Responsabilité des experts-comptables dans la valorisation des parts sociales

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Responsabilité des experts-comptables dans la valorisation des parts sociales

L’affaire concerne la cession de parts sociales de la société HGH à la SAS FMG, avec un prix de vente déterminé sur la base des capitaux propres des sociétés HGH et SMR. Suite à une erreur comptable liée à un mauvais paramétrage de la caisse de la société SMR, les capitaux propres ont été révisés à la baisse, entraînant une diminution du prix de vente des actions. Les cédants ont saisi le tribunal de commerce pour obtenir réparation de leur préjudice, mais le jugement a débouté leur demande, estimant qu’ils n’avaient pas démontré avoir subi un préjudice ni établi un lien de causalité avec la faute des sociétés Ledonia Expertise et GBH. Les cédants ont interjeté appel, demandant la réformation du jugement et une indemnisation pour leur préjudice financier et moral. Les sociétés Ledonia Expertise et GBH ont également interjeté appel incident, contestant leur responsabilité et le préjudice allégué. L’affaire a été mise en délibéré pour une décision ultérieure.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 août 2024
Cour d’appel de Besançon
RG
23/01207
Le copies exécutoires et conformes délivrées à

CS/FA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Minute n°

N° de rôle : N° RG 23/01207 – N° Portalis DBVG-V-B7H-EVGG

COUR D’APPEL DE BESANÇON

1ère chambre civile et commerciale

ARRÊT DU 13 AOUT 2024

Décision déférée à la Cour : jugement du 04 septembre 2020 – RG N°2019J36 – TRIBUNAL DE COMMERCE DE LONS-LE-SAUNIER

Code affaire : 50B – Demande en paiement du prix ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix

COMPOSITION DE LA COUR :

M. Michel WACHTER, Président de chambre.

M. Cédric SAUNIER et Madame Bénédicte MANTEAUX, Conseillers.

Greffier : Mme Leila ZAIT, Greffier, lors des débats et Mme Fabienne ARNOUX lors du prononcé de la décision.

DEBATS :

L’affaire a été examinée en audience publique du 21 mai 2024 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, M. Cédric SAUNIER et Madame Bénédicte MANTEAUX, conseillers et assistés de Mme Leila ZAIT, greffier.

Le rapport oral de l’affaire a été fait à l’audience avant les plaidoiries

L’affaire oppose :

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTS

Madame [V] [U] épouse [T]

Venant aux droits de feu [R] [T], décédé le 11.10.21

née le 18 mars 1953 à [Localité 7] (Italie)

demeurant [Adresse 3]

Représentée par Me Franck BOUVERESSE, avocat au barreau de BESANCON

Monsieur [J] [S]

né le 24 septembre 1974 à [Localité 9]

demeurant [Adresse 4]

Représenté par Me Franck BOUVERESSE, avocat au barreau de BESANCON

Madame [H] [T]

Venant aux droits de feu [R] [T], décédé le 11.10.21

née le 14 août 1982 à [Localité 6]

demeurant [Adresse 1]

Représentée par Me Franck BOUVERESSE, avocat au barreau de BESANCON

ET :

INTIMÉES

S.A.R.L. GBH

Sise [Adresse 5]

Inscrite au RCS de Bourg-en-Bresse sous le numéro 520 245 051

Représentée par Me Ludovic PAUTHIER de la SCP DUMONT – PAUTHIER, avocat au barreau de BESANCON, avocat postulant

Représentée par Me Frédéric NICOLETTI, avocat au barreau de l’AIN, avocat plaidant

S.A.S. LEDONIA EXPERTISE

Sise [Adresse 2]

Inscrite au RCS de Lons le Saunier sous le numéro B 439 298 498

Représentée par Me Jean-Marie LETONDOR de la SCP LETONDOR – GOY LETONDOR – MAIROT, avocat au barreau de JURA, avocat postulant

Représentée par le cabinet COTESSAT-BUISSON, avocat au barreau de MACON, avocat plaidant

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.

*************

Faits, procédure et prétentions des parties

La SARL HGH, devenue la SAS HGH par délibération des associés du 21 avril 2016 est une société holding dont les actionnaires étaient M. [R] [T] et Mme [V] [U] épouse [T] jusqu’au 22 mars 2016, date à laquelle ils ont fait donation d’une partie de leurs titres à Mme [H] [T] et M. [J] [S], la société dénombrant alors quatre actionnaires.

La société HGH détient 100 % du capital de la SARL SMR, située à [Localité 8] (71) et gérée par M. [R] [T], dont l’activité consiste en l’exploitation d’un supermarché sous l’enseigne Super U.

M. [R] [T] a confié à la SARL Socogest, devenue la SAS Ledonia Expertise, une mission de présentation des comptes annuels des sociétés HGH et SMR par lettre de mission du 23 mai 2006, confirmée par lettre de mission du 11 juin 2012.

La SARL GBH a par ailleurs pris ses fonctions de commissaire aux comptes de la société SMR à compter de l’exercice clos le 31 janvier 2014.

Le 02 mars 2016, M. [T] et Mme [U] ont signé avec M. [E] [O] et Mme [X] [O] un protocole d’accord portant sur l’acquisition par ces derniers de 2 500 parts représentant 100 % du capital social de la société HGH au prix de 1 800 000 euros, déterminé expressément sur la base des capitaux propres des sociétés HGH et SMR, respectivement au 31 décembre 2014 et 31 janvier 2015.

