Cour d’appel de Basse-Terre RG n° 22/00572 6 mai 2024

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Cour d’appel de Basse-Terre RG n° 22/00572 6 mai 2024
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Cour d’appel de Basse-Terre
RG n° 22/00572
6 mai 2024
JD/LP

COUR D’APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT N°108 DU SIX MAI DEUX MILLE VINGT QUATRE

AFFAIRE N° : N° RG 22/00572 – N° Portalis DBV7-V-B7G-DOLB

Décision déférée à la Cour : Arrêt de renvoi après cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Basse-Terre du 20 Juin 2020 statuant sur appel du jugement du Conseil de Prud’hommes de Pointe-à-Pitre – section encadrement – du 26 Décembre 2017.

APPELANTE

Madame [T] [A]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Pascale EDWIGE, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

INTIMÉE

S.A.S. COFRIGO DISTRIBUTION

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée par Me Stéphane BURTHE (SELARL IGMAN CONSEIL), avocat au barreau de PARIS et par Me Gladys SAINT-CLEMENT, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BARTH

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 5 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Judith DELTOUR, présidente de chambre, présidente,

Mme Valérie MARIE-GABRIELLE, conseillère,

Mme Pascale BERTO, vice-présidente placée auprès du Premier Président,

Les parties ont été avisées à l’issue des débats de ce que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 6 mai 2024

GREFFIER Lors des débats Mme Lucile POMMIER, greffier principal.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l’article 450 al 2 du CPC.

Signé par Mme Judith DELTOUR, présidente de chambre et par Mme Lucile POMMIER, greffier principal, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

**********

Procédure

Mme [A] a été embauchée par la société Cofrigo distribution en contrat à durée indéterminée à compter du 31 mars 2008 en qualité de responsable administratif et comptable, statut cadre supérieur. Par lettre du 19 septembre 2014, l’employeur l’a convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 26 septembre 2014 et lui a notifié sa mise à pied à tire conservatoire. Par lettre du 3 octobre 2014, l’employeur lui a notifié son licenciement pour insuffisance professionnelle.

Contestant cette rupture et estimant avoir subi un harcèlement moral, par requête du 22 juillet 2015, Mme [A] a saisi le conseil des prud’hommes pour obtenir le paiement d’indemnités.

Par jugement contradictoire rendu le 26 décembre 2017, le conseil des prud’hommes de Pointe-à-Pitre a

– dit que le licenciement de Mme [A] [T] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

– condamné la société Cofrigo distribution en la personne de son représentant légal à payer à Mme [A] [T] les sommes suivantes :

– 1 580 euros au titre du complément de l’indemnité de non-concurrence,

– 1 000 euros au titre de l’indemnité pour retard de remise de documents de fin de contrat,

– 1 000 euros au titre de l’indemnité pour retard de remise de carte de mutuelle,

– 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté Mme [A] de ses autres demandes,

– débouté la société Cofrigo distribution de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Cofrigo distribution aux entiers dépens de l’instance.

Par déclaration reçue le 15 janvier 2018, Mme [A] a interjeté appel de la décision.

Par arrêt rendu le 22 juin 2020, la cour d’appel a

– confirmé le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Pointe-à-Pitre le 26 décembre 2017 entre Mme [A] [T] et la SASU Cofrigo distribution, sauf en ce qu’il a condamné la SASU Sofrigo distribution à verser à Mme [A] [T] la somme de 1 580 euros au titre du complément de l’indemnité de non-concurrence, 1 000 euros au titre de l’indemnité pour retard de remise de documents de fin de contrat, 1 000 euros au titre de 1’indemnité pour retard de remise de carte de mutuelle, 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en ce qu’il a débouté Mme [A] [T] de ses demandes afférentes à l’indemnité compensatrice de congés payés, aux dommages et intérêts pour retard de versements de l’indemnité de non-concurrence ainsi qu’à la remise de l’attestation Pôle emploi et fiches de paie rectifiées,

– réformé et statuant à nouveau sur ces chefs de demandes,

– condamné la SASU Cofrigo distribution à payer à Mme [A] [T] les sommes suivantes :

– 201,41 euros à titre de solde d’indemnité compensatrice de congés payés,

– 100 euros de dommages et intérêts pour retard dans le versement de l’indemnité de non-concurrence,

– ordonné à la SASU Cofrigo Distribution la remise à Mme [A] [T] de l’attestation Pôle emploi et de la fiche de paie rectifiées conformément au présent arrêt,

– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens,

– débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Suivant déclaration de pourvoi, par arrêt rendu le 6 avril 2022, la Cour de cassation a

– cassé et annulé mais seulement en ce qu’il dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, déboute Mme [A] de ses demandes en dommages et intérêts pour rupture abusive et en réparation du préjudice subi pour harcèlement moral, laisse à chaque partie la charge de ses dépens et déboute Mme [A] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrête rendu le 22 juin 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Basse-Terre,

– remis sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état ou elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Basse-Terre autrement composée ;

– condamné la société Cofrigo distribution aux dépens,

En application de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté la demande formée par la société Cofrigo distribution et l’a condamnée à payer à Mme [A] la somme de 3 000 euros.

