OVH c/ Netflix

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OVH c/ Netflix

Les sociétés Amazon content services LLC, Columbia Pictures industries inc., Disney enterprises inc., Netflix US LLC, Paramount pictures corporation, Universal city studios productions, Warner Bros entertainment inc. et Studiocanal ont obtenu gain de cause contre OVH : les titulaires de droits ont justifié de l’impérieuse nécessité d’identifier le responsable du service en ligne litigieux afin de l’attraire en justice lorsque ne permettent pas les mentions légales d’un site (article 145 du CPC).

C’est en considération de ces éléments qu’une ordonnance sur requête a ordonné à la société OVH GmbH de communiquer tous les éléments permettant l’identification de la ou des personnes ayant un contrat d’hébergement avec cette société en lien avec l’adresse IP 141.95.35.138 et utilisée dans le cadre du service filemoon.sx

Si le litige au fond peut n’être qu’éventuel, la mesure sollicitée doit toutefois reposer sur des faits précis, objectifs et vérifiables, qui permettent de projeter ce litige futur comme plausible et crédible.

En la cause, les titulaires de droit envisagent d’engager une action judiciaire pour contrefaçon de droits d’auteur et/de droits voisins, évoquant une action pénale. De fait, la contrefaçon est sanctionnée tant devant les juridictions civiles que pénales. Les faits dénoncés étant bien susceptibles de recevoir une qualification pénale et l’action envisagée n’étant pas manifestement vouée à l’échec, les sociétés requérantes sont en mesure de saisir la juridiction pénale par voie de citation directe, peu important que d’autres voies procédurales existent où qu’elles n’aient pas encore déposé plainte.

Le dépôt de plainte, s’il permet d’asseoir la nature pénale des faits dénoncés, qui n’est pas contestable en l’espèce, ne garantit pas que la partie s’engage, in fine, dans une action pénale.

Il ne saurait en effet leur être exigé d’avoir engagé préalablement l’action alors que l’article 145 du code de procédure civile exige seulement un procès en germe.

D’ailleurs, dès lors qu’une instance au fond est engagée, fût-ce devant une juridiction sans mise en état, les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile ne sont plus applicables.

Pour ce faire, les sociétés justifient donc de l’impérieuse nécessité d’identifier le responsable du service en ligne litigieux afin de l’attraire en justice, ce que ne permettent pas, en l’état, les mentions légales du site en litige.

L’article 145 du code de procédure civile dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L’application de cet article, qui subordonne le prononcé d’une mesure d’instruction à la seule démonstration d’un intérêt légitime à établir ou à préserver une preuve en vue d’un litige potentiel, n’implique aucun préjugé sur la recevabilité et le bien-fondé des demandes formées ultérieurement, sur la responsabilité des personnes appelées comme partie à la procédure, ni sur les chances du procès susceptible d’être engagé.

Le juge de la rétractation saisi d’une demande de rétractation de l’ordonnance sur requête, doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. (Cass. 2e civ., 7 juill. 2016, n° 15-21.579).

Il est constant que pour ordonner une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, le juge des requêtes doit caractériser l’existence d’un procès potentiel qui ne soit pas manifestement voué à l’échec. Il peut s’agir d’une action devant une juridiction pénale. Le juge saisi sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile n’a pas à caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction au regard de chacun des différents fondements juridiques de l’action que le demandeur se propose d’engager.

Résumé de l’affaire

L’affaire oppose les sociétés Amazon content services LLC, Columbia Pictures industries inc., Disney enterprises inc., Netflix US LLC, Paramount pictures corporation, Universal city studios production, Warner Bros entertainment inc. et Studiocanal à la société OVH GmbH. Les sociétés requérantes demandent à OVH de communiquer des informations permettant d’identifier une personne ayant un contrat d’hébergement en lien avec une adresse IP utilisée pour un service de partage de fichiers. OVH conteste cette demande, arguant qu’elle n’est pas soumise au droit français, que les données demandées ne sont pas justifiées pour lutter contre la contrefaçon, et que seules les procédures pénales permettent de demander de telles informations. Les sociétés requérantes soutiennent que le lien entre l’adresse IP et le service de partage de fichiers est établi, que les mesures d’instruction sont justifiées pour lutter contre la contrefaçon, et que le juge des requêtes a déjà effectué un contrôle de proportionnalité. L’affaire est en attente de décision du juge.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 juin 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
23/11223
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Le :
Copie exécutoire délivrée à : Me SINGH #E1386
Copie certifiée conforme délivrée à : Me BONALDI-NUT #B936