Une clause de variation du prix est intégrée à l’acte, aux termes de laquelle celui-ci sera ‘diminué ou augmenté euro pour euro, de l’écart positif ou négatif constaté entre le montant des capitaux propres des sociétés HGH au 31 décembre 2014 et SMR au 31 janvier 2015 et celui des capitaux propres des sociétés HGH et SMR au 30 avril 2016.

Après substitution d’acquéreur, il est constant entre les parties que la cession définitive des titres de la société HGH au profit de la SAS FMG est intervenue le 02 mai 2016 avec date d’effet au 30 avril 2016.

La société Ledonia Expertise a procédé à l’arrêté définitif des comptes des sociétés HGH et SMR au 30 avril 2016, après prorogation de la durée de l’exercice comptable.

Ces derniers ont été transmis au commissaire aux comptes qui a identifié un défaut de comptabilisation de la charge exceptionnelle d’un montant de 316 000 euros liée à une régularisation sur exercices antérieurs.

La baisse corrélative des capitaux propres a entraîné une révision à la baisse du prix de vente fixé provisoirement, en application de la clause de variation intégrée au compromis de cession.

Le 19 décembre 2016, un acte constatant l’arrêté définitif de cession des parts sociales de la société HGH a été signé par les parties, avec fixation du prix définitif à la somme de 1 542 900,08 euros, soit une différence négative de 257 099,92 euros avec le prix provisoire.

Par ordonnance rendue le 09 octobre 2017, le juge des référés du tribunal de commerce de Lons le Saunier, saisi à cette fin par les cédants selon assignations délivrées le 25 juin précédent à l’encontre des sociétés Ledonia Expertise et GBH, a ordonné une expertise comptable confiée à M. [M] [Z], d’abord au contradictoire de la société Ledonia Expertise puis selon ordonnance du 13 juillet 2018 à celui de la société GBH. L’expert a rendu son rapport le 06 février 2019.

Par assignations délivrées le 08 avril 2019, M. [T], Mme [U], Mme [T] et M. [S] ont fait citer les sociétés Ledonia Expertise et GBH devant le tribunal de commerce de Lons le Saunier aux fins de les voir condamner à les indemniser de leur préjudice lié à la dépréciation du prix de vente des actions.

En première instance, la société GBH soulevait à titre principal l’irrecevabilité de l’action en raison de la prescription au visa de l’article L. 822-18 du code de commerce et subsidiairement le rejet des demandes formées à son encontre en raison :

– du défaut de preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux ;

– à défaut, de la faute exonératoire de sa responsabilité consistant en un défaut de paramétrage de la caisse incombant à la société SMR ;

– à défaut, de la nécessaire limitation du préjudice allégué au montant de la révision à la baisse du prix de cession des actions intervenue, soit 257 100 euros, après déduction du montant des impôts et prélèvements sociaux générés par les plus-values réalisées, avec rejet de la demande de condamnation solidaire des sociétés Ledonia Expertise et GBH.

La société Ledonia Expertise concluait en première instance :

– au rejet des demandes indemnitaires, à titre principal en raison du défaut de preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité et subsidiairement en raison de la faute exonératoire commise par M. [T] ;

– infiniment subsidiairement, à la limitation du préjudice des demandeurs à la somme de 179 970 euros.

Par jugement rendu le 04 septembre 2020, le tribunal de commerce de Lons le Saunier a, au visa des articles 1240 et suivants du code civil ainsi que des articles L. 822-18 et L. 225-254 du code de commerce :

– ‘dit et jugé ‘que l’action diligentée par ‘les consorts [T]’ est recevable et n’est pas prescrite en application de l’article L. 822-18 du code de commerce ;

– ‘dit et jugé’ que l’erreur comptable reprochée trouve son origine dans un mauvais paramétrage de la caisse dont la responsabilité incombe à la société SMR ;

– ‘dit et jugé’ que les sociétés Ledonia Expertise et GBH ‘sont solidaires’ dans le traitement inexact de la régularisation de l’erreur liée au mauvais paramétrage de la caisse dans le bilan du 31 janvier 2015 de la société SMR ;

– ‘dit et jugé’ que l’erreur de paramétrage n’exonère pas la société Ledonia Expertise de sa responsabilité ;

– ‘dit et jugé’ la société Ledonia Expertise responsable de la non détection de ce mauvais paramétrage datant de l’année 2004 ;

– ‘dit et jugé’ que les sociétés Ledonia Expertise et GBH sont fautives et responsables solidairement dans le traitement inexact de la régularisation du compte caisse dans le bilan de la société SMR au 31 janvier 2015 ;

– ‘dit et jugé’ que les sociétés Ledonia Expertise et GBH sont ‘pleinement liées’ dans la régularisation, exacte, due au mauvais paramétrage du compte caisse dans l’arrêté des comptes au 30 avril 2016 de la société SMR ;

– ‘dit et jugé’ que ‘les consorts [T]’ n’ont pas démontré avoir subi un préjudice ;

– ‘dit et jugé’ que ‘les consorts [T]’ ne rapportent pas la preuve d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice direct en résultant pour les sociétés Ledonia Expertise et GBH ;

– débouté ‘les consorts [T]’ de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

En conséquence,

– condamné in solidum ‘les époux [T]’, M. [S] et Mme [T] à payer à la société Ledonia Expertise la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles, outre les entiers dépens ;

– condamné in solidum ‘les époux [T]’, M. [S] et Mme [T] à payer à la société GBH la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles, outre les entiers dépens comprenant les frais de la procédure de référé et de l’expertise ;

– rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires.

