Droit de rétractation : décision du 17 janvier 2024 Cour d’appel de Riom RG n° 22/01286
Droit de rétractation : décision du 17 janvier 2024 Cour d’appel de Riom RG n° 22/01286
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COUR D’APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale

ARRET N°22

DU : 17 Janvier 2024

N° RG 22/01286 – N° Portalis DBVU-V-B7G-F2UP

VTD

Arrêt rendu le dix sept Janvier deux mille vingt quatre

Sur APPEL d’une décision rendue le 07 juin 2022 par le juge des contentieux de la protection du Tribunal Judiciaire de CLERMONT-FERRAND (RG n°22/00155)

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

Madame Virginie DUFAYET, Conseiller

En présence de : Mme Nadia BELAROUI, Greffier, lors de l’appel des causes et Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors du prononcé

ENTRE :

S.A. CREATIS

immatriculée au RCS de LILLE METROPOLE sous le numéro 419 446 034

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentants : Me Laurie FURLANINI, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND (avocat postulant) et Me Olivier LE GAILLARD de la SELARL BLG AVOCATS, avocat au barreau de ROANNE (avocat plaidant)

APPELANTE

ET :

M. [E] [J]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Non représenté, assigné à étude

Mme [L] [N] nom d’usage [J]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Non représentée, assignée à personne

INTIMÉS

DÉBATS :

Après avoir entendu en application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, à l’audience publique du 16 Novembre 2023, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame THEUIL-DIF, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.

ARRET :

Prononcé publiquement le 17 Janvier 2024 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige

Suivant contrat en date du 14 février 2018, la SA Créatis a consenti à M. [E] [J] et Mme [L] [N] un contrat de regroupement de crédits pour un montant de 51 700 euros sur une durée de 144 mois, avec intérêts au taux contractuel de 4,28%.

Par exploit d’huissier en date du 15 février 2022, la SA Créatis a fait assigner M. [E] [J] et Mme [L] [N] devant le juge des contentieux de la protection (JCP) du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand en paiement.

Par un jugement contradictoire du 07 juin 2022, le JCP a :

– déclaré irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par la SA Créatis,

– prononcé la déchéance du droit de la SA Créatis aux intérêts sur le contrat de prêt consenti à M. [E] [J] et Mme [L] [N] le 14 février 2018,

– en conséquence,

– condamné M. [E] [J] et Mme [L] [N] à payer solidairement à la SA Créatis la somme de 31 475,01 euros, outre intérêts au taux légal non soumis à la majoration de l’article L.313-3 du code monétaire et financier à compter du 28 décembre 2021,

– condamné in solidum M. [E] [J] et Mme [L] [N] au paiement des entiers dépens de l’instance,

– rappelé que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire,

– débouté la SA Créatis du surplus de ses demandes.

Pour rejeter l’exception d’incompétence, le JCP a relevé que la SA Créatis ne l’avait pas soulevée in limine litis.

Pour prononcer la déchéance du droit aux intérêts, le JCP a indiqué que le contrat produit ne comportait pas de bordereau de rétractation et que le prêteur ne fournissait aucun autre élément probant laissant supposer que l’exemplaire remis aux emprunteurs était doté d’un tel formulaire. Le JCP a ajouté que, même à supposer qu’un formulaire détachable a bien été remis aux emprunteurs, il n’existe aucune pièce permettant de s’assurer que ce bordereau était conforme au modèle-type prévu par l’article R.312-9 du code de la consommation.

Enfin, pour rejeter la demande d’intérêts au taux légal majoré, le JCP a estimé que les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur au titre des intérêts au taux légal majoré de cinq points, nonobstant la déchéance des intérêts, ne sont pas suffisamment inférieurs à ceux dont celui-ci pourrait bénéficier s’il avait respecté ses obligations découlant de la directive 2008/48, le taux de l’intérêt légal majoré de cinq points étant supérieur à celui sollicité par le prêteur (4,28%), de sorte que la sanction de la déchéance du droit aux intérêts ne revêt pas de caractère effectif et dissuasif.

La SA Créatis a interjeté appel de cette décision par déclaration du 20 juin 2022.

