Mesure d’instruction légitime et suspension des échéances de prêts

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Mesure d’instruction légitime et suspension des échéances de prêts

Résumé de l’affaire

M. [U] [I] et Mme [E] [O] ont acquis une maison individuelle et ont entrepris des travaux de réaménagement et d’agrandissement. Ils ont fait appel à plusieurs entreprises pour réaliser ces travaux, mais ont rencontré de nombreuses malfaçons, retards et non-conformités. La société AC BAT, chargée des travaux, a abandonné le chantier, ce qui a conduit M. [I] et Mme [O] à engager une procédure judiciaire pour demander une expertise et la suspension des contrats de prêts liés aux travaux. L’affaire a été portée devant le tribunal et une décision est attendue pour le 09 août 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

9 août 2024
Tribunal judiciaire de Versailles
RG
24/00635
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
09 AOUT 2024

N° RG 24/00635 – N° Portalis DB22-W-B7I-R7MB
Code NAC : 54G

DEMANDEURS

Monsieur [U] [I]
né le 06 Août 1978 à [Localité 18],
demeurant [Adresse 10]

Madame [E] [D] [F] [T] [O]
née le 31 Juillet 1981 à [Localité 17],
demeurant [Adresse 10]

Représentée par Me Marie DE LARDEMELLE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 29, avocat postulant et par Me Louis DE MEAUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L 158, avocat plaidant,

DEFENDERESSES

[K] [Z], entreprise individuelle, non inscrite au R.C.S, SIREN n° 754 075 935, dont le siège social est [Adresse 3],

Représentée par Me Marie-laure TESTAUD, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 483

CONSEIL ETUDE REALISATIONS (CER), société par actions simplifiée, inscrite au R.C.S VERSAILLES sous le n° 823 833 835, dont le siège social est [Adresse 6], prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège,

Représentée par Me Manel GHARBI, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 6, avocat postulant et par Me Morgane HANVIC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D091, avocat plaidant,

AGENCE D’ARCHITECTURE DESFORGES GRESSENT – AADG, société à responsabilité limitée, inscrite au R.C.S VERSAILLES sous le n° 813 862 539, dont le siège social est [Adresse 8] à [Localité 13], prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège,

Représentée par Me Marie-laure TESTAUD, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 483

MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANÇAIS, société d’assurance à forme mutuelle, non inscrite au RCS, SIREN n° 784 647 349, dont le siège social est situé [Adresse 4], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
Assureur de la société AGENCE D’ARCHITECTURE DESFORGES GRESSENT – AADG (Police n° 160549/B) et de Madame [Z] [K] (Police n° 164486/B)

Représentée par Me marie-laure TESTAUD, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 483

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL [Localité 21] ET D’ÎLE-DE-FRANCE, société coopérative à capital variable, inscrite au R.C.S PARIS sous le n° 775 665 615, dont le siège social est [Adresse 5] à [Localité 12], prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège,

Représentée par Me Thierry VOITELLIER, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52, avocat postulant et par Me Bénédicte BURY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P 121, avocat plaidant,

SOCIETE MUTUELLE D’ASSURANCE DU BÂTIMENT ET DES TRAVAUX PUBLICS – (SMABTP), société d’assurances mutuelles, inscrite au R.C.S PARIS sous le n° 775 684 764, dont le siège social est [Adresse 15], prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège,
Assureur RC PRO de la société CONSEIL ETUDE REALISATIONS (Contrat n° 7302001 / 001 584252/2)

Représentée par Me Véronique BUQUET-ROUSSEL, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462

AC BAT, société par actions simplifiée, inscrite au R.C.S CRÉTEIL sous le n° 491 758 132, dont le siège social est [Adresse 7] à [Localité 16], prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège,

Non représentée,

AXA FRANCE IARD, société anonyme, immatriculée au R.C.S NANTERRE sous le n° 722 057 460, dont le siège est sis [Adresse 9], prise en la personne de son président domicilié en cette qualité audit siège,
assureur RC décennale de la société AC BAT (Contrat n° 21031510804)

