Harcèlement moral au Travail : décision du 7 mars 2024 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00155

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Harcèlement moral au Travail : décision du 7 mars 2024 Cour d’appel de Versailles RG n° 22/00155
Ce point juridique est utile ?

Mme [VE] [S] a été victime de harcèlement moral au travail, caractérisé par des pratiques d’isolement, des interventions directes de ses responsables hiérarchiques auprès de ses collaborateurs, et une mise à l’écart au sein de son service. La cour a jugé que son licenciement pour inaptitude était nul en raison de l’origine de son état dépressif réactionnel aux agissements de harcèlement moral. Elle a reçu des dommages-intérêts de 3 000 euros pour le harcèlement moral, une indemnité pour licenciement nul de 21 738,60 euros, et une indemnité compensatrice de préavis de 21 738,60 euros. La SAS CANON France a également été condamnée à remettre des documents conformes à Mme [VE] [S] et à lui verser 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que de payer les dépens.

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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 07 MARS 2024

N° RG 22/00155 – N° Portalis DBV3-V-B7G-U6IB

AFFAIRE :

[VE] [S]

C/

Société CANON FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Novembre 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de POISSY

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : F 21/00084

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Jean-Michel DUDEFFANT

Me Franck LAFON

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEPT MARS DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [VE] [S]

née le 08 Février 1958 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Jean-Michel DUDEFFANT avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0549

APPELANTE

****************

Société CANON FRANCE

N° SIRET : 738 205 269

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 – substitué par Me Lucas AUBRY avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 19 Décembre 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie COURTOIS, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Président,

Madame Véronique PITE, Conseiller,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Isabelle FIORE,

FAITS ET PROCÉDURE

A compter du 17 janvier 1983, Mme [VE] [S] a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d’employée administrative, par la société Canon Grand Public, aux droits de laquelle vient désormais la S.A.S.Canon France, qui a pour activité l’achat, l’importation, la fabrication, la vente, la location, la représentation de tous appareils accessoires et produits photographiques et cinématographiques, emploie plus de dix salariés et relève de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie.

En dernier lieu, Mme [VE] [S] occupait les fonctions de chef de service relation clientèle, statut cadre.

Par courrier du 22 avril 2015, la S.A.S.Canon France a informé Mme [VE] [S] du rejet de sa demande de départ en préretraite.

A compter du 28 septembre 2016, Mme [VE] [S] a été placée en arrêt de travail de façon continue.

Le 14 novembre 2017, lors de la visite de reprise, le médecin du travail a émis l’avis suivant ‘inaptitude prévisible au poste et à tout poste dans l’entreprise à la reprise. Pas de reclassement envisageable’.

Le 29 novembre 2017, le médecin du travail a émis l’avis suivant: ‘Inapte à tout poste dans l’entreprise. Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé’.

Convoquée le 11 décembre 2017, à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 20 décembre suivant, Mme [VE] [S] a été licenciée par courrier du 28 décembre 2017, énonçant une inaptitude d’origine non professionnelle, et une impossibilité de reclassement.

La lettre de licenciement est ainsi rédigée :

« Madame,

Nous faisons suite à l’entretien préalable, initialement prévu le 20 décembre 2017 à 14 h 00, reporté au 21 décembre 2017, à 14h00, pour lequel vous étiez assistée de Madame [XI] [J].

Vous étiez en arrêt de travail depuis le 28 septembre 2016.

Par avis du médecin du travail du 29 novembre 2017, vous avez été déclarée inapte à votre poste de travail, à la suite de la visite de reprise du même jour.

Le médecin du travail, dans son avis du 29 novembre 2017, a conclu à votre inaptitude, au poste de travail de Chef de Service que vous occupiez, dans les termes suivants :

« Inapte à tout poste dans l’entreprise. Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé. ».

Cette mention expresse inscrite par le médecin du travail exclut toute possibilité de reclassement, conformément à l’article L1226-2-1 du code du travail.

De ce fait, nous sommes donc contraints de vous notifier votre licenciement pour inaptitude non professionnelle et impossibilité de reclassement.

La rupture de votre contrat de travail prendra effet à la date de première présentation du présent courrier, sans indemnité de préavis.

Nous vous rappelons qu’à compter de la rupture de votre contrat de travail, vous pourrez conserver le bénéfice des régimes de mutuelle et prévoyance en vigueur au sein de notre société pendant une durée maximum de 12 mois et à titre gratuit, sous réserve de votre prise en charge par l’assurance chômage. [‘] ».

Mme [VE] [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Nanterre et son dossier a été transmis le 11 février 2021 au conseil de prud’hommes de Poissy. Elle a sollicité la requalification de son licenciement en licenciement nul en raison du harcèlement moral qu’elle estime avoir subi et a sollicité la condamnation de la société au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire, ce à quoi la société s’est opposée.

Par jugement rendu le 23 novembre 2021, notifié le 28 décembre 2021, le conseil a statué comme suit :

dit et juge que Mme [VE] [S] n’a pas fait l’objet d’un quelconque harcèlement moral à son égard

dit et juge que le licenciement pour inaptitude médicale de Mme [VE] [S] est fondé

déboute Mme [VE] [S] de l’ensemble de ses demandes

condamne Mme [VE] [S] à verser à la société Canon France la somme d’un euro symbolique au titre de l’article 700 du code de procédure civile

condamne Mme [VE] [S] aux dépens y compris ceux afférents aux actes de procédure éventuels.

Le 13 janvier 2022, Mme [VE] [S] a relevé appel de cette décision par voie électronique.

