Conflits entre associés : décision du 2 février 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/00039

Conflits entre associés : décision du 2 février 2023 Cour d’appel d’Amiens RG n° 22/00039

ARRET

[M]

C/

S.A.S. AGRI C.P.S.

copie exécutoire

le 02 février 2023

à

Me Doré

Me Muhmel

CB/MR/BG

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 02 FEVRIER 2023

*************************************************************

N° RG 22/00039 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IJ3S

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BEAUVAIS DU 16 DECEMBRE 2021 (référence dossier N° RG F 20/00080)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [C] [M]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée et concluant par Me Christophe DORE de la SELARL DORE-TANY-BENITAH, avocat au barreau d’AMIENS substitué par Me Isabelle LESPIAUC, avocat au barreau D’AMIENS

ET :

INTIMEE

S.A.S. AGRI C.P.S. agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée et concluant par Me Francois MUHMEL, avocat au barreau de COMPIEGNE

DEBATS :

A l’audience publique du 01 décembre 2022, devant Madame Corinne BOULOGNE, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.

Madame Corinne BOULOGNE indique que l’arrêt sera prononcé le 02 février 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Madame Corinne BOULOGNE en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 02 février 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Corinne BOULOGNE, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [M] a été embauchée par la Sarl Agri CPS le 2 mars 2015, par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d’assistante de direction.

La Sarl Agri CPS est composée de trois associés, M. [S] détenteur de 49% du capital social qui est aussi le gérant, et de Mrs [V] et [Z].

La convention collective applicable est celle des céréales, meunerie, approvisionnement, alimentation (bétail) et oléagineux.

Le 2 mars 2020, Mrs [V] et [Z] ont assigné M. [S] devant le tribunal de commerce de Beauvais aux fins de démettre celui-ci de ses fonctions de gérant.

Le 9 mars 2020, Mme [M] a adressé un courrier à la société Agri CPS en indiquant qu’elle prenait acte de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur en invoquant des manquements rendant impossible le maintien du contrat de travail.

Le 14 mai 2020, Mme [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Beauvais en sollicitant qu’il juge bien fondée la prise d’acte du contrat de travail du 9 mars 2020, que la rupture soit requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse et qu’il condamne la société au paiement des indemnités de rupture et des dommages et intérêts pour licencient illégitime et autres demandes au titre de l’exécution du contrat de travail

Par jugement en date du 16 décembre 2021, le conseil de prud’hommes de Beauvais a :

– dit et jugé les demandes recevables et mal fondées.

– requalifié la prise d’acte de Mme [M] intervenue le 09/03/2020 en une démission,

– rejeté les demandes relatives à l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse

– débouté Mme [M] de ses demandes concernant les primes de fin d’années 2018 et 2019 ainsi que les 150 euros correspondant aux tickets cadeaux

– dit et jugé qu’il n’y a pas lieu de retenir en l’espèce le harcèlement moral et le préjudice subis par Mme [M]

– dit et jugé qu’il n’y a pas lieu de retenir en l’espèce l’indemnité compensatrice de non concurrence

– condamné Mme [M] à payer la somme de 10399,98 euros à titre d’indemnité de préavis

– débouté la société Agri CPS de sa demande pour procédure abusive et accusations calomnieuses

– condamné Mme [M] à payer à la société Agri CPS la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

– débouté Mme [M] et la société Agri CPS de toute autre demande plus ample et contraire.

– débouté Mme [M] de sa demande d’article 515 du code de procédure civile

– condamné Mme [M] aux entiers dépens.

Le jugement a été notifié à Mme [M] le 22 décembre 2021 qui en a relevé appel le 4 janvier 2022.

La société Agri CPS a régulièrement constitué avocat.

Mme [M], qui est régulièrement appelante de ce jugement, par ses dernières conclusions remises par RPVA le 22 septembre 2022, demande à la cour de :

Dire et juger Mme [M] recevable et bien fondée en son appel.

