Sur la nullité du protocole d’accord en date du 15 septembre 2017
Le tribunal a examiné la nature des conventions passées entre les parties le 15 septembre 2017, concluant qu’il s’agissait d’une transaction soumise aux dispositions de l’article 2044 du code civil. Le protocole d’accord signé ce jour-là s’analyse en une transaction entre les parties sur un litige à naître.
Sur l’existence de concessions réciproques
Les parties ont opéré des concessions réciproques conformes à leur volonté, permettant à chacune d’obtenir des avantages directs et indirects. M. [U] est tenu de payer la somme convenue à titre de dommages-intérêts en cas de défaillance de la société [H] JLJ.
Sur l’existence de manoeuvres dolosives de la société [H] JLJ
M. [U] n’a pas réussi à prouver les manoeuvres dolosives alléguées de la part de la société [H] JLJ. Par conséquent, sa demande en nullité du protocole et en dommages et intérêts a été rejetée.
Sur la demande en exécution du protocole d’accord du 15 septembre 2017
M. [U] est condamné à payer la somme convenue à la société [H] JLJ en raison de la défaillance de la société Le hangar à bateaux dans le remboursement du compte-courant.
Sur la demande en compensation formée par M. [U]
La demande en compensation de M. [U] a été rejetée car la condition de réciprocité des obligations n’était pas remplie entre la société [H] JLJ et Mme [H].
Sur la demande pour résistance abusive
La demande en dommages et intérêts pour résistance abusive de la part de la société [H] JLJ a été rejetée faute de preuves de préjudice.
Sur les autres demandes
M. [U] est condamné aux dépens et à verser une somme à la société [H] JLJ au titre des frais non compris dans les dépens. L’exécution provisoire est ordonnée.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
4ème chambre 1ère section
N° RG 20/07680
N° Portalis 352J-W-B7E-CSTGS
N° MINUTE :
Assignation du :
17 Août 2020
JUGEMENT
rendu le 06 Février 2024
DEMANDERESSE
S.A.R.L. [H] JLJ
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Jonathan ADWOKAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0239
DÉFENDEUR
Monsieur [Y] [U]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représenté par Me Laurence MAROT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E2105
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Géraldine DETIENNE, Vice-Présidente
Nathalie VASSORT-REGRENY, Vice-Présidente
Pierre CHAFFENET, Juge
assistés de Nadia SHAKI, Greffier,
Décision du 06 Février 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 20/07680 – N° Portalis 352J-W-B7E-CSTGS
DÉBATS
A l’audience du 21 Novembre 2023 tenue en audience publique devant Monsieur CHAFFENET, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
JUGEMENT
Prononcé par mise à disposition
Contradictoire
En premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE
Suivant acte du 15 février 2016, M. [Y] [U] et Mme [E] [H] ont créé la SARL Le hangar à bateaux aux fins d’acquisition d’un fonds de commerce « [4] » sis [Adresse 1].
En suite d’une mésentente entre les deux partenaires, M. [U], désireux de poursuivre seul l’activité de la société, a proposé à la SARL [H] JLJ, gérée par Mme [H] et propriétaire des parts dans la société Le hangar à bateaux, de lui céder celles-ci par le biais d’une réduction de capital.
Le 15 septembre 2017, la société [H] JLJ a signé avec la société Le hangar à bateaux, représenté par M. [U], une convention d’abandon de son compte-courant d’associé valorisé à la somme de 37.764 euros, avec clause de retour à meilleure fortune courant jusqu’au 31 décembre 2019.
Par protocole d’accord signé le même jour, M. [U] s’est engagé, à titre personnel, à payer à la société [H] JLJ la somme de 38.000 euros à titre d’indemnisation en cas d’absence de remboursement par la société Le hangar à bateaux du compte-courant sous ce même délai.
Par courrier en date du 18 février 2020, la société [H] JLJ, faisant valoir l’ouverture le même jour d’une procédure de redressement judiciaire à l’encontre de la société Le hangar à bateaux, a mis en demeure M. [U] d’avoir à honorer son engagement.