Non représentée,

***

Débats tenus à l’audience du : 11 Juin 2024

Nous, Charlotte MASQUART, Vice-Présidente, assistée de Elodie NINEL, Greffière placée,

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil, à l’audience du 11 Juin 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 26 juillet 2024, prorogée au 09 Août 2024, date à laquelle l’ordonnance suivante a été rendue :

EXPOSE DU LITIGE

M. [U] [I] et Mme [E] [O] ont acquis le 27 septembre 2021 une maison individuelle à usage d’habitation située [Adresse 11] à [Localité 22].

Souhaitant réaménager et agrandir la maison, ils ont fait appel à la CAISSE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 21] ET D’ILE DE France qui leur a consenti deux prêts PTH avec anticipation facilimmo n° 00002719606 et 0000 2719609 aux termes d’un acte en date du 20 août 201 lequel prévoyait en outre deux prêts relais.

Par contrat du 17 mai 2021, ils ont confié Mme [Z] [K], assurée auprès de la MAF une mission de maîtrise d’oeuvre de conception et d’exécution de leur projet.

Selon devis accepté du 21 janvier 2022, ils ont confié une mission d’ingénierie géotechnique de type G2 à la société GEOTEC.

Par acte d’engagement en date du 17 février 2022, ils ont confié à la Société CONSEIL ETUDE REALISATIONS dite CER, assurée auprès de la SMABT, une mission d’étude structure de leur projet.

Mme [K] ne pouvant exécuter l’ensemble des missions confiés, M. [I] et Mme [O] ont, sur sa recommandation, confié à la société d’architecte DESFORGES-GRESSEBT-AADG (ci-après dénommée la société AADG), assurée auprès de la MAF, une mission de maîtrise d’œuvre complète suivant contrat du 25 avril 2022.
Au mois de juillet 2022, la société AADG a procédé à un appel d’offres, établi un DCE avec l’assistance de l’économiste de la construction MATRICE ECONOMIE, en coordination avec Mme [K] dont le contrat n’avait pas encore été formellement résilié, et recommandé à M. [I] et Mme [O] la société AC BAT.

Par acte du 18 octobre 2022, M. [I], Mme [O] et Mme [K] sont convenus de formaliser la résiliation du premier contrat de maîtrise d’œuvre.

Le marché de travaux a été confié à la société AC BAT par acte d’engagement du 25 novembre 2022 pour un montant de 264.157,50 euros HT soit 300.442,75 euros TTC.
Il prévoyait que les travaux débuteraient le 6 décembre 2022 pour se terminer le 28 juillet 2023. La société AC BAT était assurée durant les années 2022 et 2023 auprès de la société AXA France IARD en RC décennale.

M. [I] et Mme [O] ont versé la somme totale de 259.671,98 euros.

Ils ont constaté durant le chantier de nombreuses malfaçons, non façons, non conformités et retards.

Au début du mois de janvier 2024, la société AC BAT a cessé de se présenter aux réunions de chantier et a abandonné le chantier le 12 janvier 2024.

Par courrier du 31 janvier 2024 ils ont mis en demeure la société AC BAT de reprendre le chantier et participer aux réunions d’expertise, procéder à la mise hors d’eau et hors d’air de maison proposer une solution réparatoire concernant le sous-sol et l’extension, fournir une liste détaillée des travaux à achever ainsi qu’un planning, fournir l’attestation d’assurance décennale pour l’année 2024, fournir un estimatif du coût de stravaux nécessiare à la reprise et l’achèvement du chantier.
Le courrier est revenu avec la mention « destinataire inconnu ».