Suivant déclaration de saisine du 3 juin 2022, et premières conclusions du 5 août 2022, par dernières conclusions communiquées le 19 décembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, Mme [T] [A] a demandé à la cour au visa notamment des articles L. 1232-1, L. 1235-1 et L. 1332-1 à L 1332-3, L. 1332-4 et L. 1332-5, L 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail et de l’article 3 de l’ANI, de l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa version en vigueur au jour de la saisine prud’homale, de

– juger que la demande de dommages et intérêts matériel et financier à hauteur de 203 000 euros repose sur la réparation du préjudice subi au titre du licenciement brutal et vexatoire, intervenu dans des conditions brutales et vexatoires,

– juger recevable la demande de dommages et intérêts matériel et financier à hauteur de 203 000 euros laquelle repose sur la réparation du préjudice subi au titre du licenciement brutal et vexatoire, intervenu dans des conditions brutales et vexatoires,

En conséquence,

– débouter la société Cofrigo distribution de sa demande d’irrecevabilité sur la demande de dommages et intérêts matériel et financier à hauteur de 203 000 euros,

– infirmer le jugement du 26 décembre 2017 rendu par le conseil des prud’hommes de Pointe-à-Pitre dont appel en ce qu’il a

– dit que le licenciement de Mme [A] est fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

– débouté Mme [A] de sa demande d’indemnité à hauteur de 80 000 euros au titre du licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

– débouté Mme [A] de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 70 000 euros au titre du harcèlement moral ;

Statuant à nouveau,

– juger le licenciement de Mme [A] dénué de cause réelle et sérieuse ;

– juger le licenciement de Mme [A] brutal et vexatoire ;

– juger que Mme [A] a été victime d’harcèlement moral de la part de son employeur,

En conséquence,

– condamner la société Cofrigo distribution à la somme de 80 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;

– condamner la société Cofrigo distribution à la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

– condamner la société Cofrigo distribution à la somme de 203 000 euros à titre de dommages et intérêts matériel et financier en réparation du licenciement brutal et vexatoire, intervenu dans des conditions brutales et vexatoires,

– condamner la société Cofrigo distribution à la somme de 7 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, vu la situation précaire de Mme [A] et son parcours procédural, il serait inéquitable de laisser à sa charge, les sommes exposées par elle depuis 2015, pour faire valoir ses droits,

– condamner la société Cofrigo distribution aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Elle a fait valoir la recevabilité de sa demande de dommages et intérêts matériels et financiers à hauteur de 203 000 euros, comme incluse dans la cassation, ayant été formée pour réparer le préjudice subi au titre du licenciement. Elle a soutenu l’existence d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, s’agissant d’un licenciement disciplinaire fondé sur des faits prescrits ( pour les griefs mentionnés dans la lettre d’observation du 2 février 2009, celui ayant trait à la comptabilisation du stock de gasoil, celui relatif à la déclaration des paiements opérés par l’entreprise concernant l’effort de construction pour les années 2010 et 2011, celui portant sur la comptabilisation des stocks d’emballage et celui spécifique au paiement et à la facturation des médias claims) et non fondés (s’agissant de la participation à la formation professionnelle et du recouvrement des impayés TRACC, de la facture SOTRAG et ATRAM n’ayant causé aucun préjudice financier à l’entreprise). Elle a fait valoir que la lettre d’observation du 2 février 2009 était une sanction disciplinaire pour laquelle la procédure n’avait pas été respectée, que son employeur avait profité de ses qualités et compétences et que le motif réel de son licenciement se trouvait dans l’attitude du gérant et de sa supérieure, ayant conduit à sa mise à l’écart, à un manque de considération humiliant et méprisant, donnant lieu à un licenciement brutal et vexatoire et un harcèlement moral fondant ses demandes indemnitaires.

Par dernières conclusions communiquées le 19 janvier 2024 suivant conclusions notifiées le 3 octobre 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, la SASU Cofrigo distribution a sollicité au visa notamment des anciens articles L. 1235-1, L. 1152-1 du code du travail, 1353 du Code civil, 561 et suivants, 564, 624, 638 et 700 du code de procédure civile, de

– prononcer l’irrecevabilité de la demande à titre de dommages et intérêts matériel et financier d’un montant de 203 000 euros et se déclarer non saisie par ladite demande non atteinte par la cassation,

– confirmer le jugement du conseil des prud’hommes en ce qu’il a :

– dit que le licenciement de Mme [A] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

– débouté Mme [A] de sa demande d’indemnité à hauteur de 80 000 euros pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

– débouté Mme [A] de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 70 000 euros pour harcèlement moral,

– débouté Mme [A] de sa demande de dommages et intérêts ‘matériel et financier’ à hauteur de 203 000 euros,

– infirmer le jugement du conseil des prud’hommes de Pointe-à-Pitre en ce qu’il a :

– condamné la société Cofrigo distribution à verser à Mme [A] 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté la société Cofrigo distribution de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Cofrigo distribution aux entiers dépens de l’instance,

Statuant à nouveau, de

– débouter Mme [A] de toutes ses demandes,

– condamner Mme [A] à verser à la société Cofrigo distribution la somme de 7 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Mme [A] aux entiers dépens.

Elle a fait valoir l’irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts matériels et financiers à hauteur de 203 000 euros. Elle a soutenu que l’appelante prétendait re-qualifier le licenciement pour insuffisance professionnelle en licenciement disciplinaire, en alléguant la prescription des faits fautifs, qu’à moins que ses erreurs, constitutives d’insuffisance professionnelle, aient été commises de manière délibérée, elles ne constituaient pas des fautes mais une insuffisance professionnelle ; qu’elle avait commis des fautes dans les deux mois précédant son licenciement et que la prescription de deux mois n’interdit pas de mentionner les faits fautifs réitérés. Elle a rappelé le recrutement et les responsabilités de la salariée, ses déficiences professionnelles, son aveu des erreurs ayant donné lieu à la lettre de recadrage de février 2009, les répercussions financières de ses erreurs quotidiennes, dont certaines ont été découvertes et ont eu des conséquences importantes y compris dans les années suivant son départ. Elle a critiqué les demandes de la salariée qui lui imputait ses problèmes de santé, ses choix de vie et ceux de son conjoint, son interdiction bancaire et fait valoir qu’elle ne justifiait d’aucun préjudice qui soit imputable à son employeur.

Le 10 juin 2022, les parties ont été avisées de l’examen de l’affaire à l’audience du 6 février 2023, l’affaire a été renvoyée à la demande des parties au 2 octobre 2023 puis au 5 février 2024. A cette audience, l’affaire a été mise en délibéré pour être rendu le 6 mai 2024.

Motifs de la décision

Le nom de l’intéressée est [L], elle a été embauchée sous le nom [A], son nom d’épouse. La SASU Cofrigo Distribution ne conteste pas la recevabilité des demandes formées contre la société Cofrigo ou Cofrigo distribution.