Pour parvenir à cette décision, le tribunal de commerce de Lons le Saunier a retenu :

Sur la prescription de l’action engagée à l’encontre du commissaire aux comptes :

– que les faits dommageables sont apparus le 28 juillet 2016 lors de l’enregistrement des rectifications ;

– que la première assignation mettant en cause la responsabilité de la société GBH a été délivrée le 28 juillet 2017 ;

– que la faute commise par le commissaire aux comptes a été révélée par le rapport de l’expert judiciaire du 09 janvier 2019 ;

– que la société GBH a été assignée au fond devant le tribunal le 09 avril 2019, de sorte que le délai de prescription de trois ans n’est pas expiré ‘quel que soit ces dates’ ;

Sur la solidarité entre les sociétés GBH et Ledonia Expertise :

– que le commissaire aux comptes a fait la même analyse du relevé ‘Système U Centrale’ que l’expert-comptable, de sorte qu’ils ont commis la même erreur d’interprétation ;

– que l’expert-comptable et le commissaire aux comptes ‘sont liés in solidum par l’erreur’, l’un par la passation de l’écriture et l’autre par la certification sans réserve des comptes ;

Sur la responsabilité du commissaire aux comptes et de l’expert-comptable :

– concernant la faute :

. que l’erreur comptable a pour origine le non-respect par la société SMR des préconisations d’organisation comptable émises par ‘Système U’ ;

. que l’expert-comptable établit les comptes de la société SMR depuis l’année 2006 sans avoir détecté cette anomalie, dont il résulte un compte caisse anormalement élevé et un compte fournisseur ‘Système U’ incohérent avec le compte de la société SMR tenu par la centrale ‘Système U’ ;

. que ladite anomalie n’a cependant été détectée par le commissaire aux comptes que lors de son audit des comptes au 31 janvier 2014 ;

. que si l’erreur de paramétrage date de 2004, soit antérieurement au mandat de l’expert-comptable, ce dernier aurait dû, dans le cadre de sa mission, détecter l’erreur conduisant à une présentation inexacte des comptes ;

. que l’expert-comptable et le commissaire aux comptes ont commis une faute lors de l’établissement des comptes au 31 janvier 2015 en rectifiant de manière inexacte l’erreur liée au paramétrage du compte caisse ;

– concernant le préjudice :

. que le prix provisoire de cession des sociétés HGH et SMR a été déterminé pour partie en fonction du bilan contenant une erreur d’écriture comptable pouvant réduire le résultat de la société SMR au 31 décembre 2014 et au 31 janvier 2015 ;

. que les rectifications comptables opérées ont conduit à une révision à la baisse à la hauteur de 265 170,34 euros de la valorisation des titres de la société SMR et à la hausse à hauteur de 8 070,42 euros de la valorisation des titres de la société HGH, soit une révision du prix global à la baisse de 257 099,92 euros actée par les parties ;

. que les cédants n’établissent pas que le prix provisoire de 1 800 000 euros aurait été le même si le bilan de la société SMR au 31 janvier 2015 avait intégré la rectification du compte caisse, tel qu’effectué dans les comptes arrêtés au 30 avril 2016 ;

. que la réduction du prix résulte de l’application des clauses du contrat, lequel permettait par ailleurs aux parties de ne pas finaliser la cession moyennant une indemnisation ;

– concernant le lien de causalité entre la faute et le préjudice :

. que l’expert-comptable et le commissaire aux comptes ont rectifié les comptes au 30 avril 2016 ;

. que l’erreur liée au paramétrage de caisse incorrect a été généré par le non-respect des procédures définies par ‘Système U’ par le gérant de la société SMR ;

. que le prix de vente définitif rectifié en conséquence a été accepté par les parties.

Par déclaration d’appel transmise le 14 octobre 2020, M. [T], Mme [U], M. [S] et Mme [T] ont interjeté appel du jugement susvisé et sollicitent sa ‘réformation’ sauf en ce qu’il a :

– ‘dit et jugé ‘que l’action diligentée par ‘les consorts [T]’ est recevable et n’est pas prescrite selon les dispositions de l’article L. 822-18 du code de commerce ;

– ‘dit et jugé’ que les sociétés Ledonia Expertise et GBH ‘sont solidaires’ dans le traitement inexact de la régularisation de l’erreur liée au mauvais paramétrage de la caisse dans le bilan du 31 janvier 2015 de la société SMR ;

– ‘dit et jugé’ que l’erreur de paramétrage n’éxonère pas la société Ledonia Expertise de sa responsabilité ;

– ‘dit et jugé’ responsable la société Ledonia Expertise de la non détection de ce mauvais paramétrage datant de 2004 ;

– ‘dit et jugé’ que les sociétés Ledonia Expertise et GBH sont fautives et responsables solidairement dans le traitement inexact de la régularisation du compte caisse dans le bilan de la société SMR au 31 janvier 2015 ;

– ‘dit et jugé’ que les sociétés Ledonia Expertise et GBH sont ‘pleinement liées’ dans la régularisation, exacte, due au mauvais paramétrage du compte caisse dans l’arrêté des comptes au 30 avril 2016 de la société SMR.

La cour d’appel a constaté, par un arrêt du 10 mai 2022, l’interruption de l’instance suite à la notification du décès de [R] [T] survenu le 11 octobre 2021. L’instance a été reprise suite à la transmission par les appelants de conclusions à cette fin le 21 août 2023.