– En conséquence,

– Réformer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Beauvais en date du 16 décembre 2021 en ce qu’il a dit et jugé les demandes de Mme [M] recevables et mal fondées.

– En conséquence,

– Dire et juger Mme [M] recevable et bien fondée en l’ensemble de ses demandes.

– Y faisant droit,

– Réformer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Beauvais en date du 16 décembre 2021 en ce qu’il a requalifié la prise d’acte de Mme [M] intervenue le 9 mars 2020 en une démission et rejeté les demandes formées par l’intéressée relatives à l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– En conséquence,

– Dire et juger que la rupture du contrat de travail est imputable à la société Agri CPS.

– En conséquence,

– Requalifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– En conséquence,

– Dire et juger que le licenciement de Mme [M] ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse.

– En conséquence,

– Condamner la société AGRI CPS à payer à Mme [M] les sommes suivantes :

* 20.799,96 euros, soit 6 mois de salaire, à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

* 10.399,98 euros, soit 3 mois de salaire, à titre d’indemnité compensatrice de préavis.

* 1.039,99 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis.

* 4.333,32 euros à titre d’indemnité de licenciement.

– Réformer également le jugement du Conseil de Prud’hommes de Beauvais en date du 16 décembre 2021 en ce qu’il a débouté Mme [M] de ses demandes formées au titre de la prime de fin d’année non versée au mois de décembre 2018 et de la prime de fin d’année non versée au mois de décembre 2019.

– Réformer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Beauvais en date du 16 décembre 2021 en ce qu’il a débouté Mme [M] de sa demande tendant à voir condamner le société Agri CPS à lui payer la somme de 150 euros correspondant à la valeur du carnet de tickets cadeaux non remis à l’intéressée au mois de décembre 2018.

– En conséquence,

– Condamner la société Agri CPS à payer à Mme [M] les sommes de :

* 3.466,66 euros, soit 1 mois de salaire, au titre de la prime de fin d’année non versée au mois de décembre 2018.

* 3.466,66 euros, soit 1 mois de salaire, au titre de la prime de fin d’année non versée au mois de décembre 2019.

– Condamner également la société Agri CPS à payer à Mme [M] la somme de 150 euros correspondant à la valeur du carnet de tickets cadeaux non remis à l’intéressée au mois de décembre 2018

– Condamner la société Agri CPS à payer à Mme [M] la somme de 7.512 euros au titre du PER.

– Réformer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Beauvais en date du 16 décembre en ce qu’il a dit et jugé que Mme [M] n’avait pas fait l’objet de harcèlement moral et en ce qu’il a débouté l’intéressée de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral.

– En conséquence,

– Dire et juger que Mme [M] a été victime de harcèlement moral.

– En conséquence,

– Condamner la société Agri CPS à payer à Mme [M] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral.

– Réformer encore le jugement du Conseil de Prud’hommes de Beauvais en date du 16 décembre 2021 en ce qu’il a dit et jugé qu’il n’y avait pas lieu de retenir en l’espèce l’indemnité compensatrice de non-concurrence

– En conséquence,

– Condamner la société Agri CPS à payer à Mme [M] la somme de 16.639,96 euros à titre d’indemnité compensatrice de non-concurrence.

– Réformer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Beauvais en date du 16 décembre 2021 en ce qu’il a condamné Mme [M] à payer à la société Agri CPS la somme de 10399,98 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis.

– En conséquence,

– Débouter la société Agri CPS de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis

– Confirmer le jugement du Conseil de Prud’hommes de Beauvais en date du 16 décembre 2021 en ce qu’il a débouté la société Agri CPS de sa demande pour procédure abusive et accusations calomnieuses.

– En conséquence,

– Débouter la société Agri CPS de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et accusations (prétendument) calomnieuses

– Réformer enfin le jugement du Conseil de Prud’hommes de Beauvais en date du 16 décembre 2021 en ce qu’il a condamné Mme [M] à payer à la société Agri CPS la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et en ce qu’il a condamné l’intéressée aux entiers dépens

– En conséquence,

– Condamner la société Agri CPS à payer à Mme [M] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– Condamner la société Agri CPS aux dépens.