Sur l’étendue de la cassation

Au terme de l’arrêt portant renvoi, la Cour de cassation casse et annule mais seulement en ce qu’il dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, déboute Mme [A] de ses demandes en dommages-intérêts pour rupture abusive et en réparation du préjudice subi pour harcèlement moral, laisse à chaque partie la charge de ses dépens et déboute Mme [A] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile l’arrêt rendu le 22 juin 2020, entre les parties et remis sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt.

La cour ayant relevé que la salariée faisait grief à l’arrêt de dire son licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et de la débouter de ses demandes de indemnitaires subséquentes a estimé, au visa de l’article 455 du code de procédure civile, que pour écarter la prescription des faits reprochés relatifs aux erreurs de comptabilisation des stocks imputées à la salariée au titre de l’exercice 2009, l’arrêt avait retenu que si l’employeur a eu connaissance de ces faits en 2011, il reprochait dans la lettre de licenciement des erreurs de même nature commises en 2014 par la salariée dans les écritures de la société et qu’en statuant ainsi, sans préciser, parmi les faits invoqués dans la lettre de licenciement, quelles erreurs de même nature auraient été commises par la salariée en 2014, la cour d’appel n’avait pas satisfait aux exigences du texte. Elle a ajouté, sur le troisième moyen, que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartenait au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarie, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail, que dans l’affirmative, il revenait au juge d’apprécier si l’employeur prouvait que les agissements invoqués n’étaient pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et qu’en procédant à une analyse séparée de chaque élément invoqué par la salariée, alors qu’il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis et les certificats médicaux attestant de la dégradation de son état de santé, laissaient présumer l’existence d’un harcèlement, la cour d’appel avait violé les textes visés.

Les parties s’opposent sur l’étendue de la cassation s’agissant de la demande de condamnation de l’employeur ‘ à la somme de 203 000 euros à titre de dommages et intérêts matériel et financier’ (conclusions du 5 août 2022) devenue dans les dernières conclusions demande de condamnation ‘à la somme de 203 000 euros à titre de dommages et intérêts matériel et financier en réparation du licenciement brutal et vexatoire, intervenu dans des conditions brutales et vexatoires’ dans les dernières conclusions du 19 décembre 2023, dans une procédure initiée suivant requête du 22 juillet 2015.

La salariée avait sollicité du conseil des prud’hommes de constater son licenciement abusif, sa mise à pied conservatoire injustifiée, l’existence d’un harcèlement moral de la part de son employeur et sa condamnation à lui payer les sommes de

– 80 000 euros à titre d’indemnité de licenciement pour rupture abusive

– 5 250 euros à titre de dommages-intérêts pour mise à pied conservatoire injustifiée

– 70 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

En tout état de cause, de le condamner à lui verser :

– 332,57 euros à titre de régularisation du solde de congés payés (octobre 2014 – janvier 2015)

– 1 580 euros à titre de régularisation 2015 de la clause de non-concurrence ;

– 5 000 euros pour retard volontaire dans la remise des documents de fin de contrat ;

– 1 000 euros à titre d’indemnité pour non remise de la carte mutuelle 2015 ;

– 1 000 euros pour versement tardif des primes de non-concurrence ;

– la remise des fiches de paie rectifiées sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

– 5 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Devant la cour d’appel initialement saisie, la salariée avait sollicité outre l’infirmation du jugement, sauf en ce qu’il avait condamné la société Cofrigo à lui payer 1 580 euros au titre du complément de l’indemnité de non-concurrence et à réparer le préjudice du fait du retard dans la remise des documents de fin de contrat mais de réformer le quantum, et le condamner à [lui payer ]

– 1 000 euros au titre de l’indemnité pour retard de remise de la carte de mutuelle,

– 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau, de constater son licenciement abusif, sa mise à pied conservatoire injustifiée, l’existence d’un harcèlement moral de la part de son employeur et sa condamnation à lui payer

– la somme minimale de 80 000 euros à titre d’indemnité de licenciement pour rupture abusive ;

– 5 250 euros à titre de dommages-intérêts pour mise à pied conservatoire injustifiée ;

– la somme minimale de 70 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

En tout état de cause, de le condamner à lui verser :

– 332,57 euros à titre de régularisation du solde de congés payés (octobre 2014 – janvier 2015)

– 1 580 euros à titre de régularisation 2015 de la clause de non-concurrence ;

– 5 000 euros pour retard volontaire dans la remise des documents de fin de contrat ;

– 203 000 en réparation du préjudice subi du fait du licenciement ;

– 1 000 euros à titre d’indemnité pour non remise de la carte mutuelle 2015 ;

– 1 000 euros pour versement tardif des primes de non-concurrence ;

– la remise des fiches de paie rectifiées sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

– 7 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

A été expressément exclue de la cassation la demande de paiement de 5 250 euros dommages et intérêts (deuxième moyen qui n’a pas été jugé de nature à entraîner une cassation). En revanche dès lors que les circonstances entourant le licenciement peuvent faire l’objet d’une indemnisation sur préjudice établi alors même que ce licenciement serait jugé fondé, que la cassation porte sur la nature du licenciement, la demande en paiement de 203 000 euros en réparation du préjudice subi du fait du licenciement n’a pas été exclue de la cassation. Surabondamment, la procédure a été initiée en 2015, de sorte que d’éventuelles demandes nouvelles seraient recevables. L’arrêt n’est pas définitif relativement à cette demande de dommages et intérêts.

En revanche, l’arrêt est définitif en ce qu’il a condamné la SASU Cofrigo distribution à payer à Mme [A] [T] les sommes suivantes :

– 201,41 euros a titre de solde d’indemnité compensatrice de congés payés,

– 100 euros de dommages et intérêts pour retard dans le versement de l’indemnité de non-concurrence, ordonné à la SASU Cofrigo Distribution la remise à Mme [A] [T] de l’attestation Pôle emploi et de la fiche de paie rectifiées conformément au présent arrêt et débouté Mme [A] de sa demande au titre de la carte de mutuelle et des RTT.

