La notion d’usage de marque relevant de la vie des affaires
La notion d’usage de marque relevant de la vie des affaires
Ce point juridique est utile ?

Il est constant depuis l’arrêt de la Cour de justice européenne , Football club du 12 novembre 2002 C-206/01 qu’un usage relève de la vie des affaires dès lors qu’il se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant un avantage économique direct comme indirect et non dans le domaine privé, lorsqu’il sert à promouvoir les produits commercialisés par une entreprise.

La Cour de justice des l’Union Européenne dans un arrêt Red Bull C-119/10 du 15 décembre 2011 concernant une affaire relative au remplissage de conditionnement revêtus de la marque Red Bull et intervenue au visa de l’article 5 paragaphe 1 sous bb) de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 a énoncé “ qu’un prestataire de service qui sur commande et sur les instructions d’un tiers, remplit des conditionnements qui lui ont été fournis par ce tiers, lequel y a fait apposer préalablement un signe identique ou similaire à un signe protégé en tant que marque ne fait pas en lui même un usage de ce signe susceptible d’être interdit”, après voir rappelé que le remplissage de cannettes pourvues de signes similaires à des marques n’est pas en sa nature comparable à un service visant à promouvoir la commercialisation de produits revêtus de tels signes et n’implique notamment, pas la création d’un lien entre ces signes et le service de remplissage.”

Il est par ailleurs constant que le dépôt d’une marque sans usage dans la vie des affaires, n’est pas constitutif d’une contrefaçon.

Résumé de l’affaire

SUR LA RÉVOCATION DE L’ORDONNANCE DE CLÔTURE

Au soutien de sa demande en révocation de l’ordonnance de clôture, à laquelle s’oppose la requérante, la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH fait valoir que le juge de la mise en état a rendu l’ordonnance de clôture sans que la demande de renvoi, qui repose sur l’importance de produire sa pièce n° 7, n’ait été portée à sa connaissance, ce qui constitue un motif grave justifiant la révocation de l’ordonnance de clôture.

En application de l’article 802 du code de procédure civile, après l’ordonnance de clôture aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, à l’exception des conclusions aux fins prévues à l’alinéa 2 et 3 du même article non applicables à l’espèce.

L’article 803 du même code rappelant que l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.

Il convient de rappeler que le 31 janvier 2024 le conseil de la SAS THOMAS HINE & CO auquel il incombait de conclure a fait savoir qu’il n’entendait pas répliquer aux dernières conclusions de la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH du 21 décembre 2023 et a sollicité la fixation de l’affaire à une audience de plaidoirie.

Le 1er février 2024 à 15h 34 l’avocat de la défenderesse, auquel il n’incombait pas de conclure, a demandé par message RPVA le renvoi à l’audience de mise en état du 23 mars 2024 invoquant la nécessité de produire une pièce nouvelle rendant nécessaire de nouveaux développements.

La demande de renvoi de la défenderesse à une audience de mise en état pour production d’une pièce nouvelle dite importante, est antérieure à la clôture puisqu’elle a été adressée le 1er février 2024 à 15h34 et que l’ordonnance de clôture a été établie le même jour à 16h02. Elle ne saurait donc en aucun cas constituer une motif grave survenu depuis que l’ordonnance a été rendue étant au surplus observé qu’il n’est en rien établi que le juge de la mise en état n’ait pas eu connaissance de cette demande de renvoi avant de prononcer l’ordonnance de clôture.

Au demeurant, l’importance de la pièce n° 7 des défendeurs pour la solution du litige n’est pas démontrée, s’agissant d’un extrait du site internet HINE en février 2024 soit postérieurement à la période de contrefaçon invoquée se présentant sous forme d’une simple capture d’écran d’une page du site internet HINE choisie par les défendeurs et non certifiée.

La SAS DISTILLERIE VINET DELPECH a disposé d’un délai suffisant entre l’assignation et l’audience de fixation pour conclure sur l’exécution provisoire et parfaire son argumentaire.

Il n’est donc démontré aucune cause grave justifiant la révocation de l’ordonnance de clôture du 1er février 2024, ce qui rend irrecevables les conclusions et pièces notifiées postérieurement à celles-ci soit le 20 février 2024.

SUR L’ACTION EN CONTREFAÇON DE LA MARQUE TRIOMPHE n° 1622366

Pour s’opposer à l’action en contrefaçon de la marque verbale “TRIOMPHE” diligentée à son encontre à titre principal par la SAS THOMAS HINE & Co, la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH forme d’abord à titre reconventionnel une demande tendant à voir prononcer la déchéance de la marque TRIOMPHE et d’autre part, conclut au débouté des demandes au titre de la contrefaçon de cette marque.

La déchéance d’une marque rendant légalement impossible l’exercice de l’action en contrefaçon dénoncée par son titulaire, il convient d’examiner en premier lieu la demande reconventionnelle en déchéance de ladite marque.

Au visa des articles L 714-5 et L716-3 du code de la propriété intellectuelle la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH entend voir prononcer, à titre principal la déchéance totale de la marque TRIOMPHE de la requérante au motif de ce qu’elle ne justifie d’aucun usage sérieux de ce signe tel que déposé et enregistré et à titre subsidiaire, la déchéance partielle pour défaut d’exploitation du signe pour les produits que son enregistrement désigne.

La société THOMAS HINE conclut au rejet des demandes en déchéance de sa marque TRIOMPHE.

L’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que “encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Le point de départ de cette période est fixé au plus tôt à la date de l’enregistrement de la marque suivant les modalités précisées par un décret en Conseil d’Etat.
Est assimilé à un usage au sens du présent alinéa :
[..]
3° l’usage de la marque par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée.
[…]”

Selon l’article L 716-3 du même code , la demande en déchéance peut porter sur une partie des produits ou services pour lesquels la marque contestée est enregistrée, la déchéance dans ce cas ne s’étend qu’aux produits concernés.

a- sur la déchéance totale de la marque TRIOMPHE pour le défaut d’usage sérieux du signe tel que déposé et enregistré

La défenderesse fait valoir que la marque verbale TRIOMPHE n’a jamais été exploitée par la requérante pour désigner son cognac lequel est commercialisé sous le signe “HINE TRIOMPHE” déposé par la requérante à l’INPI comme marque semi-figurative française et internationale en 1990 en classe 33 pour les eaux de vie de cognac et brandies, puis après expiration comme marque verbale française et internationale en 2012 pour les boissons alcooliques à l’exception des bières en classe 33. Invoquant un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 décembre 2009 (08-21.214), la défenderesse ajoute que s’il devait être considéré que la société THOMAS HINE a exploité le signe “TRIOMPHE” seul, non distinctif et descriptif des caractéristiques du produit, force est de constater qu’en lui adjoignant très systématiquement le terme distinctif HINE issu de sa dénomination sociale, cette dernière a tout le moins altéré le caractère distinctif de sa marque. Elle reconnaît avoir consenti au retrait de sa demande d’enregistrement de la marque semi-figurative LOUIS TRIOMPHE uniquement pour être agréable à la société THOMAS HINE et en l’absence de conseil en la matière.

La SAS THOMAS HINE soutient qu’elle justifie d’un usage sérieux du signe TRIOMPHE pour désigner ses cognacs, indépendamment de toute association avec le terme HINE. Elle précise qu’elle n’utilise plus le visuel représenté sur sa marque semi-figurative HINE TRIOMPHE de sorte qu’elle n’a pas renouvelé cette marque à son échéance le 18 août 2020 concentrant sa communication sur l’usage du signe “TRIOMPHE”. En toute hypothèse, la requérante expose que conformément au 3° de l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle l’adjonction de la dénomination HINE ne saurait altérer le caractère distinctif du signe TRIOMPHE , ainsi que retenu par la Cour d’Appel de Bordeaux dans son arrêt du 28 mars 2023 qui a également rappelé que le défaut d’exploitation invoqué en raison d’une commercialisation des produits sous le signe HINE TRIOMPHE se heurte au principe de la marque ombrelle. Elle considère par ailleurs non transposable à l’espèce l’arrêt de la chambre commerciale du 15 décembre 2009 invoqué par la défenderesse.

Il incombe au titulaire de la marque dont la déchéance est demandée de rapporter la preuve que contrairement aux allégations du demandeur son signe a fait l’objet d’un usage sérieux soit par lui soit par un tiers qu’il aurait autorisé, pendant une période ininterrompue de cinq ans.