Par conclusions remises par RPVA le 2 juin 2022, la société Agri CPS demande à la cour de :

– Dire et juger la Société Agri C.P.S recevable et bien fondée en ses demandes,

– Requalifier la prise d’acte de Mme [M] intervenue le 09 mars 2020 en une démission,

– Constater que la Société Agri C.P.S n’a pas dispensé la salariée de l’exécution de son préavis,

En conséquence,

– Confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Mme [M] de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

– Confirmer le jugement en ce qu’il a condamné Mme [M] à verser à la Société Agri C.P.S. la somme de 10 399,98 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– Débouter Mme [M] de ses demandes nouvelles formulées en appel, lesquelles apparaissent irrecevables, prescrites et mal fondées

– Infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la Société Agri CPS de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et accusations calomnieuses et, statuant à nouveau sur ce point,

– Condamner Mme [M] à verser à la Société Agri C.P.S la somme de 5 000 euros pour procédure abusive et accusations calomnieuses,

– Condamner Mme [M] à verser à la Société Agri C.P.S. la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, tant pour la procédure de première instance que pour la procédure d’appel, soit 10 000 euros au total,

– Condamner Mme [M] aux entiers dépens de l’instance.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 novembre 2022 et l’affaire fixée à l’audience de plaidoirie du 1er décembre 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.

MOTIFS

Sur l’exécution du contrat de travail

Sur la demande de rappel de prime

Mme [M] sollicite le paiement d’un rappel de primes pour les années 2018 et 2019, soutenant qu’elle ne les a pas perçues contrairement à la totalité de ses collègues en 2018 et à la plupart d’entre eux en 2019, que le montant de la prime s’élève à un mois de salaire, que l’employeur lui avait pourtant promis qu’elle la percevrait en 2019, qu’elle subit une discrimination.

Elle ajoute que l’employeur ne saurait lui reproché d’avoir effectué des recherches d’emploi à compter de fin 2019 car il ne lui adressait plus la parole depuis plusieurs semaines et qu’il lui avait proposé à deux reprises une rupture conventionnelle du contrat de travail ; que le versement des primes n’était pas soumis à des critères particuliers, que les explications de l’employeur sur ce point ne sont pas sérieuses, que les livreurs débutaient leurs journées de façon habituelle tôt le matin sans que cela ait un rapport avec les gilets jaunes, que M. [W] était encore en période d’essai au moment du versement de la prime fin 2018, que pour l’année 2019 elle avait dû travailler même pendant ses arrêts maladie et méritait la prime.

La société réplique que les primes sont attribuées de façon individuelle aux salariés selon leur engagement professionnel, que pour les années avant 2018 la salariée a perçu des primes d’un montant supérieur aux autres salariés, qu’en 2018 il a été décidé de n’attribuer de primes qu’aux ouvriers pour les récompenser des efforts accomplis pendant la période de manifestation des gilets jaunes, que les cadres n’en ont pas perçus, qu’il n’y a pas eu de discrimination pour autant.

L’employeur précise qu’en 2019 il a été alloué une prime exceptionnelle, que 4 salariés ne l’ont pas perçue, qu’il s’agissait de récompenser individuellement certains salariés, contestant avoir promis un versement de prime à Mme [M].

Sur ce

Les gratifications sont dites bénévoles si l’employeur peut décider en toute liberté de l’opportunité de leur versement et de leur montant. Elles constituent alors une libéralité et n’ont pas le caractère juridique d’un salaire.

Les gratifications sont obligatoires et présentent donc le caractère juridique d’un salaire si elles sont prévues par le contrat de travail ou les conventions et accords collectifs de travail, si elles ont été instaurées par un engagement unilatéral de l’employeur ou si leur versement résulte d’un usage d’entreprise.

