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Le contrat d’un artiste interprète placé chez un client (cabaret) par un prestataire doit être requalifié en contrat de travail si le client exerce sur le salarié placé un pouvoir de direction, qu’il organise son travail, lui donne des directives, qu’il contrôle l’exécution de ses prestations et peur sanctionner ses manquements.
En l’espèce, le contrat (danseuse de cabaret) définit par ailleurs précisément ses conditions de travail dans un service organisé : jours travaillés, horaires, minimum de spectacles par soirée, tenue, répétitions, séances promotionnelles, tâches annexes (ramasser les verres vides, nettoyer les lieux avant la fermeture), sans qu’aucune autonomie ou pouvoir d’initiative, de négociation ou de discussion ne soit reconnu à la salariée. Il fixe également avec précision les modalités de sa rémunération et lui impose de résider dans un logement fourni par la société [5] moyennant participation forfaitaire. À titre de sanction, la résiliation discrétionnaire du contrat est possible à tout moment si la salariée ne respecte pas à plusieurs reprises les ‘directives légitimes’ soit du producteur, soit du cabaret ou en cas d’ ‘insubordination ou (de) manquement au règlement ou aux instructions du cabaret tel que décrits en annexe 1″ c’est-à-dire au règlement intérieur de l’établissement. Ainsi, il résulte de la convention signée le 29 juin 2012 que ‘l’Artiste (…) devra toujours agir selon les directives qui lui sont données par les gérants du cabaret’, qu’elle ‘devra se comporter de façon à promouvoir les affaires et les intérêts du Producteur et du cabaret (…), qu’elle devra à tout moment respecter les termes de l’accord entre le Producteur et le cabaret, si tant est que ces termes imposaient l’Artiste d’agir d’une certaine façon de faire certaines choses, qu’elle devra remplir ses fonctions comme indiqué par le Producteur et le cabaret en Nouvelle-Calédonie (…), ce qui comprend, mais ne se limite pas aux tâches suivantes : – Spectacles sur scène ; – Des ‘Lape Dances’ de 10, 20,30, 40,50 et 60 minutes ; – Pour cela, l’Artiste devra fournir ses propres costumes et accessoires selon les directives du Producteur, Est considérée comme salariée toute personne qui s’est engagée à mettre son activité professionnelle, moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une personne physique ou morale publique ou privée. Il est constant que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est effectuée l’activité de celui qui exerce une prestation de travail. Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements. En l’absence de contrat de travail, il appartient à celui qui s’en prévaut dans rapporter la preuve. L’affaire concerne un contrat entre la société GERRY SHAW TALENT AGENCY LIMITED et Mme [R] [F] pour fournir des services artistiques dans un cabaret en Nouvelle-Calédonie. Mme [R] [F] a saisi le tribunal du travail de Nouméa pour demander la requalification de la relation en contrat de travail, alléguant un licenciement abusif. Le tribunal a jugé en sa faveur, reconnaissant un contrat de travail du 26 juin 2012 au 30 septembre 2017 et un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La société [5] a interjeté appel, contestant la requalification en contrat de travail et les montants alloués. Mme [R] [F] demande la confirmation du jugement. La SELARL [L]-[H] [U], en tant que commissaire à l’exécution du plan de continuation, s’en remet à la décision de la cour. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE NOUMÉA
Arrêt du 12 août 2024
Chambre sociale
N° RG 21/00097 – N° Portalis DBWF-V-B7F-SUV
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Novembre 2021 par le Tribunal du travail de NOUMEA (RG n° :20/148)
Saisine de la cour : 17 Décembre 2021
APPELANT
S.A.R.L. [5]
Siège social : [Adresse 2]
Représentée par Me Sophie BRIANT membre de la SELARL SOPHIE BRIANT, avocat au barreau de NOUMEA
INTIMÉ
Mme [R] [F]
née le 31 Janvier 1985 à [Localité 7]
demeurant [Adresse 4]
Représentée par Me Franck ROYANEZ membre de la SELARL D’AVOCAT FRANCK ROYANEZ, avocat au barreau de NOUMEA
AUTRE INTERVENANT
Organisme CAFAT
Siège social : [Adresse 3]
S.E.L.A.R.L. [L] [H] [U], ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL [5]
Siège social : [Adresse 1]
29/08/2024 : Copie revêtue de la formule exécutoire – Me ROYANEZ ;
Expéditions – Me BRIANT ;
– S.A.R.L. [5] , Mme [F] et CAFAT (LR/AR)
– Copie CA ; Copie TT
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 29 Juin 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Monsieur Philippe DORCET, Président de chambre, président,
M. Thibaud SOUBEYRAN, Conseiller,
Madame Béatrice VERNHET-HEINRICH, Conseillère,
qui en ont délibéré, sur le rapport de M. Thibaud SOUBEYRAN.
