Copie privée : quelle durée de conservation des factures ?

·

·

Copie privée : quelle durée de conservation des factures ?

Les redevables de la redevance pour copie privée (vendeurs professionnels de supports vierges) n’ont l’obligation de conserver leurs factures que pendant 10 ans. En effet, l’article L.123-22 du code de commerce impose la conservation des documents comptables et pièces justificatives pendant une durée de dix ans seulement.

Résumé de l’affaire

La société COPIE FRANCE reproche à la société TECH OF d’avoir sous-déclaré des ventes de produits assujettis à la redevance pour copie privée, éludant ainsi le paiement d’un montant important. Après plusieurs procédures judiciaires, un juge a ordonné à la société TECH OF et à son dirigeant de communiquer les documents nécessaires à la société COPIE FRANCE pour établir le montant dû. Cependant, le dirigeant de la société TECH OF a détruit les factures empêchant ainsi l’exécution de l’injonction. Une nouvelle demande de liquidation d’astreinte a été rejetée par le juge de la mise en état. Les parties sont en appel pour déterminer la suite de cette affaire.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

12 juin 2024
Cour d’appel de Paris
RG
23/04757
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRET DU 12 JUIN 2024

(n° 081/2024, 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 23/04757 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHIT5

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Janvier 2023 -Juge de la mise en état de PARIS – 3ème chambre – 2ème section – RG n° 21/05669

APPELANT

Monsieur [N] [J]

Né le 08 octobre 1979 à [Localité 5] (87)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

Assisté de Me Charlotte GIBON, avocat au barreau de PARIS, toque : L0135

INTIMEE

SOCIETE POUR LA PERCEPTION DE LA REMUNERATION DE LA COPIE PRIVEE AUDIOVISUELLE ET SONORE dite COPIE FRANCE

Société au capital de 1 200 euros

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro D 338 640 121

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Francine HAVET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1250

Assistée de Me Carole BLUZAT, avocat au barreau de PARIS, toque : A0212

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 avril 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise BARUTEL, conseillère, et Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHÉE, conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

Contradictoire

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La société pour la perception de la rémunération de la copie privée audiovisuelle et sonore, dite COPIE FRANCE (ci-après, la société COPIE FRANCE), chargée par les titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins du recouvrement de la « rémunération pour copie privée », redevance légale destinée à les indemniser de l’exercice du droit de copie à usage privé, reproche à la société TECH OF, spécialisée dans la vente de supports d’enregistrement vierges numériques, d’avoir sous-déclaré des ventes de produits assujettis à cette redevance, éludant ainsi le paiement d’un montant qui n’aurait pour l’instant pu être reconstitué qu’en partie, à partir de factures de la société TECH OF retrouvées chez deux de ses plus importants clients.

La société COPIE FRANCE a d’abord assigné la société TECH OF en référé, le 21 février 2020, réclamant une provision et la communication de documents, mais cette dernière ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Créteil du 27 mai 2020, le juge des référés a déclaré les demandes irrecevables pour ce motif.

La société COPIE FRANCE a alors déclaré, le 16 juillet 2020, une créance de 2 510 205, 26 euros, et, le débiteur s’étant opposé à son admission, puis le juge commissaire s’étant déclaré incompétent par ordonnance du 24 mars 2021, elle a assigné, le 21 avril 2021, la société TECH OF, son dirigeant, M. [N] [J], à titre personnel, et son liquidateur ès qualités, devant le tribunal judiciaire de Paris en admission de sa créance au passif de la société.

Un incident aux fins d’expertise judiciaire a été formé, le 16 mars 2022, par la société COPIE FRANCE, qui a, ensuite, par conclusions du 4 novembre 2022, formé une demande subsidiaire de communication de documents.

