Réexploitation de données personnelles : l’affaire Century 21

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Réexploitation de données personnelles : l’affaire Century 21

La rupture du contrat de franchise emporte interdiction de conserver et utiliser les données personnelles (fichier client) constituées par le franchisé.

En la cause, la société Cocagne Immobilier soutient que la société Century 21 France a utilisé ses données après la résiliation du contrat de franchise. Elle affirme que la société Century 21 France a eu recours à des campagnes massives de e-mailing adressés à ses clients afin de les rediriger vers les agences Century 21 les plus proches.

Les pièces versées aux débats montrent que la société Century 21 a continué à envoyer des mails aux clients et prospects de la société Cocagne en 2018, 2019 et 2021. Il s’ensuit que la société Century 21 a conservé les données litigieuses sur une durée de 3, 5ans.

Century 21 France, qui se limite à produire ses règles RGPD à destination des agences Century 21 n’établit pas que seuls les prospects ayant demandé à bénéficier d’une estimation, suite aux campagnes marketing nationales, voient leurs données conservées plusieurs années. La circonstance que seules 24 personnes sur 814 se soient désinscrites tend plutôt à démontrer qu’à l’inverse, leurs coordonnées sont conservées, sauf démarche de désinscription, étant observé qu’aucune précision n’a été apportée quant à un « toilettage » ultérieur dudit fichier.

Résumé de l’affaire

Résumé des faits et de la procédure

Contexte :
– La société Century 21 exploite un réseau de franchise d’agences immobilières.
– La société Cocagne Immobilier, située à [Localité 5] (81), a souscrit un contrat de franchise avec Century 21 le 24 juillet 2008, renouvelé le 30 septembre 2013 pour cinq ans.
– Le 19 mars 2018, Century 21 a notifié à Cocagne Immobilier le non-renouvellement du contrat à l’échéance du 31 juillet 2018.
– Un protocole d’accord a été signé le 28 septembre 2018 pour encadrer la sortie de Cocagne Immobilier du réseau de franchise.

Litige :
– Cocagne Immobilier a assigné Century 21 devant le tribunal de commerce d’Evry le 7 août 2019, réclamant des dommages-intérêts pour manquement contractuel et concurrence déloyale.

Jugement du tribunal de commerce d’Evry (11 janvier 2022) :
– Rejet des demandes de Cocagne Immobilier concernant la perte de valeur du fonds de commerce, la concurrence déloyale, le préjudice moral, et la publication du jugement.
– Condamnation de Century 21 à payer :
– 16 180 euros pour le retard de mise à disposition des données.
– 40 596 euros pour la non-destruction et l’utilisation des données.
– 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– Rejet des demandes de Century 21 pour dommages et intérêts pour résistance abusive.
– Condamnation de Century 21 aux dépens.

Appel de Century 21 (16 février 2022) :
– Century 21 conteste le jugement, notamment sur la responsabilité contractuelle pour le retard et la non-destruction des données, et demande la révision des condamnations financières.

Demandes de Century 21 en appel :
– Infirmer le jugement concernant la responsabilité contractuelle.
– Déclarer avoir respecté le protocole d’accord et ne pas avoir exploité les données de Cocagne Immobilier.
– Rejeter les demandes de Cocagne Immobilier pour concurrence déloyale et préjudice moral.
– Condamner Cocagne Immobilier pour procédure abusive et aux dépens.

Demandes de Cocagne Immobilier en appel :
– Confirmer le jugement initial sur la responsabilité contractuelle de Century 21.
– Constater le détournement de clientèle par Century 21.
– Réformer le jugement pour reconnaître la concurrence déloyale et augmenter les dommages-intérêts à 693 065 euros.
– Condamner Century 21 à 50 000 euros pour préjudice moral et à la publication du jugement.
– Rejeter les demandes de Century 21 pour procédure abusive et confirmer les dépens.

Procédure :
– L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2023.

Les points essentiels

Résumé de l’affaire

La Cour a examiné un litige entre la société Century 21 France et la société Cocagne Immobilier concernant la violation d’un protocole d’accord signé le 28 septembre 2018. Ce protocole stipulait la restitution et la destruction des données informatiques de Cocagne Immobilier par Century 21 France. La Cour a analysé les faits, les arguments des parties et les preuves présentées pour rendre son jugement.

Violation du protocole d’accord et préjudice causé

Le protocole d’accord stipulait que Century 21 France devait restituer les données informatiques de Cocagne Immobilier et s’abstenir de les utiliser. Cocagne Immobilier a accusé Century 21 France de ne pas avoir respecté cette obligation, entraînant un préjudice. Century 21 France a soutenu avoir respecté le protocole, mais la Cour a jugé que la preuve de la demande de restitution des données n’était pas claire, établissant ainsi un manquement contractuel.

Restitution des données informatiques

Century 21 France a affirmé avoir demandé à la société Naxos de restituer les données le 28 septembre 2018, mais Cocagne Immobilier a reçu les données avec trois semaines de retard. La Cour a constaté que la demande de restitution n’était pas explicite et que Century 21 France n’avait pas prouvé avoir respecté le protocole. Le tribunal a donc confirmé la condamnation de Century 21 France à payer 16 180 € pour le retard.