Greffier lors des débats : Mme Isabelle VALLEE
Greffier lors de la mise à disposition : M. Petelo GOGO
ARRÊT :
– contradictoire,
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 28/08/23 date à laquelle le délibéré a été prorogé au 28/09/23 puis au 26/10/23 puis au 23/11/23 puis au 28/12/23 puis au 25/01/24 puis au 12/02/24 puis au 11/03/24 puis au 15/04/24 puis au 16/05/24 puis au 20/06/24 puis au 22/07/24 puis au 12/08/24, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,
– signé par Monsieur Philippe DORCET, président, et par M. Petelo GOGO , greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.
PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE
Suivant contrat du 29 juin 2012, la société GERRY SHAW TALENT AGENCY LIMITED, société de production droit néo-zélandaise, concluait avec Mme [R] [F] un accord ainsi rédigé :
1. Introduction
(a) Le Producteur a conclu un accord (‘ l’Accord’) avec le [5] (‘ le Cabaret’) à [Localité 6], Nouvelle-Calédonie, afin de fournir des danseuses et artistes au Cabaret pour proposer des spectacles à la clientèle du Cabaret selon les conditions prévues dans l’accord. Il souhaite recourir aux services de l’Artiste afin de remplir les obligations que lui impose l’accord, l’Artiste ayant indiqué qu’elle était prête à fournir ses services au Producteur par les présentes à cet effet.
(b) L’Artiste est un travailleur indépendant.
2. Relation
(a) Les parties reconnaissent que l’Artiste est un travailleur indépendant et que ni cet accord ni aucun de ses termes (explicite ou implicite) ne seront considérés comme créant une relation d’employeur à employé.
(b) L’Artiste sera seule responsable de tous les prélèvements ou taxes à payer, le cas échéant, sur les sommes qu’elle aura perçues au titre du présent contrat.
(c) L’Artiste n’a droit au paiement d’aucun congé maladie ni d’aucuns congés payés.
3. Obligations
L’Artiste devra remplir ses fonctions comme indiqué par le Producteur et le Cabaret en Nouvelle-Calédonie pour une période de 12 semaines, ce qui comprend, mais ne se limite pas aux tâches suivantes :
– Spectacles sur scène ;
– Des ‘Lape Dances’ de 10, 20,30, 40,50 et 60 minutes ;
– Pour cela, l’Artiste devra fournir ses propres costumes et accessoires selon les directives du Producteur,
– S’acquitter de la somme de 7 500 frs pour l’aide au logement
L’Artiste devra également se rendre disponible à la demande soit du Producteur, soit du Cabaret à des fins promotionnelles, afin de promouvoir l’activité du Cabaret. Elle devra également participer à tous ‘ strip-o-grams’ ou séances photos nécessaires qui pourraient être organisées par le Producteur ou le Gérant, soit dans les locaux du Cabaret, soit ailleurs à [Localité 6].
Il n’y aura pas de paiement séparé pour ces participations, étant reconnu par l’Artiste que celle-ci assurent sa propre promotion et lui permettront de contribuer à ce que les clients du Cabaret l’engagent pour les sessions de ‘Lape Dance’ qu’elle propose au Cabaret, ce pour quoi elle est rémunérée, ainsi qu’il est prévu aux présentes.
4. Horaires de travail
L’Artiste fournira ses services six soirs par semaine, du lundi au samedi, ainsi que les soirs de tous les jours fériés où le Cabaret serait ouvert. Elle devra, pendant ces soirées, faire un minimum de six spectacles par soirée ainsi que fournir des ‘ Lap Dances’ en fonction des demandes et de la taille de la clientèle du soir. Elle devra rester dans les locaux en permanence tous les soirs d’ouverture du Cabaret, et ce entre 21 h et 4 heures le lendemain matin, et rester disponible pendant ces heures afin de fournir ses services au Cabaret. Elle devra toujours arriver au Cabaret suffisamment en avance pour pouvoir se préparer et s’habiller afin d’assurer le professionnalisme et la qualité de ses spectacles au Cabaret.
5. Durée du contrat
Les obligations à remplir par l’Artiste commenceront le 29 juin 2012 pour une durée indéterminé, à moins que l’une ou l’autre des parties ne résilie le contrat par écrit selon les dispositions de ce même contrat.
6. Rémunération
L’Artiste recevra les paiements suivants :
Pour les ‘Lap Dances’ :
– d’une durée de 10 minutes – 2 000 francs CFP ( + 1 000 francs avec toucher)
– d’une durée de 20 minutes – 4 000 francs CFP ( + 2 000 francs avec toucher)
– d’une durée de 30 minutes – 6 000 francs CFP ( + 3 000 francs avec toucher)
– d’une durée de 40 minutes – 8 000 francs CFP ( + 4 000 francs avec toucher)
– d’une durée de 50 minutes – 10 000 francs CFP ( + 5 000 francs avec toucher)
– d’une durée de 60 minutes – 12 000 francs CFP ( + 6 000 francs avec toucher)
7. Obligations supplémentaires de l’Artiste :
(a) L’Artiste devra à tout moment respecter le règlement du Cabaret et devra toujours agir selon les directives qui seront données par les gérants du Cabaret ainsi que suivre le règlement et les directives du Producteur. Ce règlement inclut mais ne se limite pas aux règlements décrits en annexe 1 de ce contrat.
