Contrefaçon de brevets : l’ndemnisation du préjudice

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Contrefaçon de brevets : l’ndemnisation du préjudice
Ce point juridique est utile ?

En matière de contrefaçon de brevet, avec le chiffre d’affaires du contrefacteur, le taux de report est un critère déterminant de l’indemnisation de la victime.

L’article L.615-7 alinéa 1 du code de propriété intellectuelle dispose que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;

3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Par l’emploi de l’adverbe distinctement, ce texte commande une appréciation distincte des chefs de préjudice et non pas cumulative.

Le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle (en ce sens pour l’appréciation d’un préjudice de concurrence déloyale, Cour de cassation, chambre commerciale, 12 février 2020, 17-31.614), sans, toutefois, qu’un préjudice hypothétique ne puisse donner lieu à réparation (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 28 juin 2012, n°11-19.265).

L’article 1355 du code civil prévoit que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

Il s’en déduit que l’autorité de la chose jugée s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision (en ce sens, Cour de cassation, 2ème chambre civile, 30 juin 2016, 14-25.070).

Nos conseils :

1. Attention à bien distinguer les différents chefs de préjudice lors de la demande en réparation, en prenant en considération les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, le préjudice moral causé à la partie lésée et les bénéfices réalisés par le contrefacteur.

2. Il est recommandé de fournir des preuves solides pour étayer la période des faits jugés contrefaisants, le chiffre d’affaires réalisé par la partie contrefactrice et le taux de report, afin d’obtenir une indemnisation juste et équitable.

3. Il est conseillé de prendre en compte les critères de l’équité et de la situation économique des parties lors de la demande de l’article 700 du code de procédure civile, afin d’obtenir une indemnisation adéquate pour les frais exposés et non compris dans les dépens.

Résumé de l’affaire

La société Trilogiq, spécialisée dans la fabrication de systèmes logistiques modulaires, détient des brevets pour ses produits “Leantek Classic” et “Graphit Black”. Elle a assigné la société Géolean en justice pour contrefaçon de brevets et concurrence déloyale. Après un jugement en sa faveur, Trilogiq réclame des dommages-intérêts à Géolean, arguant que les documents fournis par cette dernière ne permettent pas d’évaluer précisément le préjudice subi. Géolean conteste ces accusations, affirmant que les produits litigieux n’ont été commercialisés qu’à partir de 2016 et que le changement de stratégie de vente de Trilogiq a impacté son chiffre d’affaires. Les deux parties ont des prétentions divergentes quant au montant des dommages-intérêts à verser.

Les points essentiels

MOTIVATION

Dans cette affaire, la Cour a examiné la demande en réparation de la société Trilogiq contre la SARL Géolean pour contrefaçon de brevets. La Cour a analysé les différents éléments à prendre en compte pour fixer les dommages et intérêts, ainsi que la période des faits jugés contrefaisants, le chiffre d’affaires réalisé par la SARL Géolean, le taux de report, le taux de marge brute et la redevance contractuelle. La Cour a finalement condamné la SARL Géolean à payer à la société Trilogiq un montant de 301 775,92 euros en réparation du préjudice subi.

Sur la demande en réparation

La Cour a examiné les différents éléments à prendre en compte pour fixer les dommages et intérêts, notamment les conséquences économiques de la contrefaçon, le préjudice moral causé à la partie lésée et les bénéfices réalisés par le contrefacteur. La Cour a également déterminé la période des faits jugés contrefaisants, le chiffre d’affaires réalisé par la SARL Géolean, le taux de report, le taux de marge brute et la redevance contractuelle. La SARL Géolean a été condamnée à payer à la société Trilogiq un montant de 301 775,92 euros en réparation du préjudice subi.

Sur les demandes accessoires

La Cour a également statué sur les demandes accessoires, notamment les dépens et l’article 700 du code de procédure civile. La SARL Géolean a été condamnée aux dépens et à payer à la société Trilogiq la somme de 30 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. La Cour a également ordonné l’exécution provisoire de la décision, malgré les arguments de la SARL Géolean concernant la situation économique mondiale.

