Droit de rétractation : décision du 10 mars 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/02771
Droit de rétractation : décision du 10 mars 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/02771
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2ème Chambre

ARRÊT N°138

N° RG 20/02771

N° Portalis DBVL-V-B7E-QWJJ

M. [F] [T]

C/

S.A. ONEY BANK

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me DUSSUD

– Me ANTOINE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 10 MARS 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Joël CHRISTIEN, Président de Chambre,

Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,

Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Ludivine MARTIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 02 Février 2023

devant Monsieur Joël CHRISTIEN, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties, et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANT :

Monsieur [F] [T]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représenté par Me Caroline DUSSUD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER

INTIMÉE :

S.A. ONEY BANK

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Charlotte ANTOINE, postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Frédéric GONDER de la SELARL GONDER, plaidant, avocat au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTE :

ASSOCIATION TUTELAIRE DU PONANT (ATP)

Curateur de M. [F] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Caroline DUSSUD, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de QUIMPER

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon offre préalable acceptée le 5 mai 2018, la société Oney Bank a consenti à M. [F] [T] un prêt de 20 000 euros au taux 3,63 % l’an, remboursable en 60 mensualités de 365,08 euros hors assurance emprunteur.

Prétendant que les échéances de remboursement n’étaient plus honorées depuis octobre 2018 en dépit d’un courrier de mise en demeure de régulariser l’arriéré sous 21 jours en date du 15 mars 2019, le prêteur s’est, par lettre recommandée du 11 juillet 2019, prévalu de la déchéance du terme et, par acte du 30 janvier 2020, a fait assigner l’emprunteur en paiement devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Quimper.

Réduisant d’office l’indemnité de défaillance, qu’il estimait excessive, à un euro, le premier juge a, par jugement réputé contradictoire du 29 mai 2020 :

condamné M. [T] à payer à la société Oney Bank la somme totale de l9 882,03 euros. assortie du taux contractuel de 3,63 % à compter de la décision,

rappelé que la décision est de droit exécutoire par provision,

dit n’y avoir lieu à condamnation en application de l’article 700 du code de procédure civile,

condamné M. [T] aux dépens.

Faisant valoir qu’il se trouvait sous le régime de la curatelle depuis le 2 juin 2016, et que la banque aurait manqué à ses devoirs de vérification de la solvabilité de l’emprunteur et de mise en garde sur les risques nés d’un endettement excessif, M. [T] a relevé appel de cette décision le 23 juin 2020.

L’association tutélaire du Ponant (l’ATP) est intervenue volontairement à l’instance par conclusions du 17 août 2020, en sa qualité de curateur de M. [T].

M. [T], assisté de l’ATP, demande à la cour de :

réformer en tous points le jugement attaqué,

à titre principal, constater la nullité du prêt conclu entre M. [T] et la société Oney Bank, ainsi que l’assignation délivrée par cette dernière,

en conséquence, débouter la société Oney Bank de ses demandes,

à titre subsidiaire, dire que la société Oney Bank a commis une faute dans la conclusion du contrat de prêt,

en conséquence, condamner la société Oney Bank au paiement, à titre de compensation, de la somme de la somme de 19 882,03 euros, assortie du taux contractuel de 3,63 % à compter de la présente décision,

à titre infiniment subsidiaire, prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la société Oney Bank,

accorder les plus larges délais de paiement à M. [T],

en tout état de cause, condamner la société Oney Bank au paiement d’une indemnité de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’en tous les dépens.