(c) L’Artiste devra souscrire en son nom, et ce pour toute la durée de son séjour en Nouvelle-Calédonie en tant qu’Artiste du Cabaret, une assurance maladie et accident afin de couvrir toutes les dépenses de santé, de quelque nature que ce soit, en cas de maladie, d’accident ou d’hospitalisation, ainsi que tous les frais associés. S’il est d’accord, le Producteur pourra rembourser le coût de cette assurance. L’Artiste devra fournir un certificat d’assurance et conserver avec elle, à toutes fins utiles, une copie de la police d’assurance lors de son séjour en Nouvelle-Calédonie. Le Producteur ne pourra être tenu pour responsable du paiement des frais médicaux de l’Artiste, quels qu’ils soient, sans consentement écrit de sa part.
(e) L’Artiste devra résider dans le logement qui lui sera fourni par le Cabaret, à condition qu’il soit propre, conforme aux normes d’hygiène et de sécurité et, à tout moment, de même nature que les logements standards de [Localité 6]. Ce logement pourra se trouver soit dans les locaux du Cabaret, à condition qu’ils soient aménagés en logement, soit ailleurs. Dans le cas où elle devrait être logée ailleurs que dans les locaux du Cabaret, le Cabaret devra alors prendre à sa charge le coût de son transport aller-retour entre son domicile et le Cabaret.
(f) Elle devra à tout moment agir de façon professionnelle et courtoise à la fois envers la clientèle du Cabaret sa direction et devra se comporter de façon à promouvoir les affaires et les intérêts du Producteur et du Cabaret. Elle devra à tout moment respecter les termes de l’accord entre le Producteur et le Cabaret, si tant est que ces termes imposent à l’Artiste d’agir d’une certaine façon ou de faire certaines choses.
(g) Aucune danseuse n’est autorisée à prêter de l’argent, avec ou sans intérêt, ou quoi que ce soit d’autre aux fournisseurs ou employés de la société GERRY SHAW TALENT AGENCY LIMITED ou du Cabaret sans l’autorisation écrite du gérant.
(h) La danseuse devra se produire selon les choix du gérant (danses, musique).
8. Résolution des conflits
Dans le cas d’un conflit qui naîtrait quant à la validité, l’interprétation, l’exécution, l’application, la rupture ou la cessation de ce conflit (‘Conflit’), les parties devront, sans préjudice à toutes voies de droit ou de recours procédural qu’elles ont conformément à ce contrat ou autrement, immédiatement après envoi et réception par l’une ou l’autre partie d’une notification écrite du ou des Conflits, tenter de résoudre en toute bonne foi le Conflit, au moyen d’une ou plusieurs procédures informelles de résolution des conflits, telle la facilitation de la négociation, la médiation ou une expertise indépendante.
Les règles et procédures régissant la technique choisie par les parties et la ou les personnes indépendantes requises pour la procédure seront convenues entre les parties. Les deux parties s’engagent à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour résoudre le conflit et s’engage également à faire preuve de bonne foi au cours du processus informel de résolution de conflit.
9. Résiliation
(a) Le Producteur aura le droit de mettre fin à ce contrat à tout moment dans le cas où l’Artiste ne respecterait pas à plusieurs reprises les directives légitimes soit du Producteur, soit du Cabaret.
Ainsi au moment où le Producteur recevrait une plainte du Cabaret comme quoi l’Artiste n’aurait pas suivi une directive ou n’aurait pas agi selon le règlement du Cabaret, le Producteur devra immédiatement en aviser l’Artiste et la prévenir qu’en cas de nouveau manquement au règlement ou au suivi des directives, son contrat sera résilié.
Toutefois, dans le cas d’un conflit entre l’Artiste et le Cabaret sur la nature de la plainte, les parties acceptent le processus de résolution de conflit, tel que décrit à la clause 8 de ce contrat, soit mis en place et que les services de l’Artiste ne soient pas résiliés avant la résolution du conflit.