Par conclusions n°2 transmises par RPVA du 4 juillet 2022, Mme [VE] [S] sollicite de la cour de voir :

infirmer le jugement CPH en ce qu’il a :

* dit et jugé que Mme [VE] [S] n’a pas fait l’objet d’un quelconque harcèlement moral à son égard

* dit et jugé que le licenciement pour inaptitude médicale de Mme [VE] [S] est fondé

* débouté Mme [VE] [S] de l’ensemble de ses demandes

* condamné Mme [VE] [S] à verser à la société Canon France la somme d’un euro symbolique au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Statuant à nouveau,

dire et juger que Mme [VE] [S] a été victime de harcèlement moral

dire et juger nul le licenciement notifié à Mme [VE] [S] par lettre en date du 28 décembre 2017

en conséquence, condamner la société Canon France à payer à Mme [VE] [S] à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, la somme de 22 976,76 euros

condamner la société Canon France à verser à Mme [VE] [S] la somme de 76 599,35 euros à titre d’indemnité pour licenciement nul

condamner la société Canon France à verser à Mme [VE] [S] à titre d’indemnité compensatrice de préavis la somme de 22 979,76 euros avec incidence sur les congés payés de 2 297,97 euros

ordonner à la société Canon France de remettre à Mme [VE] [S] un bulletin conforme à l’arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard

condamner la société Canon France à payer à Mme [VE] [S] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

condamner enfin la société Canon France aux entiers dépens.

Par conclusions transmises par RPVA du 2 juin 2022, la S.A.S.Canon France sollicite de la cour de voir :

confirmer le jugement rendu le 23 novembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Poissy en toutes ses dispositions

en conséquence, juger que Mme [VE] [S] n’a pas fait l’objet de harcèlement moral

juger que le licenciement de Mme [VE] [S] n’encourt aucune nullité et repose sur une cause réelle et sérieuse et est, en conséquence, bien-fondé

rejeter toute demande contraire

en toute hypothèse, rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions formées par Mme [VE] [S]

condamner Mme [VE] [S] à payer à la société Canon France la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

condamner Mme [VE] [S] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue le 22 novembre 2023, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 19 décembre 2023.

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées ainsi qu’aux développements infra.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

Sur les faits invoqués par la salariée

Aux termes de l’article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L1154-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L1152-1 à L1152-3 et L1153-1 à L1153-4, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail.

Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [VE] [S] reproche à l’intimée les faits suivants:

– des pratiques d’isolement : une gestion directe de son équipe l’a marginalisant délibérément et une mise à l’écart au sein même de son service,

– des pratiques relationnelles humiliantes.

Sur les pratiques d’isolement

Sur la gestion directe de son équipe

Mme [VE] [S] invoque sa mise à l’écart dans la fixation des évaluations, des objectifs et des congés de ses collaborateurs prise en charge par Mme [DS], sa propre évaluation annuelle 2015 qu’elle estime injustifiée et les interventions directes de Mme [DS] auprès de ses collaborateurs.

Sur sa mise à l’écart dans la fixation des évaluations et des objectifs de ses collaborateurs et sur le caractère injustifié de sa propre évaluation:

Au soutien de ces faits, Mme [VE] [S] :

– reproche à Mme [DS] et à Mme [CP] de ne pas avoir pris en compte ses propositions de notation de ses collaborateurs dans le cadre de la préparation des entretiens annuels d’évaluation qu’elle devait effectuer quelques jours plus tard alors même qu’elle connaissait parfaitement le travail de ses collaborateurs au contraire de Mmes [DS] et [CP] qui venaient de prendre leurs fonctions. Il résulte de la pièce adverse 14 que trois réunions ont été organisées par Mme [DS] aux fins de préparer les EAE des collaborateurs de Mme [VE] [S] avec bilan 2015 et définition des objectifs 2016.

– produit un courriel du 27 février 2015 (pièce 62) de M.[M] [W], directeur des services techniques adressé à Mme [VE] [S] et à d’autres chefs de services sur les notes EAE 2014 où il écrit ‘ [G] me demande des explications très claires sur les notes ‘extrêmes’ à savoir >5 ou

– évoque la présence et l’intervention de Mme [DS] lors des entretiens d’évaluation de ses collaborateurs. Elle produit à cet effet:

– l’attestation de M.[I] (retraité) (pièce 42) selon laquelle il a eu, courant 2016, des entretiens en tant que délégué du personnel CFE/CGC avec Mme [VE] [S] qui lui a expliqué la dégradation de sa situation en tant que responsable du service administratif. Selon lui, elle constatait qu’on lui enlevait la gestion de son service, qu’elle était humiliée en présence des collaborateurs placés sous sa responsabilité notamment lors des entretiens annuels d’évaluation où elle n’était plus que spectatrice.

– l’attestation de Mme [H] (pièce 41) qui s’étonne de ce que l’entretien du 16 février 2016 soit réalisé par Mme [DS] en présence de Mme [VE] [S] et que Mme [DS] indique à Mme [VE] [S] ce qu’elle devait inscrire dans l’ordinateur. Elle ajoutait que c’était une situation gênante puisque Mme [DS] n’était pas sa responsable.

– un courriel de Mme [CP] du 22 juillet 2016 (pièce 47) dans lequel elle signale à Mme [VE] [S] qu’elle n’a pas renseigné complètement les EAE de 3 de ses collaborateurs (entretien annuel d’évaluation) auquel Mme [VE] [S] répond que c’est Mme [DS] qui a dirigé les EAE et lui a dit que ce n’était pas la peine d’écrire contrairement à ce qu’elle lui avait proposé.