Répliquant que M. [T] ne justifiait pas de l’opposabilité aux tiers de la mesure de curatelle invoquée, contestant les manquements contractuels qui lui sont reprochés, et ayant formé appel incident pour contester la modération de son indemnité de défaillance, la société Oney Bank demande quant à elle à la cour de :

condamner M. [T] au paiement des sommes de 19 881,03 euros en principal et de 1 526,72 euros au titre de l’indemnité de défaillance, outre les intérêts de retard au taux contractuel,

rejeter l’ensemble des demandes de M. [T],

condamner M. [T] au paiement d’une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [T] aux dépens de première instance et d’appel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu’aux dernières conclusions déposées pour M. [T] assisté de l’ATP le 17 août 2022 et pour la société Oney Bank le 15 avril 2022, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 8 décembre 2022.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Sur la nullité de l’assignation

Aux termes de l’article 74 du code de procédure civile, les exceptions de procédure doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

Or, en demandant à la cour de ‘constater la nullité du prêt conclu entre M. [T] et la société Oney Bank, ainsi que l’assignation délivrée par cette dernière’, l’appelant invoque d’abord une défense au fond, tirée de la nullité du contrat, avant de demander l’annulation de l’acte introductif d’instance.

Cette dernière demande est donc irrecevable.

Sur la nullité du contrat

Pour solliciter l’annulation du contrat de prêt litigieux, M. [T] prétend qu’il se trouverait placé sous le régime de la curatelle depuis une décision du juge des tutelles du 2 juin 2016.

Toutefois, il résulte de l’article 444 du code civil que les jugements portant ouverture d’une curatelle ne sont opposables aux tiers que deux mois après que la mention en a été portée en marge de l’acte de naissance de la personne protégée, et de l’article 465 du même code que l’irrégularité d’un acte accompli seule par une personne protégée, alors qu’elle aurait dû être assistée par son curateur, ne peut donner lieu à annulation de cet acte que pour autant qu’il ait été accompli postérieurement à la publicité du jugement d’ouverture de la curatelle.

Or, alors que la société Oney Bank souligne expressément dans ses conclusions que M. [T] ne justifie pas de la date d’opposabilité aux tiers de son placement sous curatelle, celui-ci, pourtant assisté devant la cour par un curateur, se borne à produire une ordonnance du juge des tutelles du 27 janvier 2018 désignant l’ATP en qualité de curateur ad hoc avec une mission limitée à l’assistance de l’intéressé dans des procédures judiciaires étrangères à la présente affaire.

Ainsi, n’ont été produits ni le jugement d’ouverture de la curatelle du 2 juin 2016 dont l’existence n’est qu’alléguée, ni, surtout, un extrait de l’acte de naissance de M. [T] qui, seul, aurait permis d’établir que les formalités de publicité de la mesure de protection invoquée avaient bien été accomplies avant la conclusion du contrat de prêt du 5 mai 2018, et que celle-ci était toujours en vigueur et opposable aux tiers à cette date.

Il s’en évince qu’aucune preuve de l’opposabilité à la société Oney Bank de la mesure de protection dont M. [T] ferait l’objet n’est rapportée et que, par conséquent, la demande d’annulation du contrat de prêt, exclusivement fondée sur la circonstance qu’il avait été régularisé sans l’assistance du curateur, doit être rejetée.

Sur la déchéance du droit du prêteur aux intérêts

M. [T] fait grief à la société Oney Bank de ne pas justifier s’être acquittée de son obligation de vérification de la solvabilité de l’emprunteur, et de lui avoir soumis une offre de crédit dotée d’un bordereau détachable de rétractation.

Il résulte à cet égard de l’article L. 312-16 du code de la consommation qu’avant de conclure le contrat de crédit, le prêteur doit, à peine de déchéance de son droit aux intérêts dans la proportion fixée par le juge, vérifier la solvabilité de l’emprunteur à partir d’un nombre suffisant d’informations, y compris des informations fournies par ce dernier à sa demande, et consulter le fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP).

D’autre part, aux termes des articles L. 312-17, D. 312-7 et D. 312-8 du code de la consommation, lorsque les opérations de crédit sont conclues sur le lieu de vente ou au moyen d’une technique de communication à distance, le prêteur ou son intermédiaire doit remettre à l’emprunteur une fiche d’informations comportant, notamment, les éléments relatifs à ses ressources et à ses charges afin de contribuer à l’évaluation de sa solvabilité, et, si le montant du crédit accordé est supérieur à 3 000 euros, le prêteur doit corroborer ces informations par des pièces justificatives du domicile, des revenus et de l’identité de l’emprunteur.