3ème chambre
1ère section

N° RG 23/11223
N° Portalis 352J-W-B7H-C2XBG

N° MINUTE :

Assignation du :
17 octobre 2023

ORDONNANCE DE REFERE RETRACTATION
rendue le 13 juin 2024

DEMANDERESSE

Société OVH GmbH
[Adresse 6]
[Localité 4] (ALLEMAGNE)

représentée par Me Marie-Laure BONALDI-NUT, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #B0936 & Me Viviane GELLES de la SELARL JURISEXPERT, avocat au barreau de LILLE, avocat plaidant

DEFENDERESSES

Société AMAZON CONTENT SERVICES LLC
[Adresse 2]
[Localité 8] (USA)

Société COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES INC
[Adresse 2]
[Localité 8] (USA)

Société DISNEY ENTERPRISES INC
[Adresse 2]
[Localité 8] (USA)

Société NETFLIX US LLC
The Corporation Trust Company
Corporation [Adresse 7]
[Localité 8] (USA)

Société PARAMOUNT PICTURES CORPORATION
[Adresse 2]
[Localité 8] (USA)

Société UNIVERSAL CITY STUDIOS PRODUCTIONS LLLP
Enterprise Corporate Services LLC
[Adresse 1]
[Localité 8] (USA)

Société WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC
The Corporation Trust Company
Corporation [Adresse 7]
[Localité 8] (USA)

S.A.S. STUDIOCANAL
[Adresse 3]
[Localité 5]

représentées par Me Asim SINGH de la SELARL LEO & AQUILA, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1386

MAGISTRAT

Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
assistée de Madame Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l’audience du 11 mars 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 30 mai 2024.
Le délibéré a été prorogé au 13 juin 2024.

ORDONNANCE

Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

Les sociétés Amazon content services LLC, Columbia Pictures industries inc., Disney enterprises inc., Netflix US LLC, Paramount pictures corporation, Universal city studios production, Warner Bros entertainment inc. et Studiocanal sont créatrices de contenus vidéo et de services de divertissement à la demande. A ce titre, elles sont détentrices de licences exclusives de droits d’auteur et de droits voisins dans un vaste catalogue de films cinématographiques et d’émissions de télévision.

La société OVH GmbH se décrit comme une société spécialisée dans l’offre de services d’infrastructures internet.
Par une ordonnance rendue sur requête le 15 mars 2023, le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris a:- ordonné à la société OVH GmbH, ([Adresse 6] Allemagne) de communiquer dans un délai de sept (7) jours à compter de la signification de la présente ordonnance sur une base confidentielle aux requérantes (à la MPA ou à leur conseil) tous les éléments permettant l’identification de la (des) personne(s) ayant un contrat d’hébergement avec cette société en lien avec l’adresse IP 141.95.35.138 et utilisée dans le cadre du service filemoon.sx (et notamment accessible par le biais de « moon-upload-server-s02.filemoon.to » en date du 28 novembre 2022 (12h CET) et notamment les informations suivantes :

