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6 juillet 2023
Cour d’appel d’Angers
RG n°
21/00567
COUR D’APPEL
d’ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00567 – N° Portalis DBVP-V-B7F-E43K
numéro d’inscription du dossier au répertoire général de la juridiction de première instance
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTES, décision attaquée en date du 06 Janvier 2017, enregistrée sous le n° F 15/01543
ARRÊT DU 06 Juillet 2023
APPELANT :
Monsieur [Z] [J]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Maître Caroline MASSE-TISON, avocat au barreau de NANTES – N° du dossier 15-188
INTIMEES :
Société ATEMPO
[Adresse 3]
[Localité 5]
S.A.S. WOOXO Prise en la personne de ses représentants
légaux, domiciliés en cette qualité audit
siège.
[Adresse 9]
[Localité 1]
représentées par Maître RUBINEL, avocat postulant substituant Maître Maître Benjamin LAFON, avocat plaidant au barreau de MARSEILLE
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 11 Mai 2023 à 9 H 00 en audience publique et collégiale, devant la cour composée de :
Président : Mme Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Conseiller : M. Yoann WOLFF
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
du 06 Juillet 2023, contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Mme Marie-Christine DELAUBIER, conseiller faisant fonction de président et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS ET PROCÉDURE
La société par actions simplifiée Wooxo a pour activité la sauvegarde des données numériques. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils dite SYNTEC.
M. [Z] [J] a été engagé par la société Wooxo dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée du 26 mars 2012 à effet au 2 mai 2012, en qualité de responsable régional des ventes indirectes pour la région nord-ouest de la France, fonction itinérante exercée depuis son domicile à [Localité 7], statut cadre, position 2-1, coefficient 110 de la convention collective précitée.
En dernier état de la relation contractuelle, M. [J] occupait les fonctions de channel manager, coefficient 130, position 2.2 dans le cadre d’une convention de forfait annuel de 218 jours.
Par courrier du 22 juillet 2015, la société Wooxo a convoqué M. [J] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique qui s’est tenu le 31 juillet 2015.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 août 2015, la société Wooxo a proposé deux postes de reclassement à M. [J] qui les a refusés.
Puis, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 14 août 2015, la société Wooxo lui a notifié son licenciement pour motif économique.
M. [J] ayant adhéré à un contrat de sécurisation professionnelle le 12 août 2015, son contrat de travail a pris fin le 21 août suivant.
Contestant le bien fondé de son licenciement, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Nantes par requête du 7 décembre 2015 aux fins d’obtenir la condamnation de la société Wooxo à lui verser, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, des dommages et intérêts pour licenciement irrégulier, un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires réalisées et les congés payés afférents, une indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos et les congés payés afférents, des dommages et intérêts pour non-respect des durées maximales de travail, des dommages et intérêts pour travail dissimulé, des dommages et intérêts pour exécution déloyale de la convention forfait en jours, des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail outre une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 6 janvier 2017, le conseil de prud’hommes de Nantes a:
– dit que le licenciement pour motif économique de M. [J] repose sur des causes réelles et sérieuses ;
– dit que les dispositions relatives à l’ordre des licenciements ont été respectées par la société Wooxo ;
– dit que le licenciement de M. [J] est régulier en droit ;
– dit que l’employeur a exécuté de bonne foi son contrat de travail avec M. [J] ;
– constaté la nullité du forfait-jours et le non-respect des règles en la matière, en particulier sur l’obligation de veiller à la sécurité et la santé du salarié, et condamné à ce titre la société Wooxo à verser à M. [J] les sommes suivantes :
* 13 519,16 euros d’heures supplémentaires pour l’année 2014 outre 1 351,96 euros de congés payés afférents ;
* 6 748,22 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour l’année 2014 outre 674,82 euros de congés payés afférents ;
* 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Lesdites sommes assorties des intérêts au taux légal à compter de la saisine pour les sommes à caractère salarial et à compter du prononcé pour les autres, et ce avec capitalisation ;
– limité l’exécution provisoire à l’exécution provisoire de droit ;
– reçu la société Wooxo en ses demandes reconventionnelles et l’en a déboutée ;
– condamné la société Wooxo aux dépens.
M. [J] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise au greffe de la cour d’appel de Rennes le 6 janvier 2017, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu’il énonce dans sa déclaration.