Par des conclusions régulièrement déposées et notifiées par voie électronique le 8 septembre 2022, l’appelante demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1231-1, 1902 du code civil, L.312-1 et suivants du code de la consommation, L.313-3 du code monétaire et financier, de :

– déclarer son appel recevable et bien fondé,

– y faisant droit, réformer le jugement en ce qu’il :

– a prononcé la déchéance du droit aux intérêts sur le contrat de prêt consenti à M. [J] et Mme [N] le 14 février 2018, en retenant que l’offre de crédit ne comporte pas de bordereau de rétractation,

– a condamné solidairement M. [J] et Mme [N] à lui payer la somme de 31 475,01 euros avec intérêts au taux légal non soumis à la majoration de l’article L.313-3 du code monétaire et financier à compter du 28 décembre 2021,

– l’a déboutée de sa demande de capitalisation des intérêts et de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– en conséquence et statuant à nouveau :

– à titre principal :

– condamner solidairement M. [J] et Mme [N] à lui payer les sommes suivantes, arrêtées au 28 janvier 2022 :

‘ capital restant dû 41 136,84 euros

‘ intérêts 188,12 euros

‘ indemnité conventionnelle 3 290,95 euros

‘ total 44 615,91 euros, outre frais et intérêts de retard au taux contractuel à compter de la mise en demeure et jusqu’à parfait paiement.

– à titre subsidiaire, si par impossible la déchéance du droit aux intérêts devait être confirmée, assortir toute condamnation en paiement à l’encontre de M. [J] et Mme [N] des intérêts au taux légal, avec majoration de 5 points en application des dispositions de l’article L.313-3 du code monétaire et financier, et réformer en ce sens le jugement entrepris,

– en tout état de cause :

– ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l’article 1343-2 du code civil,

– condamner in solidum M. [J] et Mme [N] à lui payer et porter la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,

– dire que, dans l’hypothèse où, à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées, l’exécution devra être réalisée par l’intermédiaire d’un huissier de justice, le montant des sommes retenues par l’huissier, en application de l’article R.444-55 du code de commerce

et son tableau 3-1 annexé, devra être supporté par le débiteur, en sus de l’application de l’article 700 du code de procédure civile, l’article L.111-8 du code des procédures civiles d’exécution ne prévoyant qu’une simple faculté de mettre à la charge du créancier les dites sommes.

L’appelante conteste la déchéance du droit aux intérêts et soutient qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation la signature par l’emprunteur de l’offre préalable comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur lui a remis le bordereau de rétractation constitue seulement un indice qu’il incombe à celui-ci de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires.

Elle indique que les emprunteurs ont reconnu, sous leur signature, rester en possession d’un exemplaire du contrat doté d’un formulaire détachable de rétractation et que, corroborant cette attestation, elle verse au débat l’exemplaire emprunteurs adressé à ces derniers, lequel comporte ledit bordereau en pages 32 sur 52.

A titre subsidiaire, si la cour devait prononcer la déchéance du droit aux intérêts, elle sollicite l’application du taux légal majoré, estimant que seul le juge de l’exécution est compétent pour prononcer une telle sanction. Elle ajoute en outre que le juge doit comparer les montants et non les taux pour juger du caractère non dissuasif de la sanction.

La déclaration d’appel a été signifiée le 25 août 2022 à étude concernant M. [J] et à personne concernant Mme [N]. Ils n’ont pas constitué avocat.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 14 septembre 2023.

Motivation de la décision

L’offre préalable ayant été signée le 14 février 2018, le litige est soumis aux dispositions du code de la consommation dans sa rédaction et codification postérieures à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016.

L’article L.341-4 du code de la consommation sanctionne par la déchéance du droit aux intérêts contractuels le prêteur qui accorde un crédit sans remettre à l’emprunteur un contrat satisfaisant aux conditions fixées notamment par l’article L.312-21.

Ce dernier article dispose qu’afin de permettre l’exercice du droit de rétractation mentionné à l’article L.312-19, un formulaire détachable est joint à son exemplaire du contrat de crédit.

Il appartient au prêteur, en application de l’article 1353 du code civil, de rapporter la preuve qu’il a rempli son obligation de remettre à l’emprunteur un exemplaire doté d’un formulaire de rétractation conforme aux dispositions ci-avant énoncées.

M. [J] et Mme [N], en signant le 14 février 2018 l’exemplaire de l’acte contractuel resté en possession de la SA Créatis et produit aux débats, ont reconnu selon une formule pré-imprimée figurant dans le paragraphe intitulé ‘Acceptation de l’offre de contrat de crédit’ en page 28, ‘rester en possession d’un exemplaire de ce contrat de crédit doté d’un formulaire détachable de rétractation’.

Ainsi que l’affirme l’appelante, la signature par l’emprunteur de l’offre préalable, comportant une clause selon laquelle il reconnaît que le prêteur, qui doit rapporter la preuve de ce qu’il a satisfait à ses obligations, lui a remis le bordereau de rétractation, constitue seulement un indice qu’il incombe au prêteur de corroborer par un ou plusieurs éléments complémentaires (Cass. civ. 1ère, 21 octobre 2020, n°19-18.971).

La SA Créatis verse aux débats l’exemplaire ’emprunteur’ adressé à ces derniers, doté d’un bordereau de rétractation en page 32 sur 54. La production de cette liasse ayant servi à la rédaction de l’acte, permet à la juridiction de vérifier que le formulaire de rétractation joint à l’exemplaire destiné aux emprunteurs était conforme aux textes en vigueur.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a prononcé la déchéance du droit aux intérêts.