Dans leurs dernières conclusions transmises le 21 août 2023, Mme [T], Mme [U] et M. [S] demandent à la cour, statuant à nouveau après infirmation et au visa des articles 1240 et suivants du code civil :

A titre principal,

– de dire et juger les sociétés Ledonia Expertise et GBH responsables de leur préjudice ;

– de fixer ledit préjudice à la somme de 263 373 euros ;

– de débouter les sociétés GBH et Ledonia Expertise de leurs demandes reconventionnelles ;

– de les condamner in solidum à payer :

. à Mme [U] et Mme [T], venant aux droits de [R] [T], la somme de 104 422, 127 euros ;

. à Mme [U], la somme de 104 422, 127 euros ;

. à Mme [T], la somme de 6 195, 53 euros ;

. à M. [S], la somme de 6 195,53 euros ;

– de les condamner en outre in solidum à payer :

. à Mme [U] et Mme [T], venant aux droits de [R] [T], la somme de 10 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral ;

. à Mme [U], la somme de 10 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral ;

. à Mme [T], la somme de 10 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral ;

. à M. [S], la somme de 10 000 euros au titre de la réparation du préjudice moral ;

A titre subsidiaire,

– de débouter les sociétés Ledonia Expertise et GBH de leur demande visant à limiter le montant du préjudice subi ;

En tout état de cause,

– de débouter les sociétés Ledonia Expertise et GBH de l’ensemble de leurs demandes ;

– de les condamner in solidum à leur payer à chacun la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et 5 000 euros en cause d’appel ainsi qu’aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise judiciaire.

Au soutien de leurs demandes, ils font valoir :

Sur la confirmation du jugement en ce qu’il a écarté le moyen tiré de la prescription :

– que le délai de prescription de l’action en responsabilité du commissaire aux comptes est de trois ans à compter de la révélation de la faute sur le fondement des articles L. 822-18 et L. 225 -254 du code de commerce ;

– que la faute du commissaire aux comptes a été révélée par le pré-rapport d’expertise du 09 janvier 2019, de sorte que le délai de prescription n’était pas expiré à la date d’introduction de l’instance au fond le 08 avril 2019 ;

– qu’en tout état de cause, l’imputation des délais effectuée par la société GBH dans ses conclusions est erronée car le rapport – comportant une erreur – du commissaire aux comptes sur les comptes au 31 janvier 2015 est daté du 10 juillet 2015, tandis que l’assignation de la société GBH aux fins de voir étendre les mesures d’expertise à son encontre a été délivrée le 04 juin 2018, soit moins de trois ans après la commission des faits ;

– que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription, de sorte qu’un nouveau délai de trois ans a commencé à courir à compter de la date de l’acte introductif.

Sur la confirmation du jugement concernant la responsabilité :

– que les rectifications s’élevaient à la somme de 346 316 euros, ce qui a entraîné une baisse des capitaux propres et un recalcul du prix de vente des parts sociales à la baisse ;

– que l’expert-comptable et le commissaire aux comptes ont commis une faute lors de l’établissement des comptes au 31 janvier 2015 en rectifiant de manière inexacte l’erreur liée au paramétrage du compte caisse, de sorte qu’ils sont responsables in solidum ;

– concernant l’expert-comptable :

. que la mission classique de présentation des comptes annuels induit, en raison de sa simplicité exclusive de tout aléa, une obligation de résultat ;

. que les dirigeants de la société étaient profanes en la matière ;

. qu’il aurait dû, dans le cadre de sa lettre de mission, détecter l’erreur de paramétrage du logiciel comptable utilisé par la société SMR conduisant à une appréciation inexacte du compte de caisse dans une proportion de 300 000 euros, soit une anomalie évidente par référence à un professionnel normalement diligent et compétent ;

. que la société Lédonia Expertise était tenue à une obligation générale de prudence et de diligence, étant précisé que dans le descriptif des missions lui étant confiées figure la révision de la comptabilité tenue informatiquement par la société SMR, une faute contractuelle commise à cet égard étant génératrice d’une faute délictuelle à leur égard ;

. qu’indépendamment de la faute procédant de la négligence comptable relative au mauvais paramétrage informatique de la caisse, la société Ledonia Expertise a, lors de l’établissement des comptes au 31 janvier 2015 et après avoir été alertée par le commissaire aux comptes, procédé à une correction inexacte alors que ces comptes ont fondé la fixation du prix de cession des parts sociales ;

. que finalement, il n’a été remédié à cette anomalie, à travers l’inscription d’une charge exceptionnelle d’un montant de 316 000 euros, qu’à l’occasion de l’établissement de la situation comptable au 31 janvier 2016, alors que cette charge exceptionnelle aurait dû être intégrée au bilan établi au 31 janvier 2015 intervenu avant la négociation du prix de vente ;

. que la société Lédonia Expertise a reconnu son erreur en se séparant de sa collaboratrice responsable du suivi du dossier de la société SMR après les faits ;

– concernant le commissaire aux comptes :

. que bien qu’ayant décelé l’erreur commise par l’expert comptable lors de l’audit des comptes arrêtés au 31 janvier 2014, la société GBH n’a pas vérifié l’année suivante qu’elle avait été correctement corrigée ;

. qu’elle n’a donc pas effectué les investigations inhérentes à sa mission, de sorte que sa responsabilité délictuelle est engagée à leur égard du fait de sa faute contractuelle ;

– que lorsqu’un même dommage a été causé par plusieurs personnes, chacun des coauteurs est obligé in solidum envers la victime ;

Sur leur préjudice :

– que lors des négociations relatives à la cession des parts sociales, compte tenu du fait que celle-ci devait intervenir plusieurs mois plus tard, les parties ont décidé de procéder à un réajustement de prix sur la base des capitaux propres ;