Sur le licenciement :

L’employeur qui prend l’initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif. Le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire être fondé sur des faits exacts, précis, objectifs et revêtant une certaine gravité. En cas de litige, le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Il résulte de la lettre de licenciement du 3 octobre 2014, qui fixe les terme du litige, que la salariée exerçait les fonctions de responsable administratif et comptable de la société, statut cadre supérieur, qu’elle avait été spécialement recrutée dans cette fonction en considération de son profil professionnel, puisqu’elle se prévalait d’un diplôme d’études supérieures comptables et financières (DESCF). Après un rappel de ses fonctions et missions et de leur importance pour la société, l’employeur a indiqué :

‘Or, nous devons déplorer que vos prestations non seulement ne correspondent pas à nos attentes, mais plus grave encore, traduisent une négligence inacceptable eu égard au caractère stratégique de votre poste.

Déjà en février 2009, nous vous avions interpellée sur le manque de rigueur de la gestion de la trésorerie dont vous avez fait preuve lorsque vous vous êtes trompée de RIB fournisseur pour un virement étranger de 425K€, et que non contente d’avoir commis cette erreur, lorsque le virement est revenu, vous n’avez même pas cherché à connaître les raisons de ce rejet puisque vous l’avez intégré comme une recette sans réaliser qu’il s’agissait d’un retour.

En arrêtant la situation au 30 avril 2010, nous avons constaté un certain nombre d’anomalies sur la situation au 31 décembre 2009 :

Le stock de gazole passé pour sa valeur en litres et non en euros, des provisions passées de manière fantaisiste (directement dans un compte d’achat) sur un stock d’emballages client alors que ce stock ne figure pas à l’actif du bilan…

Nous rappelons que vous êtes garant de l’information financière de la société et que ce manque de contrôle est une faute dans l’exercice de vos fonctions.

En avril 2011, nous sommes interpellés par P. [B], l’expert comptable du groupe sur le fait que, la participation à l’effort de construction n’a pas été régulièrement libérée pour les années 2010, 2011. Cette négligence fait courir un risque financier de 2% des rémunérations auquel s’ajoutent des pénalités pouvant varier de 10% à 80% des sommes omises et les majorations de retard.

En août dernier, vous n’avez pas réussi à arrêter les commissions des chauffeurs.

Ces derniers mois, les erreurs se sont multipliées, atteignant un niveau dépassant de loin les limites de l’acceptable.

Sur un élément crucial pour la société comme l’est la facturation et le paiement des média Claims, nous n’arrivez pas à établir une situation claire. En début d’année vous m’avez remis pas moins de trois états avec des chiffres différents. C’est totalement inacceptable.

J’ai dû vous interpeller sur la modification d’un RIB que vous demandiez sur un fournisseur en vous trompant de fournisseur.

Vous faites partir un chèque sans signature, ce chèque revient donc impayé, mettant notre fournisseur en difficulté et nous dans une situation embarrassante.

Vous établissez un virement pour régler les échéances de juillet. Certaines factures que vous sélectionnez sont bloquées, des justificatifs figurent dans le parapheur ne faisant pas partie des règlements, les relevés ne sont pas édités pour contrôle.

C’est votre collaboratrice qui doit reprendre votre travail mal fait : annuler le virement et le refaire dans Movex pour qu’il puisse être validé.

Vous saisissez les caisses en remplacement de votre collaborateur à qui vous avez accordé des congés et vous vous dispensez de respecter la procédure.

Résultat, à son retour, il a plus d’une centaine de lignes à reprendre, mal imputées et ou non lettrées.

Dans la foulée, vous comptabilisez et transmettez à l’encaissement deux fois un effet de 66 K€ au préjudice d’un client qui a de surcroît vu son compte bloqué pour impayé. Ce type d’erreur est inadmissible et vous pouvez aisément imaginer le dépit d’un collaborateur lorsque la personne qui les commet est son chef de service.

La mise à jour, dans les délais, du fichier permettant le contrôle des écarts de caisse des chauffeurs qui est sous votre responsabilité n’est pas effectuée. Non seulement vous ne veillez pas au respect des procédures par vos collaborateurs mais vous semblez les ignorer pour vous même.

Début septembre les média Claims de l’année ne sont pas encore facturés, nous sommes relancés par Danone.

Le ‘rapprochement’ des achats entre VALS et Movex que vous me transmettez comme définitif pour la situation au 31 août 2014, présente un écart de 23 K€. Le lettrage des comptes de régularisation comme le 408100 ou le 419800 n’est pas fait depuis plusieurs années et cette liste n’est pas exhaustive.

Pour tous ces manquements répétés aux règles comptables élémentaires et aux procédures, et pour le fait que vous vous êtes totalement décrédibilisée aux yeux de vos collaborateurs, votre maintien dans l’entreprise devient impossible.

Circonstance aggravante, en votre qualité de responsable administratif et financier, vous êtes le garant des procédures et de la qualité de l’information financière. Vous êtes donc celle qui doit former et assister ses collaborateurs et leur transmettre les techniques et les méthodes de travail.

Il résulte clairement de ce qui précède que vous êtes totalement incapable de garantir la fiabilité de la gestion administrative et comptable de l’entreprise, multipliant les incidents et mettant gravement en cause notre responsabilité et notre crédibilité vis-à-vis de nos clients et partenaires.

Dès lors, nous n’avons pas d’autre alternative que de mettre un terme à votre contrat de travail à effet de ce jour.

La date de première présentation du présent courrier à votre domicile fixera le point de départ de votre préavis de trois mois que nous vous dispensons d’effectuer et qui sera rémunéré au mois le mois à échéances de la paie.’ […]

Les mentions de la lettre de licenciement relatives à des prestations qui ne correspondent pas aux attentes de l’employeur et traduisent une négligence ‘inacceptable’ eu égard au caractère stratégique du poste, une incapacité à garantir la fiabilité de la gestion administrative et comptable de l’entreprise, des incidents mettant en cause la responsabilité et la crédibilité de l’entreprise, des erreurs de comptabilisation, un non-respect des procédures, caractérisent une incapacité de la salariée à remplir ses missions depuis sa prise de poste mais également dans les deux mois précédant sa convocation à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement le 19 septembre 2014.