Les échanges qui s’en sont suivis n’ayant pas permis aux parties de trouver une issue amiable à leur litige, par acte d’huissier de justice en date du 17 août 2020, la société [H] JLJ a fait assigner M. [U] devant le tribunal judiciaire de Paris.
Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 21 décembre 2022, la société [H] JLJ demande au tribunal de :
“Vu les articles 1101 et suivants, 1217, 1231-1 et 1342 du Code Civil,
Vu le protocole d’accord du 15 septembre 2017,
(…)
RECEVOIR la société [H] JLJ en l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions.
Y faisant droit :
DEBOUTER Monsieur [Y] [U] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
CONDAMNER Monsieur [Y] [U] à payer la somme de 38.000 euros à la société [H] JLJ sur le fondement du protocole signé entre les parties le 15 septembre 2017.
CONDAMNER Monsieur [Y] [U] à payer la somme de 5.000 euros à la société [H] JLJ à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive.
CONDAMNER Monsieur [Y] [U] à payer à la société [H] une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
CONDAMNER Monsieur [Y] [U] aux entiers dépens de la présente instance en application de l’article 696 du Code de procédure civile et autoriser Maître ADWOKAT, avocat au barreau de PARIS, à procéder à leur recouvrement direct dans les conditions de l’article 699 du même code”.
Elle soutient en substance que M. [U] est tenu de son engagement formalisé dans le protocole du 15 septembre 2017 dès lors que la SARL Le hangar à bateaux n’a connu avant le 31 décembre 2019 aucune amélioration de sa situation financière lui permettant de rembourser le montant du compte-courant créditeur dont elle disposait au sein de cette société.
En réponse aux moyens développés en défense, elle conclut à la validité du protocole signé par M. [U] dès lors que cette convention forme un tout avec celle d’abandon de son compte-courant comme en constituant la contrepartie nécessaire, la société demanderesse indiquant n’avoir jamais souhaité abandonner sans garantie la créance y figurant ; que seule la ratification de ces deux actes l’a donc amenée à accepter la proposition de M. [U] et a permis à ce dernier de reprendre la gérance de la SARL Le hangar à bateaux conformément à son souhait. Elle en déduit que les deux conventions trouvent leur contrepartie l’une dans l’autre.
Elle conteste par ailleurs toute preuve du dol allégué par M. [U], relevant que les éléments communiqués émanent de la main de ce dernier ou se trouvent tronqués, qu’aucune preuve objective n’est donc donnée de prétendus prélèvements de trésorerie inexpliqués et de ce qu’ils résulteraient de manoeuvres de Mme [H]. Elle ajoute que postérieurement à l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de la SARL Le hangar à bateaux, elle n’a pas été contactée par les organes de cette procédure en raison des faits prétendument dénoncés par son associé et gérant. Elle conteste également dans ces circonstances toute faute de sa part ayant pu conduire à un préjudice pour M. [U], en outre non démontré dans son quantum.
Enfin, sur la demande en compensation formée à titre reconventionnel par M. [U] en raison d’une créance personnelle de Mme [H], elle fait valoir l’indépendance de son patrimoine et de celui de Mme [H], de sorte que cette demande ne peut selon elle prospérer.
Décision du 06 Février 2024
4ème chambre 1ère section
N° RG 20/07680 – N° Portalis 352J-W-B7E-CSTGS
Par dernières écritures régularisées par la voie électronique le 23 novembre 2022, M. [U] demande au tribunal de :
“Vu les articles 2044, 1107, 1167, 1128, 1130, 1131, 1137 et suivants,
Vu les articles 1240 et suivants du code civil,
(…)
A TITRE PRINCIPAL :
• PRONONCER la nullité du protocole d’accord du 15 septembre 2017 pour contrepartie illusoire ;
• PRONONCER la nullité du protocole d’accord du 15 septembre 2017 pour défaut de concessions réciproques ;
A TITRE SUBISIDIAIRE :
• DIRE ET JUGER que la société [H] JLJ a commis des manœuvres dolosives à l’encontre de M. [Y] [U], de nature à vicier son consentement ;
En conséquence,
• PRONONCER la nullité du protocole d’accord du 15 septembre 2017 pour dol ;
A TITRE PLUS SUBSIDIAIRE :
• DIRE ET JUGER que la société [H] JLJ a commis des manœuvres dolosives à l’encontre de M. [Y] [U], de nature à lui causer un préjudice financier.
