

MOTIFS

Sur la violation de la vie privée

M. [N] sollicite de la cour la condamnation de la société à lui verser des dommages et intérêts arguant de la violation de la vie privée car l’employeur lui avait remis un téléphone portable permettant la géolocalisation impossible à désactiver, mais aussi permettant l’accès aux SMS, photos, stockage et journal d’appel ; que malgré sa demande l’employeur a maintenu ce système alors qu’il n’avait pas été informé au préalable de l’installation de ce système de traçage.

Il ajoute avoir du déposer une plainte pour faux et usage suite à la communication de la pièce 5 qui a été modifiée, qu’il a rendu ses 2 téléphones le 23 décembre 2020, qu’il est surprenant qu’il ait été placé en chômage partiel les weeks-ends de mai 2020 et pour garde d’enfants mineurs alors qu’il n’en a pas, que ce n’est que suite à son départ que l’employeur a émis une nouvelle charte avec nécessité pour utiliser le téléphone que le salarié de l’accepter par signature électronique des conditions d’utilisation.

La société s’oppose à la demande rétorquant que lors de la remise du nouveau téléphone avec application mobileiron, elle a fourni aux salariés le mode d’emploi de l’application si bien que M. [N] était informé de l’existence de l’application, que le système de géolocalisation ne visait nullement à contrôler le travail des collaborateurs mais à être en capacité de retrouver un téléphone perdu ou volé suite à la délivrance d’un ticket ouvert auprès du service informatique, qu’il n’a été produit ni la plainte invoquée ni les suites de cette plainte, que la pièce 5 correspond à un mail de M. [T] directeur région informatique en réponse à celui de M. [N] le 25 septembre 2025 alors que M. [T] avait transféré celui du salarié à la directrice des ressources humaines.

Elle précise avoir découvert la difficulté technique d’incompatibilité entre la nouvelle version d’androïd et l’application qui ne permettait pas de désactiver la géolocalisation, qu’elle avait accepté que le salarié continue d’utiliser son ancien téléphone portable professionnel si bien qu’il ne peut y avoir eu de violation de sa vie privée alors qu’il a restitué ses deux téléphones le 22 décembre 2020 et n’aurait pas subi de préjudice pour la période postérieure ; que la procédure pour obtenir la géolocalisation est strictement encadrée et n’a pas été mise en place pour collecter les données personnelles de M. [N].

Sur ce

Selon l’article L. 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

L’utilisation d’un dispositif de géolocalisation est susceptible de porter atteinte à la liberté d’aller et de venir et à la vie privée des salariés concernés dans la mesure où il permet de connaître avec précision les itinéraires des conducteurs des véhicules. Il s’agit d’un traitement de données nominatives.

Lors de la conclusion du contrat de travail, tout traitement automatisé d’informations nominatives ne devait plus faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL, cette obligation ayant été supprimée par le règlement européen du 27 avril 2016 sur le traitement des données personnelles (RGPD) a disparu le 24 mai 2018.

L’employeur ne justifie pas avoir informé le salarié de la mise en oeuvre de la géolocalisation au sein de l’entreprise ainsi que l’y oblige l’article L 1222-4 u code du travail. Quand bien même cette possibilité n’avait pas été mise en place délibérément, il n’en demeure pas moins que l’incompatibilité de la nouvelle version d’Androïd et de l’application avait pour résultat l’impossibilité pour le salarié de désactiver l’application permettant la géolocalisation, ce que l’employeur n’ignorait pas comme le confirme les échanges de courriels de la directrice des ressources humaines et du service informatique.

M. [N] a déposé une plainte le 7 janvier 2021 faisant état d’un système de géolocalisation sur son téléphone professionnel donné lors de l’embauche en févier 2019 découvert lors s’une mise à jour en janvier 2020, cette application permettant en outre à l’employeur de surveiller ou supprimer les messages envoyés sur l’appareil sans que son détenteur n’en ait connaissance. Il ajoute qu’en juillet 2020 il a reçu un nouveau portable ayant la surprise de constater à nouveau la présence de l’application sans qu’il en soit plus informé et qu’à ce moment il s’en est plaint.

Le salarié produit aux débats la copie d’un écran de téléphone sans justifier duquel il s’agit qui indique ‘permet à l’application de recevoir et traiter les SMS. Cette application lui donne l’autorisation de surveiller ou supprimer les messages envoyés sans vous les montrer’.  Cette pièce dont on ne peut affirmer avec certitude qu’elle montrerait l’équipement fourni par la société, ne permet pas en tout état de cause de dater l’information alors que si le salarié prétend que le problème serait apparu dés la remise du téléphone en 2019, il ne justifie d’une réclamation auprès de l’employeur qu’en septembre 2020 suite à la remise d’un second téléphone.

La cour relève que M. [N], qui s’était ému de ne pouvoir désactiver l’application et d’empêcher la géolocalisation, a refusé d’utiliser le nouveau téléphone fourni le 25 septembre 2020 et a continué d’utiliser l’ancien ainsi que l’affirme l’employeur, cette affirmation étant confortée par le courriel du salarié du 25 septembre 2020 qui écrit « je te le renverrai ».

Faute de rapporter la preuve que le premier téléphone fourni lors de l’embauche était déjà affecté de l’application imposant la géolocalisation et la réception des SMS, alors qu’il a refusé d’utiliser le second téléphone, le salarié ne peut invoquer une quelconque violation de la vie privée.

La cour, par confirmation du jugement déboutera M. [N] de ses demandes.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les dispositions de première instance seront infirmées sur les dépens et les dispositions au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Succombant en cause d’appel, M. [N] sera condamné aux dépens de l’ensemble de la procédure et application de l’article 700 du code de procédure civile à payer à la société une somme que l’équité commande de fixer à 500 euros pour l’ensemble de la procédure.

Partie perdante, il sera débouté de sa demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort mis à disposition du greffe

Confirme le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Abbeville le 28 novembre 2022 sauf sur les dépens et les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile

Statuant à nouveau et y ajoutant

Condamne M. [G] [N] à payer à la SAS Decoceram la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure ;

Déboute M. [G] [N] de sa demande sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [G] [N] aux dépens pour l’ensemble de la procédure.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.


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