– ajoute que les objectifs de ses collaborateurs au titre de l’année 2016 ont été également fixés et présentés par Mme [DS]. Elle produit un courriel du 15 février 2016 de Mme [DS] qui lui envoie en pièces jointes les objectifs de ses 5 collaborateurs (pièce 21).

– Elle reproche également à Mmes [CP] et [DS], à l’occasion de sa propre évaluation, d’avoir formulé à son encontre des critiques injustifiées, lui valant une note de 2 sur 5, évaluation sur laquelle l’employeur fonde en grande partie son argumentation. Le compte rendu d’évaluation (pièce adverse 7) conclut comme suit: ‘management: gestion difficile de son équipe, manque de prise de décision. Communication: difficulté évidente de communication avec son équipe, les messages sont brouillés’ et l’évaluation globale des objectifs donne lieu à la note de 2/5.

Ces faits sont matériellement établis.

Sur sa mise à l’écart dans la gestion des congés de ses collaborateurs

Mme [VE] [S] soutient que Mme [DS] s’est autorisée, sans concertation avec elle, à gérer seule et ostensiblement le planning des congés de ses collaborateurs alors que c’était elle qui gérait jusqu’alors la planification des congés de ses collaborateurs.

Elle produit à cet effet:

– l’attestation de M.[Z] (pièce 40), retraité depuis le 1er février 2016, qui déclare que ‘en activité au RCC CANON lors des faits. Quand Mme [S] est arrivée au RCC, elle avait beaucoup de travail et elle devait faire face à de nombreuses difficultés pour faire tourner son service. Elle n’avait aucun appui de la part de sa hiérarchie M.[B] car il voulait mettre un des ses hommes à sa place. J’ai vu deux personnes du services de M.[B], qui avaient des problèmes avec lui, être envoyés dans le service de Mme [S]. Lorsque nous nous sommes installés rue de l’Industrie au siège il y avait moins de tensions dans son service. Suite à l’arrivée de la nouvelle directrice, Mme [S] a subi une ‘mise au placard’ flagrante, constatée par tous. Elle le supportait très mal et ça se voyait que ça la rendait malade’.

– un courriel du 28 février 2014 de Mme [VE] [S] à ses collaborateurs (pièce 36) par lequel elle leur demande de lui donner leurs prévisions de congés (solde 2013 et congés d’été), démontrant ainsi que jusqu’en 2014, elle gérait les congés de ses collaborateurs

– des courriels de Mme [DS] adressés à Mme [VE] [S] et ses collaborateurs relatifs à l’organisation des congés:

* courriel du 28 janvier 2016 (pièce 24) adressé par Mme [DS] à Mme [VE] [S] et ses collaborateurs où elle écrit: ‘merci de me communiquer la prévision de vos congés jusqu’à fin mai et pour la période de cet été. Il est impératif de garder une continuité de service et de respecter la note de service de la RH’;

* courriel du 4 février 2016 (pièce 25) de Mme [DS] aux collaborateurs de Mme [VE] [S] (cette dernière mise en copie) ‘ merci pour toutes ces informations. Quelques précisions: 1/[EU]: merci de me confirmer le back up de [GY] et [ZM] les 6 et 9 mai, 2/il vous reste encore des jours à poser: [EU]=4 jours, [ZM]=4,5 jours, [RY]=2 jours, [GY]=1,5 jours, [P]=0,5 jours; 3/ merci de m’envoyer un prévisionnel de vos vacances de cet été’

* courriel du 7 mars 2016 (pièce 26) de Mme [DS] à Mme [VE] [S] ‘[VE], tu peux valider les congés de mars de momo vu avec toute l’équipe’

* courriel du 21 avril 2016 (pièce 28) de Mme [DS] aux collaborateurs de Mme [VE] [S] et celle-ci en copie avec Mme [CP] ‘ bonjour à tous, merci de poser vos congés d’été dans E-days pour les mois de juillet et août. [VE] vous les validera une fois que tout le monde les aura mis. Pour info, j’ai positionné vos prévisions sur le fichier excel ‘2016 – planning congés RCC’ L:GroupsSAV2016-planniong absences & production’

* courriel du 16 septembre 2016 (pièce 35) adressé par Mme [DS] à plusieurs salariés dont Mme [VE] [S] et ses collaborateurs ‘bonjour à tous, Merci de m’envoyer rapidement vos prévisions de congés jusqu’à la fin de l’année. Pour rappel le RCC fait partie de la population services clients: une semaine de congés devra être prise par l’ensemble des collaborateurs entre le 20 décembre 2016 et le 3 janvier 2017″

Mme [VE] [S] relève qu’elle était destinataire principale des courriels (pièces 35, 36, 24, 25, 26, 28) au même titre que ses collaborateurs, déduisant de cela une remise en cause de son statut de chef de service.

Ce fait est matériellement établi.

Sur les interventions directes de ses responsables hiérarchiques (Mmes [CP] et [DS]) auprès des collaborateurs de Mme [VE] [S]

Mme [VE] [S] reproche à Mme [DS] d’avoir adressé directement des courriels à ses collaborateurs, en la mettant pour une grande majorité d’entre eux seulement en copie.