(b) Le Producteur aura le droit de mettre fin sur-le-champ et sans préavis à ce contrat et aux services de l’Artiste dans le cas où l’Artiste commettrait une faute grave, ne respecterait pas les termes de ce contrat ou manquerait à ses devoirs. Sont notamment considérés comme fautes graves les faits suivants (liste non exhaustive) :
i) Le vol de biens appartenant au Producteur ou au Cabaret ou tout autre bien quelle qu’en soit la valeur ;
ii) Les conduites qui portent préjudice ou que le Producteur considère comme risquant de porter préjudice à ses affaires ou à celles du Cabaret ;
iii) L’exercice de la prostitution, quel que soit le moment ou le lieu ;
iv) La condamnation pour une infraction criminelle (autres que les infractions au code de la route sur lesquelles une peine non privative de liberté est appliquée)
v) L’insubordination ou le manquement au règlement ou aux instructions du Cabaret tel que décrits en annexe 1 ;
vi) L’usage de drogues, quel que soit le moment ;
vii) L’utilisation illégale des biens du Producteur ou du Cabaret, ainsi que les dégâts ou négligences délibérément infligés à ceux-ci ;
10. Le présent contrat est régi et interprété conformément aux lois applicables en Nouvelle-Zélande.’
Ce contrat a été signé par Mme [R] [F], les représentants de la société GERRY SHAW TALENT AGENCY LIMITED et de la société LE [5], exerçant à [Localité 6] sous l’enseigne ‘Le Cabaret’, désignée à l’acte en qualité de ‘témoin’.
Suivant requête introductive d’instance déposée au greffe le 17 août 2020, Mme [R] [F] a fait convoquer la société [5] devant le tribunal du travail de Nouméa aux fins de le voir, en l’état de ses dernières demandes :
– requalifier les relations contractuelles en un contrat de travail à durée indéterminée ;
– juger qu’elle a fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de son caractère abusif ;
– juger que la société défenderesse a fait preuve de déloyauté contractuelle et en conséquence, la condamner, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, à lui payer diverses sommes en exécution des dispositions contractuelles et en indemnisation de ses préjudices.
Suivant jugement du tribunal de commerce de Nouméa du 5 octobre 2020, la société [5] a été placée en redressement judiciaire.
Par conclusions reçues le 26 novembre 2020, la SELARL [L] [H] [U] est intervenue volontairement à la cause en qualité de mandataire judiciaire de la société [5].
Par jugement dont appel du 23 novembre 2021, le tribunal du travail de Nouméa, après avoir dit n’y avoir lieu à statuer, a jugé que les parties étaient liées par un contrat de travail du 26 juin 2012 au 30 septembre 2017 et a dit que les relations contractuelles avaient pris fin le 1er octobre 2017 par un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il a fixé à 74’880 francs CFP la rémunération mensuelle moyenne des trois derniers mois. En conséquence, il a fixé comme suit la créance de Mme [R] [F] à la procédure collective ouverte à l’encontre de la société [5] :
– 37’445 francs CFP à titre d’indemnité légale de licenciement ;
– 149’778 francs CFP à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
– 14’977 francs CFP à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;
-114’579 francs CFP au titre de la prime d’ancienneté ;
– 222’300 francs CFP au titre de la prime d’assiduité ;
– 674’001 francs CFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 775’991 francs CFP à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices distincts ;
– 150’000 francs CFP au titre des frais irrépétibles.
Le tribunal a jugé que ces sommes porteraient intérêts au taux légal à compter de la requête en ce qui concerne les créances salariales et à compter du jugement s’agissant des créances indemnitaires, il a ordonné l’exécution provisoire à hauteur de l’intégralité des dommages et intérêts alloués et rappelé que cette exécution provisoire était de droit pour les créances salariales. Il a enfin débouté les parties du surplus de leur demande et laissé les dépens à la charge de la société [5].
***
PROCEDURE D’APPEL
La société [5] a interjeté appel de cette décision par requête déposée au greffe de la cour le 17 décembre 2021. Au terme de ses dernières écritures du 20 juillet 2022 dont elle se prévaut à l’audience, elle demande à la cour :
– à titre liminaire, de déclarer recevable son appel ;
– à titre principal d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de débouter Mme [R] [F] de sa demande de requalification de la relation d’affaires qu’elle entretenait avec la société [5] en contrat de travail et en conséquence, de la débouter de toutes ses demandes ;
– à titre subsidiaire, sur les prétentions financières de Mme [R] [F], d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau, de fixer le salaire moyen de Mme [R] [F] à 58’229 francs CFP et de juger que les sommes allouées ne pourront excéder :
‘ 116’458 francs CFP au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;
‘ 11’645 francs CFP au titre des congés payés y afférents ;
‘ 61’955 francs CFP au titre de la prime d’ancienneté ;
‘ 99’320 francs CFP au titre de la prime d’assiduité ;
‘ 29’114 francs CFP au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
‘ 349’374 francs CFP à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– de débouter Mme [R] [F] de sa demande indemnitaire au titre des préjudices distincts ;
– de juger qu’une éventuelle condamnation au remboursement des impôts et cotisations ne saurait excéder la somme de 378 795 francs CFP ;
– en tout état de cause, de condamner Mme [R] [F] à lui payer la somme de 500’000 Francs CFP au titre des frais irrépétibles de première instance et la somme de 500’000 francs CFP au titre des frais irrépétibles d’appel ;
– de la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de son conseil.