En application de la décision de la CJUE du 17 février 2020 affaire C 607/9 le terme de la période quinquennale est la date de la demande reconventionnelle en déchéance.

La SAS THOMAS HINE doit donc prouver l’usage sérieux de sa marque au cours des cinq années qui ont précédé la demande reconventionnelle en déchéance formée par la défenderesse pour la première fois dans ses conclusions du 26 octobre 2022, soit entre le 26 octobre 2017 et le 26 octobre 2022.

Il est constant qu’une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle de garantir l’identité des services et des produits pour lesquels elle a été enregistrée ce qui suppose l’utilisation sur le marché pour désigner chacun des produits et service couverts par son enregistrement.

En l’espèce, la marque verbale française “TRIOMPHE” a été enregistrée à l’INPI par la requérante le 19 octobre 1990 et régulièrement renouvelée depuis, pour les produits et services de la classe 33 “Vins et spiritueux”.

La preuve d’une exploitation d’une marque s’analyse comme la preuve d’un fait juridique elle n’est donc pas concernée par le principe “nul ne peut se constituer une preuve à lui même”.

La requérante justifie par la communication de factures de 1990 au 29 juin 2021 et d’extrait de son site internet du 4 décembre 2019 avoir commercialisé sur toute cette période et notamment sans interruption de 2017 au 29 juin 2021 du cognac HINE TRIOMPHE appelation grande champagne contrôlée auprès de différents clients en France comme à l’étranger. Le cognac HINE TRIOMPHE était encore commercialisé au 31 décembre 2021 ainsi qu’il résulte du rapport du commissaire au compte et il ressort des écritures de la défenderesse que la requérante exportait des cognacs HINE TRIOMPHE vers la Chine en 2022 .

Il n’est pas discuté que 2 mois avant l’enregistrement de la marque verbale française “TRIOMPHE” le 19 octobre 1990, la société THOMAS HINE & CO avait enregistré le 17 août 1990 à l’INPI sous le n° 1610313 la marque semi figurative suivante HINE TRIOMPHE pour désigner les “eaux de vie de Cognac, brandies” en classe 33 :

Cette marque semi-figurative qui avait fait l’objet d’une extension internationale n’a pas été renouvelée à l’échéance du 17 août 2020.

Aucun justificatif n’est en revanche versé au débat s’agissant de l’enregistrement en 2012 de marques verbales HINE TRIOMPHE de l’union Européenne et HINE TRIOMPHE internationale invoqué par la défenderesse.

La marque verbale TRIOMPHE peut donc être considérée comme une modification de la marque semi-figurative HINE TRIOMPHE et la seule dont il est justifié.

Or, la CJUE dans une décision Rinstish du 25 octobre 2012 n° C-553-11, dont le principe est repris au 3° de l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle a indiqué que rien ne s

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

23 avril 2024
Tribunal judiciaire de Bordeaux
RG n° 22/00139
N° RG 22/00139 – N° Portalis DBX6-W-B7F-WFBK
PREMIÈRE CHAMBRE
CIVILE

79A

N° RG 22/00139 – N° Portalis DBX6-W-B7F-WFBK

Minute n° 2024/00

AFFAIRE :

S.A.S. THOMAS HINE & CO

C/

S.A.S. DISTILLERIE VINET-DELPECH

Exécutoires délivrées
le
à
Avocats : la SELARL FORWARD AVOCATS
la SELARL HEXA

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

JUGEMENT DU 23 AVRIL 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors des débats et du délibéré :

Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente,
Madame Patricia COLOMBET, Vice-Présidente,
Madame Delphine DUPUIS-DOMINGUEZ, Juge,

Madame Hassna AHMAR-ERRAS, adjoint administratif faisant fonction de Greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 05 Mars 2024 sur rapport de Patricia COLOMBET, Vice-Présidente, conformément aux dispositions de l’article 785 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT:

Contradictoire
Premier ressort,
Par mise à disposition au greffe,

DEMANDERESSE :

S.A.S. THOMAS HINE & CO
16 quai de l’Orangerie
16200 JARNAC

représentée par Maître Geoffrey BARBIER de la SELARL HEXA, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant

DEFENDERESSE :

S.A.S. DISTILLERIE VINET-DELPECH
Les Bruleries Modernes
3 impasse Félix Chartier
17520 BRIE-SOUS-ARCHIAC

représentée par Maître Nicolas WEISSENBACHER de la SELARL FORWARD AVOCATS, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant

EXPOSE DU LITIGE

La SAS THOMAS HINE & Co dont le siège social est situé à Jarnac (16) exerce une activité de commerce de vins, rhums, alcools et spiritueux achat et vente d’eau de vie et cognac. Elle est propriétaire de la marque française verbale “TRIOMPHE” déposée à l’INPI le 19 octobre 1990 sous le numéro 1622366 pour la désignation des vins et spiritueux en classe 33 et commercialise des cognacs prestigieux se présentant notamment ainsi :

Le 7 janvier 2021 Mme [F] [Z] représentante de la société SHANGSANG INTERNATIONAL TRADE CO.LTD a déposé à l’INPI en classe 33 eaux de vie ; eaux de vie bénéficiant de l’appellation d’origine contrôlée “Cognac” ; spiritueux; brandy; boissons alcoolisées (à l’exception des bières), vins; vins d’AOP; vins IGP les 3 marques françaises suivantes dont une semi- figurative:

Du brandy XO destiné à être commercialisé en Chine sous ces marques a été mis en bouteille par la société DISTILLERIE VINET DELPECH située en Charente Maritime qui a pour activité selon ses déclarations, (faute d’extrait KBIS), la distillation et production d’eaux de vie qu’elle vend sous ses propres marques, ou à des grandes maisons de cognac, ou à des clients en remplissant et embouteillant les contenant fournis par ceux-ci d’eaux de vie.

Considérant contrefaisantes de sa marque TRIOMPHE les 3 marques CNTRIOMPHES, la SAS THOMAS HINE & Co a dans un premier temps, le 26 mars 2021 fait opposition à leur enregistrement et dans un deuxième temps a obtenu par ordonnances des 10 et 16 novembre 2021, l’autorisation de saisie sur stock des produits incriminés, l’interdiction de leur commercialisation et l’autorisation de procéder à une saisie contrefaçon dans les locaux de la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH laquelle a été réalisée par voie de commissaire de justice le 24 novembre 2021 .Puis par acte en date du 22 décembre 2021, la SAS THOMAS HINE & Co a assigné la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH devant la présente juridiction en réparation des préjudices résultant des actes de celle-ci qu’elle qualifie à titre principal, de contrefaçon de marque, et à titre subsidiaire, de concurrence déloyale et parasitisme.

L’opposition formée par la société THOMAS HINE & CO à l’encontre de l’enregistrement à l’INPI des 3 marques CNTRIOMPHES a été déclarée bien fondée par le directeur de l’INPI qui par 3 décisions en date du 18 janvier 2022 a rejeté la demande d’enregistrement des 3 marques après avoir retenu la similitude des signes TRIOMPHE et CNTRIOMPHES , l’identité/similarité des produits couverts par les marques en conflit et le risque de confusion .La Cour d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 28 mars 2023 auquel la DISTILLERIE VINET DELPECH n’était pas partie, a rejeté le recours formé par Mme [Z] contre les décisions du Directeur de l’INPI.