Utilisation des données après la résiliation du contrat

Cocagne Immobilier a accusé Century 21 France d’avoir utilisé ses données après la résiliation du contrat de franchise pour des campagnes de marketing. La Cour a constaté que Century 21 France avait conservé et utilisé les données pendant 3,5 ans, causant un préjudice à Cocagne Immobilier. La Cour a évalué ce préjudice à 28 420 €, infirmant partiellement le jugement initial.

Concurrence déloyale

La demande de Cocagne Immobilier pour concurrence déloyale a été formulée à titre subsidiaire. La Cour, ayant retenu la responsabilité contractuelle de Century 21 France, n’a pas examiné cette demande, confirmant ainsi le jugement initial.

Perte de valeur du fonds de commerce

Cocagne Immobilier a réclamé une indemnisation pour la perte de valeur de son fonds de commerce, estimée à 58 000 €. La Cour a constaté que cette demande n’était pas distinctement chiffrée dans les écritures et qu’aucun préjudice distinct n’était démontré. La demande a donc été rejetée.

Préjudice moral

Cocagne Immobilier a réclamé 50 000 € pour préjudice moral, affirmant que Century 21 France avait porté atteinte à son image et à sa réputation. La Cour a jugé qu’aucun préjudice moral n’était démontré et a confirmé le jugement initial qui avait débouté Cocagne Immobilier de ce chef.

Publication de l’arrêt

Cocagne Immobilier a demandé la publication de l’arrêt dans une revue spécialisée. La Cour a rejeté cette demande, soulignant que le protocole d’accord contenait une clause de confidentialité et que les fautes retenues ne concernaient pas les tiers à l’instance.

Autres demandes

La demande de Century 21 France visant à déclarer que la famille dirigeante de Cocagne Immobilier avait tenté de la piéger a été rejetée. La Cour a également confirmé le rejet de la demande de Century 21 France pour résistance abusive de Cocagne Immobilier. Century 21 France a été condamnée à verser 4 000 € à Cocagne Immobilier au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de l’appel.

Les montants alloués dans cette affaire:

Réglementation applicable

Voici la liste des articles des Codes cités dans le texte fourni, ainsi que leur contenu :

– Article 1103 du Code civil :
> « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »

– Article 1193 du Code civil :
> « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise. »

– Article 1104 du Code civil :
> « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public. »

– Article 1231-1 du Code civil :
> « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

– Article 910-4 du Code de procédure civile :
> « Les parties doivent, dès l’ordonnance de clôture, être en mesure de justifier de la communication de leurs pièces. À défaut, elles ne peuvent plus les produire, sauf à justifier d’une cause grave ou d’un événement imprévisible. »

– Article 700 du Code de procédure civile :
> « Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. »

Ces articles sont cités dans le contexte de la décision judiciaire concernant la violation du protocole d’accord entre la société Century 21 France et la société Cocagne Immobilier, ainsi que les conséquences de cette violation.

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753
– Me Hélène HELWASER, avocate au barreau de PARIS, toque : C0225
– Me Frédérique ETEVENARD, avocate au barreau de PARIS, toque : K0065
– Me Katia PIZZASEGOLA, avocate au barreau de TOULOUSE

Mots clefs associés & définitions

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

17 janvier 2024
Cour d’appel de Paris
RG
22/03890
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRÊT DU 17 JANVIER 2024

(n° , 13 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/03890 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFKD4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Janvier 2022 – Tribunal de commerce d’EVRY – RG n° 2019F00719

APPELANTE

S.A.S CENTURY 21 FRANCE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés d’EVRY sous le numéro 339 510 695,

Dont le siège social est situé [Adresse 1]

Bâtiment 4

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

Assistée de Me Hélène HELWASER, avocate au barreau de PARIS, toque : C0225,

INTIMÉE

S.A.R.L. COCAGNE IMMOBILIER, prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [X] [F], domicilié en cette qualité audit siège,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de CASTRES sous le numéro 505 115 568,

Dont le siège social est [Adresse 7]

[Localité 2]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocate au barreau de PARIS, toque : K0065,

Assistée de Me Katia PIZZASEGOLA, avocate au barreau de TOULOUSE,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant la cour composée en double-rapporteur de Madame Brigitte BRUN-LALLEMAND, première présidente de chambre, et de Madame Sophie DEPELLEY, conseillère.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre,

Madame Sophie Depelley, conseillère,

Monsieur Julien Richaud, conseiller.

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Brigitte BRUN-LALLEMAND dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre et par

[M] [G], lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

La société Century 21 exploite un réseau de franchise d’agences immobilières et de cabinets d’administration de biens à l’enseigne Century 21.

La société Cocagne Immobilier est une agence immobilière sise à [Localité 5] (81).

Le 24 juillet 2008 la société Cocagne Immobilier a souscrit auprès de la société Century 21 France un contrat de franchise lui concédant le droit non exclusif d’exploiter une agence immobilière de biens sous l’enseigne Century 21.

Dans le cadre du réseau de franchise, la société Cocagne Immobilier a contracté auprès de la société Naxos chargée de gérer les données personnelles des franchisés grâce à un logiciel dédié nommé Centurynet.

Le 30 septembre 2013, le contrat de franchise a été renouvelé pour une durée de cinq ans.

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 19 mars 2018, la société Century 21 France a notifié à la société Cocagne Immobilier le non-renouvellement de son contrat de franchise à l’échéance soit le 31 juillet 2018.