Les montants alloués dans cette affaire: – 301 775,92 euros à la SA Trilogiq à titre de dommages et intérêts
– 30 000 euros à la SA Trilogiq en application de l’article 700 du code de procédure civile

Réglementation applicable

– Code de la propriété intellectuelle
– Code civil
– Code de procédure civile

Article L.615-7 alinéa 1 du code de propriété intellectuelle:
Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Article 1355 du code civil:
L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

Article 696 du code de procédure civile:
La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie.

Article 700 du code de procédure civile:
Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Article 514 du code de procédure civile:
Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Jean-Baptiste THIENOT
– Maître Xavier CARBASSE

Mots clefs associés & définitions

– Motivation
– Réparation
– Dommages et intérêts
– Préjudice économique
– Préjudice moral
– Bénéfices du contrefacteur
– Responsabilité civile
– Autorité de la chose jugée
– Actes de contrefaçon
– Période des faits jugés
– Chiffre d’affaires
– Pièces jugées contrefaisantes
– Taux de report
– Taux de marge brute
– Redevance contractuelle
– Dépens
– Article 700 du code de procédure civile
– Exécution provisoire
– Motivation: Ensemble des facteurs internes et externes qui poussent un individu à agir dans un certain sens.
– Réparation: Action de réparer un préjudice subi par une personne, notamment par le versement de dommages et intérêts.
– Dommages et intérêts: Somme d’argent versée à une personne en réparation d’un préjudice subi.
– Préjudice économique: Perte financière subie par une personne suite à un dommage causé par autrui.
– Préjudice moral: Atteinte aux droits personnels d’une personne, tels que la dignité, l’honneur, la réputation, etc.
– Bénéfices du contrefacteur: Profits réalisés par une personne ayant commis un acte de contrefaçon.
– Responsabilité civile: Obligation de réparer un dommage causé à autrui, en vertu du droit civil.
– Autorité de la chose jugée: Principe selon lequel une décision de justice définitive ne peut être remise en cause.
– Actes de contrefaçon: Actions consistant à reproduire ou imiter frauduleusement une œuvre protégée par des droits de propriété intellectuelle.
– Période des faits jugés: Période durant laquelle les faits ayant donné lieu à un jugement se sont déroulés.
– Chiffre d’affaires: Montant total des ventes réalisées par une entreprise sur une période donnée.
– Pièces jugées contrefaisantes: Documents ou éléments matériels ayant été reconnus comme constituant une contrefaçon.
– Taux de report: Pourcentage de ventes reportées sur une période future.
– Taux de marge brute: Pourcentage de la marge brute par rapport au chiffre d’affaires.
– Redevance contractuelle: Somme d’argent versée en contrepartie de l’utilisation d’un droit de propriété intellectuelle.
– Dépens: Frais engagés lors d’une procédure judiciaire, tels que les honoraires d’avocat, les frais de justice, etc.
– Article 700 du code de procédure civile: Disposition permettant au juge de condamner la partie perdante à verser une somme à l’autre partie pour ses frais de justice.
– Exécution provisoire: Mise en œuvre d’une décision de justice avant qu’elle ne soit définitive, sous certaines conditions.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

15 mai 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 20/10178
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le
Expédition exécutoire délivrée à :
– Maître THIENOT, vestiaire NAN701
Copie certifiée conforme délivrée à :
– Maître CARBASSE, vestiaire J98

3ème chambre
3ème section

N° RG 20/10178 –
N° Portalis 352J-W-B7E-CTAGP

N° MINUTE :

Assignation du :
15 octobre 2020

JUGEMENT
rendu le 15 mai 2024
DEMANDERESSE

S.A. TRILOGIQ
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Jean-Baptiste THIENOT de la CMS FRANCIS LEFEBVRE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire #NAN701

DÉFENDERESSE

S.A.R.L. GÉOLEAN
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Xavier CARBASSE de l’AARPI BEYLOUNI CARBASSE GUÉNY VALOT VERNE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #J0098