L’employeur soutient en substance à titre principal que Mme [R] [F] ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un lien de subordination dès lors qu’elle n’avait aucun lien contractuel avec la société [5], laquelle ne contrôlait ni ne dirigeait son activité, ne la rémunérait pas et ne la maintenait pas dans une situation de dépendance économique. Elle souligne qu’il ne pouvait lui être reproché d’avoir instauré au sein de son établissement de débits de boissons des règles de fonctionnement et que les sanctions financières invoquées constituaient un usage classique entre professionnels indépendants. À titre subsidiaire, elle estime que le tribunal a surévalué le salaire moyen mensuel de Mme [R] [F] et le montant des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle conteste l’affiliation rétroactive de Mme [R] [F] à la CAFAT et la somme sollicitée à ce titre.
En réplique, Mme [R] [F] demande à la cour au terme de ses dernières écritures du 8 décembre 2022 dont elle se prévaut à l’audience de juger l’appel irrecevable, pour défaut de qualité à agir, faute pour le mandataire judiciaire d’avoir formé appel aux côtés de la société [5]. Sur le fond, elle sollicite la confirmation du jugement, sauf à revaloriser les sommes allouées et à la condamner à lui payer la somme de 300’000 francs CFP au titre de ses frais irrépétibles d’appel.
Au soutien de ses prétentions, elle reprend en substance ses moyens de première instance et se prévaut de la motivation du premier juge.
Suivant courrier reçu au greffe le 29 septembre 2022, la SELARL [L]-[H] [U], agissant en qualité de commissaire à l’exécution du plan de continuation arrêté le 13 juin 2022, indiqué s’en rapportait à la sagesse de la cour.
Pour un exposé complet des moyens et arguments développés par les parties, la cour se réfère expressément à leurs écritures respectives, aux notes de l’audience et aux développements ci-dessous.
Sur la recevabilité de l’appel :
Vu les dispositions de l’article 122 du code de procédure civile de Nouvelle-Calédonie ;
Il résulte du jugement du tribunal mixte de commerce de Nouméa du 5 octobre 2020 plaçant la société [5] en procédure de redressement judiciaire qu’aucun administrateur judiciaire n’a été désigné et que la SERLARL [L] [H] [U] a été nommée en qualité de mandataire judiciaire, de sorte que la société [5] avait qualité pour interjeter seule appel du jugement rendu par le tribunal du travail de Nouméa le 23 novembre 2021.
Il y a lieu dans ces conditions de déclarer l’appel recevable.
Sur la nature de la relation contractuelle :
Aux termes de l’article Lp. 111-2 du code du travail de Nouvelle-Calédonie, est considérée comme salariée toute personne qui s’est engagée à mettre son activité professionnelle, moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une personne physique ou morale publique ou privée.
Est considérée comme employeur toute personne morale ou physique, publique ou privée, qui emploie au moins un salarié dans les conditions définies à l’alinéa précédent.
Il est constant que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est effectuée l’activité de celui qui exerce une prestation de travail.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements.
En l’absence de contrat de travail, il appartient à celui qui s’en prévaut dans rapporter la preuve.
En l’espèce, il résulte des pièces produites à l’instance que la société [5] a exercé à l’égard de Mme [R] [F] un pouvoir de direction, qu’elle organisait son travail, lui donnait des directives, qu’elle contrôlait l’exécution de ses prestations et pouvait sanctionner ses manquements.
Ainsi, il résulte de la convention signée le 29 juin 2012 que ‘l’Artiste (…) devra toujours agir selon les directives qui lui sont données par les gérants du cabaret’, qu’elle ‘devra se comporter de façon à promouvoir les affaires et les intérêts du Producteur et du cabaret (…), qu’elle devra à tout moment respecter les termes de l’accord entre le Producteur et le cabaret, si tant est que ces termes imposaient l’Artiste d’agir d’une certaine façon de faire certaines choses, qu’elle devra remplir ses fonctions comme indiqué par le Producteur et le cabaret en Nouvelle-Calédonie (…), ce qui comprend, mais ne se limite pas aux tâches suivantes :
– Spectacles sur scène ;
– Des ‘Lape Dances’ de 10, 20,30, 40,50 et 60 minutes ;
– Pour cela, l’Artiste devra fournir ses propres costumes et accessoires selon les directives du Producteur,
– S’acquitter de la somme de 7 500 frs pour l’aide au logement
L’Artiste devra également se rendre disponible à la demande soit du Producteur, soit du Cabaret à des fins promotionnelles, afin de promouvoir l’activité du Cabaret. Elle devra également participer à tous ‘ strip-o-grams’ ou séances photos nécessaires qui pourraient être organisées par le Producteur ou le Gérant, soit dans les locaux du Cabaret, soit ailleurs à [Localité 6].’