S’agissant de l’action diligentée à l’encontre de la DISTILLERIE VINET DELPECH et aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 6 juillet 2013 auxquelles il convient de renvoyer pour l’exposé des moyens, la SAS THOMAS HINE & Co demande au tribunal au visa des articles 713-2, 713-3-1, 716-4, 716-4-10 et 716-11 du code de la propriété intellectuelle, 1240 du code civil et 700 du code de procédure civile de :

à titre principal
-dire et juger que la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH a commis des actes de contrefaçon de marque,

à titre subsidiaire
-dire que la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH a commis des actes de concurrence déloyale et parasitisme,

en tout état de cause
-débouter la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH de l’intégralité de ses demandes,
-condamner la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH à verser à la société THOMAS HINE & Co les sommes de :
-785.827,14 euros en réparation de son préjudice économique,
-76.419,58 euros en réparation de son préjudice moral,
– interdire à la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH tout usage, reproduction et apposition de la marque TRIOMPHE n°4499308 sous astreinte de 1000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification du jugement,
-ordonner la publication du jugement dans cinq journaux ou revues au choix de la société THOMAS HINE & Co et aux frais de la société défenderesse à concurrence de 5.000 euros HT par insertion, au besoin la condamner à cette somme à titre de dommages et intérêts complémentaires,
-autoriser la publication du jugement en intégralité ou par exraits, sur la page d’accueil ou toute autre page du site https://www.hinecognac.com et ce, pendant une durée d’un mois à compter du lendemain de sa signification,
-ordonner la publication du jugement en intégralité ou par extraits, sur la page d’accueil du site https://www.vinet-delpech.com , et ce, pendant une durée d’un mois à compter du lendemain de sa signification,
– condamner la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH à verser à la société THOMAS HINE & Co une somme de 50.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner la même aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par RPVA le 21 décembre 2023, auxquelles il convient également de renvoyer pour l’exposé de l’argumentaire, la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH entend voir sur le fondement des articles 713-2, 715-5 et 716-4-3 du code de la propriété intellectuelle et 1240 du code civil :

-rejeter toutes les conclusions contraires comme injustes et mal fondées,

-à titre principal
-prononcer la déchéance totale de la marque “TRIOMPHE” n° 1622366, dans les termes de l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle, et ce, à compter du 18 octobre 1995, pour défaut d’exploitation de cette marque telle que déposée et enregistrée
-ou subsidiairement prononcer la déchéance de la marque “TRIOMPHE” n°1622366 , dans les termes de l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle, et ce à compter du 18 octobre 1995, pour les “vins et spiritueux qu’elle désigne, dès lors que cette marque n’a jamais été exploitée que pour désigner des “Cognacs”
– en conséquence et en tout état de cause débouter la requérante de son action en contrefaçon de marque comme étant irrecevable,

-à titre subsidiaire et en tout état de cause
-débouter la requérante de son action mal fondée en contrefaçon
-débouter la requérante de son action en concurrence déloyale et parasitaire comme étant irrecevable,

en tout état de cause
-débouter la requérante
-de l’intégralité de ses demandes indemnitaires
-de sa demande de publication du jugement en intégralité ou par extraits dans 5 journaux telle que demandée,
-de sa demande de publication du jugement sur les sites https://www.hinecognac.com et https://www.vinet-delpech.com,
-plus généralement débouter la requérante de l’intégralité de ses demandes,
-condamner la société THOMAS HINE à payer à la société DISTILLERIE VINET-DELPECH une somme de 25.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner la société THOMAS HINE aux entiers dépens.
N° RG 22/00139 – N° Portalis DBX6-W-B7F-WFBK

L’ordonnance de clôture a été établie le 1er février 2024.

Le 20 février 2024 par conclusions notifiées par RPVA le 20 février 2024 la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH a notifié de nouvelles conclusions auxquelles il convient de renvoyer pour l’exposé des moyens par lequel elle sollicite, outre les prétentions visées dans le dispositif de ses précédentes conclusions:
– la révocation de l’ordonnance de clôture au jour des plaidoiries afin que soient prises en compte ses conclusions du 20 février 2024,
-que soit écartée l’exécution provisoire de la décision si les demandes de la société THOMAS HINE venaient à prospérer,
L’argumentaire est enrichi et sont annexées aux conclusions du 20 février 2024 cinq nouvelles pièces dont la pièce n° 7 présentée comme essentielle.

Par message RPVA du 22 février 2024 la SAS THOMAS HINE & CO s’oppose à la révocation de l’ordonnance de clôture au visa de l’article 802 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1-SUR LA RÉVOCATION DE L’ORDONNANCE DE CLÔTURE

Au soutien de sa demande en révocation de l’ordonnance de clôture, à laquelle s’oppose la requérante, la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH fait valoir que le juge de la mise en état a rendu l’ordonnance de clôture sans que la demande de renvoi, qui repose sur l’importance de produire sa pièce n° 7, n’ait été portée à sa connaissance, ce qui constitue un motif grave justifiant la révocation de l’ordonnance de clôture.

En application de l’article 802 du code de procédure civile, après l’ordonnance de clôture aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office, à l’exception des conclusions aux fins prévues à l’alinéa 2 et 3 du même article non applicables à l’espèce.

L’article 803 du même code rappelant que l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue.

Il convient de rappeler que le 31 janvier 2024 le conseil de la SAS THOMAS HINE & CO auquel il incombait de conclure a fait savoir qu’il n’entendait pas répliquer aux dernières conclusions de la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH du 21 décembre 2023 et a sollicité la fixation de l’affaire à une audience de plaidoirie.

Le 1er février 2024 à 15h 34 l’avocat de la défenderesse, auquel il n’incombait pas de conclure, a demandé par message RPVA le renvoi à l’audience de mise en état du 23 mars 2024 invoquant la nécessité de produire une pièce nouvelle rendant nécessaire de nouveaux développements.

L’ordonnance de clôture a toutefois été établie par le juge de la mise en état le jour même à 16 h02 et l’affaire fixée à l’audience de plaidoirie du 5 mars 2024.

Il résulte de ce rappel chronologique, que la demande de renvoi de la défenderesse à une audience de mise en état pour production d’une pièce nouvelle dite importante, est antérieure à la clôture puisqu’elle a été adressé le 1er février 2024 à 15h34 et que l’ordonnance de clôture a été établie le même jour à 16h02. Elle ne saurait donc en aucun cas constituer une motif grave survenu depuis que l’ordonnance a été rendue étant au surplus observé qu’il n’est en rien établi que le juge de la mise en état n’ait pas eu connaissance de cette demande de renvoi avant de prononcer l’ordonnance de clôture.

Au demeurant, l’importance de la pièce n° 7 des défendeurs pour la solution du litige n’est pas démontrée, s’agissant d’un extrait du site internet HINE en février 2024 soit postérieurement à la période de contrefaçon invoquée se présentant sous forme d’une simple capture d’écran d’une page du site internet HINE choisie par les défendeurs et non certifiée.

Au surplus, la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH a disposé d’un délai suffisant entre l’assignation et l’audience de fixation pour conclure sur l’exécution provisoire et parfaire son argumentaire.

Il n’est donc démontré aucune cause grave justifiant la révocation de l’ordonannce de clôture du 1er février 2024, ce qui rend irrecevables les conclusions et pièces notifiées postérieurement à celles-ci soit le 20 février 2024.

2-SUR L’ACTION EN CONTREFAÇON DE LA MARQUE TRIOMPHE n° 1622366

Pour s’opposer à l’action en contrefaçon de la marque verbale “TRIOMPHE” diligentée à son encontre à titre principal par la SAS THOMAS HINE & Co, la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH forme d’abord à titre reconventionnel une demande tendant à voir prononcer la déchéance de la marque TRIOMPHE et d’autre part, conclut au débouté des demandes au titre de la contrefaçon de cette marque.

La déchéance d’une marque rendant légalement impossible l’exercice de l’action en contrefaçon dénoncée par son titulaire, il convient d’examiner en premier lieu la demande reconventionnelle en déchéance de ladite marque.

A-sur la déchéance de la marque verbale française TRIOMPHE n°1622366

Au visa des articles L 714-5 et L716-3 du code de la propriété intellectuelle la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH entend voir prononcer, à titre principal la déchéance totale de la marque TRIOMPHE de la requérante au motif de ce qu’elle ne justifie d’aucun usage sérieux de ce signe tel que déposé et enregistré et à titre subsidiaire, la déchéance partielle pour défaut d’exploitation du signe pour les produits que son enregistrement désigne.

La société THOMAS HINE conclut au rejet des demandes en déchéance de sa marque TRIOMPHE.