Décision du 15 mai 2024
3ème chambre 3ème section
N° RG 20/10178 – N° Portalis 352J-W-B7E-CTAGP

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Anne BOUTRON, vice-présidente
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DEBATS

A l’audience du 21 décembre 2023 tenue en audience publique avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 27 mars 2024 puis prorogé au 15 mai 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société anonyme Trilogiq (ci-après SA Trilogiq) se présente comme une société leader dans le domaine de la fabrication et de la commercialisation de systèmes logistiques modulaires. Elle expose créer et fabriquer en France des produits dénommés “Leantek Classic” et “Graphit Black”, qu’elle commercialise depuis plus de 16 ans.
À ce titre, elle est titulaire des brevets suivants : – brevet français FR n° 2872495 (FR 495) portant sur un “dispositif de déplacement et de guidage d’un conteneur destiné à être déplacé sur une structure de support modulable, ainsi qu’une structure de support modulable comprenant un tel dispositif”
– brevet français FR n° 2858040 (FR 040) portant sur un “ensemble de liaison pour la réalisation des coins d’une structure tubulaire”.

Ces brevets se rapportent à des systèmes modulaires composés de tubes en acier, de rails, de roulettes, de connecteurs, etc., utilisés notamment dans les usines et les entrepôts pour équiper les lignes de production.
La société à responsabilité limitée Géolean (ci-après SARL Géolean) se présente comme une société créée en 2004 avec pour activité principale le conseil, l’assistance et la prestation de services en organisation et en optimisation des méthodes de production industrielle sur le modèle du “lean management” ou “lean manufacturing”.
Par acte du 24 mai 2017, la SA Trilogiq a fait assigner la SARL Géolean devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de ses brevets FR 495 et FR 040 ainsi qu’en concurrence déloyale et parasitaire.
Par jugement du 7 juin 2019, le tribunal judiciaire de Paris a jugé que la SARL Géolean s’était rendue coupable d’actes de contrefaçon des brevets précités en renvoyant à une instance distincte, à défaut d’accord entre les parties, la décision sur le décompte des dommages et intérêts. Suite à ce jugement, la SA Trilogiq a eu accès aux documents comptables de la SARL Géolean saisis lors de la saisie-contrefaçon qu’elle avait fait diligenter le 24 avril 2017 et ayant ensuite fait l’objet d’un placement sous scellés.
La SA Trilogiq expose que ces documents, tout comme ceux qui lui ont été postérieurement fournis par la SARL Géolean dans le cadre d’une tentative de détermination amiable du préjudice, ne lui ont pas permis de déterminer précisément son préjudice à raison des actes de contrefaçon commis par cette dernière.
En conséquence, la SA Trilogiq a, par exploit de commissaire de justice du 15 octobre 2020, fait assigner la SARL Géolean devant ce tribunal, aux fins de sa condamnation à des dommages-intérêts au titre de la contrefaçon des brevets français FR 495 et FR 040.
La SARL Géolean ayant relevé appel du jugement, le juge de la mise en état a ordonné qu’il soit sursis à statuer jusqu’au prononcé de l’arrêt d’appel.
Par arrêt du 23 novembre 2021, la cour d’appel de Paris a partiellement confirmé le jugement de première instance en excluant deux références de guides du périmètre contrefaisant, les guides “G450-C” et “G450-C ESD” et en précisant que seules les revendications 1 à 5 du brevet FR 495 et 1 à 6 et 8 du brevet FR 040 étaient contrefaites, alors que le jugement du tribunal avait retenu la contrefaçon de l’ensemble des revendications.
L’instruction de l’affaire a été close par une ordonnance du 6 avril 2023 et l’affaire plaidée à l’audience du 21 décembre 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 15 février 2023, la SA Trilogiq demande au tribunal de condamner la SARL Géolean à lui payer :- 4 100 000 euros au titre de la contrefaçon des brevets français FR 495 et FR 040
– 75 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et entiers dépens.