Mais, en l’occurrence, le prêteur produit la fiche de dialogue signée par M. [T] le 5 mai 2018, de laquelle il ressort que celui-ci a déclaré bénéficier d’un salaire mensuel de 4 100 euros outre 550 euros d’allocations familiales, sans encours de crédits antérieurs.

La société Oney Bank produit par ailleurs une copie du passeport de l’emprunteur, la facture d’un fournisseur d’énergie valant justificatif de domicile, un bulletin de salaire d’avril 2018 attestant de sa situation professionnelle d’officier de la marine nationale et de la réalité du niveau de revenu déclaré, ainsi que son relevé de compte bancaire de mars 2018 révélant la perception, au cours de ce mois, d’un revenu similaire à celle d’avril 2018, l’absence de prélèvements afférents à des remboursement d’autres prêts, et un solde créditeur de 6 670 euros au 2 mars et de 5 342 euros au 31 mars.

Il est enfin produit le relevé de consultation du FICP ne révélant aucun incident de remboursement de crédit.

Il est ainsi établi que la société Oney Bank s’est correctement acquittée de son obligation de vérification de la solvabilité de l’emprunteur.

D’autre part, il résulte de l’article L. 312-21 du code de la consommation qu’afin de permettre l’exercice du droit de rétractation mentionné à l’article L. 312-19 du même code, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit, les irrégularités de l’offre étant sanctionnées par la déchéance totale du droit du prêteur aux intérêts.

Mais, il ressort des énonciations de l’offre que M. [T] a accepté celle-ci en déclarant ‘rester en possession d’un exemplaire de cette offre doté d’un formulaire détachable de rétractation’.

Par arrêt du 18 décembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a cependant dit pour droit que les dispositions de la directive transposées par l’article L. 311-12 dans sa rédaction applicable à la cause doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’en raison d’une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur, cette clause entraînant ainsi un renversement de la charge de la preuve de l’exécution desdites obligations de nature à compromettre l’effectivité des droits reconnus par la directive et ne pouvant constituer qu’un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments de preuve pertinents.

Toutefois, en l’espèce, la société Oney Bank produit son propre exemplaire du contrat pourvu, en pied de la page d’acceptation de l’offre par l’emprunteur, d’un bordereau détachable de rétractation, de sorte que la déclaration de M. [T], par laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis une offre dotée d’un bordereau de rétractation, est suffisamment corroborée et que le prêteur rapporte donc la preuve de ce qu’il a soumis à l’emprunteur une offre régulière.

Il n’y a donc pas matière à déchéance du droit du prêteur aux intérêts.

Sur la créance du prêteur

Il ressort de l’offre, de l’historique des mouvements du prêt et du décompte de créance qu’il restait dû au prêteur au jour de la déchéance du terme du 11 juillet 2019 :

3 911,10 euros au titre des échéances échues impayées d’octobre 2018 à juillet 2019 (391,11 x 10),

15 969,93 euros au titre du capital restant dû,

1 277,59 euros au titre de l’indemnité de défaillance égale à 8 % du capital restant dû,

soit, au total, 21 158,62 euros, avec intérêts au taux de 3,63 % sur le principal de 19 881,03 euros.

En effet, le prêteur qui se prévaut de la déchéance du terme, ne peut, conformément aux dispositions des articles L. 312-38, L. 312-39 et D. 312-16 du code de la consommation, obtenir par surcroît de l’emprunteur défaillant le paiement d’une indemnité égale à 8 % des échéances échues impayées, fût-ce sur la part de ces échéances qui devait être affectée à l’amortissement du capital.