Par arrêt en date du 24 mai 2019, la cour d’appel de Rennes a infirmé partiellement le jugement entrepris et, statuant à nouveau, a :
– débouté M. [J] de ses demandes de paiement d’heures supplémentaires ;
– condamné la société Wooxo à payer à M. [J] la somme de 2 500 euros de dommages et intérêts en réparation de l’exécution déloyale du contrat de travail, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision ;
– condamné la société Wooxo à payer à M. [J] la somme de 4 017,65 euros à titre d’indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision ;
– confirmé le jugement entrepris pour le surplus ;
y ajoutant,
– condamné la société Wooxo aux entiers dépens ;
– condamné la société Wooxo à verser à M. [J] la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [J] a formé un pourvoi en cassation.
Par arrêt du 22 septembre 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes le 24 mai 2019 mais seulement en ce qu’il a dit que les dispositions légales relatives à l’ordre des licenciements ont été respectées par la société Wooxo et rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [J] à ce titre. Elle a remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel d’Angers.
La Cour a rejeté la demande présentée par la société Wooxo sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée à payer 3 000 euros à M. [J] à ce titre ainsi qu’aux entiers dépens.
Après avoir rappelé au visa de l’article L. 1233-5 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, que ‘si, le juge ne peut, pour la mise en oeuvre de l’ordre des licenciements, substituer son appréciation des qualités professionnelles du salarié à celle de l’employeur, il lui appartient, en cas de contestation, de vérifier que l’appréciation portée sur les aptitudes professionnelles du salarié ne procède pas d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir’, la Haute juridiction a statué comme suit :
‘Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre du non-respect par l’employeur des critères d’ordre des licenciements, l’arrêt retient que le salarié était âgé de 30 ans au jour du licenciement, célibataire, sans enfant et bénéficiait d’une ancienneté de 3 ans. L’arrêt ajoute que les éléments du dossier établissent que le critère relatif à la qualité professionnelle prenait en compte la mobilité (1 point), l’adaptabilité au poste (2 points), le potentiel (3 points), les objectifs réalisés (4 points), les compétences professionnelles (5 points). L’arrêt relève qu’aucun élément ne permet de caractériser une erreur manifeste d’appréciation de la qualité professionnelle du salarié compte tenu notamment de son âge et de son ancienneté.
En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la note de 0/5 attribuée au salarié au titre des qualités professionnelles ne procédait pas d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision’.
M. [J] a saisi la présente cour, désignée cour de renvoi par déclaration de saisine après cassation reçue au greffe le 19 octobre 2021.
La société Wooxo a constitué avocat le 4 janvier 2022.
Un projet de fusion-absorption simplifiée a été déposé au greffe du tribunal de commerce d’Evry le 2 décembre 2021 et la société Atempo, devant absorber la société Wooxo, est intervenue volontairement à l’instance le 18 février 2022.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 3 mai 2023 et l’affaire fixée à l’audience collégiale du 11 mai 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS
M. [J], dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 4 janvier 2022, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de le dire et juger recevable et bien fondé en ses écritures, infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nantes le 6 janvier 2017 et, statuant de nouveau sur l’application des critères d’ordre des licenciements, de :
– condamner la société Wooxo à lui payer la somme de 24 105,90 euros net à titre de dommages et intérêts pour non-respect des critères d’ordre des licenciements ;
– condamner la société Wooxo à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
– condamner la société Wooxo aux entiers dépens.
M. [J] fait valoir que la société Wooxo n’a pas respecté les critères d’ordre des licenciements en commettant un détournement de pouvoir dans la prise en compte de ses qualités professionnelles. À cet égard, il soutient que l’employeur a totalement éludé ce critère ce, alors que ses résultats ont toujours été satisfaisants en terme de chiffre d’affaires et que son employeur ne communique aucun élément justifiant l’attribution d’une note de 0/5 au titre de ses qualités professionnelles.
Il fait ensuite observer que les critères d’ordre des licenciements sont faussés dans la mesure où le tableau d’appréciation des critères d’ordre pour le service commercial communiqué par la société Wooxo ne vise pas Mme [H], recrutée le 11 mai 2015 en qualité de Channel Manager.
Enfin, M. [J] affirme que la perte de son emploi lui a causé un préjudice d’autant plus justifié qu’après avoir retrouvé un emploi en octobre 2015 au sein de la société ASG, il a été licencié deux ans plus tard par la même personne, M. M. [U] [Y], dirigeant de la société Wooxo, suite au rachat par la société ASG de la société Atempo elle-même rachetée par une société Kickstart dont M. [Y] était le gérant.