Au soutien de sa demande, la SA Trilogiq fait valoir que :- la défenderesse n’a spontanément transmis aucune information pertinente permettant d’évaluer la masse contrefaisante à la suite de la décision de justice définitive l’ayant condamnée pour contrefaçon et les informations issues de la saisie-contrefaçon opérée le 24 avril 2017 ne l’ont pas permis non plus
– la SARL Géolean tente de faire échapper à la masse contrefaisante certaines références de pièces détachées alors pourtant que la cour d’appel a déjà rejeté cette argumentation au stade de la contestation de la contrefaçon, notamment les éléments tubulaires GT, les joints de structure et les joints de connexion, et pour d’autres références, tels les moyens de fixation et les rails de roulement, elle dissimule les quantités concernées
– la défenderesse prétend que certaines prestations de conseil ne devraient pas être prises en compte comme n’incluant pas la vente de pièces couvertes par les brevets jugés contrefaits, alors qu’elle se contredit en indiquant avoir opéré de telles prestations doublées de ventes de pièces couvertes par les brevets en 2011
– la période à prendre en compte au titre du préjudice financier débute le 24 mai 2012, la défenderesse se réfugiant derrière la déperdition des preuves pour échapper à sa responsabilité s’agissant des pièces dont seul le référencement a changé entre 2012 et 2016
– sur la base des chiffres d’affaires non vérifiables déclarés par la défenderesse, il peut être estimé que le chiffre d’affaires sur la période du 24 mai 2012 au jour du jugement est de 16 millions d’euros, auquel il convient d’appliquer son propre ratio de pièces couvertes par les brevets, soit 72%, générant une masse contrefaisante comprise entre 6,2 et 11,5 millions d’euros, aboutissant à un préjudice de 4,2 millions d’euros compte tenu de son taux de marge compris entre 46 et 56% et d’un taux de report de 70%, augmenté du montant de la redevance de 5% pour la partie non reportable de la masse contrefaisante.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 avril 2023, la SARL Géolean demande au tribunal de :- dire et juger que la SA Trilogiq n’a souffert d’aucun préjudice du fait des produits litigieux qu’elle a commercialisés, en conséquence, débouter la SA Trilogiq de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
– à titre subsidiaire, dire et juger que le montant du préjudice subi par la SA Trilogiq ne saurait excéder une somme de 207 000 euros
– en tout état de cause :
> écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir
> condamner la SA Trilogiq à lui payer 30 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

En défense, la SARL Géolean oppose que :- la commercialisation des produits jugés contrefaisants n’a pas eu lieu avant 2016, le catalogue de 2012 produit par la demanderesse ne contenant aucune des références jugées contrefaisantes, outre que les pièces et produits présentés dans ce catalogue ne reproduisent pas les éléments essentiels des inventions brevetées, ou sont des pièces provenant de la SA Trilogiq auprès de laquelle elle se fournissait à l’époque
– l’expert auquel elle a fait appel a eu accès à l’intégralité des factures contenues dans sa comptabilité de 2012 à 2019 et a constaté cette absence, que l’expert de la demanderesse retient également, l’exactitude et l’exhaustivité des éléments chiffrés de ce rapport étant également attestées par son commissaire aux comptes
– le changement de stratégie de vente de la demanderesse en 2015 consistant à cesser de commercialiser des produits en acier au profit de produits en graphite a conduit les acteurs du marché à se détourner de celle-ci, en sorte qu’aucune des ventes qu’elle a réalisées postérieurement n’aurait pu se reporter sur la demanderesse et que celles qu’elle a réalisées de 2012 à 2015 sont sans lien avec la baisse du chiffre d’affaires de la demanderesse à compter de 2016
– la masse contrefaisante ne peut concerner que des ventes intégrant ensemble des guides, référencés G, et des platines, référencées P, la rédaction du dispositif du jugement modifié par l’arrêt impliquant la combinaison des deux, ce dont elle déduit que les cinquante-deux références visées par la demanderesse ne peuvent pas valablement être retenues, tandis qu’elle-même a retenu la totalité des six références permettant d’identifier les produits jugés contrefaisants, y compris celles des meubles en kit intégrant l’une d’elles et leurs éléments tubulaires, ces derniers ne pouvant faire partie seuls de la masse contrefaisante, n’étant pas couverts par les brevets jugés contrefaits
– les calculs opérés par la SA Trilogiq présentent des biais et des imprécisions majeurs, le ratio de 72% de références litigieuses dans son propre chiffre d’affaires étant calculé sur la période du 3 décembre 2020 au 30 juin 2022 qui ne correspond pas à celle du litige selon ses propres arguments, ce ratio portant sur un concept non défini de projets visant des pièces potentiellement non couvertes par les brevets jugés contrefaits, les tableaux annexés à l’attestation du commissaire aux comptes de la demanderesse étant incompréhensibles et ne correspondant pas aux informations présentées sur son propre site internet, alors que les meubles qu’elle vend en kit intégrant un guide ou une platine ne représentent que 30% de son chiffre d’affaires, en sorte que la masse contrefaisante peut être évaluée au maximum à 1 068 867 euros
– le taux de report vers des produits de la SA Trilogiq ne saurait excéder 31%, seules les ventes en France de guides étant susceptibles de se reporter sur elle, ce dont elle déduit, compte tenu d’un taux de marge brute arbitraire de 50% et d’un taux de redevance contractuelle de 5%, que le préjudice maximal de la demanderesse ne saurait excéder 207 000 euros.