C’est un licenciement pour insuffisance professionnelle qui a été notifié à la salariée.

L’employeur fait valoir que le licenciement n’est pas disciplinaire, qu’il s’agit d’un licenciement pour insuffisance professionnelle, qualifié fondé sur une cause réelle et sérieuse par le conseil des prud’hommes et qu’il n’est ni allégué ni démontré que la salariée a volontairement entravé le déroulement du contrat de travail. Mme [A] se prévaut de la prescription des griefs relatifs aux erreurs dans la gestion des stocks, concernant l’exercice comptable 2009 et la négligence dans les déclarations des paiements afférents à l’effort de construction pour les années 2010 et 2011 et elle soutient l’existence d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.

S’agissant des éléments relevés dans la lettre de licenciement, l’employeur démontre par les pièces qu’il produit que :

Le 17 septembre 2014, un virement global effectué par la salariée, concernant plusieurs factures a paralysé l’intégralité des paiements, puisque deux d’entre elles étaient bloquées, ce virement dû être recommencé par ses collaborateurs. L’intéressée chef de service, garant du respect des procédures ne peut minimiser cette erreur en invoquant les congés de Mme [W], congés sur lesquels elle a donné son avis et qu’elle a autorisé en les signant. Outre qu’elle pouvait organiser le travail de ses collaborateurs pour cette période, compte tenu de l’effectif présent et de sa qualité de chef de service, il lui appartenait de procéder ou faire procéder aux contrôle des factures (pièces N°11, 33, 34).

Le 9 septembre 2014, un chèque non signé a été adressé à un fournisseur en rémunération d’une opération publicitaire. Nonobstant sa contestation, dès lors qu’il incombait à Mme [A] de contrôler les factures mises en paiement, il lui incombait de veiller à la validité des chèques émis par la société, peu important l’absence de délégation de signature et le fait que le chèque soit soumis à plusieurs personnes, dès lors qu’il lui appartenait d’enregistrer le chèque dans la gestion de trésorerie, de le vérifier et d’autoriser son expédition. La plainte du fournisseur met en évidence les conséquences de ce manquement tant pour le tiers que pour la société Cofrigo distribution (pièce N°10).

Le 4 septembre 2014, Mme [A] a demandé de modifier le RIB d’un fournisseur sans vérification préalable de l’identité du fournisseur. Si elle fait valoir avoir dû agir rapidement, une vérification, un guet-apens et une correction subreptice apportée par un support informatique, elle n’en justifie pas et la vérification de l’identité complète de la société et du RCS, qui relève de sa responsabilité en sa qualité de chef de service, aurait permis d’éviter le confusion entre Transcaraïbes SAS et Transcaraïbe Martinique.

Le 3 septembre 2014 : un grossiste s’est plaint d’un refus de livraison et du blocage de son compte client. Il a été mis en évidence que Mme [A] avait encaissé par deux fois, les 8 et 13 août 2014, le même billet à ordre pour 33 512,18 euros (pièces N°22 et 29). Si elle fait valoir que la traite ne couvrait pas les dettes du grossiste, qu’il n’en est résulté aucun préjudice, elle reconnaît avoir transmis deux fois la même traite à l’encaissement. Compte tenu de ses fonctions consistant notamment à veiller au respect des procédures, incluant celles relatives à la saisie des règlements, ce double encaissement démontre une insuffisance de vérification et une erreur lors du processus de traitement. Le mécontentement légitime du fournisseur est surabondamment démontré.

Le 1er septembre 2014, Mme [A] a transmis pour l’année 2013 des versions différentes des états récapitulatifs de refacturation des budgets publicitaires Coca-Cola (media claims).

Sur ce point, Mme [A] se prévaut de retards de communication des factures par le service commercial qu’elle a signalés le 20 juin 2013, des modalités de la procédure applicable et de l’inertie de la directrice à l’égard de l’assistante commerciale Mme [S] selon elle contrainte de démissionner en 2012 suite au licenciement pour faute grave de son époux M. [D]. D’une part, elle reconnaît expressément avoir transmis ‘les provisions en l’état’ dont il résulte qu’elle ne conteste pas sérieusement le grief, d’autre part, elle fait état d’événements passés ne la concernant pas. Surabondamment, la salariée avait une mission spécifique de calcul et règlement des redevances Coca-Cola en concertation avec la direction.

En outre, la comparaison des extraits des pièces comptables (Coca-Cola), met en évidence que le même compte comporte pour la même date des montants différents (compte 623310 total 2013 soit 160 996,60 soit 170 028 soit 185 193, total 2012 -13 918,91 ou – 8 980). Enfin, de manière surabondante, Mme [S] a reçu un avertissement en raison d’erreurs, notamment avoir comptabilisé pendant 27 semaines 24×50 au lieu de 8×50 soit un différentiel d’un million de litres, mais il n’est pas démontré qu’elle a été licenciée.

Début septembre 2014, selon l’employeur, ‘les média Claims de l’année ne sont pas encore facturés, nous sommes relancés par Danone’. L’existence d’une relance par Danone n’est pas contestée. Toutefois les échanges de courriels, comportant la réclamation de Danone entre les protagonistes y compris la salariée ne suffisent pas à caractériser une insuffisance professionnelle de la salariée (pièces N°13).

Le 31 août 2014, le rapprochement définitif du mois d’août des achats entre les logiciels VALS (gestion) et MOVEX (comptabilité) présentait un écart de 23 819,15 euros, alors selon les parties qui s’accordent sur ce point, qu’ils doivent être identiques (pièce N°23). La salariée fait valoir que la situation comptable au 31 août de chaque année est définitivement arrêtée à la fin du mois suivant qu’il n’est pas définitif. L’employeur soutient l’existence d’une défaillance de la salariée. D’une part, l’argumentation de cette dernière est contraire à la réalité, d’autre part elle a expressément indiqué qu’il s’agissait d’un état définitif.