Par ordonnance rendue le 6 janvier 2023, dont appel, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris :

– a écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande principale [demande en paiement ou en admission/inscription de créance] ;

– a rejeté la demande en expertise ;

– ordonné à la société TECH OF, représentée par son liquidateur, et à M. [J] à titre personnel, de communiquer à la société COPIE FRANCE les quantités de tous les supports vierges d’enregistrement commercialisés par la société TECH OF, chaque mois depuis le 19 novembre 2008, et de lui remettre l’intégralité des factures d’achat et de vente de correspondantes, le tout dans un délai de 45 jours suivant la signification de la présente ordonnance, puis sous astreinte de 500 euros par jours qui courra au maximum pendant 30 jours ;

– s’est réservé la liquidation de l’astreinte,

– a rejeté les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– a renvoyé l’affaire à la mise en état.

M. [J] a interjeté appel de cette ordonnance le 7 mars 2023, intimant la seule société COPIE FRANCE.

Aucun document ne lui ayant été communiqué, la société COPIE FRANCE a formé un nouvel incident, le 9 juin 2023, pour demander la liquidation de l’astreinte que le juge de la mise en état s’était réservée. Par ordonnance rendue le 8 décembre 2023, le juge de la mise en état, considérant l’aveu judiciaire de M. [J] selon lequel il a volontairement détruit, dès 2020, les factures permettant de retrouver les informations recherchées, et le fait que l’exécution de l’injonction était par conséquent impossible pour une cause antérieure à la décision l’ayant prononcée, a rejeté les demandes de liquidation d’astreinte et de paiement à ce titre, condamné M. [J] à payer 1 500 € à la société COPIE FRANCE en application de l’article 700 du code de procédure civile et renvoyé l’affaire à la mise en état.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3, transmises le 10 avril 2024, M. [J], appelant, demande à la cour de :

Vu les articles 2224 du code civil,

Vu les articles 122, 123, 143, 139, 147 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 641-9 et L. 123-22 du code de commerce.

– confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état [du 6 janvier 2023] en ce qu’elle a rejeté la demande d’expertise,

– infirmer toutes les autres dispositions de l’ordonnance,

– statuant à nouveau :

– sur les fins de non-recevoir :

– juger irrecevable la demande de communication de pièces formée à l’encontre de M. [J] à titre personnel,

– juger irrecevable la demande de communication de pièces formée par la société COPIE FRANCE portant sur la période comprise entre le 19 novembre 2008 et le 15 mars 2017 en raison de la prescription quinquennale,

– subsidiairement, rejeter la demande de communication de pièces formée par la société COPIE FRANCE pour la période antérieure au mois de novembre 2012,

– sur le fond,

– juger que la société COPIE FRANCE est défaillante à apporter la preuve du bien-fondé de sa demande de communication de pièces,

– juger que la demande d’astreinte « de 2.000 euros » par jour de retard est excessive et disproportionnée,

– en conséquence, rejeter la demande de communication de pièces sous astreinte formée par la société COPIE France et dirigée à l’encontre de M. [J],

– en tout état de cause, condamner la société COPIE FRANCE à verser à M. [J] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3, transmises le 22 avril 2024, la société COPIE FRANCE, intimée, demande à la cour de :

– recevoir la société COPIE FRANCE en ses prétentions et l’y déclarer bien fondée,

– juger M. [J] irrecevable et en tout cas mal fondé en son appel,

– confirmer l’ordonnance du juge de la mise en état en toutes ses dispositions,

– réserver les dépens et le montant dû au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la recevabilité de la demande de communication de pièces