En vertu de l’article L.312-39 du code de la consommation, en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu’à la date de règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre le prêteur pourra demander à l’emprunteur défaillant une indemnité qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat et sans préjudice de l’application de l’article 1231-5 du code civil, sera fixée suivant un barème déterminé par décret (8 % du capital restant dû à la date de la défaillance).

En l’espèce, la SA Créatis produit notamment à l’appui de sa demande :

– l’offre préalable de crédit signée le 14 février 2018 ;

– la fiche de dialogues : revenus et charges et ses justificatifs;

– la fiche d’informations précontractuelles européennes normalisées ;

– le justificatif de consultation du FICP ;

– le document d’information propre au regroupement de créances ;

– la notice d’assurance ;

– le tableau d’amortissement ;

– l’historique du prêt ;

– un décompte de créance.

Elle justifie par ailleurs de l’envoi à M. [J] et Mme [N] le 10 août 2021 d’un courrier recommandé de mise en demeure exigeant le règlement dans un délai de 30 jours des mensualités impayées à hauteur de 594,20 euros sous peine de voir prononcer la déchéance du terme du prêt.

La déchéance du terme est intervenue et un courrier recommandé de mise en demeure a été adressé le 24 décembre 2021 à M. [J] et Mme [N], rappelant que le bénéfice d’une procédure de surendettement n’empêchait pas d’obtenir un titre à leur encontre.

Aussi, au vu des pièces justificatives produites, la créance de la SA Créatis s’établit de la façon suivante au 28 janvier 2022 :

– capital restant dû : 41 136,84 euros

– intérêts : 188,12 euros

soit la somme totale de 41 324,96 euros.

M. [J] et Mme [N] seront ainsi solidairement condamnés à payer la somme de 41 324,96 euros augmentée des intérêts au taux contractuel de 4,28 % l’an à compter du 29 janvier 2022 sur la somme de 41 136,84 euros.

Aux termes de l’article 1231-5 alinéa 2 du code civil, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Le caractère manifestement excessif de la peine peut notamment résulter de la comparaison de celle-ci avec le préjudice effectivement subi par le créancier, ou encore du cumul de l’indemnité avec d’autres charges majorant les coûts financiers supportés par le débiteur.

En l’espèce, l’indemnité de 3 290,95 euros réclamée par la SA Créatis apparaît manifestement excessive, d’une part en ce qu’elle se cumule avec les indemnités de retard calculées sur plusieurs échéances avant la déchéance du terme ainsi qu’il ressort de l’historique du compte, et d’autre part, en ce que le taux d’intérêt de 4,28 % était bien supérieur à la dépréciation monétaire, de sorte que le préjudice subi par le prêteur est limité.

Cette indemnité sera en conséquence réduite à la somme de 500 euros.

M. [J] et Mme [N] seront solidairement condamnés au paiement de cette somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2021.

La sanction de déchéance du droit aux intérêts n’étant pas prononcée, il n’y a pas lieu de statuer spécifiquement sur l’application de la majoration du taux légal prévue par l’article L.313-3 alinéa 1er du code monétaire et financier.

De surcroît, la capitalisation des intérêts n’est pas prévue en matière de crédit à la consommation, les sommes auxquelles le prêteur peut prétendre étant limitativement énumérées par la loi. La SA Créatis ne peut donc se prévaloir de la capitalisation des intérêts.

Succombant à l’instance, M. [J] et Mme [N] seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d’appel.

Toutefois l’équité commande de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le droit proportionnel de recouvrement prévu par les articles R.444-3 tableau 3-1 et A.444-32 du code de commerce sera laissé à la charge du créancier conformément à l’article R.444-55 du même code et à l’article L111-8 du code des procédures civiles d’exécution.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt rendu par défaut, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction, en dernier ressort,

Infirme, dans les limites de sa saisine, le jugement déféré ;

Statuant à nouveau ;

Condamne solidairement M. [E] [J] et Mme [L] [N] à payer à la SA Créatis la somme de 41 324,96 euros, avec intérêts au taux contractuel de 4,28 % à compter du 29 janvier 2022 sur la somme de 41 136,84 euros, et celle de 500 euros au titre de la clause pénale avec intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2021;

Déboute la SA Créatis de ses demandes au titre de la capitalisation des intérêts et de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum M. [E] [J] et Mme [L] [N] aux dépens de première instance et d’appel, sans qu’il y ait lieu de lui faire supporter le droit proportionnel mis à la charge du créancier par l’article R.444-55 du code de commerce relatif au tarif des huissiers de justice.

Le Greffier La Présidente

 


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