Elle produit à cet effet:

– courriel du 5 février 2016 (pièce 57) de Mme [CP] à Mme [VE] [S] et à l’un des collaborateurs de celle-ci relatif à une réclamation client n°946 – client Mme [OU] [X] où elle écrit ‘ Bonjour, Merci de traiter cette réclamation’

– courriel du 15 février 2016 (pièce 58) de Mme [CP] à Mme [VE] [S] et à l’un des collaborateurs de celle-ci relatif à une réclamation client n°985 – client Mme [L] [F] où elle écrit ‘ Bonjour, Merci de traiter cette réclamation’

– courriel du 7 mars 2016 (pièce 27) de Mme [DS] à deux collaborateurs de Mme [VE] [S] et celle-ci en copie où elle écrit : ‘ [GY], [ZM], suite à notre réunion de la semaine dernière. Pouvez vous me confirmer qui fait la permanence sachant que [EU] ne veut pas assurer le back up. Merci d’avance’

– courriel du 9 mars 2016 (pièce 22) de Mme [DS] adressé aux collaborateurs de Mme [VE] [S] et à celle-ci en copie où elle fait un rappel des horaires à choisir et à respecter

– courriel du 10 juin 2016 (pièce 29) de Mme [DS] à des collaborateurs de Mme [VE] [S] et celle-ci en copie relatif aux résultats RCU de mai 2016 et où elle écrit ‘ comme vous pouvez le voir nous sommes loin de l’objectif de 1ère réponse en 2 jours (pour rappel cet objectif avait été augmenté en 2016). Merci de me faire une analyse détaillée sur ces résultats et de me donner des pistes d’amélioration pour retrouver une situation plus conforme aux objectifs. Je vous propose de faire une réunion dès réception de vos commentaires’

– courriel du 10 juin 2016 (pièce 30) de Mme [DS] aux collaborateurs de Mme [VE] [S] et celle-ci en copie avec Mme [CP] relatif à la réception de l’accord de devis où elle écrit ‘ il est impératif de mettre le bon accord dans la boîte de réparation. On vient de me remonter plusieurs cas d’erreur. Merci de votre attention et implication constante sur ce sujet’

– courriel du 13 juin 2016 (pièce 31) de Mme [DS] [DS] aux collaborateurs de Mme [VE] [S] et celle-ci en copie avec Mme [CP] relatif au nouveau tableau de suivi des RCU où elle écrit ‘ Merci de remplir à chaque dossier Siebel traité le tableau Excel ‘ suivi traitement des RCU’. Ce fichier est partagé ( vous pouvez y accéder à plusieurs en même temps), il se trouve sur le serveur L:GroupsSECRETARIATSIEBEL. Le but est d’avoir un meilleur suivi des délais de 1ère réponse des RCU’.

– courriel du 15 juin 2016 (pièce 32) de Mme [DS] [DS] aux collaborateurs de Mme [VE] [S] et celle-ci en copie avec Mme [CP] relatif à la mise à jour des règlements du RCC où elle écrit ‘ Suite à l’arrêt maladie de [EU], merci de faire le back up sur la mise à jour des règlements clients à envoyer au service financier jusqu’à vendredi. Merci de votre aide’.

– courriel du 6 juillet 2016 (pièce 33) de [DS] [DS] aux collaborateurs et à Mme [VE] [S] relatif à la boîte 1938 où elle écrit ‘ Pouvez vous me dire pourquoi la boîte 1938 est en Y25 alors que la fiche de travail V04 est indiqué’.

– courriel du 7 septembre 2016 (pièce 37) de [DS] [DS] aux collaborateurs et à Mme [VE] [S] avec en copie Mme [CP] et un dénommé [Y] [FW] relatif à Cycleon Missing & Damaged Shipments – Service & Support Policy où elle écrit ‘vous trouverez en pièce jointe le nouveau process CYCLEON pour les pertes/dommages transporteurs. CYCLEON est utilisé pour tous les retours du CRC ou envois pour les échanges standards. Le processus est en majeure partie similaire au processus d’UPS. Le changement le plus important est que le délai de réclamation est de 30 jours. […, le courriel se poursuivant par le descriptif du process]”

– courriel du 15 septembre 2016 (pièce 38) de Mme [DS] aux collaborateurs de Mme [VE] [S] et celle-ci en copie avec [EU] [C] relatif à [EU]/suivi des règlements où elle écrit ‘ Nous avons actuellement une augmentation des avoirs à traiter. J’ai demandé à [EU] de se mettre en priorité sur cette mission. Cette situation ne devrait être que temporaire. Je vous remercie d’avance pour l’aide que vous lui apporterez sur le suivi des règlements’.

– courriel du 26 septembre 2016 (pièce 39) de Mme [DS] à deux collaborateurs de Mme [VE] [S] et celle-ci en copie avec Mme [CP] relatif à ‘erreur de poids’ où elle écrit ‘ Bonjour [P], Comme indiqué lors de l’entretien de milieu d’année, il est impératif de remonter les erreurs de poids et d’alerter le service administratif. Dans le dossier 1-16-404950 le poids à l’entrée = 32.67KG et le poids à la sortie = 2.576KG. Vous avez noté un commentaire sur le dossier : ‘le poids est faux à l’enregistrement’. Dans ce dossier, le poids à l’entrée était correct (produit= MF728) par contre le poids à la sortie était incorrect car le produit envoyé était une XF205. Pour éviter un coût de double transport ou une perte transporteur il est de votre responsabilité de vous assurer que le produit envoyé correspond bien au produit du dossier (la vérification du poids permet d’éviter ce genre d’erreur)’.

Ce fait est matériellement établi.

