Certificat d’authenticité d’une oeuvre d’art : quelle forme et quelle responsabilité ?

Certificat d’authenticité d’une oeuvre d’art : quelle forme et quelle responsabilité ?

La loi ne fixe aucune condition spécifique à la rédaction d’un certificat d’authenticité d’oeuvre d’art. En revanche, l’attestation libre faite par un héritier engage sa responsabilité à l’égard des acheteurs.

Pour faire valoir ce que de droit

Dans cette affaire, signant une attestation par laquelle elle reconnaissait la table litigieuse comme « étant l’oeuvre de son père » et l’assortissant de la mention « Pour faire valoir ce que de droit », Madame [T] avait nécessairement conscience de la valeur que pouvait donner ce document au bien en cause, alors en possession de Monsieur [W], brocanteur-antiquaire et, par voie de conséquence, destiné à être vendu.

Confirmation de l’authenticité à une maison de vente aux enchères

Confirmant ensuite le 17 octobre 2015, à la demande du vendeur par téléphone, les termes de son attestation, Madame [T] savait que celle-ci servait dans le cadre d’une vente, ce qui a par ailleurs été corroboré lorsque, avertie par e-mail du 25 février 2016 de la galerie [N] de l’imminence d’une revente de la table par la maison de vente Phillips à New-York au mois d’avril 2016, elle a estimé que, par référence à son attestation de 2011, « le certificat qui a été fait devrait suffire » (ce qui a permis, dans un e-mail du 11 mars 2016 à Monsieur [Y] [I], directeur du design de la maison de vente new-yorkaise, de certifier à Monsieur [D] [B], « Senior International Specialist, Design » de la même maison, que l’attestation de Madame [T] restait « valable » – « still stands »).

Dans le cadre d’une première vente au mois d’octobre 2015 et d’une revente prévue au mois d’avril 2016 dont elle a eu connaissance au mois de février 2016, corroborant les termes d’une attestation valant, bien qu’elle s’en défende, certificat d’authenticité, Madame [T] ne peut affirmer avoir seulement entendu « exercer son droit moral ».

Elle n’a par ailleurs pas refusé à la maison de vente Phillips de dresser un certificat d’authenticité de la table, estimant qu’elle disposait déjà d’un tel document, mais seulement de rédiger une « brève déclaration ou un court texte » qui lui étaient seuls demandés (« a short statement or essay », e-mail précité de Monsieur [I] du 11 mars 2016), déclaration qui aurait enrichi le catalogue de vente mais dont l’absence n’a pas fait perdre de valeur à son attestation de 2011.

Légèreté et imprudence de l’héritière

Ce faisant en connaissance de cause, Madame [T] a fait preuve d’une certaine légèreté et d’imprudence alors qu’elle ne justifie d’aucune diligence particulière permettant de confirmer la paternité de l”uvre, par un examen personnel et approfondi de la table ou par une consultation dès 2011 et au plus tard au mois d’octobre 2015 d’un expert du design et du travail de [O] [T].

L’absence de réserves est fautive

Cette légèreté et cette imprudence sont d’autant plus blâmables que, sachant qu’il lui était demandé de sécuriser la vente de la table pour un prix de 180.000 euros, elle n’a émis aucune réserve, alors qu’il lui était loisible de préciser qu’elle n’avait pas examiné elle-même ni fait examiner la table, d’indiquer qu’elle n’était pas experte ni même spécialiste du travail de son père ou encore d’être moins affirmative quant à la paternité de la table et d’indiquer qu’elle « pourrait », seulement, correspondre à l’une de ces oeuvres : elle ne peut se défendre en affirmant qu’elle « ne pouvait que confirmer » les termes de son attestation de 2011 alors qu’elle n’y était nullement obligée. Madame [T] ne peut pas, a posteriori, rappeler qu’elle n’est pas experte alors qu’il lui appartenait, si elle n’en avait pas les compétences, de ne pas délivrer l’attestation de 2011 et de ne pas la confirmer en 2015 puis en 2016.

Elle ne peut pas non plus, dans ses écritures, affirmer que l’authenticité de l”uvre n’était pas évidente et qu’un doute était légitime, alors qu’elle n’a aux mois d’octobre 2011, octobre 2015 et février 2016 exprimé aucun doute sur cette authenticité.

