→ Résumé de l’affaireM. et Mme [Y] ont fait construire une maison d’habitation et ont constaté des désordres concernant l’étanchéité, la pompe à chaleur, le système d’assainissement, la corrosion des menuiseries et la terrasse. Ils ont assigné plusieurs entreprises et assureurs en justice pour expertise. La société CRAMA Bretagne-Pays de Loire a soulevé une fin de non-recevoir basée sur la prescription de l’action directe des époux [Y]. Le juge de la mise en état a déclaré irrecevables les demandes dirigées contre la CRAMA pour cause de prescription. M. et Mme [Y] ont interjeté appel de cette décision et demandent à la cour de déclarer leur action recevable contre la CRAMA. La CRAMA soutient que l’action est prescrite car l’assignation a été faite après le délai de prescription. Elle demande le rejet des demandes de M. et Mme [Y] et leur condamnation aux dépens. |
→ L’essentielIrrégularité de la procédure de désistement d’appelIl convient de donner acte à M. et Mme [Y] de leur désistement d’appel à l’égard des sociétés Abeille IARD & Santé, Pouliquen, Entreprise Bihannic, la SMABTP et M. [R]. Prescription biennale de l’action directe contre l’assureurSelon l’article L 114-1 du code des assurances, toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance. Par exception, les actions dérivant d’un contrat d’assurance relatives à des dommages résultant de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse-réhydratation des sols sont prescrites par cinq ans. Renonciation à la prescription de l’action biennaleAux termes de l’article L 113-17 du code des assurances, l’assureur qui prend la direction d’un procès intenté à l’assuré est censé aussi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu’il a pris la direction du procès. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N° 178
N° RG 23/05742
N��Portalis DBVL-V-B7H-UFAH
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 01 AOUT 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Brigitte DELAPIERREGROSSE, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Nathalie MALARDEL, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Philippe BELLOIR, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Françoise BERNARD, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 07 Mai 2024
devant Madame Nathalie MALARDEL, magistrat rapporteur, tenant seule l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Rendu par défaut, prononcé publiquement le 01 Août 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTS :
Madame [N] [Y] née [J]
[Adresse 12]
[Localité 6]
Représentée par Me Hélène DAOULAS de la SELARL DAOULAS-HERVE ET ASS., Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
Monsieur [P] [Y]
[Adresse 12]
[Localité 6]
Représenté par Me Hélène DAOULAS de la SELARL DAOULAS-HERVE ET ASS., Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
INTIMÉES :
S.A. ABEILLE IARD & SANTE
[Adresse 1]
[Localité 13]
Assignée à personne habilitée à l’adresse suivante : [Adresse 9]
Monsieur [C] [R] Artisan
[Adresse 2]
[Localité 5]
Assigné à étude
CAISSE REGIONALE D’ASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE BRETAGNE PAYS DE LOIRE – GROUPAMA LOIRE BRET AGNE
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée par Me Gérard BRIEC de la SELARL BRIEC GERARD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER
S.A.S. ENTREPRISE BIHANNIC
[Adresse 8]
[Localité 4]
Assignée à personne habilitée
S.A.R.L. POULIQUEN
[Adresse 15]
[Localité 6]
Assignée à étude
S.A. SMABTP
[Adresse 11]
[Localité 10]
Assignée à personne habilitée
M. [P] [Y] et Mme [N] [Y] née [J] ont fait construire une maison d’habitation sur la commune de [Localité 14].
Le lot ossature bois a été confié à la société [R] Charpente, le lot menuiseries à M. [C] [R], le lot couverture et étanchéité à la société Bihannic et le lot plomberie, chauffage et électricité à la société Bihan.
La déclaration d’ouverture du chantier est datée du 11 mars 2008 et la déclaration d’achèvement du 6 janvier 2009.