Sur la recevabilité de la demande au regard de la prescription

M. [J] soutient que le juge de la mise en état a statué sur la prescription de la demande en admission de créance, mais non, comme cela lui était demandé, sur celle de la demande de communication de pièces ; que contrairement à ce qu’a retenu le juge, le point de départ de la prescription quinquennale de l’action de la société COPIE FRANCE n’est pas le 21 décembre 2018, date à laquelle elle aurait découvert les déclarations prétendument mensongères, mais la date à laquelle elle aurait dû connaitre les faits lui permettant d’exercer son action conformément aux dispositions de l’article 2224 du code civil ; que l’obligation de déclaration qui pesait sur TECH OF depuis le début de son activité en novembre 2008 étant mensuelle, puisque les relevés de sortie de stock sont établis et transmis par les redevables au plus tard le 20 de chaque mois pour le mois précédent, le point de départ de l’action de COPIE FRANCE est en l’espèce la date de chacune de ses déclarations puisque c’est à partir de chaque déclaration que COPIE FRANCE détient les informations lui permettant de vérifier leur exactitude, en sollicitant si besoin notamment la communication de documents comptables ; que COPIE France n’a jamais procédé à un quelconque contrôle et, au contraire, a confirmé, le 14 mars 2014, que la société TECH OF était « à jour dans ses déclarations de sortie de stock et dans ses paiements » ; que si la déclaration de créance du 16 juillet 2020 interrompt la prescription en vertu de 1’article L.622-25-1 du code de commerce, la prescription quinquennale était déjà acquise en ce qui concerne la demande de communication des documents pour la période antérieure au 16 mars 2017.

La société COPIE FRANCE répond qu’elle s’est aperçue à compter du 21 décembre 2018 que la société TECH OF se livrait à des sous-déclarations de ses ventes de supports numériques vierges d’enregistrement pour l’année 2017, et à compter du 8 octobre 2019 pour cette même année 2017 et les années 2018 et 2019 ; que dès le 21 février 2020, soit 1 an et 2 mois après la découverte des premiers faits litigieux, elle a engagé une action judiciaire en référé à l’encontre de la société TECH OF ; qu’elle a par la suite été contrainte de procéder à la déclaration de sa créance au passif de la liquidation de la société TECH OF, par acte en date du 16 juillet 2020, soit 1 an et 7 mois après la découverte des premiers faits litigieux, et de faire délivrer une assignation au fond à l’encontre de la société TECH OF, son ancien dirigeant et son liquidateur, par acte en date du 21 avril 2021, soit 2 ans et 4 mois après la découverte des premiers faits litigieux ; que c’est donc à juste raison que le juge de la mise en état a dit que la demande en admission de créance, comme la demande d’expertise, n’était pas prescrite, le même raisonnement s’appliquant à la demande de communication de pièces.

Ceci étant exposé, en application de l’article 2224 du code civil, « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

Par ailleurs, l’article L. 622-25-1 du code de commerce prévoit que la déclaration de créance interrompt la prescription jusqu’à la clôture de la procédure.

En l’espèce, aucun élément ne permet de conclure que la société COPIE FRANCE a eu ou aurait dû avoir connaissance des déclarations mensongères qu’elle allègue avant le 21 décembre 2018 pour l’année 2017, et avant le 8 octobre 2019 pour celles de cette même année 2017, et pour les années 2018 et 2019. Elle explique avoir découvert que la société TECH OF avait effectué de façon récurrente (au cours des années 2017 à 2019) des sous-déclarations de ses ventes de supports numériques vierges d’enregistrement en comparant ses déclarations de vente avec les factures qui lui ont été remises spontanément, lors d’un contrôle effectué par des agents assermentés, agréés par le ministère chargé de la culture conformément aux dispositions de l’article L. 331-2 du code de la propriété intellectuelle, par deux clients de la société TECH OF, les sociétés UFP INTERNATIONAL FRANCE, grossiste en consommables informatiques, et la société ELECTRO DEPOT, enseigne de magasins discount spécialisée dans le loisir, le multimédia et l’électroménager. Ces explications sont étayées notamment par des tableaux de comparaison, sur la période 2017/2019, entre les quantités de supports d’enregistrement provenant des factures des clients de la société TECH OF et celles provenant des déclarations de cette dernière à la société COPIE France. Il n’est pas démontré que, dans le cadre purement déclaratif du mécanisme de la rémunération pour copie privée, pesait sur la société COPIE FRANCE l’obligation de contrôler régulièrement la loyauté et l’exhaustivité des déclarations mensuelles des redevables. L’attestation délivrée par la société COPIE FRANCE à la société TECH OF en date du 14 mars 2014, indiquant que la société est à jour dans ses déclarations de sortie de stock et dans ses paiements est sans emport, se rapportant à une période antérieure et ne portant que sur sa ponctualité dans ses déclarations et paiements et non sur l’exactitude desdites déclarations.