L’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle dispose que “encourt la déchéance de ses droits le titulaire de la marque qui, sans justes motifs, n’en a pas fait un usage sérieux, pour les produits ou services pour lesquels la marque est enregistrée, pendant une période ininterrompue de cinq ans. Le point de départ de cette période est fixé au plus tôt à la date de l’enregistrement de la marque suivant les modalités précisées par un décret en Conseil d’Etat.
Est assimilé à un usage au sens du présent alinéa :
[..]
3° l’usage de la marque par le titulaire ou avec son consentement, sous une forme modifiée n’en altérant pas le caractère distinctif, que la marque soit ou non enregistrée au nom du titulaire sous la forme utilisée.
[…]”

Selon l’article L 716-3 du même code , la demande en déchéance peut porter sur une partie des produits ou services pour lesquels la marque contestée est enregistrée, la déchéance dans ce cas ne s’étend qu’aux produits concernés.

a- sur la déchéance totale de la marque TRIOMPHE pour le défaut d’usage sérieux du signe tel que déposé et enregistré

La défenderesse fait valoir que la marque verbale TRIOMPHE n’a jamais été exploitée par la requérante pour désigner son cognac lequel est commercialisé sous le signe “HINE TRIOMPHE” déposé par la requérante à l’INPI comme marque semi-figurative française et internationale en 1990 en classe 33 pour les eaux de vie de cognac et brandies, puis après expiration comme marque verbale française et internationale en 2012 pour les boissons alcooliques à l’exception des bières en classe 33. Invoquant un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 décembre 2009 (08-21.214), la défenderesse ajoute que s’il devait être considéré que la société THOMAS HINE a exploité le signe “TRIOMPHE” seul, non distinctif et descriptif des caractéristiques du produit, force est de constater qu’en lui adjoignant très systématiquement le terme distinctif HINE issu de sa dénomination sociale, cette dernière a tout le moins altéré le caractère distinctif de sa marque. Elle reconnaît avoir consenti au retrait de sa demande d’enregistrement de la marque semi-figurative LOUIS TRIOMPHE uniquement pour être agréable à la société THOMAS HINE et en l’absence de conseil en la matière.

La SAS THOMAS HINE soutient qu’elle justifie d’un usage sérieux du signe TRIOMPHE pour désigner ses cognacs, indépendamment de toute association avec le terme HINE. Elle précise qu’elle n’utilise plus le visuel représenté sur sa marque semi-figurative HINE TRIOMPHE de sorte qu’elle n’a pas renouvelé cette marque à son échéance le 18 août 2020 concentrant sa communication sur l’usage du signe “TRIOMPHE”. En toute hypothèse, la requérante expose que conformément au 3° de l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle l’adjonction de la dénomination HINE ne saurait altérer le caractère distinctif du signe TRIOMPHE , ainsi que retenu par la Cour d’Appel de Bordeaux dans son arrêt du 28 mars 2023 qui a également rappelé que le défaut d’exploitation invoqué en raison d’une commercialisation des produits sous le signe HINE TRIOMPHE se heurte au principe de la marque ombrelle. Elle considère par ailleurs non transposable à l’espèce l’arrêt de la chambre commerciale du 15 décembre 2009  invoqué par la défenderesse.

Il incombe au titulaire de la marque dont la déchéance est demandée de rapporter la preuve que contrairement aux allégations du demandeur son signe a fait l’objet d’un usage sérieux soit par lui soit par un tiers qu’il aurait autorisé, pendant une période ininterrompue de cinq ans.

En application de la décision de la CJUE du 17 février 2020 affaire C 607/9 le terme de la période quinquennale est la date de la demande reconventionnelle en déchéance.

La SAS THOMAS HINE doit donc prouver l’usage sérieux de sa marque au cours des cinq années qui ont précédé la demande reconventionnelle en déchéance formée par la défenderesse pour la première fois dans ses conclusions du 26 octobre 2022, soit entre le 26 octobre 2017 et le 26 octobre 2022.

Il est constant qu’une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle de garantir l’identité des services et des produits pour lesquelles elle a été enregistrée ce qui suppose l’utilisation sur le marché pour désigner chacun des produits et service couverts par son enregistrement.

En l’espèce, la marque verbale française “TRIOMPHE” a été enregistrée à l’INPI par la requérante le 19 octobre 1990 et régulièrement renouvelée depuis, pour les produits et services de la classe 33 “Vins et spiritueux”.

La preuve d’une exploitation d’une marque s’analyse comme la preuve d’un fait juridique elle n’est donc pas concernée par le principe “nul ne peut se constituer une preuve à lui même”.

La requérante justifie par la communication de factures de 1990 au 29 juin 2021 et d’extrait de son site internet du 4 décembre 2019 avoir commercialisé sur toute cette période et notamment sans interruption de 2017 au 29 juin 2021 du cognac HINE TRIOMPHE appelation grande champagne contrôlée auprès de différents clients en France comme à l’étranger. Le cognac HINE TRIOMPHE était encore commercialisé au 31 décembre 2021 ainsi qu’il résulte du rapport du commissaire au compte et il ressort des écritures de la défenderesse que la requérante exportait des cognacs HINE TRIOMPHE vers la Chine en 2022 .

Il n’est pas discuté que 2 mois avant l’enregistrement de la marque verbale française “TRIOMPHE” le 19 octobre 1990, la société THOMAS HINE & CO avait enregistré le 17 août 1990 à l’INPI sous le n° 1610313 la marque semi figurative suivante HINE TRIOMPHE pour désigner les “eaux de vie de Cognac, brandies” en classe 33 :

Cette marque semi-figurative qui avait fait l’objet d’une extension internationale n’a pas été renouvelée à l’échéance du 17 août 2020.

Aucun justificatif n’est en revanche versé au débat s’agissant de l’enregistrement en 2012 de marques verbales HINE TRIOMPHE de l’union Européenne et HINE TRIOMPHE internationale invoqué par la défenderesse.

La marque verbale TRIOMPHE peut donc être considérée comme une modification de la marque semi-figurative HINE TRIOMPHE et la seule dont il est justifié.

Or, la CJUE dans une décision Rinstish du 25 octobre 2012 n° C-553-11, dont le principe est repris au 3° de l’article L 714-5 du code de la propriété intellectuelle a indiqué que rien ne s’oppose à ce que le titulaire d’une marque enregistrée puisse aux fins d’établir l’usage de celle-ci, se prévaloir de son utilisation dans une forme qui diffère de celle sous laquelle cette marque a été enregistrée sans que les différences entre ces deux formes n’en altèrent le caractère distinctif, nonobstant le fait que cette forme différente ait été elle-même enregistrée en tant que marque ; l’exploitation d’une marque voisine de la marque arguée de déchéance vaut exploitation de cette marque dès lors qu’elle n’en diffère que par des éléments n’en altérant pas le caractère distinctif, peu important que la marque modifiée ait été elle-même enregistrée.

La marque semi-figurative HINE TRIOMPHE et la marque verbale TRIOMPHE ont en commun le terme TRIOMPHE.

Or, le Directeur de l’INPI comme la Cour d’appel de Bordeaux dans son arrêt du 28 mars 2023 ont retenu à juste titre que le terme TRIOMPHE défini dans le dictionnaire Larousse , comme “une victoire éclatante à l’issue d’une lutte, d’une rivalité” n’a aucun lien avec les vins et spiritueux visés dans l’enregistrement de la marque et il n’est pas démontré qu’il soit couramment utilisé dans le secteur des boissons alcooliques pour désigner une qualité supérieure des produits, de sorte que le terme TRIOMPHE est parfaitement distinctif au regard des produits en cause.

Au regard de la jurisprudence de la CJUE et des dispositions légales précitées, la commercialisation ininterrompue de cognacs sous la marque HINE TRIOMPHE tel que visé sur les factures produites par la requérante vaut exploitation de la marque TRIOMPHE, dès lors que la marque HINE TRIOMPHE n’en diffère que par un seul élément le terme HINE et des éléments figuratifs qui contrairement à l’espèce objet de l’arrêt de la Cour de cassation du 15 décembre 2009 invoqué par la défenderesse n’altèrent pas le caractère distinctif et attractif de la marque TRIOMPHE. Au demeurant, le terme HINE renvoi uniquement à la dénomination sociale de la société qui exploite le cognac TRIOMPHE, et si les termes HINE et TRIOMPHE figurent sur les flacons de cognac et leurs coffrets, force et de constater, que le terme TRIOMPHE est toujours dissocié du terme HINE et occupe une place prédominante tantôt placé en dessous tantôt ou dessus de celui-ci visiblement mentionné à titre de marque ombrelle ; le signe TRIOMPHE est donc bien utilisé à titre de marque sur les cognacs de la requérante même s’il est placé sous une marque ombrelle ; il identifie au sein de cette marque une gamme de produits ainsi que cela résulte de l’extrait de son site internet HINE présentant les différentes gammes de cognacs et intitulé “LES GRANDS CLASSIQUES ”.

La SAS THOMAS HINE & CO justifie donc d’une exploitation de la marque TRIOMPHE, tel que déposée et enregistrée pendant une période ininterrompue de cinq ans précédant la demande en déchéance de sorte qu’aucune déchéance de cette marque ne saurait être prononcée de ce chef.

b- sur la déchéance partielle pour défaut d’exploitation du signe pour les produits que son enregistrement désigne..

La SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH solicite à titre subsidiaire, la déchéance de la marque TRIOMPHE pour “ les vins et spiritueux” qu’elle désigne à l’exception des cognacs seuls produits pour lesquels la marque TRIOMPHE serait prétendument exploitée. Elle fait en effet valoir que la marque HINE TRIOMPHE n’est exploitée par la société Thomas HINE que pour désigner du cognac de même que la marque TRIOMPHE, s’il était considéré que celle-ci était exploitée, or la marque TRIOMPHE est enregistrée pour désigner les produits “vins et spiritueux” en classe 33.Invoquant la jurisprudence TPICE du 14 juillet 2005 affaire T-126-03 Aladin, elle souligne que les produits désignés dans l’enregistrement de la marque TRIOMPHE sont suffisamment larges pour que puissent être distinguée en son sein plusieurs sous catégories envisagées de manière autonome, et que la preuve de l’usage sérieux de la marque pour une partie de ces produits, en l’espèce le cognac, n’emporte la protection que pour les cognacs pour lesquels la marque a été effectivement utilisée de sorte que la marque TRIOMPHE est frappée de déchéance pour les vins et autres spiritueux qu’elle désigne.

La SAS THOMAS HINE & CO réplique que le cognac est une forme de brandy, les anglo-saxons ne distinguant pas les deux terminologies et qu’il répond à la définition des spiritueux tels que définis à l’article 2 du règlement UE 2019/787 du parlement européen et du conseil du 17 avril 2019.Elle verse au débat diverses factures pour justifier des produits qu’elle commercialise sous la marque TRIOMPHE depuis 2011, y compris sur le territoire chinois.

Il est constant que la demande reconventionnelle en déchéance de marque dans le cadre d’une action principale en contrefaçon ne peut viser que les produits ou services qui sont opposés dans le cadre de la demande principale.

En l’espèce, le produit opposé dans le cadre de la demande principale est un spiritueux de sorte que la demande de déchéance de la marque TRIOMPHE pour les vins ne saurait prospérer.

La décision du Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes du 14 juillet 2005 affaire Aladin , invoqué par la défenderesse a retenu que si :
44-une marque a été enregistrée pour une catégorie de produits ou de services suffisamment large pour que puissent être distinguées, en son sein, plusieurs sous-catégories susceptibles d’être envisagées de manière autonome, la preuve de l’usage sérieux de la marque pour une partie de ces produits ou services n’emporte protection, dans une procédure d’opposition, que pour la ou les sous-catégories dont relèvent les produits ou services pour lesquels la marque a été effectivement utilisée. En revanche, si une marque a été enregistrée pour des produits ou services définis de façon tellement précise et circonscrite qu’il n’est pas possible d’opérer des divisions significatives à l’intérieur de la catégorie concernée, alors, la preuve de l’usage sérieux de la marque pour lesdits produits ou services couvre nécessairement toute cette catégorie aux fins de l’opposition.
45-En effet, si la notion d’usage partiel a pour fonction de ne pas rendre indisponibles des marques dont il n’a pas été fait usage pour une catégorie de produits donnée, elle ne doit néanmoins pas avoir pour effet de priver le titulaire de la marque antérieure de toute protection pour des produits qui, sans être rigoureusement identiques à ceux pour lesquels il a pu prouver un usage sérieux, ne sont pas essentiellement différents de ceux-ci et relèvent d’un même groupe qui ne peut être divisé autrement que de façon arbitraire. Il convient à cet égard d’observer qu’il est en pratique impossible au titulaire d’une marque d’apporter la preuve de l’usage de celle-ci pour toutes les variantes imaginables des produits concernés par l’enregistrement. Par conséquent, la notion de “partie des produits ou services” ne peut s’entendre de toutes les déclinaisons commerciales de produits ou de services analogues, mais seulement de produits ou de services suffisamment différenciés pour pouvoir constituer des catégories ou sous-catégories cohérentes.”

Le règlement CE 2019/787 du 17 avril 2019 définit les spiritueux comme des boissons contenant un fort pourcentage d’alcool, soit un minimum de 15 % vol et regroupent selon la DDCCRF les eaux de vie, les apéritifs et liqueurs.

Il n’est pas discuté que le cognac exploité par la SAS THOMAS HINE & CO qui est une eau de vie de vin fait partie de la catégorie générale des spiritueux ainsi que rappelé par le Directeur de l’INPI dans ses décisions du 18 janvier 2022 et la Cour d’Appel de Bordeaux dans son arrêt du 28 mars 2023.

Il existe plusieurs sortes d’eaux de vie ; le Brandy en étant une à base de vins d’origines variés. Or si les eaux de vie sont soumises chacune à un cahier des charges propre et si elles ne sont pas rigoureusement identiques en terme de goût et de composition, elles ne sont pas essentiellement différentes entre elles, étant obtenues par distillation de cépages de vins, de fruits ou de céréales, consommé dans un contexte commun, partageant une nature et une destination communes.

Il s’ensuit que le cognac ne saurait être considéré comme une sous catégorie d’eau de vie autonome par rapport aux autres eaux de vie, et encore moins vis-à-vis du Brandy, n’étant qu’un type de brandy provenant uniquement de la région de Cognac.

Ainsi que vu plus haut la requérante a versé au débat les justificatifs de l’exploitation par elle de la marque TRIOMPHE pour désigner ses cognacs , ce qui emporte protection pour la sous catégorie des eaux de vie dont le cognac relève.

Dès lors, la société DISTILLERIE VINET DELPECH n’est pas fondée à solliciter ainsi qu’elle le formule, la déchéance de la marque TRIOMPHE pour tous les produits “Vins et spiritueux “ qu’elle désigne sauf les cognacs, et sera déboutée également de sa demande en déchéance partielle de la marque TRIOMPHE.

B-sur le bien fondé de l’action en contrefaçon de marque

Au visa des articles L 716-4, L 713-2 et L 713-3-1 du code de la propriété intellectuelle la SAS THOMAS HINE considère constitutifs d’actes de contrefaçons de sa marque TRIOMPHE l’usage des trois marques CNTRIOMPHES par la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH .

Pour écarter la contrefaçon qui lui est reprochée la défenderesse invoque deux arguments. A titre principal, elle conteste tout usage à titre de marque dans la vie des affaires du signe contrefaisant tel qu’exigé par l‘article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle et à titre surabondant tout risque de confusion entre les signes en conflit.

A titre liminaire, il convient d’indiquer que les dispositions du code de la propriété intellectuelle régissant la contrefaçon de marques applicables à l’espèce sont celles en vigueur issues de l’ordonnance 2019-1169 du 13 novembre 2019 portant transposition de la directive CE 2015/2436 du 16 décembre 2015 “Paquet Marque”.

L’article L 716-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’atteinte portée au droit du titulaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits attachés à la marque la violation des interdictions prévues aux articles L 713-2 à L 713-3-3 et au deuxième alinéa de l’article L 713-4.

Selon l’article L 713-2 du même code, est interdit sauf autorisation du titulaire de la marque l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :
1° d’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée,
2° d’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe dans l’esprit du public , un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque.

Enfin l’article L 713-3-1 du code de la propriété intellectuelle également invoqué par les parties énonce que :
“ Sont notamment interdits, en application des articles L. 713-2 et L. 713-3, les actes ou usages suivants:

1° L’apposition du signe sur les produits ou sur leur conditionnement;
2° L’offre des produits, leur mise sur le marché ou leur détention à ces fins sous le signe, ou l’offre ou la fourniture des services sous le signe;
3° L’importation ou l’exportation des produits sous le signe;
4° L’usage du signe comme nom commercial ou dénomination commerciale, ou comme partie d’un nom commercial ou dénomination sociale
5° L’usage du signe dans les papiers d’affaires et la publicité;
6° L’usage du signe dans des publicités comparatives en violation des articles 122-1 à L. 122-7 du code de la consommation;
7° La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée.
Ces actes et usages sont interdits même s’ils sont accompagnés de mots tels que: “formule, façon, système, imitation, genre, méthode”..

Ces textes doivent être interprétés à la lumière de la jurisprudence de la CJUE.