Et la cour considère par ailleurs que, telle que liquidée, cette indemnité n’est pas manifestement excessive et n’a pas à être modérée.

M.[T] sera par conséquent condamné au paiement de cette somme, avec des intérêts de retard qui courront a taux contractuel de 3,63 % à compter du 29 mai 2020, date du jugement attaqué, puisque c’est une disposition de celui-ci dont l’intimée sollicite la confirmation.

Sur la mise en garde

Au soutien de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts, M. [T] expose que le prêt qui lui a été consenti excéderait largement ses capacités de remboursement, au regard de l’importance des mensualités de remboursement, de l’existence d’autres crédits et de sa situation personnelle l’ayant conduit à réaliser des achats compulsifs afin de compenser une détresse psychologique imputable au harcèlement moral qu’il dit avoir subi dans son activité professionnelle.

Il est exact que le prêteur est tenu, à l’égard d’un emprunteur non averti, d’un devoir de mise en garde sur les risques nés de l’endettement, notamment en cas d’insuffisance de capacité de remboursement.

Il a cependant été précédemment observé que la société Oney Bank avait fait établir à M. [T] une fiche de dialogue, de laquelle il ressortait qu’il disposait d’un revenu mensuel de l’ordre de 4 650 euros, allocations familiales comprises, sans encours de crédits, et qu’elle s’était assurée du sérieux et de la sincérité de ces déclarations en se faisant remettre un bulletin de paye et un relevé de compte de l’emprunteur.

L’appelant, auquel incombe la charge de prouver le risque d’endettement excessif, ne démontre nullement que ses déclarations étaient inexactes et que le prêteur était, en dépit des pièces justificatives qu’il avait fournies, en mesure de le déceler.

En outre, il produit le mandat de vente d’une maison d’habitation située à [Localité 6] au prix de 275 000 euros daté du 4 janvier 2018 et, dès lors qu’il conclut que ce bien immobilier était toujours en vente au jour de ses conclusions du 17 août 2022, il doit s’en déduire qu’il faisait effectivement partie de son actif patrimonial au moment où il a conclu 5 mai 2018.

Étant observé que le prêt litigieux était de 20 000 euros et que la charge de remboursement de celui-ci était de 391 euros par mois, il n’est par conséquent caractérisé aucun risque objectif d’endettement excessif au jour de l’octroi du crédit, de sorte que la société Oney Bank n’a commis aucune faute en accordant son concours.

La demande en paiement de dommages-intérêts sera donc rejetée.

Sur le délai de grâce

Il n’y a pas matière à accorder un délai de grâce à M. [T], celui-ci ayant déjà bénéficié des larges délais de la procédure pour s’acquitter d’une dette à présent ancienne.

Sur les frais irrépétibles

Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de la société Oney Bank l’intégralité des frais exposés par elle à l’occasion de l’instance d’appel et non compris dans les dépens, en sorte qu’il lui sera alloué une somme de 1 300 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Déclare l’exception de nullité de l’assignation introductive d’instance du 29 mai 2020 irrecevable ;

Infirme le jugement rendu le 29 mai 2020 par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Quimper en ce qu’il a condamné M. [T] au paiement de la somme de 19 882,03 euros ;

Déboute M. [T] de sa demande d’annulation du contrat de prêt du 5 mai 2018 ;

Rejette sa demande de déchéance du droit du prêteur aux intérêts ;

Dit n’y avoir lieu à modération de l’indemnité de défaillance ;

Condamne M. [T] à payer à la société Oney Bank la somme de 21 158,62 euros, avec intérêts au taux de 3,63 % sur le principal de 19 881,03 euros à compter du 29 mai 2020 ;

Déboute M. [T] de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts ;

Rejette la demande de délai de grâce ;

Confirme le jugement attaqué en ses autres dispositions ;

Condamne M. [T] à payer à la société Oney Bank une somme de 1 300 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [T] aux dépens d’appel ;

Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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