MOTIVATION

I – Sur la demande en réparation
L’article L.615-7 alinéa 1 du code de propriété intellectuelle dispose que pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
Par l’emploi de l’adverbe distinctement, ce texte commande une appréciation distincte des chefs de préjudice et non pas cumulative.
Le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu, sans perte ni profit pour elle (en ce sens pour l’appréciation d’un préjudice de concurrence déloyale, Cour de cassation, chambre commerciale, 12 février 2020, 17-31.614), sans, toutefois, qu’un préjudice hypothétique ne puisse donner lieu à réparation (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 28 juin 2012, n°11-19.265).
L’article 1355 du code civil prévoit que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Il s’en déduit que l’autorité de la chose jugée s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision (en ce sens, Cour de cassation, 2ème chambre civile, 30 juin 2016, 14-25.070).

Au cas présent, les actes commis par la SARL Géolean reconnus comme étant des contrefaçons sont énoncés par l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 novembre 2021, aujourd’hui définitif, comme étant, pour le brevet FR 495, la fabrication et la vente “des guides référencés G450 et G450 ESD des moyens de fixation (“joints de connexion”) de la gamme GM (G-M1, G-M2, G-M3, G-M4, G-M6R, G-M8, G-M10) et des rails de roulement référencés GR-400” et pour le brevet FR 040, la fabrication, la détention et la vente des “platines sous la référence RTS L-R et RTS L-R ESD”.

En premier lieu, s’agissant de la période des faits jugés contrefaisants les brevets français FR 495 et FR 040, ni le jugement du 7 juin 2019, ni l’arrêt du 23 novembre 2021 n’y statuent (pièces Trilogiq n°11 et 22).
Au soutien de sa prétention tendant à fixer au 24 mai 2012 le point de départ des actes de contrefaçon la SA Trilogiq s’appuie sur le catalogue de vente “Makitlean” de la SARL Géolean de 2012 (sa pièce n°18), comparé à celui de 2016 (pièce Géolean n°5), et à ses propres catalogues de 2016 et 2017 (ses pièces n°2 et 3), ainsi que sur une note d’expert privé du 20 juillet 2022 (sa pièce n°24), selon laquelle “si les références figurant dans le catalogue Makitlean n’étaient pas identiques, elles étaient pour le moins semblables ; les différences, portant sur une lettre, permettent toujours de retrouver la véritable référence du produit indiqué dans les décisions judiciaires (…)”.
La SARL Géolean se réfère, quant à elle, à une note d’expert privé du 16 mars 2022 (sa pièce n°9), complétée par une note du 30 novembre 2022 (sa pièce n°14), selon lesquelles “aucune des références de produits jugés comme contrefaisants ne figurait dans les factures concernant la période 2012-2015”.
À cet égard, si tant le jugement que l’arrêt visent, dans leurs dispositifs, des références de pièces, ces mêmes pièces vendues antérieurement sous d’autres références, peuvent entrer dans la masse contrefaisante.