En conséquence,
• CONDAMNER la société [H] JLJ à verser à M. [Y] [U] la somme à parfaire de 38.000 euros ;
A TITRE INFINIMENT PLUS SUBSIDIAIRE :
• REDUIRE à 33.000 euros, la somme de 38.000 euros dont le paiement est exigé par la demanderesse, Mme [H] ayant reconnu expressément devoir une somme de 5.000 euros à la Société.
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
• DEBOUTER la société [H] JLJ de l’intégralité de ses demandes ;
• CONDAMNER la société [H] JLJ à supporter la charge des entiers dépens de l’instance ;
• CONDAMNER la société [H] JLJ à verser à M. [Y] [U] la somme de 5.000 €au titre de l’article 700 du code de procédure civile”.
Qualifiant tout d’abord le protocole signé le 15 septembre 2017 de contrat à titre onéreux, il soutient que ce dernier est nul, faute de contrepartie à son engagement, puisque celle allouée par la société [H] JLJ fait double emploi avec celle objet de la convention d’abandon de compte courant. Il ajoute que cette contrepartie est à tout le moins et compte tenu de ces circonstances, illusoire. Qualifiant ensuite ce même protocole d’accord transactionnel car devant mettre fin à la mésentente entre les associés de la société Le hangar à bateaux, il soutient pareillement que cette convention est dépourvue de concession de la part de la demanderesse.
Subsidiairement, il reproche pour l’essentiel à Mme [H] d’avoir opéré, à plusieurs reprises et avec l’aval de l’expert-comptable de la SARL Le hangar à bateaux, des prélèvements dans la trésorerie à des fins personnelles et d’avoir ainsi altéré les comptes de la société, augmentant donc artificiellement la valeur de ses parts. Il estime que Mme [H] lui a sciemment dissimulé ces malversations car, dûment informé de celles-ci, il n’aurait jamais entendu signer les conventions en cause pour les montants y figurant. Il conclut en conséquence à la nullité pour dol du protocole du 15 septembre 2017.
A titre plus subsidiaire, il considère que ces mêmes malversations engagent la responsabilité délictuelle de la société [H] JLJ car constitutives de fautes lui ayant fait perdre une chance de signer un protocole d’accord dans des conditions plus avantageuses. Il évalue alors son préjudice à la somme figurant au protocole puisque, sans ces fautes, il aurait refusé de conclure cet accord et ne se trouverait donc pas débiteur de cette somme.
A titre infiniment subsidiaire, il fait valoir une dette reconnue de Mme [H] envers la société Le hangar à bateaux de 5.000 euros, venant nécessairement diminuer le montant dont il pourrait être reconnu redevable.
La clôture a été ordonnée le 3 janvier 2023, l’affaire plaidée lors de l’audience du 21 novembre 2023 et mise en délibéré au 6 février 2024.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux dernières écritures des parties conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la nullité du protocole d’accord en date du 15 septembre 2017
Sur la nature de l’accord passé entre les parties
M. [U] invoquant cumulativement les règles de validité particulières tant aux contrats à titre onéreux qu’aux transactions, il revient au tribunal de déterminer, à titre liminaire, la nature des conventions passées entre les parties le 15 septembre 2017.
L’article 1108 du code civil dispose en son alinéa 1er que : « Le contrat est commutatif lorsque chacune des parties s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit ».