Comme le juge en a décidé, l’action en admission de la créance de la société COPIE FRANCE n’était donc pas prescrite au jour de l’assignation, le 21 avril 2021. La demande d’expertise, rejetée par le juge, et la demande subsidiaire de communication de pièces, à laquelle il a été fait droit, ne l’étaient pas davantage au jour où elles ont été formées par conclusions d’incident, respectivement du 16 mars 2022 et du 4 novembre 2022.

Le premier juge a retenu à juste raison que la communication sollicitée est justifiée dès lors que la société COPIE FRANCE a décelé des irrégularités dont elle a intérêt à identifier l’étendue. M. [J] ne peut donc être suivi quand il soutient que la demande de communication de pièces est prescrite en ce qu’elle couvre une période antérieure au 16 mars 2017 (l’incident ayant été introduit par conclusions du 16 mars 2022), sous réserve, comme il sera examiné ci-après, des limites de l’obligation de conserver pendant 10 ans les documents comptables afférents à la société.

L’ordonnance sera donc confirmée en ce qu’elle a écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande principale en admission de créance et la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de communication de pièces sera rejetée.

Sur la recevabilité de la demande de communication de pièces en ce qu’elle est formée à l’encontre de M. [J] à titre personnel

M. [J] soutient que la condamnation prononcée contre lui à titre personnel se heurte aux dispositions de l’article L. 641-9 du code de commerce selon lequel le jugement prononçant l’ouverture de la liquidation judiciaire emporte dessaisissement du débiteur au profit du liquidateur ; que dans son assignation, COPIE FRANCE ne précise pas le fondement juridique en vertu duquel elle dirige ses demandes à l’encontre de M. [J] à titre personnel alors que ses demandes concernent l’inscription d’une créance au passif de la liquidation judiciaire de la société TECH OF, qui depuis la date du jugement de liquidation, est représentée exclusivement par son liquidateur judiciaire ; que par le jugement de liquidation judiciaire et en vertu des dispositions légales susvisées, M. [J] a été dessaisi de ses pouvoirs de représentation de la société TECH OF dans le cadre de cette action en justice, le liquidateur judiciaire exerçant les droits et actions du débiteur, la société TECH OF ; que le tribunal n’a pas été saisi d’une action en responsabilité personnelle dirigée à l’encontre de M. [J], le juge de la mise en état (comme la cour d’appel dans le cadre de cet appel) étant incompétent pour statuer sur une telle responsabilité ; que suite à l’ouverture de la procédure collective, M. [J] a communiqué au liquidateur les éléments demandés par courrier de son conseil en date des 10 et 11 juin 2020 et que le liquidateur n’a jamais sollicité la communication d’autres éléments, et en particulier les factures clients et fournisseurs ; que la société TECH OF a fait l’objet d’un contrôle fiscal en date du 29 juillet 2019 au titre des exercices 2017 et 2018, lequel s’est conclu sans rectification, si bien que M. [J] a mis au rebut l’ordinateur obsolète sur lequel était enregistré les pièces comptables, et ce, sans effectuer de sauvegarde ; qu’il n’a jamais refusé de communiquer ces documents, mais qu’il est aujourd’hui dans l’impossibilité de les communiquer ; qu’il appartenait au liquidateur qui assurait la gestion de la société à compter de la liquidation de solliciter la transmission de ces documents et de les conserver entre ses mains ; que dans l’assignation, aucune demande n’était formulée à l’encontre de M. [J].

La société COPIE France oppose que M. [J] a reconnu, dans le cadre de la procédure de liquidation de l’astreinte, avoir volontairement fait disparaître toute une partie de sa comptabilité en mettant au rebut l’ordinateur sur lequel était enregistré les pièces comptables, sans effectuer de sauvegarde, motif pris de l’absence de demande par le liquidateur et des résultats du contrôle fiscal ; que les dispositions de l’article L. 641-9 du code de commerce sont hors sujet dans la présente espèce.