Sur la mise à l’écart de Mme [VE] [S] au sein de son service

Au soutien de ce grief, Mme [VE] [S] soutient que dès son arrivée au 1er juillet 2015, Mme [CP] (‘N+2″) lui a confié sa volonté de réorganiser le département et d’organiser le départ de l’appelante de la société en sollicitant, pour ce faire, un budget et que sa situation a commencé à se dégrader en septembre 2015 puis de façon plus importante en janvier 2016, à l’arrivée de Mme [DS] (N+1). Or, ces éléments sont en contradiction avec son courriel du 1er avril 2015 (pièce 6 de l’intimée) qu’elle adresse à sa DRH aux fins de bénéficier du dispositif de préretraite et où elle indique faire l’objet depuis 2005 d’un suivi médical rigoureux et où elle précise que ‘le contexte professionnel difficile dans lequel j’évolue depuis plusieurs années participe à la dégradation de mon état de santé. Ces atteintes tant physiques que morales perturbent au quotidien l’exercice de mes fonctions. Pour ces motifs, ayant 57 ans et faisant partie des ‘carrières longues’ je demande à bénéficier du dispositif de préretraite prévu dans la GPEC’.

Il convient de préciser que sa demande a été rejetée par courrier du 22 avril 2015 (cf supra).

Par ailleurs, elle produit:

– un courriel du 29 septembre 2015 (pièce 48) adressé par Mme [CP] à l’ensemble des personnels, excepté Mme [VE] [S], relatif à la nouvelle organisation CIG sales retail-effective au 01/10/15.

– un courriel du 5 février 2016 de M.[E] (pièce 19), responsable département technique (homologue de Mme [DS]) adressé aux collaborateurs de Mme [VE] [S] et à celle-ci en copie relatif à l’organisation d’une réunion sur la mise en place du paiement à la fin des réparations à laquelle les collaborateurs de Mme [VE] [S] étaient invités avec la mention ‘obligatoire’, Mme [VE] [S] étant conviée avec la mention ‘facultatif’

– un courriel du 15 février 2016 (pièce 20) de M.[E] adressé à deux collaborateurs de Mme [VE] [S] leur indiquant le process de validation de l’opération d’échange OPP photo ou vidéo et des personnes habilitées à signer ces échanges, Mme [VE] [S] étant en copie de ce courriel

– un courriel du 11 mars 2016 adressé par M.[E] (pièce 59) adressé à Mme [VE] [S], ses collaborateurs et d’autres salariés relatif à la navette MACH3 où il formule une directive sur l’acheminement des colis.

– un courriel du 13 mars 2016 adressé par Mme [D] (pièce 23), marketing director, à Mme [CP] et en copie à Mme [VE] [S], Mme [DS], et un dénommé M.[TK] relatif au dispositif enregistrements courriers réclamations où elle écrit ‘Bonsoir [A], Oui c’est bon pour nous lundi 14 mars 14h demain, [N] ([O]) viendra et restera le temps qu’il faudra pour venir à bout des courriers passés selon l’agenda qu’ils fixeront après ce premier après-midi. [U] et [NA] sont en vacances cette semaine donc ne pas hésiter à me téléphoner si besoin’. Néanmoins, il résulte des écritures de Mme [VE] [S] que celle-ci évoque cette pièce au soutien d’invectives qu’elle dit avoir subies de la part de Mme [CP] en présence d’un stagiaire alors même que ce courriel porte sur un tout autre sujet et ne permet pas de faire un lien entre ses allégations et ce courriel.

– l’invitation par courriel du 2 septembre 2016 adressée par M.[E] (pièce 60) à Mmes [DS] et [K] [GY] et Messieurs [IA] [R] et [ZM] [T] portant reprise des réunions inter services tous les jeudis du 8 septembre 2016 au 10 novembre 2016 de 16h à 16h30 à laquelle n’était pas conviée Mme [VE] [S]

– Mme [VE] [S] soutient qu’il y a eu une réorganisation de son service à son détriment et produit différents organigrammes. Or, l’examen des organigrammes (pièces de l’appelante) du 15 mai 2009 (pièce 14), du 1er janvier 2016 (pièce 16) et du 7 avril 2017 (pièce 17) démontre le contraire, Mme [VE] [S] ayant toujours, jusqu’à son départ, été rattachée directement au responsable département administratif et ayant sous son autorité trois services ( secrétaire assistante, gestionnaire administratif et employé administratif soit 5 agents). Les changements postérieurs à son licenciement ne sauraient confirmer ses dires.

Ce fait est néanmoins établi.

Sur des pratiques relationnelles humiliantes

Mme [VE] [S] soutient que, lorsque Mme [CP] lui confiait une tâche à effectuer, celle-ci avait le plus souvent d’ores et déjà été confiée à un autre collaborateur, rendant son intervention sans objet. Or, elle ne produit aucun justificatif en ce sens.

Elle invoque son isolement et sa dévalorisation vis-à-vis de ses collaborateurs et produit à cet effet, le bulletin d’information de la CGT de septembre 2017 qui évoque l’ambiance du service RCC. Or il est question d’une prénommée ‘[EU]’ sans aucune évocation de la situation de Mme [VE] [S].

Enfin, Mme [VE] [S] soutient avoir été victime d’invectives régulières de la part de Mme [CP] sans produire le moindre justificatif.

Ce fait n’est pas établi.

Il ressort suffisamment des faits établis, pris dans leur ensemble, la présomption d’un harcèlement moral par dégradation des conditions de travail.