L’article 2044 du même code prévoit que : « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
Ce contrat doit être rédigé par écrit ».
En matière d’interprétation des contrats, l’article 1188 du code civil dispose que : « Le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation ».
L’article 1189 ajoute que : « Toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier.
Lorsque, dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle-ci ».
En l’espèce, il y a tout d’abord lieu de relever que le contrat dont M. [U] conteste la validité a été dénommé par les parties : « Protocole d’accord » et a été conclu le 15 septembre 2017, soit le même jour que la convention d’abandon de créance consentie par la société [H] JLJ à la société Le hangar à bateaux.
Le protocole rappelle ainsi tout d’abord que les parties ont tenté de se rapprocher pour organiser la reprise par M. [U] seul de la société Le hangar à bateaux, sans succès en raison du refus de la société [H] JLJ de procéder à un abandon de son compte-courant créancier au sein de cette même société.
Il est alors stipulé : « un accord a alors pu être trouvé en intégrant à l’abandon de créance consenti par la Sarl [H] JLJ une clause de retour à meilleure fortune dans un délai de deux ans à compter du 30 septembre 2017, date de clôture de l’exercice en cours, et il a été convenu à titre de garantie qu’à défaut de remboursement intégral du compte courant par la Sarl LE HANGAR A BATEAUX au terme de ce délai, Monsieur [Y] [U] deviendrait alors débiteur à titre personnel vis-à-vis de la Sarl [H] JLJ d’une créance de dommages et intérêts correspondant au préjudice subi par cette dernière du fait de cet abandon ».
L’article 1er du protocole, lequel rappelle l’existence de la convention d’abandon de créance et indique que celle-ci est annexée au protocole, fixe le montant de cette créance à la somme de 38.000 euros.
Il se déduit de ces éléments une volonté claire des parties de lier le sort de ces deux conventions, l’engagement de M. [U] devant suppléer toute carence de la société Le hangar à bateaux dans l’exécution de son obligation fixée par la convention d’abandon de créance.
L’article 2 du protocole prévoit que : « Monsieur [Y] [U] renonce à faire valoir quelque opposition que ce soit au paiement intégral de cette somme dont le montant a été librement fixé par les deux parties, en contrepartie des concessions faites par Madame [E] [H] pour permettre à Monsieur [Y] [U] de poursuivre seul l’exploitation du fonds ».
Enfin, l’article 3 stipule que « les parties déclarent que le présent accord a été conclu entre elles librement et après qu’elles aient été informées par leurs conseils des conséquences de leurs engagements et de leurs droits respectifs ».
Il résulte du tout que les parties ont entendu par le contrat objet des débats régler leur litige quant aux droits de la société [H] JLJ au sein de la société Le hangar à bateaux en raison de la séparation de ses associés fondateurs, M. [U] et Mme [H] et ce, par l’annonce de concessions réciproques permettant in fine à M. [U] de conserver la gestion de cette société et poursuivre son activité.
Aussi, le « Protocole d’accord » signé entre les parties le 15 septembre 2017 s’analyse en une transaction entre les parties sur un litige à naître, laquelle se trouve donc soumise pour sa validité aux dispositions de l’article 2044 du code civil.
Sur l’existence de concessions réciproques
Ainsi qu’en dispose l’article 2044 du code civil, il est nécessaire pour qu’une transaction soit valide, que les parties la concluant acceptent des concessions réciproques, lesquelles ne consistent pas nécessairement en une renonciation à des droits, les parties pouvant tout autant prévoir la naissance d’obligations positives à la charge de l’une d’elles ou réciproques entre elles.
L’existence de concessions réciproques ne supposent pas non plus une équivalence parfaite, les parties s’engageant librement dans les obligations ou renonciations dont elles conviennent à l’issue de leurs pourparlers éventuels.
En l’espèce et ainsi que précédemment retenu, la lecture conjointe des deux actes permet de comprendre une intention unique des parties de réaliser une opération économique globale par la conclusion simultanée de ces derniers.