Se plaignant de désordres concernant l’étanchéité, la pompe à chaleur, le système d’assainissement, la corrosion des menuiseries ainsi que la terrasse, M. et Mme [Y] ont fait assigner par actes d’huissier des 19, 20 et 27 décembre 2018 la société Entreprise Bihannic, la société Pouliquen, la société [R] Charpente, M. [R] et la société CRAMA Bretagne-Pays de Loire, en qualité d’assureur de l’entreprise Bihan devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Quimper aux fins d’expertise. Il a été fait droit à la demande par ordonnance du 13 mars 2019.
Par actes d’huissier des 23, 24, 25 et 30 mars 2022, M. et Mme [Y] ont fait assigner la société Abeille IARD & Santé, M. [R], la CRAMA, M. [R], la société Entreprise Bihannic, la société Pouliquen et la SMABTP au fond devant le tribunal judiciaire de Quimper.
L’expert, Mme [O], a déposé son rapport le 21 avril 2023.
Par conclusions d’incident du 3 avril 2023, la société CRAMA Bretagne-Pays de Loire a saisi le juge de la mise en état d’une fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action directe des époux [Y].
Par ordonnance du 8 septembre 2023, le juge de la mise en état a :
– déclaré irrecevables les demandes dirigées contre la CRAMA, en sa qualité d’assureur de M. [R] et de la société [R] Charpente, pour cause de prescription ;
– dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit que les dépens de l’incident suivront le sort de ceux de l’instance au fond ;
– renvoyé l’affaire à la mise en état du 6 octobre 2023 et donné injonction au demandeur de conclure au fond pour cette date en lecture du rapport d’expertise.
M. et Mme [Y] ont interjeté appel de cette ordonnance par déclaration remise au greffe de la cour d’appel de Rennes le 6 octobre 2023, intimant la société Abeille IARD & Santé, M. [R], la société CRAMA Bretagne-Pays de Loire, la société Entreprise Bihannic, la société Pouliquen et la SMABTP.
L’instruction a été clôturée le 7 mai 2024.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans leurs dernières conclusions en date du 30 avril 2024, L113-17, L114-1, L124-3, L241-1 du code des assurances, 1792, 2224, 2233, 2239, 2241 et 2245 du code civil, M. et Mme [Y] demandent à la cour de :
– reformer l’ordonnance dont appel ;
– statuant à nouveau,
– déclarer l’action de M. et Mme [Y] recevable contre la CRAMA ;
– débouter la CRAMA Bretagne-Pays de Loire de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– donner acte que les époux [Y] se désistent de leur appel contre les parties suivantes :
– la société Abeille IARD & Santé ;
– la société Pouliquen ;
– M. [R] ;
– la société Entreprise Bihannic ;
– la SMABTP ;
– condamner la CRAMA à payer à M. et Mme [Y] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens de première instance et d’appel.
Ils considèrent que l’action directe contre l’assureur n’est pas prescrite, que l’assignation en référé qui interrompt le délai à l’égard des constructeurs l’interrompt également à l’égard de « leur garant », que l’assignation au fond a été délivrée dans le cadre d’un nouveau délai de dix ans suite à l’interruption de l’action par l’ordonnance désignant l’expert, laquelle a ensuite été suspendue durant l’expertise en application de l’article 2239 du code civil, le rapport de l’expert ayant été déposé le 21 avril 2023. Ils estiment également que la prescription de deux ans de l’assuré ne court qu’à compter de l’assignation au fond qui précise les fondements et chiffre les demandes et permet à l’assuré de mettre en cause son assureur.
Ils soutiennent également que la CRAMA avait pris la direction du procès. Ils font valoir que l’assureur avait désigné son expert M. [I] et a été assigné au fond avant même l’achèvement de l’expertise. Ils considèrent que la circonstance que M. [I] a émis un dire durant les opérations d’expertise suffit à démontrer la prise de direction du procès. Ils en déduisent que la CRAMA a renoncé à toutes les exceptions, y compris la prescription.