Des contestations s’étant élevées entre les parties, ces dernières ont signé un protocole d’accord le 28 septembre 2018 pour encadrer la sortie du réseau de franchise de la société Cocagne Immobilier à la date du 30 septembre 2018.

L’application de ce dernier divise les parties.

Par acte du 7 août 2019, la société Cocagne Immobilier a assigné la société Century 21 devant le tribunal de commerce d’Evry pour obtenir le paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour manquement contractuel et actes de concurrence déloyale.

Par jugement du 11 janvier 2022, le tribunal de commerce d’Evry a:

débouté l’EURL Cocagne Immobilier de sa demande de condamner la SAS Century 21 France au titre de la perte de valeur de son fonds de commerce ;

condamné la SAS Century 21 à payer à l’EURL Cocagne Immobilier la somme de 16 180 euros au titre du retard de la mise à disposition des données;

condamné la SAS Century 21 France à payer à l’EURL Cocagne Immobilier la somme de 40.596 euros au titre de sa responsabilité contractuelle du fait de la non-destruction et de l’utilisation des données de l’EURL Cocagne Immobilier ;

débouté l’EURL Cocagne Immobilier de ses demandes au titre de la concurrence déloyale de la SAS Century 21 France ;

débouté l’EURL Cocagne Immobilier de sa demande de condamner la SAS Century 21 France au paiement d’une somme de 50.000 € au titre du préjudice moral ;

débouté l’EURL Cocagne Immobilier de sa demande d’ordonner dans deux revues spécialisées en matière de franchise, la publication du présent jugement de condamnation aux frais de la SAS Century 21 France ;

débouté la SAS Century 21 France de sa demande de dommages et intérêts au titre de la résistance abusive de l’EURL Cocagne Immobilier ;

ordonné l’exécution provisoire ;

condamné la SAS Century 21 France à payer à l’EURL Cocagne Immobilier la somme de 3.000 au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

débouté les parties de leurs autres demandes, les disant mal fondées, contraires aux motifs ou devenues sans objet ;

condamné la SAS Century 21 France au paiement des entiers dépens en ce compris les frais de constats d’huissier, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 73.22 euros TTC.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 16 février 2022 la société Century 21 France a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 23 octobre 2023, la société Century 21 France, demande à la Cour de :

Vu les articles 905-2, 908 à 910 du code de procédure civile ;

Vu l’article 910-4 du code de procédure civile ;

Vu l’article 954 du code de procédure civile ;

Vu les articles 1240 et 1241 du code civil ;

Vu les articles 1231-1 et 1231-3 du code civil ;

Vu les articles 1103,1104 du code civil ;

Vu le protocole d’accord en date du 28 septembre 2018 ;

Vu la règle du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle ;

Infirmer le jugement du tribunal de commerce d’Evry en date du 11 janvier 2022 en ce qu’il a retenu que la société Century 21 France avait engagé sa responsabilité contractuelle pour retard dans la transmission des données appartenant à la société Cocagne Immobilier et pour non-destruction desdites données ;

Déclarer que la société Century 21 France a, conformément au protocole du 28 septembre 2018, demandé, le 28 septembre 2018, à la société informatique de transmettre les données informatiques ;

Déclarer que n’étant en possession d’aucune donnée appartenant à la société Cocagne Immobilier, elle ne pouvait ni les détruire ni les conserver ;

Déclarer que la société Century 21 France a respecté le protocole d’accord du 28 septembre 2018 ;

Déclarer qu’elle n’a pas exploité les données personnelles de la société Cocagne Immobilier ;

Déclarer irrecevable la société Cocagne Immobilier à solliciter des dommages et intérêts fondés sur une prétendue concurrence déloyale par application de la règle du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle et pour ne pas avoir sollicité l’infirmation du jugement du 11 janvier 2022 en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes relatives à la prétendue concurrence déloyale ;

A titre subsidiaire, déclarer que la société Century 21 France n’a pas commis de faits de concurrence déloyale ;

Déclarer qu’elle n’a procédé à aucun détournement de fichiers ;

Déclarer que la famille [F], dirigeant de la société Cocagne Immobilier reconnait avoir tenté de piéger la société Century 21 France en cliquant sur les quelques mails reçus ;

Débouter la société Cocagne Immobilier de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

La débouter de sa demande de perte de valeur de fonds de commerce ;

La débouter de ses demandes au titre de la concurrence déloyale de la SAS Century 21 France ainsi que sa demande de condamnation au paiement de la somme de 50.000 € au titre du préjudice moral ;

A titre plus subsidiaire,

Dans le cas, où la Cour énoncerait que la société Century 21 France a commis une faute dans la remise des données,

Déclarer qu’en s’abstenant de sauvegarder ses données ainsi que préconisé par le prestataire informatique, la société Cocagne Immobilier a commis une faute exonérant en tout état de cause la société Century 21 dans le prétendu retard dans la transmission des données ;

Déclarer que la société Cocagne Immobilier n’apporte pas la preuve d’un quelconque préjudice ;

Déclarer que l’éventuel préjudice doit être qualifié de perte de chance ;

Déclarer qu’en tout état de cause, conformément à l’article 1231-3 du code civil, le montant des dommages et intérêts ne peuvent être supérieurs à ceux qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du protocole d’accord ;

En conséquence :

Fixer à 1 € le montant des dommages et intérêts ;