-sur la preuve de l’usage dans la vie des affaires des marques incriminées

La SAS DISTILLERIE VINET DELPECH soutient qu’elle n’a pas fait usage à titre de marque dans la vie des affaires du signe prétendument contrefaisant tel qu’exigé par l’article L 713-2 du code de la propriété intellectuelle. Elle indique que son rôle s’est limité , en sa qualité de simple prestataire de service de la société SHANGSHANG INTERNATIONAL TRADE CO LTD et en toute bonne foi, au remplissage des bouteilles qui lui ont été adressées par cette société, qu’elle n’a ni livré ni vendu ces bouteilles une fois remplies de brandy se contentant de créer les conditions techniques nécessaires pour que la société chinoise puisse faire usage du signe distinctif, qu’il ne peut donc être considéré qu’elle a fait usage de la marque ainsi que rappelé par l’arrêt CJUE du 15 décembre 2011 n° C-119/10, ce qui est exclusif de toute contrefaçon de marque. Elle ajoute qu’elle est étrangère à la présentation externe des bouteilles, et que son nom n’apparaît pas sur le produit final ce qui exclut également tout risque de confusion pour les consommateurs qui sont au surplus chinois.

La SAS THOMAS HINE & CO réplique que la société DISTILLERIE VINET-DELPECH ne s’est pas cantonnée au simple remplissage des carafes fournies par son client ainsi qu’elle l’allègue. Elle expose qu’elle s’est notamment montrée particulièrement engagée par l’organisation du dépôt des 3 marques litigieuses, la planification conjointement avec la société chinoise des stratégies publicitaires visant à commercialiser les produits contrefaisants, l’organisation de l’expédition de ceux-ci, donnant des conseils sur la réalisation des produits et leur packaging, l’apposition sur chaque carafe de sleeves (étiquettes sur le col) reproduisant les signes contrefaisants. Elle ajoute que le directeur était parfaitement informé des antériorités existantes, puisqu’en 2011 à la demande de la société HINE il avait retiré sa demande d’enregistrement de la marque LOUIS TRIOMPHE pour éviter tout risque de confusion avec la marque TRIOMPHE.

Il est constant depuis l’arrêt de la Cour de justice européenne , Football club du 12 novembre 2002 C-206/01 qu’un usage relève de la vie des affaires dès lors qu’il se situe dans le contexte d’une activité commerciale visant un avantage économique direct comme indirect et non dans le domaine privé, lorsqu’il sert à promouvoir les produits commercialisés par une entreprise.

Les factures et documents de livraison saisis à la DISTILLERIE VINET-DELPECH lors de la saisie contrefaçon diligentée le 24 novembre 2021, permettent de mettre en évidence que cette société a accompli au moins de septembre 2020 à août 2021 pour le compte de la société SHANGSHANG INTERNATIONAL TRADE CO LTD et sur commande de celle-ci, une prestation de remplissage de bouteilles avec du brandy puis livraison de ces bouteilles dûment remplies à son commanditaire. Les fiches informations produits qui ne sont contredites par aucune pièce, révèlent que les flacons, d’une capacité de 700 ml déjà imprimés (donc déjà revêtus des marques incriminées CNTRIOMPHES), les bouchons, les sleeves et les contre étiquettes déjà imprimées et les cartons ont été fournis à la DISTILLERIRIE VINET DELPECH par la société SHANGSHANG INTERNATIONAL TRADE CO LTD.

La Cour de justice des l’Union Européenne dans un arrêt Red Bull C-119/10 du 15 décembre 2011 concernant une affaire relative au remplissage de conditionnement revêtus de la marque Red Bull et intervenue au visa de l’article 5 paragaphe 1 sous bb) de la première directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 a énoncé “ qu’un prestataire de service qui sur commande et sur les instructions d’un tiers, remplit des conditionnements qui lui ont été fournis par ce tiers, lequel y a fait apposer préalablement un signe identique ou similaire à un signe protégé en tant que marque ne fait pas en lui même un usage de ce signe susceptible d’être interdit”, après voir rappelé que le remplissage de cannettes pourvues de signes similaires à des marques n’est pas en sa nature comparable à un service visant à promouvoir la commercialisation de produits revêtus de tels signes et n’implique notamment, pas la création d’un lien entre ces signes et le service de remplissage.”

Il est par ailleurs constant que le dépôt d’une marque sans usage dans la vie des affaires, n’est pas constitutif d’une contrefaçon, de sorte que le fait que la société DISTILLERIE VINET DELPECH ait effectué pour le compte de la société SHANGAI SHANGSANG INTERNATIONAL TRADE Co-ltd le dépôt des demandes d’enregistrement des 3 marques CNTRIOMPHES incriminées prestation facturée selon devis joint au mail du 18 novembre 2020 ne saurait constituer en soit un usage dans la vie des affaires par la société DISTILLERIE VINET DELPECH des marques CNTRIOMPHES.

Toutefois, ainsi que relevé par la requérante, le rôle de la société DISTILLERIE VINET DELPECH ne s’est pas limité au dépôt des demandes d’enregistrement des 3 marques CNTRIOMPHES et au remplissage des flacons de brandy estampillés CNTRIOMPHES.

Les échanges de mails entre cette société et son client chinois établissent en effet que la DISTILLERIE VINET DELPECH a collaboré aux activités de marketing de la société SHANGAI SHANGSANG INTERNATIONAL TRADE Co-ltd en organisant l’activité de dégustation du brandy CNTRIOMPHES en décembre 2020 et en fournissant des vidéos du chai, de la distillation de la production et des vignes, outre le fait qu’il entrait nécessairement dans sa prestation l’apposition sur les flacons de brandy des sleeves (manchons imprimés de la marque se rétractant autour du col du flacon) et des contre-étiquettes, dès lors que celles-ci lui ont été livrées déjà imprimées dans des caisses à part ainsi que cela résulte du mail du 30 novembre 2020. Au surplus et contrairement à ce que soutient la défenderesse, le nom de la société VINET DELPECH est clairement mentionné sur la contre étiquette apposée au dos du flacon de brandy CNTRIOMPHES saisi dans les locaux de cette distillerie le 24 novembre 2021 ainsi que cela a pu être vérifié lors de l’audience.

S’il n’est pas vraiment discuté que la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH n’a pas commercialisé les brandies CNTRIOMPHES, ni participé à l’élaboration des flacons, sleeves, étiquettes contre étiquettes et coffrets préimprimés de ces produits, elle ne peut dénier que le remplissage de bouteilles ostensiblement identifiées sous la marque CNTRIOMPHES, l’apposition des sleeves et contre étiquettes sous cette marque avec mention de sa propre dénomination, et sa participation à la publicité du brandy CNTRIOMPHES lui ont nécessairement procuré un avantage économique indirect. La SAS DISTILLERIE VINET DELPECHE ayant intérêt au succès de la commercialisation de ce brandy , s’agissant d’un gros marché susceptible de renflouer de façon très significative la trésorerie en difficulté de cette distillerie ainsi que cela résulte des mails de son Président en date des 24 et 27 novembre 2020. Aux termes de ces mails il qualifie en effet la société SHANGAI SHANGSANG INTERNATIONAL TRADE Co-ltd de “client essentiel “pour eux, rappelant “la nécessité de ne pas décevoir ce client qu’il faut considérer comme le “sauveur” de l’entreprise ” et l’impossibilité pour l’entreprise de ne “pas risquer de perdre le marché.”

Le remplissage avec du brandy des flacons étiquetés CNTRIOMPHES, l’apposition des sleeves et contre-étiquettes de la marque CNTRIOMPHES sur ces flacons comme la collaboration aux activités de promotion de ce brandy , constituent au surplus des actes préparatoires désormais sanctionnables au titre de la contrefaçon de marque en application de l’article L713-3-3 du code de la propriété intellectuelle issue de l’ordonnance du 13 novembre 2019 portant transposition de la directive UE 2015/2436 du 16 décembre 2015 et auquel renvoi l’article L 716-4 du même code et précité.

Il est effectivement énoncé par cet article que lorsqu’il existe un risque d’atteinte à ses droits en application des articles L 713-2 à L 713-3-1, du fait de l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou services de conditionnements, d’étiquettes, de marquages, de dispositifs de sécurité ou d’authentification ou de tout autre support sur lequel est apposé la marque, le titulaire de la marque peut interdire :
1° l’apposition d’un signe identique ou similaire à la marque sur des supports mentionnés au 1er alinéa,
2° l’offre la mise sur le marché ou la détention à ces fins, l’importation ou l’exportation des mêmes supports.

Ces dispositions prise en application d’une directive postérieure à celle existant à la date de la décision Red Bull précitée, permettent désormais de sanctionner la contrefaçon de marque par fourniture de moyens et donc de qualifier l’agissement de l’auteur du remplissage d’un conditionnement marqué d’un produit identique ou similaire à celui de la marque antérieure d’usage illicite de la marque .