– que c’est pendant cette période transitoire que le cabinet d’expertise comptable a corrigé son erreur imputant aux capitaux propres une somme de 346 316 euros, de sorte que leur préjudice est réel car ils n’auraient pas accepté un prix de cession ainsi réduit ;

– que leur perte financière, liée uniquement à l’erreur comptable des intimées, doit être évaluée en déduisant les montants des impôts et prélèvements sociaux qu’ils auraient réglés sur la base d’un prix définitif de 1 800 000 euros, soit un montant de 221 233, 32 euros ;

– que le préjudice subi par [R] [T] et Mme [U] s’élève donc à la somme de 104 422,127 euros chacun (221 233,32 x 1 180/2 500) et le préjudice subi par Mme [T] et M. [S] est évalué à la somme de 6 195 euros chacun ( 221 233,32 x 70/2 500) ;

– qu’ils ont par ailleurs subi un préjudice moral évalué à la somme de 100 000 euros chacun, lié à l’espoir vain d’obtenir la vente de leurs parts à une somme minimale de 1 800 000 euros ;

Sur la demande subsidiaire visant à la limitation du préjudice formée par les sociétés GBH et Ledonia Expertise :

– que l’impact de l’erreur comptable s’élève selon l’expert à la somme de 263 373 euros, de sorte qu’il n’y a pas lieu de retenir une autre somme ;

– que les intimées ne rapportent pas la preuve du montant de la taxation sur la plus-value sur titres applicable en l’espèce, ni du montant de la plus-value qui correspond à la différence entre le prix d’achat et de vente des parts, de sorte que leur demande de réduction à hauteur de 30 % des dommages-intérêts, correspondant à la taxation des plus-values, ne saurait prospérer ;

– que le cessionnaire pouvait bénéficier de dispositifs d’abattement fiscal lors de la cession des valeurs mobilières au titre des revenus des années 2016 et 2017 ;

– que les appelants ont reçu la somme de 1 350 000 euros à la date de cession alors qu’ils auraient dû recevoir la somme de 1 800 000 euros, soit un différentiel de 450 000 euros, de sorte que la charge fiscale afférente à la cession, pour les années 2016 et 2017, était de 315 244 euros, alors qu’elle aurait été de 366 986 euros si le prix de cession avait été fixé la somme de 1 800 000 euros, de sorte que l’écart s’élève à 16 % et non à 30 % comme l’indiquent les intimées ;

– que par conséquent, le préjudice ne peut être minoré de la fiscalité afférente à la cession des actions que dans la limite de 16 % soit un montant de 263 373 x 0,16 = 42 139,68 euros, les intimées devant être déboutées de leur demande de réduction à hauteur de 30 % ;

– qu’ils n’ont eux-mêmes commis aucune faute exonératoire de responsabilité ;

Sur le lien de causalité :

– que l’expert-comptable a établi un bilan au 30 avril 2016 mentionnant des capitaux propres à hauteur de 1 212 677 euros, soit un montant supérieur à celui retenu dans le compromis, de sorte que sans l’erreur commise par l’expert-comptable et le commissaire aux comptes, le prix de cession aurait été fixé définitivement à une somme supérieure à 1 800 000 euros ;

– que [R] [T] et Mme [U] ont réorganisé leur vie future après la signature du compromis, de sorte que la mise en oeuvre de la clause pénale n’était pas envisageable ;

– qu’il existe un lien de causalité entre la faute et la diminution du prix de cession car ce dernier a été fixé sur la base du bilan au 31 janvier 2015, alors que la rectification est intervenue lors de l’élaboration du bilan au 30 avril 2016, soit après la signature du compromis.

Dans ses dernières conclusions en date du 22 septembre 2023, la société GBH demande à la cour :

– à titre principal, de débouter ‘les consorts [T]’ de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions, en l’absence de preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité ;

– à titre subsidiaire :

. de ‘juger’ que le préjudice allégué sera limité, en tout état de cause, au montant de la révision à la baisse du prix de cession, soit la somme de 257 100 euros ;

. de ‘juger’ que l’erreur comptable reprochée trouve son origine dans un mauvais paramétrage de la caisse par la société SMR dont la carence est exonératoire de responsabilité ;

. de ‘juger’ que le préjudice allégué sera diminué du montant des impôts et prélèvements sociaux générés par les plus-values réalisées, soit un montant minimum de 42 139 euros;

. de limiter la condamnation indemnitaire susceptible d’être prononcée à son encontre au seul préjudice en lien direct avec la faute commise par le commissaire aux comptes, au regard des interventions comptables de la société Ledonia Expertise et des carences de la société SMR en matière de paramétrage de caisse ;

. de débouter ‘les consorts [T]’ de leurs demandes de solidarité ;

– dans tous les cas, de condamner solidairement les appelants à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Elle fait valoir :

– qu’elle n’est intervenue ni dans les négociations, ni lors de la rédaction du protocole d’accord, ni dans la fixation du prix de cession des parts sociales ;

– que les appelants ont accepté de céder leurs parts sociales pour un prix déterminé sur la base d’une stricte application des dispositions du protocole d’accord du 02 mars 2016 négociées et acceptées, notamment en matière de révision du prix de cession ;

– que ledit protocole prévoit une faculté de rétractation pour chacune des parties sous réserve du versement d’une indemnité forfaitaire de 30 000 euros, de sorte que les appelants disposaient de la faculté de renoncer à la cession en versant cette somme ;

– que les cédants ont volontairement accepté de poursuivre la cession de leurs parts sociales jusqu’à son terme en toute connaissance de cause, sans exercer cette faculté de rétractation, de sorte qu’ils ne peuvent ensuite solliciter une indemnisation basée sur un prix qu’ils ont accepté, la réalité de leur préjudice n’étant pas établie ;