En tout état de cause,

Condamner la société Cocagne Immobilier à 10 000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi qu’à la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Cocagne Immobilier aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Me [B], aux offres de droit.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 18 octobre 2023, la société Cocagne Immobilier, demande à la Cour de :

Vu l’article 1104 et 1193 du code civil,

Vu l’article 1240 du code civil, anciennement 1382 du code civil,

Vu les articles 910 et 910-4 du code de procédure civile,

Vu l’Article 700 du code de procédure civile,

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées,

A titre principal,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé que la société Century 21 France a violé les dispositions des obligations contractuelles du protocole du 28 septembre 2018 engageant en conséquence sa responsabilité à ce titre ;

Constater l’aveu judiciaire de la société Century 21 quant au détournement de la clientèle de la société Cocagne Immobilier et en tirer toutes conséquences de droit ;

Juger mal fondé l’appel interjeté par la société Century 21 France et la débouter de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

A titre subsidiaire,

Rejeter la demande de la société Century 21 France quant à l’irrecevabilité de l’action de la société Cocagne Immobilier fondée sur la commission d’actes de concurrence déloyale et déclarer la demande d’irrecevabilité, elle-même irrecevable au visa des articles 910 et 910-4 du code de procédure civile ;

Réformer et statuant de nouveau juger que la société Century 21 France a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Cocagne Immobilier, engageant sa responsabilité sur ce fondement ;

En tout état de cause,

Confirmer la condamnation de la société Century 21 France à la somme de 16.180 € au titre du retard de la mise à disposition contractuelle des données ;

Confirmer sa condamnation à indemniser la société Cocagne Immobilier de son préjudice lié à la perte de chance et à la perte de gain tant par la perte de valeur du fonds de commerce, que par la perte du chiffre d’affaires ;

Faisant droit à l’appel incident de l’intimé, réformer le jugement du 11 janvier 2022 notamment quant au quantum de cette condamnation et condamner la société Century 21 France à verser à la société Cocagne Immobilier la somme de 693.065 € ;

Condamner la société Century 21 au paiement d’une somme de 50.000 € au titre du préjudice moral ;

Ordonner, dans deux revues spécialisées en matière de franchise, la publication du jugement de condamnation à intervenir aux frais de la société Century 21 France ;

Débouter la société Century 21 France de toutes ses plus amples demandes et notamment celles formulées au titre des dépens et des dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Confirmer le jugement du tribunal de commerce quant à l’allocation d’une somme de 3.000 € au titre de l’article 700 de première instance ainsi qu’aux dépens ;

Condamner en sus la société Century 21 France au paiement d’une somme de 10.000 € au titre des dispositions de l’Article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance dont distraction au profit de Maître [T], en ce compris les frais de constat d’huissiers nécessaires et coût du rapport d’expertise de la société Scassi, préalables à la présente procédure.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2023.

MOTIVATION

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

Sur la violation du protocole d’accord du 28 septembre 2018 et la réparation du préjudice causé par les manquements contractuels

Le protocole d’accord signé le 28 novembre 2018 entre les parties contient (point 4) la disposition suivante :

« La société Century 21 France accepte de renoncer expressément et définitivement au bénéfice de la clause de non affiliation et de non concurrence de la société Cocagne Immobilier moyennant [‘indications non utiles au litige].

La société Century 21 France s’engage à demander à la société qui gère le système informatique de restituer le 30 septembre 2018 les données informatiques (client, mandat, vendeurs, références des biens à la vente et location’) sous un format universel et transférable vers un autre logiciel dédié aux professionnels de l’immobilier et s’engage expressément à déduire l’intégralité des données de la société Cocagne Immobilier et s’interdit expressément de les utiliser à des fins personnelles. En effet, ces données sont parties intégrantes du fonds de commerce de la société Cocagne immobilier.

Les présentes sont destinées à demeurer confidentielles sans limitation de durée. Toute infraction à la présente clause érigée comme condition essentielle des présentes sera sanctionnée par l’allocation par la partie responsable de dommages intérêts réparant l’intégralité du préjudice direct et indirect subi par l’autre partie ».

La société Century 21 France soutient avoir respecté ce protocole tant s’agissant de la restitution des données personnelles de la société Cocagne Immobilier que de leur destruction. Elle fait valoir de surcroît qu’elle n’est pas détentrice personnellement des données des franchisés puisque ces dernières sont transmises par les intéressés via un logiciel spécifique nommé Centurynet géré par la société Naxos, qui contrairement à ce qu’allègue l’intimée n’est pas une de ses filiales mais une société soeur.

La société Cocagne Immobilier répond, au visa des articles 1103, 1193, 1104 et 1231-1 du code civil que la société Century 21 France a commis une inexécution contractuelle en conservant les données personnelles de son ancien franchisé.

Sur la restitution des données informatiques à la rupture du contrat de franchise

Moyen des parties

La société Century 21 France indique, tout d’abord, que le protocole lui faisait obligation de demander à la société Naxos de restituer les données informatiques le 30 septembre 2018 à Cocagne Immobilier, ce qu’elle a fait dès le 28 septembre 2018. La sortie du réseau a automatiquement engendré la coupure des accès informatiques entre le franchisé et le réseau Century 21 ainsi que le transfert des données au franchisé. Cela étant, une telle procédure nécessite un délai que les parties au protocole d’accord du 28 septembre 2018 n’ont pas pris en compte au moment de sa conclusion. Pour autant, l’obligation de Century 21 France était de demander à la société Naxos le transfert des données et non de l’effectuer personnellement. En tout état de cause, elle n’a pu intervenir personnellement pour effectuer l’opération.