a. Les noms et prénoms déclarés lors de la souscription et/ou modifiées depuis ;
b. Les adresses postales et électroniques déclarées lors de la souscription et/ou modifiées
depuis ;
c. Tous numéros de téléphone ou de télécopie déclarés lors de la souscription et/ou
modifiés depuis;
d. Les coordonnées bancaires déclarées lors de la souscription et/ou modifiés depuis;
e. Les modes de paiement (y compris les comptes Paypal et les adresses email ou tout autre moyen utilisé pour effectuer les paiements), les dates et heures, ainsi que les montants des paiements effectués dans le cadre de l’exécution du contrat d’hébergement souscrit ;
f. /
g. L’adresse IP utilisée pour la création du compte, ainsi que la date et l’heure de la connexion associée,
h. Les journaux et données de connexion (adresse IP horodatées) associées à l’utilisation dudit compte conservés par la société concernée depuis six mois.
2 Interdit à la société OVH GmbH, de communiquer à la (aux) personne(s) visée(s) ci-dessus toute information en relation avec la présente procédure, tout élément lié à la présente procédure, ainsi que des mesures prises en exécution de celle-ci ;
3 Rappelé que la présente ordonnance est exécutoire au seul vu de sa minute ;
4 Dit qu’en cas de difficulté, il lui en sera référé.

Par acte de commissaire de justice du 17 octobre 2023, la société OVH GmbH a fait assigner les sociétés Amazon content services LLC, Columbia Pictures industries inc., Disney enterprises inc., Netflix US LLC, Paramount pictures corporation, Universal city studios production, Warner Bros entertainment inc. et Studiocanal devant le président du tribunal judiciaire de Paris afin d’obtenir la rétractation de l’ordonnance rendue sur requête le 15 mars 2023.
L’affaire a été appelée, après un renvoi, à l’audience de plaidoirie du 11 mars 2024 à laquelle les parties ont comparu, représentées.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 février 2024 et reprises oralement, la société OVH GmbH demande au juge, vu les articles 496 et 497 du code de procédure civile, de la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes, d’ordonner la rétractation de l’ordonnance contestée rendue sur requête le 15 mars 2023 et de condamner solidairement les défenderesses à l’instance à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

La société OVH invoque l’absence d’élément probant justifiant le prononcé des mesures d’instruction et conteste le motif légitime invoqué par les requérantes, estimant que les conditions de l’article 145 du code de procédure civile ne sont pas remplies. Rappelant que l’ordonnance prévoit la communication de tous les éléments permettant l’identification de la (ou des) personne(s) ayant un contrat d’hébergement avec cette société en lien avec l’adresse IP 141.95.35.138 et utilisée dans le cadre du service filemoon.sx (et notamment accessible par le biais de < moon-upload-server-s02.filemoon.to> en date du 28 novembre 2022 (12H CET), elle soutient que le motif légitime invoqué par les requérantes n’est pas constitué dès lors qu’elles n’apportent aucun élément permettant de justifier le lien entre l’adresse IP et la plateforme en date du 28 décembre 2022 et qu’aucune information ne justifie la pertinence de cette adresse IP pour obtenir l’identification de l’éditeur de la plateforme .
La société OVH ajoute que le législateur a entendu limiter aux seules procédures pénales la possibilité d’ordonner la communication de ces données aux opérateurs de communication électronique. Ainsi, les données d’identification conservées par les opérateurs techniques dans le cadre de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques ne peuvent être sollicitées que dans le cadre de procédures pénales. Or, en l’espèce, les requérantes se laissent toute liberté quant à une procédure pénale ultérieure et maintiennent une forme d’ambiguité quant à l’action qu’elles envisagent d’introduire. Elle ajoute que se pose la question de savoir si l’article L34-1 précité n’impose pas également que l’action pénale soit déjà engagée.

Elle estime qu’étant une société de droit allemand, domiciliée en Allemagne, proposant ses services via un site en langue allemande, elle ne peut être soumise aux dispositions du droit français, en particulier à la LCEN et à l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques. Elle ajoute que l’adresse IP litigieuse correspond à un serveur informatique localisé en Allemagne et qu’elle exerce son activité d’hébergeur conformément aux obligations du droit allemand. Elle estime qu’elle n’est donc tenue de détenir que les données d’identification imposées par le droit allemand.