Le versement d’une prime revêt le caractère d’un usage lorsqu’elle réunit les trois critères de généralité, constance et fixité.

La charge de la preuve du caractère obligatoire d’une gratification appartient, en sa qualité de demandeur, au salarié.

En l’espèce, Mme [M] ne produit pas d’élément sur la prime dont elle réclame le paiement pour les années 2018 et 2019, les fiches de paie produites sont parcellaires et il n’est pas établi que les primes versées les années précédentes aient été générales, (versées à l’ensemble du personnel), constante dans le temps et d’un montant équivalent d’une année sur l’autre.

Par ailleurs il n’est pas établi par la salariée que la prime de 2018 ait été versée à l’ensemble des salariés sauf elle, l’employeur affirmant sans être démenti avoir fait le choix de la verser aux ouvriers seulement ; pas plus que celle de 2019 pour laquelle seule la moitié des salariés l’avait perçue selon l’employeur là encore, affirmation non démentie. Ce choix relève du pouvoir de direction dont il dispose pour les gratifications bénévoles sans caractère obligatoire.

Faute pour Mme [M] de rapporter la preuve du caractère obligatoire de la gratification de fin d’année, la cour confirmera le débouté de la demande de paiement de primes.

Sur la demande de chèques cadeaux

Mme [M] sollicite l’attribution de chèques cadeaux de l’année 2018 soutenant que bien qu’ils doivent être versés à l’ensemble du personnel sans distinction elle ne les a pas reçus.

La société réplique qu’elle a versé les chèques cadeaux en 2018 seulement aux ouvriers pour les récompenser de leurs efforts pendant la période de confinement liée au covid 19.

Sur ce

Les chèques cadeaux sont des avantages en nature, éléments accessoires de la rémunération et doivent en principe être attribués à l’ensemble des salariés sans distinction d’activité sur le principe d’égalité de traitement entre les salariés. Cependant ils ne doivent pas se substituer à d’autres éléments de rémunération comme une prime et doivent correspondre à des événements particuliers ou à des moments déterminés de l’année (exemple Noël, vacances’).

Par ailleurs, l’employeur peut opérer un traitement différencié pour l’octroi d’un avantage à des salariés qui se trouvent dans la même situation à condition que cette différence soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant l’octroi de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables.

En l’espèce il apparaît que les bons cadeaux 2018 avaient été réservés aux seuls ouvriers et donnés en fin d’année.

L’employeur qui avait réservé l’octroi de bons cadeaux au seul personnel non-cadre de son entreprise ne justifie d’aucune raison objective et pertinente pouvant légitimer cette disparité puisque Mme [M] soutient sans être démentie qu’un seul salarié ouvrier effectuait des livraisons tôt en fin de nuit et pendant 15 jours alors que pour les autres les horaires de livraison tôt le matin étaient inchangés.

La cour, par infirmation du jugement sur ce point, condamnera la société à remettre à Mme [M] des bons cadeaux pour une somme de 150 euros.

Sur l’abondement du PER

Mme [M] a adhéré à un PER le 15 octobre 2015 avec abondement de 300 % de la société Agri CPS sans en informer le personnel, que les deux cadres s’en étant perçu il leur a proposé d’en ouvrir un en 2016, qu’en 2018 alors qu’il s’était abstenu de l’informer de la nécessité du versement, elle lui a transmis un chèque qu’il a dû déposer, qu’en 2019 elle a viré le montant de son versement sur le compte bancaire de la société mais celle-ci n’a pas abondé le PER comme prévu et ne l’a pas remboursée. Elle demande donc le paiement d’une somme correspondant aux abondements de 2015 et 2019 non effectués et le remboursement de la somme virée en 2019.

La société Agri CPS soulève l’irrecevabilité de cette demande nouvelle en cause d’appel et ne pouvant se rattacher aux premières demandes formées devant le conseil de prud’hommes.