Elle considère, ensuite, que la supposée perte de chiffre d’affaires de la société Naxos pendant 22 jours est due à sa négligence, car elle s’est abstenue de sauvegarder ses données, contrairement aux préconisations du contrat Centurynet (article 12 « le prestataire préconise au client un système de sauvegarde fiable et régulier »). Elle n’a pas souhaité, de surcroit, migrer sur la solution Canal Transaction proposée aux agents immobiliers non franchisés au réseau Century 21.

La société Cocagne Immobilier répond que la société Century 21 France a été le donneur d’ordre et l’utilisateur final des données quand bien même elles ont été gérées d’un point de vue informatique par la société Naxos. Elle soutient aussi que dans le cadre de son contrat de franchise, elle a, de fait, été contrainte de souscrire auprès de la société Naxos les contrats nécessaires à l’exploitation de l’agence immobilière dans le cadre du réseau Century 21.

Elle affirme que les données lui ont été restituées avec trois semaines de retard et de manière incomplète, si bien qu’elle n’a pas pu exploiter son agence pendant cette période. Elle demande la confirmation de la condamnation de la société Century 21 France à la somme de 16.180 € au titre du retard dans la mise à disposition contractuelle des données.

Réponse de la Cour

Il est constant qu’en l’espèce :

– Century 21 France s’est engagé contractuellement à demander à la société qui gère pour le réseau le système informatique, de restituer le 30 septembre 2018 les données informatiques (client, mandat, vendeurs, références des biens à la vente et location’) sous un format universel et transférable vers un autre logiciel dédié aux professionnels de l’immobilier ;

– dans les faits, la désactivation des adresses email Century 21 et la redirection vers les nouvelles adresses email de l’ancien franchisée ont été différées jusqu’au 3 octobre 2018, et la coupure des accès aux outils Centurynet mis à disposition par Century 21 et le transfert des données n’ont été effectifs que le 23 octobre 2013.

Il ressort plus spécifiquement des pièces versées aux débats que :

– le mail, produit pour la première fois en appel, par lequel selon l’interprétation qu’en fait l’appelante, le directeur administratif et financier réseau de Century 21 du 28 septembre 2018 demande à Naxos cette restitution, n’est pas explicite (« juste pour information, je vous confirme que la cessation de notre partenariat avec M. [X] [F] a été actée ce jour » – pièce Century 21 n°28)

– il existait simultanément des échanges directs de qualité entre les opérationnels de Naxos et M. [F] [Y] Immobilier (mail de l’intéressé du 28 septembre 2018 à 13 h 04 évoquant l’autorisation des responsables de Century 21 : « (ils) me laissent les accès Naxos jusqu’à mardi soir prochain pour faire les transferts’ » ; réponse du même jour à 18 h 43 de Naxos : « pas de souci henri n’hésite pas en cas de besoin bonne soirée bruno » – pièce Cocagne immobilier n°15)

– Cocagne Immobilier a adressé « par précaution » le 3 octobre une lettre recommandée avec accusé réception à Naxos Informatique lui rappelant la cessation du contrat de franchise ayant été finalisée par protocole en date du 28 septembre 2018, et mentionnant : « par voie de conséquence la relation contractuelle avec la société Naxis cesse à compter du 30 septembre 2018.  Il est prévu dans le protocole que la société Naxos s’engage à : « restituer dès le 30 septembre 2018 les données informatiques’ (reproduction de la clause jusqu’à « partie intégrante du fonds de commerce de la société Cocagne immobilier ») (pièce Cocagne immobilier n°3) ;

– aucune restitution n’étant intervenue, la teneur de la clause a été rappelée le 17 octobre 2018 à Century 21 par LRAR et à l’avocat de Century 21 par lettre officielle (pièces Cocagne immobilier n°6 et 7) ;

– par LRAR du 17 octobre 2018, la société Naxos, mentionnant avoir reçu le courrier du 3 octobre 2018 le 10 octobre suivant, a fait connaitre à Cocagne immobilier tenir à sa disposition un fichier export de ses données et l’invitant à prendre contact pour « valider les modalités de votre demande ». (pièce Cocagne immobilier n°8).

Il se déduit de l’ensemble que le tribunal de commerce a à raison, dans la décision attaquée, considéré qu’il n’était pas démontré que la société Century 21 France avait demandé à Naxos de restituer les données de la société Cocagne immobilier pour le 30 septembre 2018, en violation du protocole d’accord signé le 28 septembre 2018. La pièce produite à hauteur d’appel manque de clarté, et ne permet pas à Century 21 France de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention. Le manquement contractuel est donc établi.

La Cour ajoute qu’il résulte des pièces versées au débat que les parties discutaient depuis mars 2018 d’une sortie [Y] immobilier du réseau, et qu’un premier projet de protocole d’accord contenant la clause prévoyant une restitution des données informatiques au 30 septembre 2018 avait fait l’objet d’une signature par Cocagne immobilier le 23 juillet 2018 (pièce Century 21 n°6), ce qui aurait dû permettre à Century 21 France d’anticiper les éventuelles difficultés inerrantes aux aspects techniques de cette restitution.