Dans ses dernières conclusions en date du 3 mai 2024, la société CRAMA Bretagne-Pays de Loire demande à la cour de :
– confirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état de Quimper en date du 8 septembre 2023 ;
En conséquence,
– débouter M. [Y] et Mme [J] de leurs demandes, fins et conclusions ;
– juger M. [Y] et Mme [J] irrecevables en leurs demandes dirigées contre la CRAMA en sa qualité d’assureur de M. [R] et de la société [R] Charpente pour cause de prescription ;
– condamner M. et Mme [Y] au règlement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure devant la cour d’appel ainsi qu’aux entiers dépens.
Après avoir rappelé que l’action directe de la victime contre l’assureur de responsabilité se prescrit dans le même délai que son action contre le responsable, qu’elle peut être exercée tant que l’assuré demeure exposé au recours de son assuré, que l’action en référé expertise fait courir le délai de prescription biennale, que l’interruption de la prescription contre l’assuré résultant d’une assignation en justice est sans incidence sur le cours de la prescription de l’action directe, elle en déduit que les maîtres de l’ouvrage pouvaient assigner l’assureur de la société [R] Charpente et de M. [C] [R] jusqu’au mois de décembre 2020, que ne les ayant assignés que le 23 mars 2022, leur action est prescrite.
Elle soutient que le fait de mandater un expert ne vaut pas une prise de direction du procès, qu’en tout état de cause à la date du dire de l’expert le 5 septembre 2019, la prescription de l’action n’était pas acquise de sorte qu’elle n’a pu y avoir renoncé.
Il convient de donner acte à M. et Mme [Y] de leur désistement d’appel à l’égard des sociétés Abeille IARD & Santé, Pouliquen, Entreprise Bihannic, la SMABTP et M. [R].
En application des articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du code civil, les actions du maître de l’ouvrage contre le constructeur en réparation des désordres affectant l’ouvrage doivent être exercées, à peine de forclusion, dans le délai de dix ans à compter de sa réception.
Aux termes de l’article L 124-3 du code des assurances « le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable.
L’assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n’a pas été désintéressé, jusqu’à concurrence de ladite somme, des conséquences pécuniaires du fait dommageable ayant entraîné la responsabilité de l’assuré. »
Selon l’article L 114-1 du code des assurances « toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance. Par exception, les actions dérivant d’un contrat d’assurance relatives à des dommages résultant de mouvements de terrain consécutifs à la sécheresse-réhydratation des sols, reconnus comme une catastrophe naturelle dans les conditions prévues à l’article L. 125-1, sont prescrites par cinq ans à compter de l’événement qui y donne naissance.
Toutefois, ce délai ne court :
1° En cas de réticence, omission, déclaration fausse ou inexacte sur le risque couru, que du jour où l’assureur en a eu connaissance ;
2° En cas de sinistre, que du jour où les intéressés en ont eu connaissance, s’ils prouvent qu’ils l’ont ignoré jusque-là.
Quand l’action de l’assuré contre l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, le délai de la prescription ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé par ce dernier. »
Si l’action de la victime contre l’assureur de responsabilité, instituée par l’article L 124-3 du code des assurances, trouve son fondement dans le droit de celle-ci à obtenir réparation de son préjudice et obéit, en principe, au même délai de prescription que son action contre le responsable, elle peut cependant être exercée contre l’assureur, tant que celui-ci est encore exposé au recours de son assuré.
Selon l’article L 114-1 précité, quand l’action de l’assuré contre l’assureur a pour cause le recours d’un tiers, la prescription biennale ne court que du jour où ce tiers a exercé une action en justice contre l’assuré ou a été indemnisé par ce dernier.
Il est constant que toute action en référé est une action en justice au sens de l’article L. 114-1, alinéa 3, du code des assurances (2e Civ., 3 septembre 2009, pourvoi n° 08-18.092).