*
La société Wooxo et la société par actions simplifiée Atempo, dans leurs dernières conclusions, adressées au greffe le 18 février 2022, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demandent à la cour, statuant dans les limites de la cassation intervenue, de :
– juger recevable l’intervention volontaire de la société Atempo ;
– confirmer la décision de première instance en ce qu’elle a : ‘dit que les dispositions légales
relatives à l’ordre des licenciements étaient respectées par la société Wooxo’ ;
Ce faisant :
– juger que la note de 0/5 attribuée à M. [J] au titre de ses qualités professionnelles ne procédait pas d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir de l’employeur ;
– juger que M. [J] ne rapporte pas la preuve d’un préjudice subi pour une somme de 24 105,90 euros pour non-respect des critères d’ordre des licenciements ;
– débouter M. [J] de l’ensemble de ses demandes contraires en cause d’appel ;
– condamner M. [J] au paiement d’une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel, ces derniers distraits au profit de la Selarl Lexavoue [Localité 8] [Localité 6] par application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
La société Wooxo fait valoir qu’elle a appliqué les critères d’ordre de licenciement de manière objective et conformément aux dispositions de l’article L. 1233-5 du code du travail. À cet égard, elle indique que le critère relatif aux qualités professionnelles a été évalué sur le chiffre d’affaires réalisé mais également sur la pérennisation de la clientèle et l’envoi régulier des comptes-rendus et des reportings des rendez-vous, autant d’obligations contractuelles dont le non-respect par le salarié a justifié la différence de notation par rapport aux autres membres de l’équipe commerciale.
L’employeur souligne qu’après avoir comparé les résultats obtenus par M. [J] avec ceux des autres salariés du service commercial, elle n’avait pas à prendre en compte Mme [H] dans l’ordre des licenciements dans la mesure où celle-ci se trouvait en période d’essai lors de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement pour motif économique.
Enfin, elle assure que les propositions d’emploi ultérieures ne sont pas incompatibles avec l’existence des difficultés économiques ayant abouti à la restructuration de la société et au licenciement pour motif économique de M. [J].
MOTIVATION
Liminairement, il y a lieu de constater l’intervention volontaire de la société Atempo, laquelle sera déclarée recevable en l’absence de toute fin de non-recevoir soulevée par M. [J].
– Sur le non-respect des critères d’ordre de licenciement :
Lorsque l’employeur procède à un licenciement pour motif économique, il prend en compte, dans le choix du salarié concerné, les critères prévus à l’article L.1233-5 du code du travail, lequel, dans sa version applicable du 17 juin 2013 au 8 août 2015 , les énonce comme suit :
‘1º Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
2º L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;
3º La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4º Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus par cet article.’
Il résulte de ce texte que les critères d’ordre des licenciements s’appliquent à l’ensemble du personnel de l’entreprise dans la catégorie professionnelle à laquelle appartient le salarié dont l’emploi est supprimé. Les critères d’ordre retenus s’apprécient donc par catégorie professionnelle visée par la ou les suppressions d’emploi. Ils doivent être appliqués à tous les salariés de chaque catégorie concernée. Appartiennent à une même catégorie professionnelle les salariés qui exercent dans l’entreprise des activités de même nature supposant une formation professionnelle commune.
Lorsqu’une contestation existe sur le respect des critères fixés pour l’ordre des licenciements, la charge de la preuve incombe à l’employeur et non au salarié.
L’employeur doit alors communiquer au juge les données objectives, précises et vérifiables sur lesquelles il s’est appuyé pour arrêter, selon les critères définis, l’ordre des licenciements, de telle manière que le juge soit en mesure de vérifier le respect des dits critères.
Si le juge ne peut, pour la mise en oeuvre de l’ordre des licenciements, substituer son appréciation des qualités professionnelles du salarié à celle de l’employeur, il lui appartient, en cas de contestation, de vérifier que l’appréciation portée sur les aptitudes professionnelles du salarié ne procède pas d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir.
L’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements n’a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse. Cette illégalité entraîne un préjudice, pouvant aller jusqu’à la perte injustifiée de l’emploi, qui doit être réparé, selon son étendue, par des dommages et intérêts.
M. [J], engagé en qualité de responsable régional des ventes indirectes pour la région nord-ouest de la France, exerçait en dernier lieu les fonctions de channel manager. Il est constant que deux postes ont été supprimés au sein de la catégorie professionnelle dont relevait le salarié, laquelle concernait six salariés au total, quatre exerçant des fonctions de ‘responsable réseau partenaires’ et deux occupant un emploi de ‘channel manager’.
Dans son courrier du 31 août 2015, la société Wooxo indiquait à M. [J] avoir fixé l’ordre des licenciements au regard des critères suivants : ‘la situation familiale, l’ancienneté, l’employabilité (la difficulté de réinsertion professionnelle) et les qualités professionnelles’. Il n’était pas précisé que l’un ou l’autre de ces critères avait été privilégié.