Aucune faute de la Cocagne Immobilier ayant pu concourir au dommage n’est démontrée.

Pour calculer le préjudice réparable, la Cour retient que le tribunal s’est de manière pertinente fondé sur le chiffre d’affaires de la société Cocagne immobilier (liasse fiscale arrêtée au 30 juin 2018) et a calculé le manque à gagner subi sur une période de 22 jours, après avoir constaté que les charges de cette société sont fixes pour l’essentiel.

La décision qui condamne la société Century 21 France à lui payer la somme de 16 180 euros au titre du retard dans la mise à disposition contractuelle des données sera confirmée.

Sur l’utilisation par Century 21 des données [Y] immobilier postérieurement à la résiliation du contrat de franchise

Moyen des parties

La société Cocagne Immobilier soutient que la société Century 21 France a utilisé ses données après la résiliation du contrat de franchise. Elle affirme que la société Century 21 France a eu recours à des campagnes massives de e-mailing adressés à ses clients afin de les rediriger vers les agences Century 21 les plus proches. Elle verse à l’appui un rapport d’expert de partie (pièce n°64). Elle ajoute que le tribunal a retenu qu’à l’occasion de mailings de 2019, 2020 et 2021, des personnes ayant répondu au mailing de 2018 ont continué à recevoir des messages de sollicitation, ce qui montre qu’elle n’a pas détruit les données [Y].

Elle fait valoir que le fichier clientèle est un moyen stratégique majeur et essentiel de communication avec la clientèle de manière connectée via les réseaux sociaux et qu’il résulte d’un travail important réalisé par les agents immobiliers au cours de nombreuses années pour répertorier des vendeurs et des acheteurs potentiels.

Elle propose une alternative au mode de calcul de son préjudice, fondée sur les chiffres de restitution des données produits par la société Century 21 France. Selon la société Cocagne Immobilier, la société Century 21 France a disposé de 4 547 mails exploitables et a envoyé 814 mails. En appliquant un taux de transformation en mandat de 1/3, il est possible de déduire que sur les 814 envois, 271 ont été transformés en mandats sur 5 ans. Elle en déduit qu’il y a lieu de considérer que les 814 mails adressés ont généré 54,21 mandats par an selon la méthode de calcul suivante : 814 x 6,66 % (33,3/5). Elle fournit l’estimation suivante :

Ventes sur mandats simples : 54 mandats x 55 % de mandats simples x 12 % de taux de transformation soit 3,56 ventes ;

Ventes sur mandats exclusifs : 54 mandats x 45 % de mandats exclusifs x 35,9 % de taux de transformation soit 8,72 ventes ;

Ce qui correspond à 12,28 ventes (3,56 + 8,72) par an, soit 12 ventes par an x 5 ans, soit 60 ventes.

La société Cocagne Immobilier évalue son préjudice en multipliant ces 60 ventes par le montant moyen des commissions de l’agence soit 11 599 €, et constate que le chiffre auquel elle aboutit (695 940 euros) est en cohérence avec celui auquel elle arrive avec une autre méthode, consistant à retenir une perte de chance à hauteur de 30 % du chiffre d’affaires (693 065 euros), ainsi qu’avec son évaluation (à hauteur de 688 969,09 €) du coût de constitution de son fichier clients.

Elle s’en rapporte à justice s’agissant de la réfection à retenir en raison d’une réparation fondée sur la perte de chance et devant en conséquence tenir compte de l’aléa relatif à la réalisation de l’évènement escompté.

La société Century 21 France affirme ne détenir aucune donnée personnelle de ses franchisés. S’agissant de leur utilisation, elle fait valoir les éléments de contexte suivants : la campagne d’emaling qui a compris des personnes figurant dans le fichier client [Y] immobilier a été réalisée au niveau national du 21 septembre au 15 octobre 2018 et concernait plusieurs millions de contacts. Elle a pu toucher des clients [Y] immobilier car le processus de préparation technique est d’environ un mois avant le lancement de la campagne, laquelle ne pouvait être interrompue en cours de route, étant précisé que pour que l’email ne tombe pas dans les SPAM de la messagerie, la campagne est fractionnée et doit être expédiée par un certain nombre de paquets d’emails successifs sur plusieurs jours (cf. note technique pièce n°19).

Century 21 France observe que seuls huit envois litigieux sont démontrés par Cocagne immobilier s’agissant de cette campagne de l’automne 2018, et qu’après étude, il appert que trois ont été reçus par des membres de la famille de M. [F] et trois concernent des personnes par ailleurs clientes d’une autre agence Century 21 (dans le cadre de projets immobiliers situés autre part). Elle soutient qu’il était logique, par ailleurs, que lorsqu’un prospect demande une estimation, cette dernière soit adressée à l’agence Century 21 la plus proche, Cocagne immobilier ayant quitté le réseau.

Century 21 France conteste la valorisation du fichier clientèle établie par la société Cocagne Immobilier. Elle indique que selon les informations fournies par la société Naxos (pièce n°11), seuls 149 mails ont été ouverts et 27 ont cliqué sur le lien. De surcroît, cette campagne de mailing d’autonome 2018, a donné lieu à envoi de 1 800 000 mails et a permis de collecter 612 mandats, soit un taux de 0,03 % (pièce n°21). Elle ajoute que la société Cocagne Immobilier n’apporte pas la preuve qu’une vente a été réalisée à partir des mails envoyés dans ces circonstances spécifiques en automne 2018 par la société Century 21 France. Elle fait valoir que c’est d’autant moins le cas que certes, les personnes touchées par cette campagne de mailing qui ont répondu sont restées dans le fichier des agences Century 21 du secteur concerné, mais que de fait, les pièces produites concernant les années qui suivent ne concernent que les consorts [F], qui ont manifestement cliqué volontairement à chaque fois pour prendre connaissance des opérations marketing Century 21, d’une part, et montrer que Century 21 conservait les données litigieuses sur la durée, d’autre part.