– que si la cour considère que les demandes des appelants sont recevables, l’indemnisation sollicitée doit être limitée en prenant en compte :

. le fait que le différentiel entre le prix espéré de 1 800 000 euros et le prix définitif de 1 542 900 euros représente un montant de 257 100 euros et non de 263 372 euros ;

. la fiscalité afférente à la cession des parts sociales, soit un abattement de 77 130 euros compte tenu du taux de taxation à 30 % des plus-values sur titres ;

– que la société SMR est responsable du mauvais paramétrage de la caisse, de sorte que l’erreur de comptabilisation ne lui incombe pas exclusivement, cette carence de la société SMR étant de nature à l’exonérer de sa responsabilité ;

– que n’étant pas intervenue dans le cadre du protocole d’accord, si sa responsabilité devait être engagée, la condamnation susceptible d’être prononcée doit être limitée à l’indemnisation du seul préjudice en lien direct avec sa propre faute.

La société Ledonia Expertise a interjeté appel incident par conclusions transmises le 12 février 2021 en sollicitant la ‘réformation’ du jugement dont appel en ce qu’il a :

– ‘dit et jugé’ que les sociétés Ledonia Expertise et GBH ‘sont solidaires’ dans le traitement inexact de la régularisation de l’erreur liée au mauvais paramétrage de la caisse dans le bilan du 31 janvier 2015 de la société SMR ;

– ‘dit et jugé’ que l’erreur de paramétrage n’exonère pas la société Ledonia Expertise de sa responsabilité ;

– ‘dit et jugé’ responsable la société Ledonia Expertise du défaut de détection de ce mauvais paramétrage datant de 2004 ;

– ‘dit et jugé’ que les sociétés Ledonia Expertise et GBH sont fautives et responsables solidairement dans le traitement inexact de la régularisation du compte caisse dans le bilan de la société SMR au 31 janvier 2015 ;

– ‘dit et jugé’ que les sociétés Ledonia Expertise et GBH sont ‘pleinement liées’ dans la régularisation, exacte, due au mauvais paramétrage du compte caisse dans l’arrêté des comptes au 30 avril 2016 de la société SMR.

Dans ses ultimes conclusions transmises le 22 mars 2024, la société Ledonia Expertise demande à la cour :

– à titre principal, de réformer le jugement des chefs susvisés et de le confirmer pour le surplus ;

– à titre subsidiaire, de limiter le préjudice des appelants à la somme de 179 970 euros ;

– en tout état de cause, de les condamner in solidum à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel ;

– de les condamer in solidum aux entiers dépens.

Elle fait valoir :

Sur l’absence de faute :

– que si elle a commis une erreur de comptabilité en raison d’un mauvais paramétrage de la caisse par la centrale ‘Système U’, elle a opéré une recherche approfondie de l’erreur qui a été détectée et définitivement rectifiée au 30 avril 2016, de sorte que les fautes commises ont été régularisées ;

– que la preuve d’un manquement à son obligation contractuelle de résultat est une condition nécessaire mais insuffisante pour engager sa responsabilité délictuelle vis-à-vis d’un tiers, qu’il en est donc de même d’une obligation contractuelle de moyen, tandis qu’aucune faute délictuelle à l’encontre des appelants n’est caractérisée ;

– étant rappelé que les comptes sont établis sous la responsabilité de l’entité concernée, laquelle est tenue envers les tiers de l’exactitude des informations comptables, que l’effectivité du paramétrage comptable relève de la responsabilité de la société SMR dont le dirigeant, averti de l’inexactitude des comptes pour l’exercice clos le 31 janvier 2014, a fait délibérement le choix de ne pas corriger l’erreur immédiatement, de sorte qu’il a concouru à la réalisation du dommage et a commis une faute exonératoire de sa propre responsabilité ;

Sur l’absence de préjudice :

– que le réajustement de caisse effectué par l’expert-comptable permet de rétablir la valeur réelle de la société SMR, la diminution des capitaux propres entraînant nécessairement la diminution de la valeur de la cession, de sorte que le prix définitif correspond au prix réel des parts sociales ;

– que les vendeurs ont décidé de définir le prix de cession en fonction du montant des capitaux propres, de sorte qu’en l’absence d’erreur comptable la cession aurait été opérée au même prix ;

– que le protocole d’accord du 02 mars 2016 prévoyait les ajustements du prix de cession en fonction d’une variation des capitaux propres, de sorte que les vendeurs étaient prêts à consentir une baisse du prix de cession en cas d’une telle variation ;

– qu’aucune obligation d’achat ou de vente n’était imposée aux parties, sous réserve de verser à l’autre partie une indemnisation forfaitaire de 30 000 euros, ce dont il résulte que les appelants ne peuvent pas invoquer une perte de chance de ne pas céder leurs parts sociales dans la mesure où ils ont choisi de les céder plutôt que de verser une indemnité de 30 000 euros aux aquéreurs et n’ont donc pas subi de préjudice ;

Sur le lien de causalité :

– qu’aucun lien de causalité ne saurait exister en l’absence de faute et de préjudice ;

Subsidiairement, sur la limitation du préjudice :

– que le prix définitif de cession a été fixé à la somme de 1 542 900, 08 euros, de sorte qu’en déduisant ce montant du prix de vente provisoire de 1 800 000 euros défini dans le protocole d’accord, la diminution du prix est de 257 099, 92 euros alors que les appelants sollicitent une indemnisation à hauteur de 263 373 euros ;

– que si les vendeurs avaient cédé leurs parts au prix de 1 800 000 euros, ils auraient dû s’acquitter d’une imposition sur la plus-value de 30 % sur la somme de 257 100 euros, soit 77 130 euros, de sorte que leur préjudice est limité à la somme de 179 970 euros.