Par acte de commissaire de justice du 23 février 2024, M.[I] et Mme [O] ont fait sommation à la société AC BAT :
De procéder à la résiliation du marché à ses torts exclusifs, D’être présente sur le chantier le 1er mars 2024 afin de procéder à un constat contradictoire de l’état d’avancement des travaux et réceptionner les travaux avec réserves à l’issue du constat,D’avoir à quitter le chantier et de procéder à l’enlèvement de l’ensemble de ses installations.
Seule la société AADG a participé à la réunion qui s’est déroulée le 1er mars 2024. Maître [S] [B] a dressé un procès-verbal de constat de l’état du chantier.

Par actes de commissaire de justice délivrés les 12, 15 et 18 avril 2024, M. [U] [I] et Mme [E] [O] ont fait assigner les défendeurs en référé-expertise et suspension de l’exécution des contrats de prêts jusqu’à la solution du litige.

L’affaire a été évoquée à l’audience du 11 juin 2024.

M. [I] et Mme [O] ont maintenu leurs demandes.

La SARL AADG, la MAF, la SMABTP, la SAS CER ont formé protestations et réserves. La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de [Localité 21] et d’Ile de France a demandé au juge de lui donner acte de ce qu’elle s’en rapportait à la justice sur la demande d’expertise et sur la demande de suspension de l’exécution des contrats de prêts mais a demandé le maintien des cotisations d’assurance.

Les autres défendeurs n’ont pas constitué avocat.

La décision a été mise en délibéré au 26 juillet 2024, prorogée au 09 août 2024.

MOTIFS

L’article 143 du code de procédure civile dispose que « Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible. »

L’article 232 du code de procédure civile ajoute que « Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert la lumière d’un technicien. »

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. ».

Justifie d’un motif légitime au sens de ce texte, la partie qui démontre la probabilité de faits susceptibles d’être invoqués dans un litige éventuel. Ainsi, si le demandeur à la mesure d’instruction n’a pas à démontrer l’existence des faits, il doit néanmoins justifier d’éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n’est pas manifestement voué à l’échec et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

Le motif légitime est un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, et présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l’objet le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d’autrui ; elle doit être pertinente et utile.

Si la partie demanderesse dispose d’ores et déjà de moyens de preuve suffisants pour conserver ou établir l’existence des faits litigieux, la mesure d’instruction demandée est dépourvue de toute utilité et doit être rejetée.

En l’espèce, la mesure demandée est légalement admissible ;

Le litige potentiel a un objet et un fondement suffisamment caractérisés ;

La prétention des demandeurs n’est pas manifestement vouée à l’échec ;

Les demandeurs dont les allégations ne sont pas imaginaires et présentent un certain intérêt, justifie, par la production de comptes rendus de chantier et d’un procès-verbal de constat dressé le 1er mars 2024 , du caractère légitime de leur demande ;

Il y a donc lieu d’y faire droit, dans les conditions détaillées dans le dispositif.

Sur la demande de suspension des échéances des prêts

Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence de différents.

L’article L314-44 du code de la consommation permet au juge de suspendre l’exécution de tout contrat de prêt affecté à des travaux de rénovation immobilière en cas de contestations relative à l’exécution des travaux et ce jusqu’à la solution apportée au litige.

En l’espèce, M. [I] et Mme [O] démontrent être contraints de continuer à louer un logement, faute de pouvoir emménager dans le bien acquis depuis presque trois ans. La condition d’urgence caractérisée par la difficulté à supporter leurs engagements financiers est remplie.

Il n’est pas contesté en défense que les conditions d’application de l’article L. 314-44 du code de la consommation sont réunies. Il sera fait droit à leur demande précision faite qu’elle ne peut concerner les cotisations d’assurance ainsi que le relève la Caisse régionale de Crédit Agricole Mutuel de [Localité 21] et d’Ile de France.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

L’équité et la situation économique des parties ne commandent pas l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

Les dépens seront à la charge des demandeurs à l’expertise.