La société OVH critique enfin la nature des données sollicitées au vu du type d’infraction concerné. Rappelant que seule la lutte contre la criminalité grave et la prévention de menaces graves contre la sécurité publique sont de nature à justifier des ingérences graves dans les droits fondamentaux, telle que la conservation des données relatives au trafic et des données de localisation, elle estime que les données de trafic ne peuvent être collectées que dans le cadre de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, ce que n’est pas la contrefaçon.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er mars 2024 et soutenues oralement, les société Amazon content services LLC, Columbia Pictures industries inc., Disney enterprises inc., Netflix US LLC, Paramount pictures corporation, Universal city studios productions, Warner Bros entertainment inc. et Studiocanal demandent au juge de la rétractation, vu les articles 145 et 496 du code de procédure civile, de: – déclarer la demande de rétractation formée irrecevable;
– confirmer l’ordonnance sur requête du 15 mars 2023 dans son intégralité, notamment en ce qu’elle ne prévoit aucune astreinte ou sanction pécuniaire en cas de non communication des données qui ne seraient pas détenues par la société requise;
– en tout état de cause, condamner la société OVH à leur verser la somme de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Dans leurs conclusions, auxquelles elles se sont rapportées à l’oral, les sociétés Amazon content services LLC, Columbia Pictures industries inc., Disney enterprises inc., Netflix US LLC, Paramount pictures corporation, Universal city studios production, Warner Bros entertainment inc. et Studiocanal concluent à l’irrecevabilité de la demande en ce qu’elle est adressée, à tort, à la juridiction des référés et non au juge des requêtes qui a rendu l’ordonnance.
Elles concluent que les mesures procèdent d’un motif légitime. Elles notent qu’un lien est établi entre l’adresse IP et le nom de domaine . Elles ajoutent que l’entité APP Global précise, dans son attestation du 31 octobre 2023 que les sous-domaines rattachés au nom de domaine sont hébergés chez OVH GmbH. Elles se prévalent de cette attestation qui confirme que le sous-domaine “moon-upload-server.s02.filemoon.to” était lié à l’adresse IP litigieuse, et qu’OVH GmbH figurait bien comme hébergeur. Elles ajoutent démontrer, par une recherche via l’outil domaintools.com que le sous-domaine était bien hébergé à l’adresse IP entre le 28 juillet 2022 et le 14 septembre 2022.

Elles exposent ensuite que les mesures d’instruction peuvent être ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, par le juge compétent pour ordonner la mesure d’instruction, indépendamment d’une éventuelle application, ou non, de la loi française au fond du litige. Rappelant que des clients de la société OVH GmbH participent au fonctionnement d’un site manifestement illicite accessible sur le territoire français, au public français, elles soutiennent qu’un lien est établi. En outre, la mise en oeuvre de l’ordonnance ne suppose pas d’appliquer la LCEN à la société OVH GmbH, mais simplement de circonscrire les données sollicitées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Elles ajoutent que le juge communautaire rappelle que les mesures provisoires ou conservatoires peuvent s’appliquent sans limite territoriale. Il est en outre constant que les juridictions françaises admettent l’applicabilité de l’article 145 du code de procédure civile à l’égard des entités étrangères dès lors qu’elles sont compétentes sur le fond de l’action envisagée et que le requérant a bien un motif légitime de les voir être ordonnées.

Elles rappellent que le procès futur prévu à l’article 145 du code de procédure civile, peut être envisagé devant une juridiction civile ou une juridiction pénale. Aucune disposition n’impose que l’action pénale ait été engagée lors de la présentation de la requête aux fins de mesures in futurum. En outre, au stade de la mesure d’instruction, il est suffisant que les faits incriminés soient susceptibles de recevoir une qualification pénale. Or, au cas d’espèce, l’action pénale envisagée en contrefaçon n’est pas manifestement vouée à l’échec.