Sur les réponses de l’employeur

En préambule, la S.A.S.Canon France rappelle que le harcèlement ne doit pas être confondu avec l’exercice normal du pouvoir disciplinaire de l’employeur, ni avec son pouvoir de direction et d’organisation. La jurisprudence précisant que le harcèlement moral se distingue des contraintes normales liées au travail. Elle rappelle que jusqu’en juillet 2015, Mme [VE] [S], en tant que chef de service logistique et relations clients était placée sous la responsabilité directe de M.[B], responsable administratif et M.[W], directeur des services techniques; qu’en raison du départ à la retraite de ces deux personnes, ils ont été remplacés respectivement par Mme [DS], à compter de janvier 2016 et Mme [CP] à compter de juillet 2015. Ces changements n’ont eu aucun impact sur le poste de Mme [VE] [S] qui a continué d’exercer les mêmes fonctions. La société relève à juste titre que les organigrammes produits par Mme [VE] [S] le démontrent.

Sur les pratiques d’isolement

Sur la gestion directe de son équipe

La société soutient qu’à compter du rejet de sa demande de départ en pré-retraite, elle a relevé un réel défaut d’investissement et d’implication de la salariée dans l’exercice de ses fonctions ainsi que des difficultés managériales à l’égard des collaborateurs placés sous sa responsabilité. Elle précise que plusieurs gestionnaires administratifs se sont plaints auprès de la direction d’un manque récurrent de support de leur chef de service ainsi que des tensions avec elle. Cette situation expliquerait qu’elle ait proposé à Mme [VE] [S] de suivre plusieurs formations dédiées spécifiquement au management.

Sur la fixation des évaluations et des objectifs de ses collaborateurs:

La S.A.S.Canon France ne conteste pas l’accompagnement de Mme [VE] [S] par Mme [DS] quant à l’élaboration des notations et des objectifs 2016 mais n’en justifie pas la raison, ce d’autant qu’elle n’invoque ni ne justifie appliquer la même procédure pour les autres chefs de service. Le niveau hiérarchique de Mme [DS] ne saurait suffire à lui seul à expliquer l’intervention de Mme [DS] qui se limitait au seul service de Mme [VE] [S].

C’est ainsi que la S.A.S.Canon France ne produit aucune attestation confirmant les difficultés de management invoquées par elle pour justifier cette intervention des supérieurs hiérarchiques de Mme [VE] [S] dans la gestion du service de cette dernière. Au contraire, par sa pièce 62, l’appelante démontre qu’elle établissait elle-même, jusqu’à l’arrivée de Mme [DS], les évaluations et les objectifs de ses collaborateurs, au même titre que les autres chefs de service, et ce sans que cela soit exclusif d’un contrôle a posteriori de la hiérarchie.

La société n’établit pas plus avoir pris en compte les propositions de Mme [VE] [S] s’agissant des notations et des objectifs de ses collaborateurs, le courriel du 15 février 2016 (pièce 21) démontrant l’envoi par Mme [DS] des objectifs fixés pour les collaborateurs de Mme [VE] [S] sans aucun message d’accompagnement de nature à laisser penser qu’il s’agissait de propositions susceptibles d’évoluer.

L’attestation de Mme [H] démontre également que Mme [DS] dirigeait l’entretien d’évaluation des collaborateurs de Mme [VE] [S], qu’il s’agissait d’une situation atypique pour être soulignée par cette salariée. De cet entretien découlait nécessairement l’élaboration de la notation. L’employeur se contente de relever que Mme [H] travaillait sous les ordres de Mme [VE] [S], qu’elle était la seule à bien s’entendre avec elle et que Mme [DS] étant également sa supérieure hiérarchique, elle était légitime dans cet exercice, ce qui n’est pas contestable mais n’explique pas la raison de l’intervention de Mme [DS] dans un domaine qui relevait jusqu’alors de la compétence de Mme [VE] [S] en sa qualité de chef de service et qui caractérise un retrait progressif d’autorité.

Si l’attestation de M.[I] (retraité) (pièce 42) ne constitue pas, comme relevé par l’employeur, un témoignage direct, pour autant il confirme le rôle de spectatrice de Mme [VE] [S] lors de ces entretiens d’évaluation tel qu’évoqué par Mme [H].

Si du courriel de Mme [CP] du 22 juillet 2016 (pièce 47), l’employeur en tire la preuve de ce que Mme [VE] [S] était toujours en charge de l’évaluation de ses collaborateurs, la réponse de Mme [VE] [S] à ce mail, non commentée ni remis en cause par l’intimée, démontre le contraire.

Enfin, s’agissant de sa propre notation, s’il résulte du compte rendu d’évaluation (pièce 7) les critiques suivantes: ‘management: gestion difficile de son équipe, manque de prise de décision. Communication: difficulté évidente de communication avec son équipe, les messages sont brouillés’, la S.A.S.Canon France ne produit aucun justificatif de nature à étayer ces critiques. Par ailleurs, rien ne permet de relier le tableau relatif aux formations suivies par Mme [VE] [S] (pièce 8) à son évaluation. En effet, l’entretien annuel d’évaluation de Mme [VE] [S] s’est déroulé le 2 février 2016 (pièce 7) alors que trois formations sur les cinq figurant dans ce tableau ont eu lieu au cours de l’année 2015 outre le fait que Mme [VE] [S] indique, sans être contredite par l’employeur, que ces formations ne lui étaient pas destinées uniquement mais correspondaient au programme de formation que devaient suivre collectivement tous les cadres encadrants (les Harvard Café coaching).