Pour l’exposé complet des moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

En application de l’article 467 du code de procédure civile, le présent arrêt est contradictoire.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 30 avril 2024 et l’affaire a été appelée à l’audience du 07 mai 2024, puis renvoyée à l’audience du 21 mai suivant. La décision a été mise en délibéré au 13 août 2024.

Motifs de la décision

Sur la responsabilité des sociétés Ledonia Expertise et GBH,

En application de l’article 1147 du code civil applicable au litige devenu l’article 1231-1 du même code, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Par ailleurs et en application des articles 1382 et 1383 du code civil dans leur version applicable à la date de conclusion du contrat de cession de parts sociales, devenus les articles 1240 et 1241 du même code, la responsabilité délictuelle d’une personne est engagée dès lors que celle-ci a commis une faute, par son fait ou par sa négligence ou son imprudence, causant de manière directe et certaine un dommage à autrui.

Il est constant que la responsabilité extracontractuelle présente un caractère subsidiaire et ne trouve application que lorsque le cas litigieux ne relève pas du champ d’application de la responsabilité contractuelle.

Le tiers à un contrat peut ainsi invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a personnellement causé un dommage.

Il appartient à celui qui forme une demande de condamnation d’une personne sur ce fondement de rapporter la preuve tout d’abord d’une faute commise par celle-ci, puis la preuve de l’existence et de l’exacte consistance d’un préjudice, mais aussi d’un lien de causalité direct et certain entre cette faute et le préjudice invoqué.

Seules les sociétés SAS HGH et SMR sont parties aux contrats de mission d’expertise comptable et de commissariat aux comptes signés avec les sociétés Ledonia Expertise et GBH, et non leurs associés, tiers auxdits contrats.

Dès lors, l’application du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle conduit à appliquer exclusivement les règles de la responsabilité civile extracontractuelle dans le cadre des rappports entre ces parties.

En l’espèce, il résulte du rapport d’expertise judiciaire établi par M. [Z] que le paramètrage de la caisse sur le plan comptable ne respectait pas les préconisations de la centrale ‘Système U’ dans la mesure où les remises liées aux produits distributeurs ‘U’ n’étaient pas déduites du chiffre d’affaires alors qu’elles sont, aux termes du référentiel comptable ‘Système U’, à la charge financière du magasin.

Il en est résulté une position anormalement élevée du compte caisse à la somme de 368 742,88 euros, au lieu de 41 732 euros.

Le compte fournisseur ‘Système U’ au sein de la comptabilité de la société SMR, chiffré à la somme de 101 632 euros au bilan arrêté au 31 janvier 2015, devait en réalité être fixé à la somme de 365 005,71 euros soit un différentiel de 263 373,44 euros impactant le montant des capitaux propres de la société SMR après rectification.

Sur la responsabilité de la société Ledonia Expertise

Selon l’article L. 123-12 du code de commerce, toute personne physique ou morale ayant la qualité de commerçant doit établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice, lesquels comprennent le bilan, le compte résultat et une annexe.

L’article L. 123-14 du même code dispose que les comptes annuels doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise.

Si les comptes annuels sont établis sous la responsabilité de l’organe de direction de la société, la responsabilité de l’expert comptable est susceptible d’être engagée au titre des fautes commises au regard du périmètre de la mission lui ayant été confiée.

En l’espèce, la lettre de mission contractualisée le 23 mai 2006, dont les termes ont été rappelés dans la lettre de confirmation de mission – non signée de la cliente – établie le 11 juin 2012 par l’expert-comptable, précise que ce dernier a la charge de la révision de la comptabilité tenue informatiquement, l’établissement des comptes annuels et des déclarations fiscales et sociales, de la mission juridique d’approbation des comptes et de gestion, d’assistance et de conseil dans les domaines fiscal, social, financier et patrimonial.

Il appartenait donc à la société Ledonia Expertise d’intégrer dans sa mission le respect du référentiel comptable défini par ‘Système U’ et dont la mise en oeuvre était assurée par le logiciel de caisse, indépendamment de son absence d’intervention dans le cadre des négociations liée à la cession des parts sociales à défaut de mission en ce sens.

Il en résulte que la société Ledonia, tenue à une obligation de vérification de la cohérence et de la vraisemblance des comptes annuels après révision de la comptabilité, a commis une faute contractuelle en ne s’assurant pas de leur conformité formelle du fait du défaut de détection d’une anomalie affectant le compte caisse dont le solde était près de dix fois supérieur à la réalité, générant une dévalorisation des capitaux propres à hauteur de 263 373,44 euros au 31 janvier 2015, soit une proportion significative de 22 % conférant à cette anomalie, pour un professionnel du chiffre, un caractère évident après plusieurs années d’erreurs de comptabilisation.

A cet égard, le fait que le paramètrage de la caisse ait été assumé par la société SMR est sans incidence au regard de sa mission d’expertise en matière comptable dont il résultait à la fois une obligation de vérification de la sincérité des comptes et une mission de conseil.

Par ailleurs, il résulte du rapport d’expertise judiciaire, non sérieusement contredit par les parties, que la société Ledonia Expertise a, lors de l’établissement des comptes au 31 janvier 2015 et après avoir été destinataire d’une alerte par le commissaire aux comptes, procédé à une correction inappropriée par compensation du compte caisse avec le compte fournisseur ‘Systeme U’.