Enfin, la société Century 21 France conteste la décision du tribunal de commerce qui a retenu que les données litigieuses avaient été conservées pendant 3, 5 années et que le préjudice de la société Cocagne Immobilier s’établissait en conséquence à 3,5 fois 11 599 € soit 40 596 €. Elle rappelle que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. La société Century 21 France soutient que si la perte éventuelle a été d’une vente dans l’année et qu’une commission d’agence a été de 11 599 €, alors le préjudice fondé sur la perte de chance n’a pu être de 3,5 fois le manque éventuel de chiffre d’affaires.

Réponse de la Cour

Ainsi qu’il a déjà été exposé, il résulte des pièces versées au débat que les parties discutaient depuis mars 2018 d’une sortie [Y] immobilier du réseau, et que le projet de protocole d’accord de juillet 2018 prévoyait déjà la non conservation par Century 21 des données informatiques et l’interdiction d’en user à compter du 30 septembre 2018.

Il ne peut donc sérieusement être allégué, comme le fait Century 21 France, que la campagne marketing nationale réalisée par huit vagues successives du 21 septembre au 15 octobre 2018 ne pouvait, pour des raisons organisationnelles, que toucher les clients [Y] immobilier, d’une part, et impliquer une redirection vers d’autres franchisés, d’autre part.

Il est constant que 814 personnes figurant dans les fichiers de l’agence Cocagne Immobilier ont été ciblées lors de cette campagne, que 149 ont ouvert le mail, que 27 ont cliqué sur le lien et que 24 personnes se sont désinscrites.

Century 21 France, qui se limite à produire ses règles RGPD à destination des agences Century 21 (pièce n°21) n’établit pas que seuls les prospects ayant demandé à bénéficier d’une estimation, suite aux campagnes marketing nationales, voient leurs données conservées plusieurs années. La circonstance que seules 24 personnes sur 814 se soient désinscrites tend plutôt à démontrer qu’à l’inverse, leurs coordonnées sont conservées, sauf démarche de désinscription, étant observé qu’aucune précision n’a été apportée quant à un « toilettage » ultérieur dudit fichier.

Les pièces versées aux débats montrent que la société Century 21 a continué à envoyer des mails aux clients et prospects de la société Cocagne en 2018, 2019 et 2021. Il s’ensuit que la société Century 21 a conservé les données litigieuses sur une durée de 3, 5ans.

La Cour retient que c’est à raison que le tribunal, s’appuyant sur le chiffres fournis par Cocagne immobilier sur la base du rapport mensuel d’aout 2018 réalisé par Century 21 (nombre de mandats de vente, % de mandats simples et de mandats de confiance, taux de transformation, % des vendeurs et acheteurs provenant de l’envoi d’un mailing), a estimé qu’un peu moins d’une vente par an, arrondi à une vente, provenait d’un client initialement touché par mailing.

La Cour retient en complément comme probante la note technique de Naxos sur la performance des campagnes mails marketing, selon laquelle :

1 800 000 mails ont été envoyés à l’automne 2018, donnant lieu à la collecte de 612 mandats ;

1 264 000 mails ont été envoyés en mars 2019, donnant lieu à la collecte de 115 mandats ;

922 317 mails ont été envoyés en octobre 2019, donnant lieu à collecte de 395 mandats.

Il s’en déduit un taux de conversion assez variable, qui, associé aux autres circonstances de l’espèce, notamment l’écoulement du temps lequel réduit la valeur du fichier -la clientèle en matière de transaction immobilière n’étant pas récurrente-, conduit à retenir que la valeur du gain manqué, qui doit être multipliée par la probabilité de son occurrence, le sera au cas présent à hauteur de 70 % durant les 3, 5 années durant lesquelles les données ont été utilisées.

La commission moyenne de la société Cocagne immobilier s’élevant à

11 599 euros par vente, le préjudice s’établit à la somme arrondie de 28 420 euros.

Le jugement entrepris est infirmé dans cette limite.

Sur la concurrence déloyale alléguée

La Cour constate que la demande de la société Cocagne immobilier est formulée à titre subsidiaire. La Cour retenant la responsabilité contractuelle de la société Century 21, elle n’a pas à examiner cette demande, et en conséquence n’a à statuer ni sur l’irrecevabilité de celle-ci sur le fondement de l’article 910-4 du code de procédure civile, ni sur la recevabilité de cette irrecevabilité.

Sur la perte de valeur du fonds de commerce

Moyens des parties

La société Cocagne Immobilier soutient avoir subi une perte de 60 % de la valeur de la clientèle et donc de son fonds de commerce en raison de la rétention de ses données personnelles pendant 22 jours et du détournement de sa clientèle. Elle indique qu’au 30 juin 2018 son fonds de commerce était valorisé dans ses comptes à 96 800 €. Elle estime dans ses écritures son préjudice à hauteur de 58 000 €.