Rappelant que le juge des requête a déjà effectué un contrôle de proportionnalité dans les mesures prononcées, les sociétés requérantes estiment que les faits de contrefaçon allégués, en ce qu’ils pourraient même relever du chef de contrefaçon en bande organisée punie d’une peine d’emprisonnement maximale de 7 ans, peuvent être considérés comme une infraction grave au sens de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques et permettre la communication des informations de journaux et données de connexion, ce qui n’implique pas nécessairement une ingérence grave dans les droits fondamentaux.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête rendue le 15 mars 2023

L’article 496 du code de procédure civile en son alinéa 2 dispose que s’il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l’ordonnance.
En l’espèce, la société OVH a fait citer les défenderesses “devant M. Le président du tribunal judiciaire de Paris référé rétractation de l’ordonnance sur requête du 15 mars 2023”.
Il y a lieu de considérer que cette assignation est régulière et de déclarer la société OVH GmbH recevable en ses demandes.
Sur la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête rendue le 15 mars 2023

L’objet de la demande fondée l’article 496 du code de procédure civile précité, est de permettre au juge ayant statué sur la requête d’apprécier si, au regard des éléments fournis dans le cadre du débat contradictoire, il aurait rendu la même décision ou au contraire aurait limité la mission autorisée, voire refusé d’autoriser la mesure.
Sur le motif légitime

L’article 145 du code de procédure civile dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
L’application de cet article, qui subordonne le prononcé d’une mesure d’instruction à la seule démonstration d’un intérêt légitime à établir ou à préserver une preuve en vue d’un litige potentiel, n’implique aucun préjugé sur la recevabilité et le bien-fondé des demandes formées ultérieurement, sur la responsabilité des personnes appelées comme partie à la procédure, ni sur les chances du procès susceptible d’être engagé.
Le juge de la rétractation saisi d’une demande de rétractation de l’ordonnance sur requête, doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. (Cass. 2e civ., 7 juill. 2016, n° 15-21.579).
Il est constant que pour ordonner une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, le juge des requêtes doit caractériser l’existence d’un procès potentiel qui ne soit pas manifestement voué à l’échec. Il peut s’agir d’une action devant une juridiction pénale. Le juge saisi sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile n’a pas à caractériser le motif légitime d’ordonner une mesure d’instruction au regard de chacun des différents fondements juridiques de l’action que le demandeur se propose d’engager.
Si le litige au fond peut n’être qu’éventuel, la mesure sollicitée doit toutefois reposer sur des faits précis, objectifs et vérifiables, qui permettent de projeter ce litige futur comme plausible et crédible.
En l’espèce, les sociétés Amazon content services LLC, Columbia Pictures industries inc., Disney enterprises inc., Netflix US LLC, Paramount pictures corporation, Universal city studios productions, Warner Bros entertainment inc. et Studiocanal soutiennent que le service permet aux utilisateurs de télécharger et de stocker tout type de contenu audiovisuel, en ce compris du contenu pour lequel elles bénéficient d’une protection par le droit d’auteur et les droits voisins, diffusé au public sans leur autorisation. Elles produisent pour ce faire deux rapports APP qui établissent la diffusion des contenus litigieux, les requérantes qualifiant le fonctionnement du service de “streaming cyberlocker”.
Elles envisagent d’engager une action judiciaire pour contrefaçon de droits d’auteur et/de droits voisins, évoquant, en page 9 de leur requête, une action pénale. De fait, la contrefaçon est sanctionnée tant devant les juridictions civiles que pénales. Les faits dénoncés étant bien susceptibles de recevoir une qualification pénale et l’action envisagée n’étant pas manifestement vouée à l’échec, les sociétés requérantes sont en mesure de saisir la juridiction pénale par voie de citation directe, peu important que d’autres voies procédurales existent où qu’elles n’aient pas encore déposé plainte. Le dépôt de plainte, s’il permet d’asseoir la nature pénale des faits dénoncés, qui n’est pas contestable en l’espèce, ne garantit pas que la partie s’engage, in fine, dans une action pénale.
Il ne saurait en effet leur être exigé d’avoir engagé préalablement l’action alors que l’article 145 du code de procédure civile exige seulement un procès en germe. D’ailleurs, dès lors qu’une instance au fond est engagée, fût-ce devant une juridiction sans mise en état, les dispositions de l’article 145 du code de procédure civile ne sont plus applicables.
Pour ce faire, les sociétés justifient de l’impérieuse nécessité d’identifier le responsable du service en ligne litigieux afin de l’attraire en justice, ce que ne permettent pas, en l’état, les mentions légales du site en litige.
C’est en considération de ces éléments que l’ordonnance sur requête rendue le 15 mars 2023 a ordonné à la société OVH GmbH de communiquer tous les éléments permettant l’identification de la ou des personnes ayant un contrat d’hébergement avec cette société en lien avec l’adresse IP 141.95.35.138 et utilisée dans le cadre du service filemoon.sx (et notamment accessible par le biais de en date du 28 novembre 2022 (12h CET).
Si la requête initiale comportait, en pièces 12 et 13, les extraits DNSwatch permettant de faire le lien entre les noms de domaine, notamment et les adresses IP, dont celle précitée, l’URL n’apparaissait toutefois pas dans les rapports de l’APP des 25 novembre et 13 décembre 2022 produits, permettant de faire le lien avec le contenu dénoncé et de déterminer en quoi cette adresse est déterminante à l’identification de l’éditeur du service, les sociétés versent aux débats de nouvelles pièces pour éclairer la situation telle que décrite au jour de la requête.
Elles produisent notamment une attestation remise par un agent de l’entité APP Global Ltd datée du 31 octobre 2023, dans laquelle il est précisé que lors de la constitution du dossier en novembre 2022, il a pu identifier 54 sous-domaines, dont le sous-domaine “moon-upload-server.s02.filemoon.to”, lié à l’adressé IP 141.95.35.138, contribuant à la diffusion en continu via des lecteurs ouverts à partir du domaine filemoon.sx, du contenu audiovisuel hébergé par filemoon.sx. Les sociétés justifient également, au moyen d’une capture d’écran de l’application domaintools.com, que le sous-domaine était bien hébergé à l’adresse IP précitée du 5 juin 2022 au 8 avril 2023 et du 3 juin 2022 au 26 mars 2023.
Au regard de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de considérer que les sociétés justifient d’un motif légitime pour solliciter de l’intermédiaire technique que constitue l’hébergeur, la société OVH GmbH, la transmission d’informations nécessaires à l’identification du responsable du site.
Sur la loi applicable à l’hébergeur