La qualification d’action en justice au sens de l’article L 114-1 du code des assurances n’étant pas subordonnée à la présentation d’une demande indemnitaire chiffrée, une action en référé-expertise fait courir la prescription biennale de l’action de l’assuré contre l’assureur, contrairement à ce que soutiennent les époux [Y] (Civ. 3e, 14 septembre 2023, n° 22-21.493).
L’interruption de la prescription de l’action principale est sans effet sur le cours de la prescription de l’action directe contre l’assureur et le tiers victime ne peut se prévaloir des causes d’interruption de la prescription prévues à l’article L 114-2 du code des assurances.
En l’espèce, il n’est pas contesté l’existence d’une réception tacite des travaux en janvier 2009.
Les époux [Y] ont assigné en référé [C] [R] et la société Charpente [R] et à la CRAMA en sa seule qualité d’assureur de la société Bihan en décembre 2018 dans le délai décennal prévu aux articles 1792-4.1 et 1792-4-3 du code civil.
Le point de départ du délai de la prescription biennale du recours de l’assuré contre l’assureur est à la date de l’action en référé, en décembre 2018.
Ce délai ne peut être suspendu par l’expertise, contrairement à ce que soutiennent les appelants, puisque la suspension en application de l’article 2239 du code civil ne joue qu’au profit de celui qui a sollicité la mesure d’instruction, qui n’était pas l’assuré. Les époux [Y] sont également infondés à invoquer les causes d’interruption de l’article L 114-2 du code des assurances, le délai pour agir dont dispose la victime contre l’assureur du responsable étant distinct du délai biennal de l’article L 114-1 du même code. Ils ne peuvent davantage se prévaloir d’un nouveau délai de 10 ans, l’interruption de la prescription de l’action principale étant sans effet sur le cours de la prescription de l’action directe.
Les époux [Y] devaient donc, ainsi que l’a retenu le juge de la mise en état, assigner l’assureur au fond avant décembre 2020, date à laquelle l’assureur n’était plus soumis au recours de son assuré. Le délai de prescription était ainsi échu au jour de l’assignation le 23 mars 2022.
Les maîtres de l’ouvrage sont en effet également mal fondés à soutenir que la CRAMA en prenant la direction du procès a renoncé à la prescription de l’action biennale en sorte que l’assureur serait toujours soumis au recours de son assuré.
Aux termes de l’article L 113-17 du code des assurances « l’assureur qui prend la direction d’un procès intenté à l’assuré est censé aussi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu’il a pris la direction du procès.
L’assuré n’encourt aucune déchéance ni aucune autre sanction du fait de son immixtion dans la direction du procès s’il avait intérêt à le faire. »
La société CRAMA qui s’est borné à missionner un expert au cours des opérations d’expertise ordonnées en référé tout en ayant écrit expressément à ses assurés qu’il mandatait un expert à titre conservatoire et sous toutes réserves de garanties, lequel n’a émis qu’un dire, n’a pas pris la direction du procès.
Par ailleurs, ni M. [I] ni la CRAMA ne sont intervenus après le 5 septembre 2019, plus de deux années avant l’assignation au fond du 23 mars 2022, les entrepreneurs formulant eux-mêmes leurs dires.
Dès lors, l’action directe des époux [Y] à l’égard de la CRAMA est prescrite ainsi que l’a exactement retenu le juge de la mise en état. L’ordonnance querellée est confirmée.
Les appelants seront condamnés à verser une indemnité complémentaire de 1 000 euros à la CRAMA et aux dépens d’appel.
La cour
Donne acte à M. et Mme [Y] de leur désistement d’appel à l’égard des sociétés Abeille IARD & Santé, Pouliquen, Entreprise Bihannic, la SMABTP et M. [R] et constate l’extinction de l’instance à leur égard,
Confirme l’ordonnance entreprise,
Y ajoutant
Condamne M. et Mme [Y] à payer une indemnité de 1 000 euros à la CRAMA Bretagne-Pays de Loire en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. et Mme [Y] aux dépens d’appel.
Le Greffier, P/Le Président régulièrement empêché,
N. Malardel