Pour autant, la seule affirmation de la SA Trilogiq selon laquelle la référence PC-450 du catalogue de 2012 est identique à la référence G450 du catalogue de 2016, les références T-M de 2012 sont devenues les références GM en 2016, la référence TR-400 de 2012 est identique à la référence GR400 de 2016, tandis que les références RTS LR et RTS M sont les mêmes dans les deux catalogues, est insuffisante à cet égard.
De plus, la piètre qualité des photographies des pièces dans les catalogues, voire l’absence de toute photographie dans le catalogue de 2012 de la pièce référencée PC-450, ne met pas le tribunal en mesure d’apprécier cette identité.

Faute de toute preuve de commercialisation des pièces jugées contrefaisantes antérieure au 1er janvier 2016, laquelle résulte du catalogue de la SARL Géolean de 2016 (sa pièce n°5), le point de départ de la période des faits jugés contrefaisants les brevets français FR 495 et FR 040 sera fixée à cette date.
La date du terme de la période des faits jugés contrefaisants est fixée au 7 juin 2019, date du jugement entre les parties qui a interdit à la SARL Géolean la poursuite de ces actes, laquelle n’est pas remise en cause par les parties.

En deuxième lieu, s’agissant de la détermination du chiffre d’affaires réalisé par la SARL Géolean au titre de la vente de pièces jugées contrefaisantes, le tribunal se référera à l’attestation du commissaire aux comptes de la défenderesse (sa pièce n°8), selon laquelle le chiffre d’affaires résultant de la vente de matériel s’établit :- du 01/10/2025 au 30/09/2016 à 1 916 670 euros
– du 01/10/2016 au 30/09/2017 à 2 186 230 euros
– du 01/10/2017 au 30/09/2018 à 2 765 239 euros
– du 01/10/2018 au 07/06/2019 à 1 806 233 euros.
Ce dont il se déduit que le chiffre d’affaires du 01/01/2016 au 30/09/2016 est égal à 9/12èmes de 1 916 670 euros, soit 1 437 502,50 euros et le chiffre d’affaires total sur la période des faits jugés contrefaisants à 8 195 204,50 euros.

Au sein de ce chiffre d’affaires, seules les pièces jugées contrefaisantes peuvent donner lieu à indemnisation. Ces pièces sont celles listées dans le dispositif de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 novembre 2021. Ainsi, les éléments tubulaires, référencés GT, les joints de structure, référencés G-A et autres, et les guides référencés G400 et G400 ESD, en sont exclus.

À ce titre, la SARL Géolean avance que le chiffre d’affaires des seules références jugées contrefaisantes doit être estimé à 1 068 867 euros, prenant pour base la même période et les hypothèses de calcul de son expert privé, lequel a conclu à ce montant sur la base de toutes les factures de cette société de 2016 à 2019, incluant celles des ventes à l’export, mais dont il a écarté celles concernant les prestations de conseil en organisation n’incluant pas de ventes de matériel et celles des éléments tubulaires (pièce Géolean n°9).

Les prestations de conseil en organisation peuvent être l’occasion de fournir des pièces jugées contrefaisantes, la société Géolean s’étant fournie, à tout le moins jusqu’en 2011 auprès de la SA Trilogiq à cette fin (pièce Géolean n°11). L’expert privé sollicité par Géolean a, d’ailleurs, comptabilisé dans la masse contrefaisante les ventes de matériel faisant suite à des prestations de conseil pour 168 708,14 euros (pièce Géolean n°9 pages 11 et 12).

L’expertise privé versée par la SARL Géolean détaille également 47 factures ne permettant pas de déterminer si elles se rapportent ou non à des ventes de produits contrefaisants. Par un calcul que le tribunal adopte, l’expert en conclut que 28 500 euros doivent être ajoutés au chiffre d’affaires précédemment obtenu (pièce Géolean n°9 page 15).