En effet, il ressort de la convention d’abandon de créance entre la société [H] JLJ et la société Le hangar à bateaux, que la première a consenti à cet abandon sous réserve d’un remboursement par sa débitrice en cas de retour à meilleure fortune sous un délai de deux ans.
Cette créance de la société [H] JLJ se trouve confirmée par une attestation de l’expert-comptable de la société Le hangar à bateaux en date du 4 avril 2017, lequel confirme l’existence d’un compte-courant créditeur de cette société à hauteur de la somme de 46.602,87 euros au 28 février 2017.
Si, ainsi que le souligne M. [U], le protocole d’accord ne contient aucun engagement formel de la société [H] JLJ, il se déduit alors des termes des deux actes que l’engagement de M. [U] en qualité de personne physique constituait une condition nécessaire à cet abandon d’une créance importante par la société demanderesse, lui assurant, en cas d’absence de retour à meilleure fortune de la société Le hangar à bateaux, un second débiteur aux capacités de remboursement qu’elle a estimé meilleures.
Il n’est alors pas contesté qu’en suite de la signature de ce double accord, la société [H] JLJ n’a élevé aucune opposition à son retrait de la société Le hangar à bateaux via un rachat de ses parts par baisse du capital de la société. Elle n’a pas davantage sollicité, avant le terme convenu, le remboursement de son compte-courant.
Ce retrait a permis, d’une part, à la société Le hangar à bateaux de poursuivre son activité et, d’autre part, à M. [U], avec la société Tribioon qu’il gérait, de rester seuls actionnaires de la société Le hangar à bateaux, lui assurant de fait et conformément à sa volonté, la gérance de la société. Cette qualité ressort d’ailleurs de l’extrait k-bis produit aux débats.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, le tribunal est en mesure d’apprécier que les parties ont, par les conventions signées le 15 septembre 2017, opéré entre elles des concessions réciproques conformes à leur volonté et sources pour chacune de bénéfices directs et indirects puisqu’assurant, pour la société [H] JLJ d’une part, le remboursement de son compte-courant d’associé et, pour M. [U] d’autre part, la poursuite de l’activité de la société Le Hangar à bateaux dont il devenait l’actionnaire de premier plan et le gérant.
La demande en nullité du protocole sera donc rejetée sur ce premier fondement.
Sur l’existence de manoeuvres dolosives de la société [H] JLJ
Selon l’article 1128 du code civil, “Sont nécessaires à la validité d’un contrat :
1° Le consentement des parties ;
2° Leur capacité de contracter ;
3° Un contenu licite et certain”.
L’article 1130 de ce code dispose que : “L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.
Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné”.
L’article 1137 définit alors le dol de la manière suivante :
“Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.
Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation”.
Il en résulte que la partie qui soutient que son consentement a été vicié par des manoeuvres de son cocontractant doit non seulement établir la réalité des manoeuvres qu’elle allègue en vue de lui dissimuler certaines informations, mais également le caractère déterminant de ces dernières en vue de s’engager contractuellement.
A cet égard, M. [U] reproche la dissimulation par Mme [H] de prélèvements à des fins personnelles dans la trésorerie de la société Le hangar à bateaux et d’avoir ainsi altéré les comptes de la société.
Au soutien de cette affirmation, il produit :
– la photographie d’un document portant des mentions manuscrites, dont l’auteur et la date restent inconnus et dont le contenu, en l’absence de plus amples explications, ne permet aucun rattachement avec des éventuels prélèvements indus opérés par Mme [H],
– un courrier de sa part en date du 29 mai 2020 avec joint cette même photographie, dans lequel il se borne à affirmer que ce « document retrouvé » est de la main de Mme [H] et que « tout le monde reconnaît son écriture »,
– deux « capture[s] d’écran du relevé des comptes » de la société Le hangar à bateaux sur lesquelles une seule ligne est visible, ce qui ne permet pas au tribunal de déterminer l’origine et la véracité de ces extraits, ou encore même la nature et la cause du mouvement prétendument retranscrit.