Il en résulte que le caractère fidèle du bilan de la société SMR n’a pu être assuré qu’au 31 janvier 2016, suite à l’inscription d’une charge exceptionnelle d’un montant de 316 000 euros de nature à remédier à l’incohérence observée dans la comptabilité.

De nouveau, la société Ledonia Expertise, en ne mettant pas en oeuvre les règles comptables applicables dans le cadre de la rectification de l’erreur comptable portée à sa connaissance, a commis une faute au regard de son obligation de sincérité dans l’établissement des comptes.

Ces fautes contractuelles constituent, vis-à-vis des actionnaires de la société SMR auxquels les comptes annuels ont été présentés pour approbation et décision d’affectation du résultat, des fautes délictuelles.

Sur la responsabilité de la société GBH

S’il est constant entre les parties que la société GBH s’est vue confier, à compter de l’exercice clos le 31 janvier 2014, le contrôle des comptes annuels de la société SMR, aucune lettre de mission contractualisée n’est produite par les parties.

La vérification des comptes induit pour le commissaire aux comptes d’effectuer les investigations inhérentes à sa mission.

Tel que relevé par l’expert judiciaire, la société GBH a, dans le cadre de la vérification des comptes arrêtés au 31 janvier 2014, identifié l’erreur dans la comptabilisation des remises liées aux produits distributeurs ‘U’ mais a ensuite validé lesdits comptes malgré le caractère erroné de la rectification effectuée par la société Ledonia Expertise au regard des normes comptables, puis les comptes arrêtés au 31 janvier 2015 sans observation ni réserve.

Le fait de n’avoir pas procédé à une vérification sérieuse de la sincérité du compte fournisseur ‘Système U’ au cours des deux exercices susvisés, constituant pourtant le poste le plus important du passif du bilan en raison de la nature de l’activité d’achat-revente exploitée par la société SMR, alors même qu’elle avait précédemment identifié une difficulté liée à la traduction comptable de la prise en charge financière des remises, est constitutif d’une faute contractuelle en ce qu’une image faussée de la valorisation de la société en a résulté à défaut d’impact sur le compte de résultat et par voie de conséquence sur les capitaux propres.

La régularisation postérieure de cette erreur dans le cadre de l’établissement des comptes au 30 avril 2016 est sans incidence sur sa commission, de même que le comportement du dirigeant de la société SMR dans le cadre du paramétrage du logiciel de caisse qui n’a, par principe, pas d’influence sur le choix du commissaire aux comptes d’approuver ou non ces comptes en assumant la responsabilité qui en découle.

Pour les motifs ci-avant exposés, il en résulte une faute délictuelle vis-à-vis des associés de la société SMR.

– Sur le préjudice,

Le préjudice lié à la diminution du prix de cession des parts sociales de la société SMR invoqué par les appelants ne peut être envisagé qu’au stade de la fixation du prix forfaitaire provisoire, à l’exclusion de la mise en oeuvre de la clause contractualisée d’indexation du prix sur la valeur de la société qui ne constitue que la prise en compte de la valorisation comptable réelle, chiffrée au final à la somme de 1 542 900,08 euros selon acte signé le 21 décembre 2017, cette valorisation n’étant pas contestée par les parties à la cession.

En effet, si le prix provisoire de cession de 1 800 000 euros retenu dans le protocole de cession du 02 mars 2016 a été expressément fixé par référence au montant des capitaux propres des sociétés HGH et SMR figurant aux bilans établis les 31 décembre 2014 et 31 janvier 2015 comportant des chiffrages erronés, ce prix de cession correspond à la valorisation comptable voulue par les parties telle que résultant d’une image sincère des comptes reflétant la valeur réelle de la société.

Il en résulte que le préjudice invoqué par les appelants est lié à la réparation de l’erreur comptable fautive par une rectification dont il est résulté une diminution des capitaux propres et de la valorisation des parts sociales selon le mécanisme contractualisé entre les parties à l’article 03 du protocole de cession du 02 mars 2016 , et non à la faute elle-même qui a au contraire abouti, dans un premier temps, à la sur-évaluation du prix provisoire figurant dans l’acte du 02 mars 2016.

Dès lors, les parties ayant convenu du prix des parts, objets de la cession, en considération de la situation comptable de la société, les cédants n’auraient pas cédé leurs parts à un prix plus élevé si l’erreur comptable avait été correctement rectifiée avant le protocole susvisé.

Ainsi, la réalité d’un préjudice réparable, dont il incombe aux demandeurs de rapporter la preuve, n’est pas établie, de sorte que les demandes indemnitaires formées à l’encontre de l’expert comptable et du commissaire aux comptes doivent être rejetées sans qu’il ne soit nécessaire d’apprécier le lien de causalité.

Le jugement dont appel sera donc confirmé en ce qu’il a débouté de leurs demandes Mme [T] et Mme [U], agissant en leur nom personnel et en qualité d’ayants-droits de [R] [T], ainsi que M. [S].

Par ces motifs,

La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi :

Confirme, dans les limites de l’appel, le jugement rendu entre les parties le 04 septembre 2020 par le tribunal de commerce de Lons le Saunier ;

Condamne M. [J] [S], Mme [H] [T] et Mme [V] [U] aux dépens d’appel ;

Et, vu l’article 700 du code de procédure civile, les déboute de leurs demandes et les condamne in solidum à payer :

– à la SAS Ledonia Expertise la somme de 1 000 euros ;

– à la SARL GBH la somme de 1 000 euros.

Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.

Le greffier, Le président,


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