Le contrat précise que Mme [R] [F] ‘ devra se produire selon les choix du gérant (danses, musiques)’.
Le contrat définit par ailleurs précisément ses conditions de travail dans un service organisé : jours travaillés, horaires, minimum de spectacles par soirée, tenue, répétitions, séances promotionnelles, tâches annexes (ramasser les verres vides, nettoyer les lieux avant la fermeture), sans qu’aucune autonomie ou pouvoir d’initiative, de négociation ou de discussion ne soit reconnu à Mme [R] [F]. Il fixe également avec précision les modalités de sa rémunération et lui impose de résider dans un logement fourni par la société [5] moyennant participation forfaitaire.
À titre de sanction, la résiliation discrétionnaire du contrat est possible à tout moment si Mme [R] [F] ne respecte pas à plusieurs reprises les ‘directives légitimes’ soit du producteur, soit du cabaret ou en cas d’ ‘insubordination ou (de) manquement au règlement ou aux instructions du cabaret tel que décrits en annexe 1″ c’est-à-dire au règlement intérieur de l’établissement.
Le procès-verbal d’audition de M. [K] [C] réalisé le 30 août 2016 dans le cadre de la procédure de contrôle diligentée par la CAFAT confirme que la société [5] organisait l’activité des danseuses et les sanctionnait d’une ‘amende’ en cas d’absence.
Il résulte également de l’audition de Madame [Z] par la CAFAT produite par l’appelante que Mme [R] [F] recevait des directives de travail de la gérante de la société [5], qu’elle devait respecter sous peine de sanctions financières.
Le document intitulé ‘Penalty Payment List’ produit aux débats, dont il n’est pas contesté qu’il était annexé, avec le règlement intérieur de l’établissement, au contrat litigieux, détaille l’ensemble des pénalités financières (payables immédiatement) susceptibles d’être prononcées à l’encontre de Mme [R] [F] (‘late to work : 1,000 CFP per 10 mins’ (…) ‘Living the Cabaret without permission : 10,000 CFP’, ‘Sent home from work : 5,000 CFP’, ‘Sexual relations (includes kissing : 10,000 CFP’, ‘Leaving work early or leaving work includes being sick : 3,000 CFP’, ‘Adding or abetting/ lying : 2,000 CFP’, ‘Excessive arguing after decision has been made : 2,000 CFP’, ‘Negativity : 2,000 CFP’) dans des termes dénués d’ambiguité quant à la nature et l’intensité du pouvoir de dissuasion, de contrôle et de sanction exercé sur Mme [R] [F] par les gérants de la société LE [5].
Il n’est pas davantage contesté que Mme [R] [F] était, lorsqu’elle se trouvait sur son lieu de travail, constamment filmée par le système de vidéosurveillance de l’établissement, y compris dans les loges, de sorte que la société [5] était en mesure de la surveiller constamment sur son lieu de travail.
Les échanges de messages téléphoniques et électroniques produits aux débats ne contredisent pas ces constats.
Au regard de ce qui précède, les gérants de la société [5] détenaient de facto sur Mme [R] [F] un pouvoir propre de direction, de surveillance et de sanction, de sorte que c’est à juste titre que le premier juge a estimé que la relation de travail inscrivait, malgré les termes du contrat, dans le cadre d’un lien de subordination et qu’il en a déduit que les parties étaient liées par un contrat de travail à compter du 26 juin 2012.
Il n’est pas contesté en cause d’appel que la rupture du contrat de travail est intervenue le 30 septembre 2017 et n’a ni procédé d’une démission, ni donné lieu à une procédure de licenciement mais doit analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera dès lors confirmé sur ces points.
Sur les demandes en paiement présentées à titres salarial et indemnitaire suite à la rupture du contrat de travail :
Vu les dispositions des articles Lp. 122-35 du code du travail de Nouvelle-Calédonie, 87 et 88 de l’Accord Interprofessionnel Territorial (AIT).
Aux termes de l’article 88 de l’AIT, le salaire servant de base au calcul de l’indemnité de licenciement est le douzième de la rémunération des 12 derniers mois précédant le licenciement ou, selon la formule la plus avantageuse pour l’intéressé, le tiers des trois derniers mois, sous réserve d’une prise en compte des primes et gratifications annuelles ou exceptionnelles au prorata temporis.
Le tribunal a retenu un salaire moyen mensuel à hauteur de 74’889 francs CFP, somme que la société [5] entend voir ramener à 58’228 francs CFP, Mme [R] [F] sollicitant quant à la confirmation du jugement sur ce point.
En l’espèce, aucun bulletin de salaire n’a été produit et la requérante ne verse pas ses avis d’imposition sur le revenu pour les années concernées.