Ces éléments sont ainsi manifestement insuffisants à établir les manoeuvres alléguées à l’encontre de Mme [H], étant au surplus rappelé que celle-ci n’est pas partie à l’instance et que rien ne permet au tribunal de déterminer si les manoeuvres alléguées ont bénéficié à la société [H] JLJ, seule en la cause.
M. [U] communique enfin un courriel de Mme [H] en date du 7 mars 2018, dans lequel celle-ci se reconnaît débitrice d’une somme de 5.000 euros « prélevé[e] dans la caisse de la SARL Le hangar à Bateaux ». Mme [H] souligne avoir opéré ce prélèvement « de façon tout à fait transparente, puisque j’ai noté à ton intention et à celle du comptable les sommes exactes pour un total de 5.000 € ».
Ce courriel ne donne aucune précision sur la date du prélèvement en cause et partant, sur son antériorité aux conventions signées le 15 septembre 2017. De plus, à supposer ce prélèvement antérieur, il s’en évince que M. [U] en avait connaissance au jour du contrat et rien ne permet de retenir que cette manoeuvre aurait pu le faire renoncer aux engagements souscrits le 15 septembre 2017.
Dans ces circonstances, en l’absence de caractérisation de manoeuvres dolosives de la part de la société [H] JLJ au moment de la signature des conventions, M. [U] sera débouté de sa demande en nullité du protocole sur ce fondement.
La demande en dommages et intérêts à hauteur de 38.000 euros formée par M. [U] à l’encontre de la société [H] JLJ, se fondant sur ces mêmes manoeuvres dolosives non caractérisées, sera également rejetée pour ces motifs.
Sur la demande en exécution du protocole d’accord du 15 septembre 2017
Conformément à l’article 1103 du code civil, « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
L’article 1104 dispose que : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
Cette disposition est d’ordre public ».
Selon l’article 1217 du code civil, « La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut (…) poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation (…) ».
En l’espèce, l’article 1er du protocole d’accord en date du 15 septembre 2017 stipule que :
« La Sarl [H] JLJ, a, par acte séparé annexé aux présentes, abandonné la créance qu’elle détenait à titre de compte courant dans la Sarl LE HANGAR A BATEAUX d’un montant total de 37.764 euros, sous condition résolutoire de retour à meilleure fortune dans un délai de 2 ans à compter du 30 septembre 2017, expirant le 30 septembre 2019. Si, à l’intérieur de ce délai, la situation financière du débiteur ne s’est pas améliorée selon les conditions prévues à cet acte et/ou n’a pas permis le remboursement intégral de ce compte courant pour quelque cause que ce soit, Monsieur [Y] [U] s’engage à titre personnel à verser à la Sarl [H] JLJ la somme forfaitaire et définitive de 38.000 € (trente-huit mille euros) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice. Le paiement devra intervenir au plus tard le trente et un décembre deux mille dix neuf (31/12/2019).
Toutefois si une partie du compte courant de la Sarl [H] JLJ lui avait été remboursée par la Sarl LE HANGAR A BATEAUX dans le délai de deux ans ci-dessus stipulé, cette créance de dommages et intérêts serait diminuée à due concurrence du montant déjà versé ».
M. [U], gérant de la société Le hangar à bateaux, ne conteste pas l’absence de remboursement par cette dernière de la somme fixée à la convention d’abandon de compte-courant. Il résulte en outre des éléments aux débats que cette société a été placée en redressement judiciaire le 18 février 2020 en raison d’une cessation des paiements fixée à la date du 14 septembre 2018.
Il s’en déduit une impossibilité pour la société Le hangar à bateaux de procéder au remboursement du compte-courant de la société [H] JLJ dans le délai convenu, soit jusqu’au 31 décembre 2019.