Sur la gestion des congés des collaborateurs de Mme [VE] [S]

La S.A.S.Canon France conteste toute immixtion de Mme [DS] dans l’exercice des fonctions de Mme [VE] [S].

S’agissant de l’attestation de M.[Z] (pièce 40), la S.A.S.Canon France relève à juste titre qu’il a quitté l’entreprise dans le cadre d’un départ à la retraite en février 2016 alors que la salariée fait état d’une prétendue mise à l’écart suite à l’arrivée de Madame [DS] en janvier 2016, soit un mois avant le départ en retraite du salarié; qu’en outre, avant 2016, Monsieur [Z] et Mme [VE] [S] ne dépendaient pas des mêmes responsables de département (pièce adverse n° 14); qu’en réalité, celui-ci n’était nullement témoin des conditions de travail de la salariée.

Néanmoins, hormis le courriel du 16 septembre 2016 (pièce adverse 35) qui s’adresse à un plus grand nombre de salariés, il n’en demeure pas moins que tous les autres courriels produits par Mme [VE] [S] sont destinés soit principalement aux collaborateurs de Mme [VE] [S], cette dernière n’étant qu’en copie de ces courriels soit indifféremment à Mme [VE] [S] et ses collaborateurs. C’est donc à tort que la S.A.S.Canon France soutient que Mme [DS] s’adressait de la même façon à l’ensemble des différents services dont elle était responsable et notamment le service de Mme [VE] [S]. Le courriel (pièce 26) par lequel Mme [DS] informe Mme [VE] [S] qu’elle peut valider les congés de ses collaborateurs ne peut pas s’analyser, comme le soutient l’employeur, comme la démonstration de l’autonomie de Mme [VE] [S], les congés étant en réalité validés sur le principe par Mme [DS].

La S.A.S.Canon France ne peut pas plus se retrancher derrière l’absence de plaintes de la part de Mme [VE] [S] concernant la validation des congés de ses collaborateurs.

C’est à raison que Mme [VE] [S] relève qu’elle était destinataire principale des courriels (pièces 35, 36, 24, 25, 26, 28) au même titre que ses collaborateurs, déduisant de cela une remise en cause de son statut de chef de service.

Sur les interventions directes de ses responsables hiérarchiques (Mmes [CP] et [DS]) auprès des collaborateurs de Mme [VE] [S]

La S.A.S.Canon France soutient qu’en sa qualité de responsable administratif, Mme [DS] avait pour missions principales de manager l’ensemble des services administratifs (internes et externes) du RCC, de s’assurer de la communication et de l’application de la politique Europe et d’établir et contrôler l’ensemble des budgets du RCC, de sorte qu’elle était habilitée à s’adresser directement aux collaborateurs de Mme [VE] [S], relevant que celle-ci était toujours destinataire de ces courriels. Néanmoins, cela est insuffisant pour expliquer pourquoi elle ne s’adressait pas directement et seulement à Mme [VE] [S], cadre intermédiaire et chef de service, pour transmettre ses messages, ses commandes et pourquoi elle ne fonctionnait pas de cette façon avec les autres services placés sous son autorité.

Les arrêts de maladie de Mme [VE] [S] invoqués par l’intimée pour expliquer également la nécessité de ‘prendre le relai’ ne sauraient prospérer, la majorité des courriels produits et cités supra ayant été adressés en dehors de ces périodes d’arrêts (pièces 4 et 10).

Sur la mise à l’écart de Mme [VE] [S] au sein de son service

S’agissant du courriel du 29 septembre 2015 (pièce 48) adressé par Mme [CP] à l’ensemble des personnels excepté Mme [VE] [S] relatif à la nouvelle organisation CIG sales retail-effective au 01/10/15, la S.A.S.Canon France invoque l’erreur et justifie qu’elle a été corrigée immédiatement, le jour même de cet envoi, par Mme [CP] lorsqu’elle s’en est aperçue.

S’agissant des courriels adressés par M.[E] (pièces 19, 20, 59, 60), la SAS CANON France ne formule aucune observation pertinente, se contentant de relever que Mme [VE] [S] était soit en copie des mails, soit absente lors de l’envoi du courriel soit invitée à de nombreuses autres réunions.

Néanmoins, l’invitation par courriel du 2 septembre 2016 adressée par M.[E] à Mmes [DS] et [K] [GY] et Messieurs [IA] [R] et [ZM] [T] portant reprise des réunions inter services tous les jeudis du 8 septembre 2016 au 10 novembre 2016 de 16h à 16h30 à laquelle n’était pas conviée Mme [VE] [S] tend à démontrer la mise à l’écart de l’appelante même par les autres responsables. En effet, si le 2 septembre, date d’envoi du courriel, Mme [VE] [S] était en congés, elle était bien présente les jeudis 8 et 15 septembre 2016 et aurait dû être destinataire de ce courriel qui concernait tous les services dont le sien. Les autres courriels précités de M.[E] étaient adressés indistinctement à Mme [VE] [S] et ses collaborateurs, démontrant la non prise en compte du statut de chef de service de l’appelante.

Il suit de cela que l’employeur ne renverse, qu’à la marge de certains éléments, la présomption de harcèlement moral dérivant des faits matériellement établis par la salariée, et qu’ainsi celui-ci doit être tenu pour acquis. Le jugement sera infirmé dans son expression contraire tant sur le principe que ses conséquences.