Ceci étant exposé, l’article L. 641-9 du code de commerce, qui dispose notamment que « Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu’il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n’est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur (‘) », fait obstacle à ce que M. [J] soit mis en cause en sa qualité de représentant légal de la société TECH OF dans la procédure au fond ayant pour objet l’admission de la créance de la société COPIE FRANCE au passif de la liquidation de la société TECH OF, mais aucunement à ce qu’il le soit à titre personnel comme en l’espèce.

La procédure au fond tend, à ce jour, à l’admission de la créance de la société COPIE FRANCE au passif de la liquidation de la société TECH OF, comme il vient d’être dit, et ne vise pas à voir engager la responsabilité personnelle de M. [J], de sorte que l’argumentation relative à l’incompétence du juge de la mise en état pour statuer sur une telle responsabilité est vaine.

Le juge de la mise en état a estimé à juste raison que le liquidateur judiciaire ayant affirmé qu’il ne détenait pas d’archives comptables de la société TECH OF, celles-ci pourraient avoir été conservées par l’ancien dirigeant, M. [J], la société qu’il dirigeait étant tenue de conserver pendant 10 ans ses documents comptables, et il a pertinemment mis l’injonction de communiquer lesdites pièces à la charge à la fois du liquidateur et de l’ancien dirigeant. M. [J] ne peut valablement arguer de l’absence de demande du liquidateur judiciaire et du fait qu’un contrôle fiscal intervenu en 2019 n’avait pas reçu de suite, au regard de son obligation de conservation des pièces comptables pendant une durée de 10 ans prévue par l’article L.123-22 du code de commerce.

La demande de communication de pièces en ce qu’elle a été formée à l’encontre de M. [J] à titre personnel est donc recevable.

Sur le bien-fondé de la demande de communication de pièces

M. [J] soutient que la demande de communication de pièces n’est pas fondée dès lors que :

– TECH OF n’avait pas uniquement une activité d’importateur de supports vierges d’enregistrement en vue de leur revente, mais procédait également à la revente en France de tels supports provenant de France, outre qu’elle vendait également d’autres matériels informatiques ; qu’il ne peut donc être considéré que la totalité de ses ventes est issu de produits importés ou acquis dans un autre Etat membre de l’UE ;

– la société TECH OF a respecté son obligation de déclaration, s’étant acquittée d’une redevance pour les 3 années de 2017 à 2019 sans qu’il y ait de mise en demeure de COPIE FRANCE qui a reconnu en mars 2014 qu’elle était « à jour de ses déclarations de sortie de stock et dans ses paiements » ;

– il n’y a pas de preuve tangible quant à la prétendue irrégularité des déclarations de sorties de stock ;

– les factures d’achat produites par COPIE FRANCE et obtenues auprès des deux clients de TEHC OF sont sans valeur probante ;

– qu’en tout état de cause, M. [J] n’avait pas l’obligation légale de conserver des documents comptables plus de 10 ans, de sorte que la demande de communication doit être rejetée en ce qu’elle concerne la période antérieure au mois de novembre 2012.

La société COPIE FRANCE soutient qu’il découle des dispositions des articles 4 et 6 de la décision du 30 juin 1986 et de l’article 7 de la décision n° 15 de la commission de la copie privée, que c’est à partir de la communication de la déclaration du paiement de la rémunération pour copie privée que peut être liquidé le montant qui est dû à ce titre ; que ce système repose sur la loyauté et l’exhaustivité des déclarations de sorties de stocks transmises par les redevables à COPIE FRANCE qui ne dispose d’aucun moyen d’investigation spécifique ; que TECH OF n’a pas toujours régulièrement rempli ses obligations à l’égard de COPIE FRANCE en terme de déclarations ; que les agents assermentés de COPIE FRANCE ont été amenés à constater que TECH OF se livrait à des pratiques fréquentes de sous-déclarations des quantités réellement vendues, et ce pour l’ensemble des supports d’enregistrement vierges numériques commercialisés par ses soins.