S’agissant du défaut de lettrage des comptes de régularisation 408100 ou 419800, relevé en 2014, l’employeur ne démontre pas que le lettrage relevait de la compétence de la salariée, qui oppose qu’il s’agissait des missions d’une autre collaboratrice. Ce manquement n’est pas caractérisé.

Courant août 2014 : l’employeur reproche à la salariée de ne pas avoir arrêté les commissions des chauffeurs. L’attestation de Mme [W] met en évidence que les commissions des chauffeurs étaient erronées, qu’elle a dû refaire le travail ‘incompréhensible’ qu’elle a dû appeler M. [Z] en congé pour reprendre ces commissions, que les chauffeurs attentaient. Mme [A] fait valoir le départ en congé de ce dernier et d’une surcharge de travail. Elle ne conteste pas sérieusement ce grief. En outre, sa qualité de chef de service lui imposait d’une part de prendre les dispositions nécessaires au bon fonctionnement du service, d’autre part, conformément à sa mission de direction de l’ensemble du service comptable et administratif, d’agir conformément aux normes comptables suivi des stocks, contrôle des prix de revient, suivi mensuel de la réalisation budgétaire, avec suivi . Ce manquement professionnel est caractérisé.

Courant août 2014, l’employeur reproche à la salariée de ne pas avoir respecté la procédure de saisie des écritures, ce fait est attesté par l’attestation de M. [Z] et par la pièce annexée qui met en évidence l’annulation de nombreuses écritures comptables mal imputées ou non lettrées (Pièce 19). Mme [A] soutient que ce travail incombait à M. [Z], dont elle avait dû assurer l’intérim. Elle ne conteste pas ces erreurs et ne fait pas valoir les avoir délibérément commises.

Or, la salariée avait parmi ses missions de veiller à la régularité à la sincérité et l’image fidèle des comptes et de diriger et coordonner les activités comptables et administratives de la société en veillant notamment au respect de la législation, des règles comptables, des procédures groupe, en décelant les anomalies et proposant des actions correctives et elle était chef de service de M. [Z] (et de Mme [W]). Ce manquement à ses obligations professionnelles est caractérisé. En outre, Mme [A] se situait en troisième position dans l’organigramme de la société à égalité avec les responsable qualité, responsable dépôt, directeur d’exploitation, responsable environnement, directeur des ventes et chef de projet, juste en dessous du directeur et du gérant. Elle avait la qualité de responsable administratif et comptable de quatre sociétés du groupe, supervisant sept collaborateurs.

Les faits de février 2009, relatifs à une erreur de RIB fournisseur pour un virement étranger de 425K€, et le retard à saisir les budgets, même s’ils sont identiques aux faits visés en 2014 (erreur de RIB et retard de saisie des écritures comptables) ont été visés déjà dans la lettre d’observations du 2 février 2009 et ne peuvent plus faire l’objet d’une quelconque sanction à quel que titre que ce soit .

Si en application des dispositions de l’article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales, tel n’est pas le cas en matière de licenciement pour insuffisance professionnelle.

L’employeur invoque l’erreur dans la passation des écritures relativement au stock de gazole passé pour sa valeur en litres et non en euros en 2009, des provisions passées dans un compte d’achat sur un stock d’emballages client qui ne figure pas à l’actif du bilan. Mme [A] y oppose qu’un directeur commercial a commise auparavant une telle erreur et n’a pas été sanctionné. S’agissant d’une erreur dans la passation des écritures ce manquement professionnel est identique à celui dénoncé pour avoir eu lieu courant août 2014, relativement au non-respect de la procédure de saisie des écritures.

Cette erreur est démontrée (pièce N°7) . Elle ne peut être minimisée lorsqu’elle est commise par un responsable administratif et comptable. En mentionnant un même montant pour le volume et sa valeur, Mme [A] a commis une erreur de comptabilisation du stock. L’éventuelle erreur d’un directeur commercial sur une devise de facturation, sans conséquence pour lui, n’est pas démontrée et elle est sans incidence sur la réalité de l’erreur commise. Enfin la salariée avait une mission expresse de ‘suivi des stocks, contrôle des prix de revient, validation ou saisie des inventaires dans le cadre de la procédure groupe en vigueur’.

S’agissant des provisions passées dans un compte d’achat sur un stock d’emballages client qui ne figure pas à l’actif du bilan, relativement à des palettes et des intercalaires au 31 décembre 2009, il s’agit d’une erreur dans la passation des écritures relevant du non-respect de la procédure de saisie des écritures, démontrée par l’employeur par la production des pièces comptables. La salariée fait valoir que cette charge de 35 208,95 euros n’a causé aucun préjudice, qu’une provision répond au principe comptable de prudence et qu’elle est la conséquence des erreurs commises par Mme [Y].

Il en résulte que la salariée ne conteste pas avoir ainsi passé cette écriture comptable, qui comptabilise un risque de 29 908,85 euros sur un stock de 13 282,90 euros, alors que le risque de perte ne peut pas être supérieur à la valeur. Compte tenu de sa qualité de responsable administratif et comptable, ayant des missions spécifiques d’analyse des comptes avec écarts par rapport au budget, de suivi des stocks, contrôle des prix de revient, validation ou saisie des inventaires dans le cadre de la procédure groupe en vigueur, compte tenu de sa capacité à ‘engager la société pour les déclarations fiscales’ ce manquement est avéré. De plus, les éventuelles erreurs dans le circuit de l’information alléguées ne sont pas démontrées, étant relevé que Mme [Y] est responsable des approvisionnements à égalité avec Mme [A] dans la hiérarchie de la société.