L’ordonnance sur requête a été rendue sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile qui dispose que s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
Il est constant que dans un litige comportant des éléments d’extranéité, la mise en oeuvre de mesures d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile est soumise à la loi française et n’impose pas au juge de caractériser le motif légitime ou d’ordonner une mesure d’instruction au regard de la loi susceptible d’être appliquée à l’action au fond qui sera éventuellement engagée (Civ. 1ère, 4 juillet 2007).
Par conséquent, les conditions requises pour qu’une mesure d’instruction puisse être ordonnée en application de l’article 145 du code de procédure civile suivent le régime du droit français.
Il sera par ailleurs observé qu’il n’est pas question, dans la présente instance, de rechercher la responsabilité de la société OVH pour un éventuel manquement à une obligation pré-existante de conservation de certaines données en application de la loi française. En outre, les faits dénoncés, pour lesquels l’hébergeur a la qualité d’intermédiaire, ont eu lieu, pour partie, en France, ainsi que cela ressort du procès-verbal remis par APP Global en 2022, la requête mentionnant qu’1,9% des utilisateurs du service en ligne litigieux sont français. Enfin, il doit être souligné, au surplus, que les dérogation au principe d’effacement des données personnelles sont conformes au droit de l’Union européenne et qu’il n’est pas démontré qu’elles seraient, au cas d’espèce, indisponibles.