Ceci étant exposé, le premier juge, à juste raison, a retenu que la communication sollicitée est justifiée dès lors que la société COPIE FRANCE a décelé des irrégularités dont elle a intérêt à identifier l’étendue.

L’argumentation de M. [J] relative à l’attestation délivrée par la société COPIE FRANCE à la société TECH OF en date du 14 mars 2014 est inopérante comme il a été dit. Est également inopérante l’argumentation relative à la nature exacte de l’activité de la société TECH OF. Selon l’article L.311-4 du code de la propriété intellectuelle, les redevables de la rémunération due au titre de la copie privée sont le fabricant, l’importateur ou la personne qui réalise des acquisitions intra-communautaires au sens du 3° du I de l’article 256 bis du code général des impôts, de supports d’enregistrement utilisables pour la reproduction, à usage privé, d’oeuvres fixées sur des phonogrammes ou des vidéogrammes, lors de la mise en circulation en France de ces supports. M. [J] ne conteste pas que l’activité de la société TECH OF consistait, notamment, à importer en vue de leur revente des supports d’enregistrement vierges. Les documents comptables dont la communication a été ordonnée devaient précisément permettre de déterminer l’importance exacte des sorties des stocks de la société TECH OF de ces supports vierges d’enregistrement, en vue de la fixation de la rémunération due. L’argumentation de M. [J] relative à l’absence de preuve des irrégularités dans les déclarations de sorties de stock ou à la valeur probante des factures d’achat provenant des clients de la société TECH OF ressortit au fond du litige et non à la compétence de cette cour statuant sur l’appel contre une ordonnance du juge de la mise en état.

Cependant, comme le relève M. [J], en application de l’article L.123-22 du code de commerce qui impose la conservation des documents comptables et pièces justificatives pendant une durée de dix ans seulement, ne pouvait être mise à sa charge l’obligation de communiquer des pièces comptables (factures) relatives aux quantités de supports vierges d’enregistrement commercialisés depuis le 19 novembre 2008, mais au plus tard depuis le 4 novembre 2012, la demande subsidiaire de communication de pièces de la société COPIE FRANCE ayant été formée par conclusions du 4 novembre 2022.

L’ordonnance sera réformée en ce sens.

Sur l’astreinte

La demande de M. [J] est sans objet dès lors que par ordonnance du 8 décembre 2023 précitée, le juge de la mise en état a rejeté les demandes de la société COPIE FRANCE en liquidation de l’astreinte, constatant que l’exécution de l’injonction prononcée dans son ordonnance du 6 janvier 2023 (l’ordonnance dont appel) était impossible.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Il y a lieu de réserver les dépens et le montant de la condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile, les dispositions prises sur les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de communication de pièces et dit cette demande recevable,

Infirme l’ordonnance en ce qu’elle a enjoint à la société TECH OF, représentée par son liquidateur, et à M. [J] à titre personnel, de communiquer à la société COPIE FRANCE les quantités de tous les supports vierges d’enregistrement commercialisés par la société TECH OF, chaque mois « depuis le 19 novembre 2008 », et de lui remettre l’intégralité des factures d’achat et de vente de correspondantes, le tout dans un délai de 45 jours suivant la signification de l’ordonnance,

Statuant à nouveau sur ce point,

Enjoint à la société TECH OF, représentée par son liquidateur, et à M. [J] à titre personnel, de communiquer à la société COPIE FRANCE les quantités de tous les supports vierges d’enregistrement commercialisés par la société TECH OF, chaque mois depuis « le 4 novembre 2012 », et de lui remettre l’intégralité des factures d’achat et de vente de correspondantes, le tout dans un délai de 45 jours suivant la signification de l’ordonnance,

Confirme l’ordonnance pour le surplus,

Dit sans objet la demande de M. [J] relative à l’astreinte,

Réserve les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


0 0 votes
Je supporte LegalPlanet avec 5 étoiles
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x