Sur le fond elle soulève la prescription de la demande portant sur l’abondement de 2015, que celle portant sur l’année 2029 ne pourrait être accueillie que si elle en demandait le paiement auprès de l’organisme.

Sur ce

L’article 564 du code de procédure civile énonce ‘A peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait’.

L’article 565 du même code prévoit que ‘Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent’.

Enfin l’article 566 du même code précise que « Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire. »

Il est constant que les prétentions dont l’irrecevabilité est soulevée par la société n’ont pas été formulées en première instance. Elles ne tendent pas aux mêmes fins que les prétentions initiales et ne constituent ni l’accessoire, ni la conséquence ni le complément nécessaire

Les demandes rappelées précédemment seront déclarées irrecevables.

Sur le harcèlement moral

Mme [M] prétend avoir été victime du harcèlement moral de l’employeur, qu’après l’avoir remplacé pendant une longue période de maladie, le gérant a brutalement changé d’attitude à son égard, multipliant les mesures vexatoires et instaurant un ostracisme envers elle qui ont conduit à une grave dépression réactionnelle ; qu’un rapport d’audit d’organisation de la société des 15 et 16 novembre 2018 dit Opymus sur les rapports entre associés mentionne clairement que pour le gérant elle était « son gros caillou et qu’il ne souhaitait plus la voir.

Elle affirme que ce rapport n’a pas été obtenu frauduleusement, aucune plainte pénale n’ayant été déposée, que le second rapport sur les relations avec les salariés relate les difficultés relationnelles avec M. [S] qui ne saurait prétendre avoir peur d’elle car dans ce cas il l’aurait licenciée, comme il l’a fait pour d’autres salariés, que par la suite il a exigé qu’elle lui remettre les clés dans la boîte aux lettres avec la carte bancaire et les codes jusqu’à lui interdire tout contact avec l’expert-comptable, la dépossédant de ses fonctions d’assistante de direction, qu’elle a été placé en arrêt maladie mais a du aider l’employeur pendant ces arrêts.

Elle précise qu’à son retour de maladie à compter de novembre 2019 le gérant l’évitait, passant par l’atelier pour ne pas la voir, que des témoins en attestent, ce qui a aggravé son état de santé ; que l’employeur est mal venu de faire valoir l’inscription à l’association Aria qu’il a accepté de régulariser pour elle car la cotisation est minime et que les activités étaient organisées hors du temps de travail alors qu’elle devait substituer le gérant ou le seconder dans les différentes manifestations professionnelles , que la secrétaire embauchée pour l’aider a très vite démissionnée, que les cadeaux des entreprises partenaires étaient prêtées aux salariés à tour de rôle, que l’employeur ne pouvait légitimement s’opposer à un prêt remboursable de liquidités ou de véhicule car les autres salariés en bénéficiaient.

La société nie toute forme de harcèlement répliquant qu’elle s’étonne que la salariée verse aux débats le rapport Optymus qui ne concerne que les rapports entre associés, que les deux audits ont été commandés par un associé pour déstabiliser le gérant et tenter de le démettre de ses fonctions, que ces deux audits ont démontré que le problème n’était pas M. [S] mais Mme [M] qui n’a pas hésité à piller les relevés bancaires pour les produire en justice alors que cela ne présente aucun intérêt, qu’il ne l’a pas licencié car il est attaché aux valeurs humaines.

Elle fait valoir que les rapports notent que de façon générale qu’il existe un problème avec l’assistante de direction en raison de son comportement qui n’est pas accepté par les salariés, qu’elle avait demandé qu’elle régularise une rupture conventionnelle avec un salarié dont elle prétend aujourd’hui qu’il a été harcelé moralement, qu’un autre salarié a quitté l’entreprise en raison du comportement de Mme [M] et est revenu suite à son départ, que les attestations produites ne sont pas probantes car Mme [J] est une amie et compagne de l’associé minoritaire, que M. [H] n’était plus en poste lorsque Mme [M] affirme que la société avait changé d’attitude envers elle, que celle de M. [L] est partiale voire mensongère, que celle de M. [W] qui a mis un terme à sa période d’essai après avoir insulté la technico-commerciale est sujette à caution, que celle de M. [R] est sans intérêt car ami de la salariée il n’a été témoin de rien, que les pièces médicales ne peuvent établir l’existence d’un harcèlement alors que Mme [M] qui a vu le médecin du travail le 28 mai 2019 n’a pas signalé être victime de harcèlement moral.