Il est donc suffisamment démontré par ce qui précède, nonobstant le débat des parties sur la bonne foi de la défenderesse, notion inopérante en matière de contrefaçon de marque, que la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH a bien fait usage dans la vie des affaires des 3 marques CNTRIOMPHES incriminées. En effet sur le flacon saisi entre les mains de la société DISTILLERIE VINET DELPECH lors des opérations de saisie contrefaçon présenté lors de l’audience, la marque CNTRIOMPHES figure sur le sleeve sous sa forme verbale telle qu’enregistrée à l’INPI sous le n° 4719067 tandis que la marque verbale CNTRIOMPHES NOBLE HONNEUR n° 4719068 et la marque figurative CNTRIOMPHES n°4719073 figurent sur l’étiquette médaillon.

-sur l’existence de la contrefaçon

Il convient de rappeler d’une part, que la marque française verbale “TRIOMPHE” n° 1622366 a été déposée et enregistrée à l’INPI par la SAS THOMAS HINE & CO le 19 octobre 1990 pour désigner en classe 33 des vins et spiritueux.

D’autre part, que les 3 marques CNTRIOMPHES n° 4719073, 4719068 et 4719067 ont été quant à elles déposées à l’INPI le 7 janvier  2021 par Mme [F] [Z] représentante de la société SHANGSANG INTERNATIONAL TRADE CO.LTD,en classe 33 pour désigner les produits ou services suivants : eaux de vie ; eaux de vie bénéficiant de l’appellation d’origine contrôlée “Cognac” ; spiritueux; brandy; boissons alcoolisées (à l’exception des bières), vins ; vins d’AOP; vins IGP étant rappelé que par 3 décisions en date du 18 janvier 2022 statuant sur opposition de la société THOMAS HINE, le Directeur de l’INPI a rejeté leur inscription à l’INPI ; décisions confirmées par la Cour d’Appel de Bordeaux dans son arrêt du 28 mars 2023.

Afin de déterminer si l’utilisation des 3 marques CNTRIOMPHES par la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH porte atteinte aux droits antérieurs de la SAS THOMAS HINE & Co ,sur la marque verbale TRIOMPHE n° 1622366, il y a lieu de rechercher sur le fondement des dispositions légales précitées, si, au regard d’une appréciation globale des degrés de similitude entre les signes et entre les produits et services désignés, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public quant aux produits couverts par les signes en conflit et/ou leur origine incluant le risque d’association avec la marque antérieure, ce qui est débattu par les parties.

En l’espèce, les produits en cause consistant en des vins et des boissons spiritueuses, le public pertinent ainsi que retenu à juste titre par le directeur de l’INPI dans ses observations déposées en vue de l’audience devant la Cour d’Appel de Bordeaux, est “le grand public doté d’un degré d’attention normale et non pas un public averti de connaisseurs, ces produits étant de plus en plus diffusés notamment en grande surfaces et sur Internet”. La commercialisation par Internet permettant d’étendre le public pertinent au delà du consommateur moyen chinois.

A- sur la comparaison des produits

Comme déjà évoqué plus haut et jugé par la Cour d ‘Appel de Bordeaux dans son arrêt du 28 mars 2023 par des motifs pertinents qu’il convient de reprendre les 3 marques CNTRIOMPHES ont été enregistrées pour des produits très similaires à ceux visés par la marque TRIOMPHE :
“ les spiritueux s’entendent comme des boissons contenant un fort pourcentage d’alcool, comprenant notamment le whisky, l’armagnac, le cognac ou encore le gin, quand bien même le processus d’élaboration de chacun de ces spiritueux est différent. Les eaux-de vie bénéficiant de l’appellation d’origine contrôlée Cognac entrent nécessairement dans la catégorie générale des spiritueux, peu important qu’elles répondent à un cahier des charges qui leur est propre.
Par ailleurs, il est constant que la catégorie “boissons alcoolisées (à l’exception des bières) de la demande d’enregistrement constitue une catégorie générale incluant notamment “les vins et spiritueux” de la marque antérieure, de sorte que ces produits qui sont commercialisés dans les mêmes points de vente et consommés dans un contexte commun, partagent une même nature, une fonction et une destination commune”

B sur la comparaison des signes

L’appréciation des similitudes des signes en conflit doit être effectuée aux plans visuel, phonétique, et conceptuel et être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux-ci, en tenant compte notamment de leurs éléments distinctifs et dominants.

L’élément dominant d’une marque est défini par la jurisprudence communautaire comme le composant d’une marque complexe susceptible de dominer à lui seul l’image de cette marque, que le public pertinent garde en mémoire de telle sorte que le ou les autres composants de cette marque est ou sont négligeables dans l’impression d’ensemble produite par celle-ci.

L’appréciation de la similitude des signes ne peut donc se limiter à la comparaison d’un seul composant, sauf a établir que les autres sont négligeables ou insignifiants et ne peut constituer un facteur pertinent dans l’appréciation de l’impression d’ensemble produite.

En application de ces principes la Cour d’appel de Bordeaux dans son arrêt du 28 mars 2023 a jugé à juste titre que chacun des 3 signes CNTRIOMPHES était similaire au signe TRIOMPHE.

-comparaison du signe verbal TRIOMPHE et du signe verbal CNTRIOMPHES

Ainsi que retenu par la Cour d’ appel, la différence visuelle entre le signe TRIOMPHE et le signe CNTRIOMPHES ne tient qu’à l’ajout du préfixe CN et de la lettre finale S sur le second signe.

Ces ajouts sont insignifiants pour générer une différence suffisante dans l’esprit du consommateur , qui appréhendant le signe dans son ensemble n’en retiendra que le terme TRIOMPHE immédiatement identifiable, seul prononçable et dominant au sein du signe CNTRIOMPHES, la lettre finale S ne se prononçant pas et la séquence CNTR étant imprononçable.

Le consommateur moyen sera donc incité à isoler le terme TRIOMPHE, dont il a été dit plus haut qu’il est parfaitement distinctif au regard des produits en cause et à percevoir la séquence CN comme un signe.

Lors du recours contre les décisions du directeur de l’INPI, la société chinoise qui a enregistrée les marques incriminées a soutenu, ainsi qu’il résulte de la lecture de l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux que la séquence CN était arbitraire et n’avait pas de signification particulière. Comme analysé par la Cour d’Appel le signe CN peut parfaitement être perçu comme le code ISO de la Chine qui ne saurait constituer un élément distinctif en ce qu’il fait référence à la provenance géographique du titulaire de la marque.

L’élément verbal TRIOMPHE conserve donc dans l’ensemble CNTRIOMPHES un caractère distinctif, dominant et autonome, les ajouts CN et S étant négligeables pour remettre en cause de la similitude des deux signes.

-comparaison du signe verbal TRIOMPHE et du signe verbal CN TRIOMPHES NOBLE HONNEUR

Ces deux signes ont en commun le terme TRIOMPHE conférant de grandes ressemblances visuelles phonétiques et intellectuelles avec le signe antérieur et qui sera identifié spontanément par le consommateur au sein de la dénomination CNTRIOMPHES comme développé plus haut.

Comme retenu par la Cour d’Appel de Bordeaux dans l’arrêt du 28 mars 2023 les termes NOBLE ET HONNEUR qui appartiennent au même champ lexical que la dénomination TRIOMPHE et sont incontestablement susceptibles d’être perçus comme venant qualifier cette dernière et renforcer l’évocation qui lui rattachée, sont descriptifs et secondaire et ne sont pas de nature à altérer le caractère distinctif, dominant et autonome du terme TRIOMPHE ; il en résulte un risque d’association entre les deux signes pris dans leur ensemble CNTRIOMPHES NOBLE HONNEUR pouvant être perçus comme la déclinaison de la marque TRIOMPHE, dont elle est très similaire.

-comparaison du signe verbal TRIOMPHE et de la marque semi-figurative CNTRIOMPHES

Ainsi que rappelé plus haut l’élément verbal CNTRIOMPHES de la marque semi-figurative CNTRIOMPHES est similaire au signe TRIOMPHE antérieur.

Comme retenu par la Cour d’appel de Bordeaux dans son arrêt du 28 mars 2023, l’élément figuratif représentant un arc de triomphe surmonté de fleurs de lys entouré de deux licornes ailées ne permet pas d’altérer l’élément verbal immédiatement perceptible CNTRIOMPHES écrit en majuscule de grande taille et qui seul permet de donner un nom à la marque.