Le moyen soulevé par la société OVH GmbH relatif à la loi applicable au litige n’est donc pas fondé.
Sur la nature des pièces et informations communiquées

L’article 145 du code de procédure civile dispose que peuvent être ordonnées sur requête, à la demande de tout intéressé, les mesures d’instruction légalement admissibles.
Constituent des mesures légalement admissibles des mesures d’instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l’objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge de vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Cass. 2e civ., 25 mars 2021)
L’autonomie de l’article 145 du code de procédure civile ne peut conduire le juge des référés ou des requêtes à autoriser la communication de données dont le législateur n’autorise pas la conservation. Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne s’oppose-t-elle à une conservation généralisée et indifférenciée, à titre préventif, des données de trafic et de localisation aux fins de lutte contre la criminalité, quel que soit son degré de gravité. En outre, la Cour de justice de l’Union européenne juge que l’accès aux données n’est possible que pour la finalité ayant justifié la conservation (CJUE 6 octobre 2020 affaire C-511/18, C-512/18 et C-520/18 la quadrature du net et a.).
L’appréciation du caractère légalement admissible des mesures ordonnées implique, pour les circonscrire, de se référer aux dispositions de l’article L. 34-1 du code des postes. En l’espèce, le juge des requête a autorisé la transmission de données de connexion dont les parties exposent qu’elles relèvent de la catégorie visée à l’article L. 34-1 II bis 3° du code des postes et des communications électroniques (page 7 des conclusions déposées par la société OVH). Il s’agit de données techniques permettant d’identifier la source de la connexion que les hébergeurs, en application combinée des dispositions de l’article 6 2. de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (ci-après LCEN) et de l’article 5 du décret n°202-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données sont tenus de détenir et de conserver jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la connexion ou de l’utilisation des équipements terminaux pour permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires, pour les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale. Or, les faits allégués de contrefaçon peuvent, en l’espèce, compte-tenu de l’ampleur du réseau dénoncé et des enjeux financiers s’agissant de sites commerçants, relever d’une qualification pénale aggravée. En effet, la peine encourue en matière de contrefaçon est de 3 ans, 7 ans lorsqu’elle est commise en bande organisée selon l’article L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle. Elle fait ainsi partie de la délinquance grave, bien qu’il s’agisse d’une infraction contre les biens.
En outre, il importe de souligner que les responsables des sites litigieux dissimulent volontairement les données permettant leur identification, dans un objectif manifeste de conserver une opacité certaine, sans se conformer aux règles édictées par la directive commerce électronique. La mesure prononcée est par ailleurs limitée dans le temps (concernant des données sur une période de six mois), dans son objet puisqu’elle ne concerne que les données de connexion associées à l’utilisation dudit compte dans le cadre de l’identification des responsables du services, et ne comporte pas de données de localisation. La société OVH ne soutient d’ailleurs ni ne démontre que l’ingérence ainsi autorisée porterait une atteinte disproportionnée à la vie privée des personnes concernées, alors que dans le même temps, les requérantes démontrent au contraire que ces données sont nécessaires à identifier les personnes responsables et à garantir le droit à un recours effectif pour assurer la protection d’un droit de propriété intellectuelle. La mesure sollicitée est donc nécessaire à l’exercice du droit à la preuve des requérants et proportionnée aux intérêts en présence.
Au regard de l’ensemble de ces considérations, la demande de rétractation de l’ordonnance sera rejetée.
Sur les demandes annexes

Succombant, la société OVH GmbH sera condamnée aux dépens de l’instance.
Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer aux sociétés Amazon content services LLC, Columbia Pictures industries inc., Disney enterprises inc., Netflix US LLC, Paramount pictures corporation, Universal city studios production, Warner Bros entertainment inc. et Studiocanal la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LE JUGE DE LA RETRACTATION

DÉCLARE la société OVH GmbH recevable en sa demande de rétractation;

DIT n’y avoir lieu à rétractation de l’ordonnance sur requête du 15 mars 2023 et rejette la demande;

CONDAMNE la société OVH GmbH aux dépens de l’instance;

CONDAMNE la société OVH GmbH à payer aux sociétés Amazon content services LLC, Columbia Pictures industries inc., Disney enterprises inc., Netflix US LLC, Paramount pictures corporation, Universal city studios production, Warner Bros entertainment inc. et Studiocanal la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Faite et rendue à Paris le 13 juin 2024

La Greffière Le Juge de la rétractation


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