La prise en compte des critères liés à la situation familiale, l’ancienneté et l’employabilité n’est pas critiquée par M. [J]. De fait, il ne fait pas débat que M. [J] était célibataire, sans enfant, avec une ancienneté de trois ans au sein de la société et âgé de trente ans à la date de son licenciement, ce qui lui confère un total de 4 points sur ces critères quand ses collègues ont reçu entre 2 et 9 points.
Selon le tableau reprenant pour chacun des six salariés concernés l’application des critères d’ordre retenus par l’employeur, l’item ‘qualités professionnelles’ est noté de 0 à 5 se décomposant comme suit :
– RAS : 0
– Mobilité : 1
– Adaptabilité au poste : 2
– Potentiel : 3
– Objectifs réalisés : 4
– compétences professionnelles : 5
L’employeur ne développe pas la signification donnée à chacune de ces composantes. Si certaines, telles que les objectifs réalisés et la mobilité, sont explicites, l’expression ‘RAS’ interroge, celle de ‘potentiel’ demeure somme toute vague et susceptible d’être évaluée subjectivement, ‘les compétences professionnelles’ recoupant par ailleurs ‘les qualités professionnelles’ qu’il s’agit d’apprécier.
La société Wooxo se limite à affirmer que ‘les qualités professionnelles sont appréciées au regard du chiffre d’affaires mais aussi de la pérennisation de la clientèle, de l’envoi régulier des comptes rendus et reportings de rendez-vous’, sans préciser à quels items se rattache cette appréciation et sans la décliner pour chaque salarié concerné. Au surplus, il doit être relevé que le respect des obligations en matière de reporting et de délivrance de compte-rendu est donc, à suivre l’employeur, tout aussi important que le bon exercice des missions attribuées en premier lieu à M. [J] sur son contrat de travail, à savoir :’développer le chiffre d’affaires sur les zones géographiques qui lui sont confiées à travers un réseau de revendeurs dans le respect de la politique commerciale en vigueur, assurer la responsabilité de la réalisation des objectifs quantitatifs et qualitatifs fixés, animer et développer les ventes via le réseau de partenaires existants et recruter, former et animer les nouveaux partenaires qu’il lui incombe d’identifier et de développer…’.
En tout état de cause, la société Wooxo ne communique aucune donnée objective, précise et vérifiable sur lesquelles elle se serait appuyée pour fixer les notes attribuées à chacun des six salariés. Elle ne produit aucune autre pièce que ce tableau succinct.
Les seules données dont dispose la cour sont relatives au chiffre d’affaires réalisé par chaque salarié, lesquelles sont produites par M. [J] sans être critiquées dans leur exactitude par l’employeur.
M. [J] s’est vu attribuer la note de 0/5 (RAS).
Les cinq autres salariés du service commercial concernés par la mise en oeuvre des critères de licenciement ont été évalués comme suit : M. [C] [O] (potentiel :3), M. [W] [K] (compétences professionnelles : 5), Mme [T] [M] (RAS:0), M. [X] [D] (potentiel : 3) et Mme [S] [R] (potentiel : 3).
Il résulte des différents tableaux communiqués par le salarié, qu’au regard du chiffre d’affaires réalisé, M. [J] était le second meilleur vendeur en 2014 et le troisième meilleur vendeur en 2015. Mme [M], également licenciée, n’a pas eu davantage de point au titre de ses qualités professionnelles ce, alors qu’elle était classée 4ème meilleure vendeuse en 2014 et seconde de janvier à juillet 2015.
Or, il apparaît que :
– M. [K] était le meilleur vendeur de la société ce qui justifie la note obtenue de 5/5 concernant ses ‘compétences-qualités professionnelles’ , l’employeur indiquant que ‘ce dernier a toujours été le meilleur vendeur de la société’ ;
– M. [O], d’une ancienneté de 10 ans, était quant à lui, le second meilleur vendeur pour l’année 2013, le troisième pour l’année 2014 (derrière M. [J]), le quatrième pour le 1er trimestre 2015 et le cinquième pour le 2ème trimestre 2015,(derrière M. [J] sur chacun de ces trimestres) et, malgré la baisse de ses résultats, a vu son ‘potentiel’ récompensé par l’attribution de la note 3/5 ;
– M. [D] était classé septième au titre de l’année 2014 et oscillait entre la 4ème et la 6ème position au titre de l’année 2015 (derrière M. [J]). Il reçoit la même note de 3, pour son potentiel ainsi valorisé.