L’employeur démontre avoir été alerté par son expert comptable (attestation du 3 novembre 2016 ) de ce que la société n’avait pas déclaré et ne s’était pas libérée de sa participation à l’effort de construction prévue par l’article 235 bis du code général des impôts. La salariée oppose la prescription. Effectivement, l’expert comptable du groupe a alerté sur le fait que la participation à l’effort de construction n’avait pas été régulièrement libérée pour les années 2010, 2011, faisant courir un risque financier de 2 % des rémunérations auquel s’ajoutent des pénalités pouvant varier de 10 % à 80 % des sommes omises et les majorations de retard.

Il est démontré (pièce 17) que la salariée a rempli la déclaration le 1er avril 2011 pour 6 324 euros, qu’elle a fait un chèque de ce montant qu’elle a ensuite annulé, de sorte que la société ne s’était effectivement pas libérée de sa participation et que le CERFA déposé au service des impôts paraphé par la salariée était faux du fait de la salariée. Ce fait constitue une erreur dans les déclarations sociales et fiscales qui incombaient à la salariée.

L’employeur démontre (pièce 6 paraphée par la salariée) qu’elle a rempli le CERFA relatif à la participation des employeurs au développement de la formation professionnelle en 2014 et le non versement des sommes. La salariée invoque la prescription. Le manquement de la salariée aux obligations ressortant de sa mission est démontré pour l’année 2014, pour les années précédentes, il n’est pas démontré par la pièce comptable versée.

Quoiqu’il en soit, il résulte de l’ensemble des ces éléments que l’insuffisance professionnelle est largement établie et qu’elle est ancienne au vu des manquements précédents qui ont persisté commis par une salariée qualifiée recrutée sur un poste stratégique, de sorte que l’employeur a pu notifier un licenciement pour insuffisance professionnelle. Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse.

En conséquence l’appelante doit être déboutée de ses demandes contraires tendant à dire le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse

Surabondamment, l’employeur démontre par la production de pièces comptables qu’après le départ de la salariée, ont été mises en évidence des erreurs importantes relativement à des déclarations effectuées à destination de la société ATRAM qui ont rendu nécessaires des déclarations complémentaires pour les années 2012 et 2013 ( pièces 25 et 46). La salariée fait valoir le contexte délétère dans l’entreprise, sans contester cette omission et sans offre de preuve, étant relevé que ces déclarations relevaient expressément de son emploi et de ses missions.

Sur les dommages et intérêts

Si les circonstances entourant le licenciement peuvent faire l’objet d’une indemnisation sur préjudice établi alors même que ce licenciement serait jugé fondé, Mme [A] ne rapporte pas la preuve de circonstances entourant le licenciement lui ayant causé un préjudice distinct.

La convocation à l’entretien préalable a été adressée à l’intéressée à son domicile de sorte qu’elle ne justifie pas avoir été ‘mise à pied sur son lieu de travail à la vue de ses collègues’. L’appelante procède par voie d’affirmation mais ne justifie nullement avoir été dénigrée par son employeur dans le cadre de sa recherche d’emploi ; les pièces qu’elle vise au soutien de cette allégation mettent seulement en évidence qu’elle a déposé une candidature qui n’a pas été retenue par SOL le 23 octobre 2015, qu’elle a déposé une candidature au sein d’Air Antilles le 20 novembre 2014 et qu’elle avait déposé son CV dans un cabinet de recrutement.

La chronologie rappelée, les observations faites en 2009 et son maintien dans l’entreprise ensuite, excluent de considérer que ce licenciement a été brutal ou vexatoire.

Elle doit être déboutée de sa demande ainsi fondée.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. en application des dispositions de l’article L. 1154-1 du code du travail, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [A] fait valoir une attitude manipulatrice et rancunière de la direction à son égard, des agissements condamnables de la hiérarchie, caractérisés par une dévalorisation de sa fonction et de son travail, une ‘traque’ de la moindre erreur, une incitation à commettre des fautes, un dénigrement, des reproches incessants, des critiques injustifiées, une surcharge de travail, un manque d’information, des agressions verbales et des humiliations publiques,

La seule pièce produite est un échange de courriels entre elle et un collaborateur support fonctionnel finance du 1erfévrier 2012 qui mentionne ‘apprends à lire, je n’ai pas de temps à perdre en ce moment avec des personnes qui ne font pas ce qu’on leur demande’ qui manifeste l’exaspération de son auteur de devoir expliquer à plusieurs reprises les modes d’utilisation des différents progiciels. Ce dernier a confirmé dans une attestation que Mme [A] avait reçu toute la documentation et la formation relativement à l’utilisation de ces outils et qu’à l’inverse des autres utilisateurs, elle l’appelait à chaque fois qu’elle devait les utiliser pour la renseigner sur des questions dont la réponse était à sa disposition. Il ajoute que la salariée ne respectait pas les process.

Compte tenu d’une période d’essai de trois mois, et d’une prise de fonction à sa demande le 28 janvier 2008, la note de service annonçant son arrivée dans l’entreprise le 30 avril 2008 ne démontre aucune volonté de la marginaliser ; n’ayant pas sollicité d’aménagement d’horaires, elle ne peut démontrer qu’il lui a été refusé ; ne faisant pas partie de l’équipe commerciale marketing, elle n’avait pas vocation à participer à la visite du président de la zone géographique le 7 août 2013, alors qu’elle devait être en congés du lundi 12 au dimanche 25 août 2013 après un arrêt maladie du lundi 15 au dimanche 21 juillet 2013, (pièces N°54) elle ne peut en déduire une mise à l’écart. Ce fait n’est pas établi.

Nonobstant les événements personnels vécus ayant justifié ses arrêts de travail, les propos qu’elle rapporte ‘[T] vous-êtes enceinte,’ ‘qu’est-ce que [T] a à me faire chier’ ‘moi j’avais mis votre CV de côté’ ‘[T], finalement, vous êtes quelqu’un de sensible’ ne sont pas étayés.