Sur les conséquences

Sur le moyen tiré de la nullité du licenciement

Il convient de rappeler qu’est nul le licenciement en lien avec une inaptitude ayant pour seule origine un état dépressif réactionnel aux agissements de harcèlement moral dont le salarié avait été la cible ( Cass. soc. 13-2-2013 n° 11-26.380).

Mme [VE] [S] soutient que les faits d’harcèlement moral ont eu des répercussions directes sur son état de santé qui s’est gravement dégradé mais également sur son évolution professionnelle dans l’entreprise.

En l’espèce, Mme [VE] [S] produit des certificats médicaux qui font état d’un état dépressif sévère depuis octobre 2015 (pièces 43-5) et d’une souffrance au travail. Le docteur [V] précisant également avoir vu Mme [VE] [S] à la demande du médecin du travail fin septembre 2016.

En défense, la SAS CANON France soutient s’être toujours montrée attentive à l’état de santé de la salariée et avoir agi de façon préventive, notamment en décidant le 26 septembre 2016 d’organiser une visite médicale occasionnelle avec le médecin du travail compte tenu des arrêts de travail fréquents de Mme [VE] [S]. Elle fait remarquer qu’à la suite de cette visite du 27 septembre 2016, le médecin du travail a déclaré apte Mme [VE] [S] et n’a jamais évoqué des faits d’harcèlement moral.

Il convient de relever que selon la fiche d’examen établie le 3 février 2016 (pièce 4), le médecin du travail fait mention de la venue de Mme [VE] [S] en raison d’une crise d’angoisse avec palpitations, et des problèmes relationnels au travail avec sa hiérarchie évoqués par elle devant lui. Puis à l’occasion de la visite médicale du 27 septembre 2016, sollicitée par la DRH de Mme [VE] [S] en raison de l’effondrement de Mme [VE] [S] et de l’évocation par elle d’idées suicidaires, le médecin du travail a déclaré Mme [VE] [S] apte mais a fixé une nouvelle visite pour novembre 2017. Lors de la visite du 14 novembre 2017, le médecin du travail a envisagé une ‘inaptitude prévisible au poste et à tout poste dans l’entreprise à la reprise’ ajoutant ‘pas de reclassement envisageable’. Il a confirmé son avis d’inaptitude le 29 novembre 2017.

Au vu des éléments de fait et de preuve soumis à l’occasion de la présente procédure au nombre desquels le certificat médical d’inaptitude et la concordance des dates entre la dégradation de l’état de santé de Mme [VE] [S] et les faits d’harcèlement moral retenus, il convient de dire que l’inaptitude définitive de la salariée à son poste de travail avait pour seule origine son état dépressif réactionnel aux agissements de harcèlement moral dont elle a fait l’objet, de sorte qu’il convient de déclarer nul le licenciement.

Sur les conséquences financières

Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral

Mme [VE] [S] sollicite la somme de 22 979,74 euros, ce à quoi s’oppose la SAS CANON France, soutenant que le licenciement pour inaptitude est fondé.

Au vu des faits d’harcèlement moral retenus, il convient d’allouer à Mme [VE] [S] la somme de 3 000 euros au titre de dommages-intérêts.

Sur l’indemnité pour licenciement nul

La SAS CANON France s’oppose à cette demande, soutenant que le licenciement pour inaptitude est fondé.

En application de l’article L1235-3-1 du code du travail et sur la base d’un salaire de référence de 3623,10 euros, d’une ancienneté dans l’entreprise de 34 ans et de l’âge de l’appelante, il convient d’allouer à Mme [VE] [S] la somme de 21 738,60 euros au titre de l’indemnité pour licenciement nul.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis conventionnel et congés payés

La SAS CANON France s’oppose à cette demande, soutenant que le licenciement pour inaptitude est fondé.

En application de l’article 27 de la convention collective nationale de la métallurgie ingénieur et cadre (pièce 64), il convient d’allouer à Mme [VE] [S] six mois d’indemnité compensatrice de préavis soit la somme de 21 738,60 euros.

Il convient de débouter Mme [VE] [S] de sa demande au titre des congés payés, ayant déjà perçu dans le cadre de son licenciement une somme de 7509,43 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés (pièce 12).

Sur la remise des documents conformes

Il convient de condamner la SAS CANON France à remettre à Mme [VE] [S] un bulletin de paie rectificatif conforme à la présente décision dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt et ce sans besoin d’ordonner une astreinte.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il convient d’allouer à Mme [VE] [S] la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de condamner la SAS CANON France aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil des prud’hommes de Poissy du 23 novembre 2021;

Statuant à nouveau,

Dit que Mme [VE] [S] a subi un harcèlement moral;

Prononce la nullité de son licenciement;

Condamne la SAS CANON France à payer à Mme [VE] [S] la somme de 3000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral né du harcèlement;

Fixe le salaire de référence de Mme [VE] [S] à 3623,10 euros;

Condamne la SAS CANON France à payer à Mme [VE] [S] la somme de 21 738,60 euros au titre de l’indemnité pour licenciement nul;

Condamne la SAS CANON France à payer à Mme [VE] [S] la somme de 21 738,60 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis;

Déboute Mme [VE] [S] de sa demande au titre des congés payés;

Ordonne la remise d’un bulletin de paie rectificatif conforme à la présente décision dans le délai de deux mois à compter de la signification du présent arrêt ;

Déboute Mme [VE] [S] de sa demande d’astreinte;

Condamne la SAS CANON France à payer à Mme [VE] [S] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS CANON France aux entiers dépens.

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Nathalie COURTOIS, Président et par Madame Isabelle FIORE Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,

 


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