Madame [T] a exprimé ce doute, par un refus de position ou le rappel qu’elle n’était pas experte, seulement après avoir été alertée par Monsieur [I], de la maison Phillips, de la présence de rouille sur le haut des pieds non exposés aux intempéries lorsque la table est montée, laissant entendre que les pieds avaient été conservés sans être attachés au plateau, ainsi que cela résulte des termes de l’e-mail du 11 mars 2016, précité, adressé par le directeur du design de la maison de vente new-yorkaise à Monsieur [B].

Il apparaît ainsi qu’elle n’avait pas lors de son attestation ni lors de la confirmation orale de ses termes, procédé à un examen attentif de la table et avait trop rapidement émis son avis.

Madame [T] ensuite, sachant que la galerie [N] avait acquis la table pour un prix de 180.000 euros pour être remise en vente par la maison Phillips qui garantissait un prix minimum de 600.000 livres sterling, a par courrier du 17 mars 2016 indiqué à la première que « des investigations complémentaires (‘) menées auprès de spécialistes de l”uvre de [O] [T] » l’amenaient « à reconsidérer sa position initiale », ne pouvant alors plus « attester ni dans un sens, dans un autre, l’attribution de cette table à [O] [T] ».

Reconsidérant sa position initiale qui tendait à affirmer la paternité de son père sur la table, Madame [T] a bien ainsi, malgré ses dénégations, opéré un « revirement ».

Ce courrier, adressé à la galerie d’art un mois après que la table eût été envoyée à New-York (ce dont Madame [T] avait connaissance ainsi qu’en attestent les e-mails précités du mois de février 2016) et un mois avant sa mise en vente aux enchères, relève également d’une légèreté blâmable alors qu’aucune explication ni précision n’est donnée concernant l’identité et l’avis des « spécialistes » consultés.

Ces explications n’ont pas plus été données à l’expert judiciaire, Madame [T] expliquant que les personnes interrogées ne souhaitaient pas voir leurs noms mentionnés en justice.

Une « dissimulation » fautive de ces informations n’est pas caractérisée et est en tout état de cause sans emport, alors que l’expert doit être en mesure de mener personnellement ses investigations sans l’avis de tiers. Mais Madame [T], qui a indiqué à l’expert avoir obtenu de manière informelle des « avis » de personnes connaissant l”uvre de son père qui lui « ont amicalement confié leurs doutes » apparaît ainsi être revenue sur sa position initiale sur la base d’éléments peu solides et non d’une expertise sérieuse.

Ce revirement confirme plus avant la légèreté dont Madame [T] a pu faire preuve en signant son attestation le 10 octobre 2011 et en confirmant les termes de celle-ci le 17 octobre 2015.

Elle ne peut affirmer avoir changé d’avis au regard de la recrudescence des affaires de faux mobiliers de [O] [T], alors qu’elle fait état d’un arrêt du 8 janvier 2015 de la Cour d’appel de Bordeaux (troisième chambre correctionnelle, statuant en qualité de juridiction interrégionale spécialisée), antérieur à la confirmation au mois d’octobre 2015 de son attestation de 2011, d’une part, et d’un article du Figaro du 30 mars 2017 évoquant une instruction en cours concernant la vente de faux meubles de [O] [T] sur des accusations portées « depuis neuf ans » et qui n’étaient donc pas nouvelles au mois de mars 2016, d’autre part. Madame [T] ne peut non plus soutenir que son revirement s’explique par l’augmentation très importante de la valeur du mobilier [O] [T], évoquant une seule vente publique d’une table pour un prix record de 1.241.300 euros (ainsi que d’une paire de fauteuils pour un prix de 63.800 euros et d’un fauteuil pivotant pour un prix de 85.815 euros), intervenue chez Artcurial le 19 mai 2014, plus d’un an avant qu’elle ne confirme en 2015 son attestation de 2011.

Responsabilité des héritiers

La légèreté et l’imprudence de Madame [T] lors de la rédaction de son attestation du 19 octobre 2011 et de la confirmation orale des termes de celle-ci le 17 octobre 2015 dans le cadre de la vente de la table, reconnaissant l’oeuvre de son père sans examen approfondi ni aucune réserve et déterminant Monsieur [N] à acquérir le bien avec la conviction qu’il s’agissait d’un meuble [O] [T], est donc en lien direct avec l’erreur substantielle révélée ensuite par l’émission d’un doute sur la paternité de l’oeuvre, erreur justifiant l’annulation de la vente.

La juridiction a retenu la responsabilité délictuelle de Madame [T] à l’encontre de la galerie [N].


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