Conformément aux indications non contestées portées sur la notification de redressement adressé à Mme [R] [F] par la CAFAT le 20 décembre 2019, les revenus tirés par de son activité au sein de la société [5] se sont élevées à 164’375 francs CFP par trimestre du 1er avril 2016 au 31 mars 2017 et à 178’125 francs et par trimestre du 1er avril 2017 au 31 mars 2018.
Il s’en déduit que son revenu moyen sur les trois mois ayant précédé le 30 septembre 2017, date de son contrat de travail selon les deux parties, s’élève à178125/3 = 59 375 francs CFP et que son revenu moyen sur les 12 mois ayant précédé le 30 septembre 2017 s’élève à (164’375 x 2 + 178’125 x 2) / 12 = 57’083 francs CFP.
Il y a donc lieu de retenir un revenu mensuel moyen de 59 375 francs CFP, suivant le mode de calcul le plus favorable à la salariée, conformément aux dispositions de l’article 88 précité.
Embauchée le 29 juin 2012, Mme [R] [F] pouvait en outre prétendre, sur le fondement des dispositions de l’article 20 de la convention collective Hôtel Bar Café, pour la période échappant à la prescription quinquennale de l’article Lp. 143-8 du code du travail de la Nouvelle-Calédonie, soit postérieurement au 16 août 2015 à une prime d’ancienneté égale à : (59 375 x 12 /368 x 137 x 3%) + (59 375 x 12 x 4 %) + (59375 x 9 x 5 %) = 8 023 + 28 500 + 26 719 = 63 242 francs CFP.
Elle pouvait en outre prétendre, sur les fondements des dispositions de l’article 21 de cette convention, pour la période échappant la prescription quinquennale de l’article Lp. 143-8 précitée, soit postérieurement au 16 août 2016, à une prime d’assiduité de 3900 francs par mois soit une somme de 3900 x 25,5 = 99 450 francs CFP.
Conformément à l’article 88 de l’AIT, il convient d’ajouter le montant des primes mensuelles d’ancienneté et d’assiduité, au montant des revenus moyens mensuels de Mme [R] [F] et, partant, de fixer le salaire moyen mensuel de référence à : 59 375 + (59 375 x 5%) + 3900 = 66 244 francs CFP.
Il y a ainsi lieu d’allouer à Mme [R] [F] une somme de 132 488 francs CFP au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et une somme de 13 249 francs CFP au titre des congés payés sur préavis.
Conformément aux dispositions des articles Lp. 122-27, R. 122-4 du code du travail de Nouvelle-Calédonie et 88 de l’AIT, l’indemnité légale de licenciement doit quant à elle être évaluée à 66 244 x 5/10 = 33 122 francs CFP.
Le tribunal a accordé à Mme [R] [F] des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 674’000 francs CFP, somme calculée sur la base de 9 mois de salaires.
La société [5] sollicite que cette somme soit ramenée à l’équivalent de six mois de salaire, soutenant que son assujettissement à la TSS (taxe de solidarité sur les services) pour l’année 2018 implique que Mme [F] a poursuivi son activité d’artiste indépendante postérieurement à la résolution de son contrat, ce que conteste l’intimée, qui sollicite quant à elle la confirmation du jugement.
Au jour de la rupture du contrat de travail, Mme [R] [F] était âgée de 32 ans et avait quatre ans et trois mois d’ancienneté dans l’entreprise. Elle n’apporte aucune précision ni ne produit aucune pièce sur d’éventuels activités ou revenus complémentaires et sur les conséquences de la rupture du contrat de travail.
Dans ces conditions, il y a lieu de fixer le montant de la somme due par l’employeur au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse à 463 708 francs CFP.
Sur les demandes indemnitaires formées au titre des préjudices distincts :
Vu les dispositions des articles 1134’et 1147 du code civil dans leur rédaction applicable en Nouvelle-Calédonie ;
Aux termes du jugement frappé d’appel, le tribunal a retenu que la requérante justifiait avoir été victime d’un accident du travail et n’avoir perçu aucune indemnité pendant son arrêt de travail de quatre jours, avoir été victime du travail dissimulé par son employeur qui lui avait imposé de prendre une patente afin de ne pas payer de charges sociales et les indemnités et primes inhérentes aux droits des salariés de sorte qu’elle avait pendant toute la durée contractuelle subi un préjudice moral distinct de celui causé par la rupture des relations contractuelles. Il a ce titre condamné la société [5] à lui verser une somme de 200’000 francs CFP en réparation.
En cause d’appel, Mme [R] [F] sollicite à nouveau à ce titre une somme de 3 millions de francs CFP, tandis que la société [5] conclut au débouté de cette demande.
En l’espèce, l’absence de conclusion d’un contrat de travail malgré la relation de subordination entretenue entre la société [5] et Mme [R] [F] a privé la salariée de la possibilité de se prévaloir du cadre protecteur institué par le droit du travail.