La société Century 21 France conteste cette perte de valeur. Elle affirme que la valeur du fonds de commerce d’une agence immobilière s’évalue soit entre 30 % et 50 % du chiffre d’affaires HT, soit entre 0,5 et 1,5 fois le bénéfice net annuel. Selon la société Century 21 France l’activité de transaction de la société Cocagne Immobilier est valorisée entre 0,20 et 0,30 du chiffre d’affaires HT et il ressort de ses comptes annuels qu’elle a un résultat positif de 48 534 € et un chiffre d’affaires en 2018 de 268 000 €. Si la valeur du fonds de commerce de la société Cocagne Immobilier devait être pris en compte, ce qui ne lui paraît pas fondé, il devrait donc être évalué d’une part, entre 80 000 € et 130 000 € en prenant comme référence le chiffre d’affaires et d’autre part, entre 24 000 € et 60 000 € en prenant pour référence le bénéfice. Elle ajoute que Cocagne Immobilier produit son registre des mandats ce qui prouve qu’elle n’a pas perdu de clientèle, la totalité de la liste de ses mandats restant en sa possession et pouvant être exploités.

Réponse de la Cour

La Cour constate que, dans le dispositif de ses écritures, la société Cocagne immobilier, d’une part, demande la confirmation de la condamnation de la société Century 21 à l’indemniser du préjudice lié à la perte de valeur du fonds de commerce alors que le tribunal l’en a déboutée et, d’autre part, ne chiffre pas distinctement la demande formulée au titre de cette perte de valeur (la somme de 693 065 euros qu’elle retient résultant d’autres calculs n’intégrant pas cet aspect).

Il ne peut donc être fait droit à ces demandes telles que formulées.

A titre surabondant, la Cour retient qu’en l’état des pièces produites, aucun préjudice distinct n’est démontré.

Sur le préjudice moral

Moyen des parties

La société Cocagne Immobilier évalue à hauteur de 50 000 € son préjudice moral. La société Century 21 France ayant continué d’adresser des mails à sa clientèle, elle dit avoir subi une atteinte à son image et à sa réputation en lien avec la manipulation des réseaux sociaux et le détournement de clientèle, qui ont laissé croire à sa clientèle que la société Cocagne Immobilier avait disparu. Elle ajoute avoir dû remotiver ses équipes.

Century 21 France répond que Cocagne immobilier a adhéré immédiatement après la sortie de la franchise Century 21 au réseau Kekker Williams, pris comme nom commercial Millenium, et qu’elle a ensuite transféré son agence à La Parayrie, soit environ 16 km et 20 mn en voiture, devenant une simple annexe de l’agence d'[Localité 4] dirigée également par M. [X] [J] (pièces Century 21 n°20, 26, 27 et 29). Elle conteste qu’il y ait lieu à réparation sur le fondement du préjudice moral dans ces circonstances.

Réponse de la Cour

La Cour constate qu’il ne résulte pas des circonstances de la cause qu’un préjudice moral soit démontré.

Le jugement attaqué, qui a débouté Cocagne immobilier de ce chef, sera confirmé.

Sur la publication de l’arrêt

Moyen des parties

La société Cocagne Immobilier fait valoir que le comportement déloyal de la société Century 21 France justifie la publication de l’arrêt à intervenir dans une revue spécialisée aux frais de la société Century 21 France. Elle soutient que rien n’interdit une publication quand bien même la responsabilité retenue l’est sur un fondement contractuel et non délictuel.

Réponse de la Cour

C’est à raison que le tribunal a retenu, pour l’en débouter, que le protocole d’accord contient une clause de confidentialité et que les fautes retenues ne concernent pas les tiers à l’instance.

Le jugement sera confirmé.

Sur les autres demandes

La demande [Y] immobilier tendant à déclarer que la famille [F], dirigeant de la société Cocagne immobilier, reconnait avoir tenté de piéger la société Century 21 France en cliquant sur les mails reçus d’elle, manque de fondement en droit et en fait.

Le sens de l’arrêt commande de confirmer la décision du tribunal en ce qu’elle a débouté Century 21 de sa demande au titre de la résistance abusive de la société Cocagne immobilier.

Ajoutant à la décision de première instance et en considération des factures produites (lesquelles ne portent pas cependant la rémunération de l’expert de partie en informatique, dont le montant des honoraires reste non précisé), la Cour condamne Century 21 France à verser à Cocagne Immobilier la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Century 21, qui succombe en son appel, sera condamné aux dépens de celui-ci.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME le jugement du tribunal de commerce d’Evry du 11 janvier 2022 en ce qu’il a condamné la société Century 21 France à verser à la société Cocagne Immobilier la somme de 40.596 euros au titre de sa responsabilité contractuelle du fait de la non-destruction et de l’utilisation des données de l’EURL Cocagne Immobilier ;

statuant de nouveau,

CONDAMNE la société Century 21 France à verser à la société Cocagne Immobilier la somme de 28 420 euros en raison de son utilisation des données [Y] immobilier postérieurement à la résiliation du contrat de franchise en violation des dispositions du protocole d’accord du 28 septembre 2018 ;

LE CONFIRME en l’ensemble des autres dispositions qui lui sont soumises ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Century 21 France à verser à la société Cocagne Immobilier la somme supplémentaire de 4 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Century 21 France aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


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