Dès lors, M. [U] se trouve tenu de procéder au paiement de la somme convenue entre les parties à titre de dommages-intérêts en cas de défaillance de la société [H] JLJ, soit la somme de 38.000 euros.
M. [U] sera en conséquence condamné à payer à la société [H] JLJ la somme de 38.000 euros.
Sur la demande en compensation formée par M. [U]
M. [U] demande au tribunal de procéder à une réduction de la somme de 38.000 euros à 33.000 euros en raison d’une dette de 5.000 euros reconnue par Mme [H] et qu’elle n’aurait pas remboursée.
Cette demande s’analyse en une compensation, laquelle se trouve définie à l’article 1347 du code civil comme « l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes.
Elle s’opère, sous réserve d’être invoquée, à due concurrence, à la date où ses conditions se trouvent réunies ».
Toutefois, comme le souligne la société [H] JLJ, cette somme serait due uniquement par Mme [H], laquelle n’a pas été mise en cause et est étrangère aux deux conventions du 15 septembre 2017 signées par la société [H] JLJ.
En dépit des pratiques manifestement adoptées tant par Mme [H] que par M. [U] au cours de leur partenariat, aucune confusion des patrimoines ne peut être opérée entre la société [H] JLJ, d’une part, et Mme [H], d’autre part, peu important sa qualité de gérante de cette société.
Dans ces conditions, la condition de réciprocité des obligations prévue à l’article 1347 du code civil n’étant pas remplie, la demande en compensation de M. [U] ne peut qu’être rejetée.
Sur la demande pour résistance abusive
Selon l’article 1217 du code civil, « La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut :
– refuser d’exécuter ou suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
– poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ;
– obtenir une réduction du prix ;
– provoquer la résolution du contrat ;
– demander réparation des conséquences de l’inexécution.
Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s’y ajouter ».
L’article 1231-1 du même code ajoute que : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure ».
Il revient sur ce fondement à la partie qui invoque un manquement de son cocontractant à ses obligations contractuelles de rapporter la preuve de ce manquement ainsi que du préjudice subi en lien causal avec ce dernier.
En l’espèce, si la société [H] JLJ sollicite une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts, elle ne verse néanmoins aucune pièce aux débats établissant que l’absence de paiement par M. [U] de la somme due aurait été source, pour elle, d’un quelconque préjudice.
Dès lors et en l’absence de plus amples moyens ou éléments aux débats, sa demande sera rejetée.
Sur les autres demandes
M. [U], succombant, sera condamné aux dépens.
Il convient, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de mettre à sa charge une partie des frais non compris dans les dépens et exposés par la société [H] JLJ à l’occasion de la présente instance. Il sera ainsi condamné à lui payer la somme de 3.000 euros à ce titre.
L’exécution provisoire est, en vertu des articles 514-1 à 514-6 du code de procédure civile issus du décret 2019-1333 du 11 décembre 2019, de droit pour les instances introduites comme en l’espèce à compter du 1er janvier 2020. Il n’y a pas lieu de l’écarter.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
Rejette la demande en nullité formée par M. [Y] [U] de la convention intitulée « Protocole d’accord » signée le 15 septembre 2017 entre lui et la SARL [H] JLJ,
Condamne M. [Y] [U] à payer à la SARL [H] JLJ la somme de 38.000 euros en exécution de cette même convention,
Déboute M. [Y] [U] de sa demande indemnitaire à hauteur de 38.000 euros,
Déboute M. [Y] [U] de sa demande en compensation,
Déboute la SARL [H] JLJ de sa demande pour résistance abusive,
Condamne M. [Y] [U] à payer à la SARL [H] JLJ la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [Y] [U] aux dépens, lesquels pourront être recouvrés par Me Adwokat, avocat au barreau de Paris, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande plus ample ou contraire des parties,
Rappelle que la présente décision est de droit exécutoire par provision.
Fait et jugé à Paris le 06 Février 2024.
Le GreffierLa Présidente
Nadia SHAKIGéraldine DETIENNE