Les accusations qu’elle porte ‘société secrète qui préfère payer des impôts plutôt que de publier ses comptes’ ‘ a agi sous influence et sous pression’ ‘sur le plan plus personnel, le mari de la directrice de Cofrigo Distribution, [P] [H] travaillait également à la BRED, c’était donc un ancien collègue de Mme [A] et avant cela il était gérant de la station Texaco à [Localité 4] – BE où cette dernière a également travaillé de 1997 à 2000. Il avait le même prénom que son époux ([P] [A]) également originaire de la Désirade, sans compter [C] [H] née la même date que sa fille (06/10) et même année (1966) que sa soeur avec qui elle était au Collège [7] de [Localité 5]… trop de points en commun!’ ‘mais entre-temps, sournoisement, M. [F] [K] avait « corrigé » son nom en « Transcaraïbes Martinique »’ ‘et, quelques mois après son arrivée, M. [V] [J] décédait le 11 novembre 2008. La direction en informait tout le personnel, du dépôt aux services administratifs, sauf Mme [A] à qui l’information a été occultée, comme pour marginaliser sa place dans l’entreprise’, lorsqu’elle ‘s’adressait à sa direction pour signaler un dysfonctionnement, elle mettait M. [K] en copie. Et systématiquement, l’erreur disparaissait presque immédiatement de l’écran, [la] faisant alors passer pour une incompétente’et quand M. [K] n’était pas en copie, et donc non destinataire du rapport d’erreur, il ne pouvait plus modifier les paramètres du logiciel en conséquence’ ‘Mme [C] [H] a d’emblée bafoué ces règles et normes du groupe avec l’aval de la directrice générale ([C] [I]) et du support fonctionnel finance groupe ([F] [K]).Elle devait venir sur le poste de Mme [A] lui demander son code, lui demandant de sortir de son bureau pour établir les virements. Le fichier ayant été établi avec son code personnel et confidentiel, c’est bien la responsabilité de Mme [A] qui était engagée en cas de virement frauduleux réalisé à partir de son poste de travail sachant que son bureau fermait à clé. En cas de problème, le coupable était tout désigné !!’ ne le sont pas davantage et surtout ces éléments même pris dans leur ensemble, ne permettent pas de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

L’appelante ajoute ‘la véritable raison de ce licenciement est bien plus profonde et relève de l’incapacité de la directrice de Cofrigo Distribution à accepter qu’il puisse y avoir un autre responsable qu’elle dans l’entreprise, situation d’autant plus insupportable que Mme [A] a toujours fait montre d’une certaine force de caractère, s’évertuant malgré la pression à assumer ses tâches jusqu’au bout’ cette perception des événements rapportée aux autres éléments avancés ne permet pas de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

La circonstance qu’elle ‘utilisait le nom d’utilisateur de ‘Mme [G], profil resté Actif, celle-là même qui avait fraudé l’entreprise ! Pendant 5 ans (de 1999 à 2004), la société Cofrigo Distribution a minimisé voire excusé la faute grave de cette salariée’ n’est pas de nature à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral. En effet, les difficultés de la salariée à utiliser les outils métiers sont démontrées et qu’elle n’a signalé le problème de nom d’utilisateur que le 21 avril 2010.

Les erreurs alléguées de Mme [H], de Mme [N] ne sont pas démontrées et ne sauraient constituer la présomption d’existence d’un harcèlement ; l’absence de bénéfice d’un véhicule de fonction par comparaison avec ‘son homologue en Martinique’, dans une société distincte n’est pas davantage pertinente.

La preuve d’un lien entre les interruptions de grossesse en janvier 2009 et juillet 2009 et sa situation professionnelle est d’autant moins rapportée que le médecin du travail, qui n’a pas relaté de plainte de sa part, l’a déclarée apte et qu’elle n’a pas sollicité la médecine du travail. La production d’un certificat médical du remplaçant de son médecin traitant daté du 1er juillet 2015 attestant d’arrêts du 15 au 26 juillet 2013, du 18 au 27 novembre 2013, du 16 au 25 juin 2013 en raison d’un état d’anxiété et de stress ne saurait concourir à laisser présumer l’existence d’un harcèlement moral, en ce qu’il reprend les déclarations de l’intéressée, n’a pas été dressé par un médecin du travail, qui l’a reçue sans émettre de réserve en décembre 2009, mai 2012 et le 20 mai 2014.

Ainsi, les seuls faits matériellement établis sont l’utilisation de l’identifiant de son prédécesseur et le courriel du collaborateur support fonctionnel finance du 1erfévrier 2012 et pris dans leur ensemble ils ne permettent pas de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.

La lettre d’observations du 2 février 2009 met en évidence des insuffisances professionnelles, et le licenciement a été prononcé pour sur une cause réelle et sérieuse, le 3 octobre 2014. La mise à pied à titre conservatoire a été notifiée le 19 septembre 2014 sans versement de salaire mais il résulte de l’examen des bulletins de salaire et il n’est pas contesté que la salariée a perçu l’intégralité de son salaire en septembre, octobre, novembre et décembre 2014, les seules absences étant les congés payés et les RTT.

En conséquence, Mme [A] est déboutée de ses demandes au titre du harcèlement moral et déboutée de ses demandes consécutives de dommages et intérêts et le jugement est confirmé.

Le jugement est confirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et les demandes en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. La Cour de cassation a cassé l’arrêt également en ce qu’il a statué ses dépens et les demandes en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. En application des dispositions de l’article 639 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée. Le jugement ayant été confirmé sur l’appel de Mme [A], celle-ci succombe et doit être condamnée au paiement des dépens. Elle est déboutée de sa demande en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée à ce titre au paiement d’une somme de 7 500 euros.

Par ces motifs

La cour

Statuant dans les limites de la cassation,

– confirme le jugement en ce qu’il dit le licenciement de Mme [T] [A] fondé sur une cause réelle et sérieuse, condamne la société Cofrigo distribution en la personne de son représentant légal à payer à Mme [A] [T] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement des dépens,

Y ajoutant,

– déboute Mme [T] [L] [A] de ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts consécutifs, du harcèlement moral et de dommages et intérêts consécutifs et en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamne Mme [T] [L] [A] au paiement des dépens,

– condamne Mme [T] [L] [A] à payer à la SASU Cofrigo Distribution la somme de 7 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière, La présidente,


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