Ainsi, le chiffre d’affaires de la masse contrefaisante peut être évalué à 1 097 367 euros.

En troisième lieu, s’agissant du taux de report, il n’est pas contesté par la SA Trilogiq que l’intégralité des ventes de produits contrefaisants réalisées par la SARL Géolean ne se serait pas reportée sur ses propres produits. En effet, la demanderesse ne conteste pas qu’entre 2016 et 2019 elle a cessé de proposer à la vente des produits en acier pour privilégier les produits en graphite, plus onéreux (conclusion Trilogiq page 21).

Selon la SA Trilogiq, le taux de report devrait être fixé à 70 % compte tenu de la compatibilité mécanique entre les pièces vendues par les deux parties et de l’absence de goulot d’étranglement, tandis que la SARL Géolean le fixe à 31% se basant sur l’absence de report des ventes vers l’étranger, des ventes associées aux prestations de conseil et de la cessation de la vente de sa gamme en acier par la demanderesse.
Cependant, les prestations de conseil en organisation peuvent être l’occasion de fournir des pièces jugées contrefaisantes, ainsi qu’il a déjà été constaté (pièce Géolean n°11), ces pièces pouvant tout aussi bien être fournies à l’export. Néanmoins, la cessation de la commercialisation de sa gamme en acier par la SA Trilogiq n’est pas sans lien avec la baisse de son chiffre d’affaires à compter de 2016, le retour de cette gamme en 2019 étant la démonstration d’un lien de causalité entre les deux, au-delà de la seule juxtaposition.

Un taux de report de 50% sera, en conséquence retenu.

En quatrième lieu, s’agissant du taux de marge brute applicable à ce chiffre d’affaires, destiné à obtenir le calcul du préjudice hors coût de fabrication des pièces contrefaisantes, c’est-à-dire en vue de calculer le bénéfice réalisé par le contrefacteur, les deux parties s’accordent à retenir le taux de 50%.
En cinquième lieu, les parties s’accordent également à inclure dans le préjudice un taux de redevance contractuelle de 5% pour la fraction de la masse contrefaisante sur laquelle la SA Trilogiq n’aurait pas pu réaliser de vente à la place de la SARL Géolean, soit 50% de la masse contrefaisante, établissant le montant de cette redevance à 27 434,17 euros.
En conséquence, le préjudice de la SA Trilogiq sera fixé à 301 775,92 euros ((1 097 367 X 0,5 X 0,5) + 27 434,17) que la SARL Géolean sera condamnée à lui payer.
II – Sur les demandes accessoires
II.1 – S’agissant des dépens
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie.
La SARL Géolean, partie perdante à l’instance, sera condamnée aux dépens.
II.2 – S’agissant de l’article 700 du code de procédure civile
L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.
La SARL Géolean, partie tenue aux dépens, sera condamnée à payer 30 000 euros à la SA Trilogiq à ce titre.
II. 3 – S’agissant de l’exécution provisoire
Aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
En l’occurrence, pour s’opposer à l’exécution provisoire de droit, la société Geolean soutient qu’elle n’est pas nécessaire, la société Trilogiq ayant déjà reçu une provision de 100 000 euros, ni compatible avec la nature de l’affaire, la situation économique mondiale rendant incertaine la capacité de la société Trilogiq à rembourser les sommes allouées.
Toutefois, l’allocation préalable d’une provision ne saurait justifier d’écarter l’exécution provisoire, ni la situation économique mondiale qui est une considération d’ordre général, la société Geolean ne présentant aucun élément concret qui mettrait en péril le remboursement des sommes allouées qui pourrait être prononcé en appel.
Ainsi, il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire en l’espèce.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

Condamne la SARL Géolean à payer 301 775,92 euros à la SA Trilogiq à titre de dommages et intérêts ;

Condamne la SARL Géolean aux dépens ;

Condamne la SARL Géolean à payer 30 000 euros à la SA Trilogiq en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 15 mai 2024

La greffièreLe président
Lorine MILLEJean-Christophe GAYET


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