Il est constant qu’en présence de marques semi-figuratives, les éléments verbaux plus facilement mémorisables, doivent généralement être considérés comme prépondérants.

De sorte que pour les mêmes motifs que ceux de la Cour d’appel de Bordeaux, il sera retenu que le signe semi-figuratif CNTRIOMPHES est similaire au signe verbal TRIOMPHE.

C- sur le risque de confusion

La similarité des produits couverts par les marques en conflit et des signes, fait apparaître, ainsi que retenu par la Cour d’Appel dans son arrêt du 23 mars 2023 que les 3 marques CNTRIOMPHES et la marque antérieure TRIOMPHE sont les déclinaisons appartenant à une même entité génératrice d’une confusion dans l’esprit du public concerné qui peut leur attribuer une origine commerciale commune.

En faisant usage dans la vie des affaires, par fourniture de moyens ,des 3 marques CNTRIOMPHES similaires à la marque antérieure TRIOMPHE pour désigner des produits similaires à ceux pour laquelle cette marque était enregistrée la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH a commis des faits de contrefaçon de la marque TRIOMPHE.

La contrefaçon de marque étant retenue il n’y a pas lieu d’examiner la demande subsidiaire en concurrence déloyale et parasitaire.

3-SUR LA RÉPARATION DES PRÉJUDICES ET MESURES COMPLÉMENTAIRES

A- les demandes indemnitaires

Au visa principal de l’article 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle la SAS THOMAS HINE & CO sollicite la condamnation de la SAS DISTILLERIE VINET-DELPECH à lui payer, en réparation des préjudices résultant de la contrefaçon de sa marque TRIOMPHE la somme de 785.827,14 euros au titre du préjudice économique ( incluant le gain manqué et le bénéfice du contrefacteur) et 76.419, 58 euros au titre du préjudice moral.

La défenderesse conclut au rejet des demandes indemnitaires, contestant les préjudices invoqués et rappelant n’être intervenue qu’en qualité de prestataire de service

L’ article L 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle dispose que pour fixer les dommages et intérêts , la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant de la redevance des droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

Il est désormais constant que le tribunal doit procéder à une évaluation distincte des postes de préjudices visés par les dispositions précitées sans pour autant en faire le cumul.

Le gain manqué

Le gain manqué suppose que soit rapportée la preuve d’un appauvrissement ou perte de marché résultant de la contrefaçon.

En l’espèce, la SAS THOMAS HINE ne justifie d’aucune perte de marché en lien avec la contrefaçon , ni baisse de ses ventes de cognacs TRIOMPHE pendant et après la période durant laquelle la défenderesse s’est livrée à l’activité contrefaisante soit de septembre 2020 à avril 2021 tel qu’établi par le procès-verbal de saisie contrefaçon du 24 novembre 2021.

La marge brute réalisée par la requérante sur les ventes des produites HINE TRIOMPHE à destination de la Chine en 2021 de 38,7 % tel que certifiée par le commissaire au compte le 8 avril 2022 ne saurait en l’absence d’autres pièces justifier de la perte de gain subie par la requérante en lien avec les faits de contrefaçon reprochés à la défenderesse, quel que soit le chiffre d’affaires réalisé par celle-ci au titre de son activité contrefaisante.

Il n’est donc pas justifié par la SAS THOMAS HINE & CO du gain manqué allégué .

Le bénéfice réalisé par la DISTILLERIE VINET DELPECH

Il ressort des éléments saisi que la masse contrefaisante porte sur 523.462 flacons de brandy ayant permis à la défenderesse de réaliser un chiffre d’affaires de 1.113.988 euros, sur lequel elle a réalisé une marge brute évaluée par la requérante à 31,84 % soit de 354.693,78 euros, calculs non véritablement contestés.

Toutefois il convient de tenir compte du fait, qu’il n’est justifié d’aucune perte de gain pour la requérante, et que la défenderesse n’a fourni qu’une partie des moyens de la contrefaçon de sorte qu’en considération de ces éléments il convient de fixer le montant de la réparation du préjudice économique à la somme de 200.000 euros.
le préjudice moral

La commercialisation sur le marché chinois, en grande quantité de brandies CNTRIOMPHES contrefaisants de faibles valeur (3 euros) à laquelle la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH a participé par fourniture de moyens ainsi que développé plus haut, a nécessairement porté atteinte à la réputation et à l’image de la SAS THOMAS HINE & CO qui était connue en France et à l’étranger pour commercialiser sur la même période sous la gamme TRIOMPHE du cognac prestigieux vendu 700 euros le flacon.

Toutefois le préjudice d’atteinte à la réputation qui ne peut être calculé par référence à une différence de marge brute, comme proposée par la requérante sera évalué eu égard aux circonstances de l’espèce à 10.000 euros.

B- sur les mesures complémentaires

L’article L 716-4 11 du CPI dispose qu’en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants et les matériaux ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée.
La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne selon les modalités qu’elle précise.
Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées au frais du contrefacteur.

Les faits de contrefaçon commis justifient de faire droit aux demandes de publication d’un communiqué judiciaire, aux frais avancés de la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH et pour un coût qui ne pourra dépasser un plafond de 6.000 € HT quel que soit le nombre d’insertion, dans 2 journaux ou revues français, au choix des demandeurs, et sur la page d’accueil du site https://www.vinet-delpech.com et ce s’agissant de cette page d’accueil pendant une durée d’un mois à compter du lendemain de sa signification.

Ces mesures sont suffisantes pour garantir la publicité de la décision sans qu’il soit également nécessaire de prévoir une publication sur le site de la société Hine.

Par ailleurs, il n’est nullement justifié par la requérante de la poursuite par la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH de l’activité contrefaisante depuis le procès-verbal de contrefaçon du 24 novembre 2021 d’où il ressort qu’au surplus à cette date elle ne détenait plus en stock que 2 flacons contrefaisants du fait de l’arrêt des commandes . La mesure d’interdiction d’usage de reproduction et apposition de la marque contrefaite n’apparaît donc pas nécessaire.

5-SUR LES DEMANDES ANNEXES

Conformément à l’article 696 du code de procédure civile la SAS DISTILLERIRE VINET DELPECH supportera la charge des entiers dépens de l’instance.

L’équité conduit à condamner SAS DISTILLERIRE VINET DELPECH à payer à la SAS THOMAS HINE & CO la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

REJETTE la demande de révocation de l’ordonnance de clôture du 1er février 2024 et déclare en conséquence irrecevables le conclusions et pièces 5 à 10 notifiées le 20 février 2024 par RPVA par la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH,

DEBOUTE la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH de ses demandes en déchéance totale comme partielle de la marque TRIOMPHE n° 1622366,

DIT que la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH a commis des actes de contrefaçon de la marque TRIOMPHE n° 1622366 appartenant à la SAS THOMAS HINE & CO,

CONDAMNE la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH à payer à la la SAS THOMAS HINE & CO la somme de 200.000 euros à titre de réparation du préjudice économique résultant des faits de contrefaçon,

CONDAMNE la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH à payer à la la SAS THOMAS HINE & CO la somme de 10.000 euros à titre de réparation du préjudice moral résultant des faits de contrefaçon,

ORDONNE la publication du communiqué judiciaire suivant :

“ COMMUNIQUÉ JUDICIAIRE :
Par jugement en date du 23 avril 2024 , le tribunal judiciaire de BORDEAUX a jugé que la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH a commis des actes de contrefaçon de la marque TRIOMPHE à l’encontre de la SAS THOMAS HINE & CO et l’a condamnée à payer à cette société des dommages et intérêts au titre de ses préjudices économique et moral” ,
– aux frais avancés de la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH et pour un coût qui ne pourra dépasser un plafond de 6.000 € HT quel que soit le nombre d’insertion, dans 2 journaux ou revues français, au choix des demandeurs,
– sur la page d’accueil du site https://www.vinet-delpech.com pendant une durée d’un mois à compter du lendemain de sa signification,

CONDAMNE la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH à payer à la SAS THOMAS HINE & CO la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les parties de leurs plus amples et contraires demandes,

CONDAMNE que la SAS DISTILLERIE VINET DELPECH aux entiers dépens de l’instance,

RAPPELLE que la présente décision est de plein droit assortie de l’exécution provisoire.

La présente décision est signée par Madame Caroline RAFFRAY, Vice-Présidente, et de Madame Hassna AHMAR-ERRAS, adjoint administratif faisant fonction de Greffier.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


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