L’employeur ne commente pas davantage les notes attribuées et aucun élément ne permet d’expliquer objectivement les raisons pour lesquelles MM. [O] et [D] ont été notés 3 et M. [J], bien qu’ayant réalisé un meilleur chiffre d’affaires, 0/5. Or, si de fait, ces deux salariés obtenaient respectivement un total de 9 et de 5 points sans prendre en compte le critère relatif aux qualités professionnelles, soit des notes supérieures à celles obtenues par M. [J], une autre évaluation du critère relatif aux qualités professionnelles aurait conduit à fixer un ordre différent des licenciements au détriment de M. [D].
Concernant enfin la note de Mme [R], la société Wooxo indique avoir usé de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation pour lui attribuer la note de 3/5 au titre de ses qualités professionnelles ce, après 9 mois d’activité au sein de la société Wooxo. Pour autant, elle ne communique aucune donnée objective, précise et vérifiable sur lesquelles elle aurait pu s’appuyer pour arrêter cette note alors que M. [J] communique les résultats de Mme [R] laquelle était la plus mauvaise vendeuse en 2014 et en 2015. En outre et comme le relève justement M. [J], dans l’hypothèse où il aurait reçu une note de 3/5 au titre de ses qualités professionnelles, il n’aurait pas été licencié dans la mesure où son cumul de sept points l’aurait de fait placé devant Mme [R].
Si la société Wooxo assure que le chiffre d’affaires n’était pas un critère exclusif de prise en compte des qualités professionnelles, il apparaît qu’elle s’est appuyée directement sur celui-ci pour justifier les notes obtenues par M. [B], M. [D] et M. [O], sans toutefois procéder de la même manière pour M. [J], comme à l’inverse pour Mme [R], le tout sans aucune logique. Les trois salariés notés 3/5 pour leur ‘potentiel’ ont, contre toute logique, des chiffres d’affaires toujours inférieurs à ceux de M. [J] et surtout une courbe décroissante de leurs résultats sans que l’employeur n’apporte d’éléments objectifs de nature à expliquer cette appréciation.
Au regard de ces éléments, l’appréciation portée par l’employeur sur les qualités professionnelles du salarié pour la mise en oeuvre de l’ordre des licenciements procède d’un détournement de pouvoir et à tout le moins d’une erreur manifeste d’appréciation.
Cette inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements a causé un préjudice à M. [J] résultant de la perte injustifiée de son emploi, étant toutefois observé que l’employeur ne saurait répondre des conséquences liées à son second licenciement intervenu à la suite du nouvel emploi retrouvé nonobstant les liens allégués entre les deux employeurs successifs.
Au vu des éléments versés par M. [J] de nature à caractériser l’étendue de son préjudice, la cour est mesure de fixer le montant des dommages et intérêts à la somme de 15 000 euros au paiement de laquelle sera condamnée la société Wooxo.
Par conséquent, la société Wooxo sera condamnée à verser à M. [J] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des critères légaux d’ordre des licenciements.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
– Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Le jugement dont appel sera confirmé sur les dépens et frais irrépétibles.
En application de l’article 639 du code de procédure civile, la société Wooxo sera condamnée aux dépens d’appel y compris ceux devant la cour d’appel de Rennes.
Elle est également condamnée à verser à M. [J] la somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La demande présentée par la société Wooxo sur ce même fondement est rejetée.
PAR CES MOTIFS
La COUR,
Statuant dans les limites de sa saisine résultant de l’arrêt de la Cour de cassation, par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,
Vu le jugement du conseil de prud’hommes de Nantes du 6 janvier 2017 (RG n°15/01543),
Vu l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 24 mai 2019 (RG n°17/00813),
Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 2021 (arrêt n° 1009 F-D ; pourvoi n° F 19-23.679),
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Nantes le 6 janvier 2017 sauf en ce qu’il a condamné la société Wooxo aux dépens et à verser à M. [Z] [J] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
REÇOIT la société Atempo en son intervention volontaire ;
DIT que la société Wooxo n’a pas respecté les critères d’ordre des licenciements ;
CONDAMNE la société Wooxo à verser à M. [Z] [J] 15 000 euros de dommages et intérêts pour non-respect des critères d’ordre des licenciements ;
CONDAMNE la société Wooxo à verser à M. [Z] [J] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la société Wooxo de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Wooxo aux entiers dépens d’appel, y compris ceux devant la cour d’appel de Rennes.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Viviane BODIN Marie-Christine DELAUBIER