Sous couvert du recours à une convention de droit néo-zélandais et à un statut abusivement qualifié de prestataire indépendant, elle a ainsi été soumise à diverses clauses instaurant des conditions de travail contrevenant ouvertement et de manière prolongée à ses droits à l’intimité (par sa soumission constante un système de vidéo surveillance), à son droit d’entretenir une vie privée et familiale (par l’imposition d’un logement et les nombreuses restrictions imposées non seulement sur son lieu de travail mais également à l’extérieur, sur des temps non travaillés), à son droit à la santé (en imposant des sanctions financières en cas d’absence, y compris pour maladie, en prévoyant des plages de travail continues de nuit, sans repos ni récupération suffisante et sans congés payés, en ne s’assurant pas de la conformité des installations matérielles utilisées d’où il est résulté un accident du travail), en imposant des périodes de travail non rémunéré (répétitions, campagnes promotionnelles), en dissuadant par avance Mme [R] [F] de toute revendication ou contestation sur ses conditions de travail (par l’insertion au contrat de clauses de résiliation unilatérale ou de pénalités financières immédiatement exigibles), en s’abstenant de lui remettre tous documents justifiant de ses revenus, en permettant une rémunération inférieure au montant du salaire minimum garanti en Nouvelle-Calédonie ainsi qu’il se déduit de la comparaison entre les revenus de Mme [R] [F] et les heures travaillées, y compris de nuit, aux termes du contrat dont se prévaut l’employeur.
Cette exécution déloyale du contrat a occasionné à Mme [R] [F] un préjudice moral distinct du préjudice occasionné par la seule rupture des relations contractuelles.
Ce préjudice, qui a perduré durant toute l’exécution du contrat de travail, soit quatre ans et trois mois, justifie l’allocation au profit de Mme [R] [F] de dommages-intérêts à hauteur de 1’500’000 francs CFP.
Le tribunal a par ailleurs indemnisé Mme [R] [F] à hauteur de 575’980, 11 francs CFP au titre de son préjudice matériel correspondant aux sommes exposées pour régler sa patente, ses cotisations sociales et taxes (TSS).
Or, si le statut social d’une personne est d’ordre public et s’impose dès lors que les conditions de son application sont réunies, l’affiliation et le versement de cotisations du chef de la même activité à un autre régime de protection sociale s’opposent, quel qu’en soit le bien-fondé, à ce que l’assujettissement au régime général puisse mettre rétroactivement à néant les droits et obligations nés de l’affiliation antérieure si, comme en l’espèce, l’affiliation est réalisée à la fois au régime d’assurance maladie et au régime d’assurance vieillesse.
Ce principe de non-rétroactivité s’oppose à la condamnation de l’employeur au paiement des desdites cotisations.
Au surplus, les dispositions de l’article Lp. 462-1 du code du travail de Nouvelle Calédonie invoquées par l’intimée, qui prévoient une solidarité de la personne condamnée pour travail dissimulé dans le paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires acquittés par son salarié, ne permettent pas de fonder l’action en remboursement de ces sommes intentée à l’encontre de l’employeur.
Le jugement sera infirmé de ce chef et Mme [R] [F] déboutée de sa demande de condamnation à ce titre.
Sur les demandes annexes :
Il serait inéquitable de laisser à Mme [R] [F] la charge des frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer en cause d’appel pour faire légitimement valoir ses droits.
La société [5] sera condamnée à lui verser la somme de 300 000 francs CFP et à assumer la charge des dépens d’appel.
***
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
DECLARE l’appel recevable ;
CONFIRME le jugement, sauf en ses dispositions relatives à la rémunération mensuelle moyenne et à la fixation des créances à la procédure collective ouverte à l’égard de la société [5] ;
Statuant à nouveau de ces chefs :
FIXE à 66 244 francs CFP le revenu mensuel moyen de référence ;
FIXE comme suit les créances de Mme [R] [F] à la procédure collective ouverte à l’encontre de la société [5] :
– 132 488 francs CFP au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;
– 13 249 francs CFP au titre des congés payés sur préavis ;
– 63 242 francs CFP au titre de la prime d’ancienneté ;
– 99 450 francs CFP au titre de la prime d’assiduité ;
– 33 122 francs CFP au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
– 463 708 francs CFP à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– 1 500 000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral distinct lié à la déloyauté dans l’exécution des relations contractuelles ;
– 150 000 francs CFP au titre des frais irrépétibles de première instance ;
DEBOUTE Mme [R] [F] de sa demande de remboursement des sommes versées au titre des impôts et cotisations sociales ;
DIT que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la requête s’agissant des créances salariales et à compter du présent arrêt s’agissant des créances indemnitaires ;
CONDAMNE la société [5] à payer à Mme [R] [F] la somme de 300 000 francs CFP au titre des frais irrépétibles d’appel ;
CONDAMNE la société [5] aux dépens d’appel ;
Le greffier, Le président.