PAR CES MOTIFS

Nous, Charlotte Masquart, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Versailles, statuant par ordonnance mise à disposition au greffe, réputée contradictoire et en premier ressort,

Vu l’ article 145 du code de procédure civile,

Ordonnons une expertise,

COMMETTONS pour y procéder

M. [M] [C]
[Adresse 19]
[Localité 14]
Tél : [XXXXXXXX01]
Port. : [XXXXXXXX02]
Mail : [Courriel 20]

expert, inscrit sur la liste de la Cour d’appel, avec mission de :

* convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l’occasion de l’exécution des opérations ou de la tenue des réunions d’expertise,

* se faire remettre toutes les pièces utiles à l’accomplissement de sa mission,

* se rendre sur les lieux et en faire la description,

* relever et décrire les désordres, malfaçons et inachèvements affectant l’immeuble litigieux, tels qu’ils figurent dans les comptes-rendus de chantier n° 19,34,36,44,45,46 et 47 et le procès-verbal de constat dressé par commissaire de justice le 1er mars 2204 et le cas échéant, sans nécessité d’extension de mission, tous désordres connexes révélés postérieurement à l’assignation et ayant d’évidence la même cause en considération des documents contractuels liant les parties,

* en détailler les causes et fournir tous éléments permettant à la juridiction de déterminer à quels fournisseurs ou intervenants ces désordres, malfaçons et inachèvements sont imputables, dans quelle proportion,

* indiquer les conséquences de ces désordres, malfaçons et inachèvements quant à la solidité, l’habitabilité, l’esthétique du bâtiment, et, plus généralement quant à l’usage qui peut en être attendu ou quant à la conformité à sa destination,

* indiquer les solutions appropriées pour y remédier,

* préciser et évaluer les préjudices et coûts induits par ces désordres, malfaçons et inachèvements et par les solutions possibles pour y remédier,

*dire si des travaux urgents sont nécessaires soit pour empêcher l’aggravation des désordres et du préjudice qui en résulte soir pour prévenir les dommages aux personnes ou aux biens,

*dans l’affirmative à la demande d’une partie ou en cas de litige sur les travaux de sauvegarde nécessaire, décrire ces travaux et en faire une estimation sommaire dans un rapport intermédiaire qui devra être déposée aussitôt que possible,

* rapporter toutes autres constatations utiles à l’examen des prétentions des parties,

* mettre, en temps utile, au terme des opérations d’expertise, par le dépôt d’un pré-rapport, les parties en mesure de faire valoir, dans le délai qu’il leur fixera, leurs observations qui seront annexées au rapport,

DISONS que l’expert pourra, si besoin est, se faire assister de tout sapiteur de son choix,

FIXONS à 3000 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert, qui sera versé par le demandeur, au plus tard le 30 septembre 2024, entre les mains du régisseur d’avance de recettes de cette juridiction,

IMPARTISSONS à l’expert, pour le dépôt du rapport d’expertise, un délai de 6 mois à compter de l’avertissement qui lui sera donné par le greffe du versement de la provision,

DISONS qu’en cas de refus ou d’empêchement de l’expert, il sera procédé à son remplacement par le magistrat chargé du contrôle des expertises qui est par ailleurs chargé de la surveillance des opérations d’expertise,

ORDONNONS la suspension de l’exécution des contrats de prêts -PTH AVEC ANTICIPATION FACILIMMO n°000027&960- et 00002719609 liant M. [I] et Mme [O] à la société CAISSE REGIONALE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE [Localité 21] ET D’ILE DE France jusqu’à la solution du présent litige ;

RAPPELONS que les cotisations d’assurance restent dues ;

DISONS que les dépens seront à la charge de M. [I] et Mme [O].

Prononcé par mise à disposition au greffe le NEUF AOUT DEUX MIL VINGT QUATRE par Charlotte MASQUART, Vice-Présidente, assistée de Elodie NINEL, Greffière placée, lesquelles ont signé la minute de la présente décision.

LA GREFFIÈRE LA VICE-PRÉSIDENTE
Elodie NINEL Charlotte MASQUART


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