Elle rapporte produire quant à elle 9 attestations démentant tout harcèlement, qu’elle payait la cotisation pour que la salariée adhère à une association pour assistantes de direction dont il s’avère qu’elle lui a permis de participer à différentes manifestations récréatives alors qu’elle était censée travailler et de se faire payer des frais de déplacement, qu’elle a accepté de prêter 1000 euros à Mme [M] en mars 2019 et une camionnette en août 2019, qu’en septembre elle a accompagné le gérant dans différentes sorties professionnelles, qu’elle avait embauché une secrétaire pour l’aider dans ses tâches car elle se plaignait d’une surcharge, qu’elle avait gardé les cadeaux d’entreprises partenaires à son usage personnel ne les partageant pas avec ses collègues, qu’elle lui permettait de prendre des congés du jour au lendemain pour aller chez le kinésithérapeute ou pur garder son petit-fils, que les arrêts de travail sont sans lien avec un quelconque harcèlement moral mais avec les suites du handicap de la salariée.

Enfin la société souligne que si la salariée était victime de harcèlement et en dépression elle n’aurait pas signer un nouveau contrat à durée indéterminée avec une autre société 3 jours après son départ de Agri CPS.

Sur ce

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L.1154-1du même code, le salarié a la charge de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et il incombe ensuite à la partie défenderesse de prouver que les faits qui lui sont imputés ne sont pas constitutifs de harcèlement et qu’ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte du premier de ces textes que les faits susceptibles de laisser présumer une situation de harcèlement moral au travail sont caractérisés, lorsqu’ils émanent de l’employeur, par des décisions, actes ou agissements répétés, révélateurs d’un abus d’autorité, ayant pour objet ou pour effet d’emporter une dégradation des conditions de travail du salarié dans des conditions susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Une situation de harcèlement moral se déduit ainsi essentiellement de la constatation d’une dégradation préjudiciable au salarié de ses conditions de travail consécutive à des agissements répétés de l’employeur révélateurs d’un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs d’autorité, de direction, de contrôle et de sanction.

La salariée verse notamment aux débats :

– le rapport dit Optymus étant précisé que si l’employeur se demande, alors qu’il est confidentiel entre les associés, est parvenu entre les mains de Mme [M] il n’a pas demandé à ce qu’il soit écarté des débats

Celui-ci indique en page 3 que M. [S] a dit ‘ [C] c’est mon gros caillou. Elle me cache des dossiers, des infos. Elle me parle mal, nous sommes entrés en guerre ouverte, j’ai perdu le contrôle en piquant une colère en lui exprimant mon souhait de me séparer d’elle et en lui proposant une rupture conventionnelle, je ne veux même plus venir à l’entreprise à cause d’elle. Ce n’est plus possible, quand j’arrive elle ne me dit même plus bonjour. Je passe par l’usine pour aller dans mon bureau car je ne souhaite pas la voir. Je suis allé voir un avocat qui me demande de lister les dysfonctionnements que j’ai remarqué dans l’exécution de ses tâches et son comportement. Que faire ”

– la réponse qu’elle a faite par courriel à la demande de réunion datée pour le 30 novembre 2020 sollicitée par Mme [B] suite aux difficultés dans l’entreprise en indiquant qu’elle ne sait pas si les gens vont s’exprimer, que sa santé n’est guère florissante malgré le traitement médical, qu’elle a déjà encaissé plus qu’il n’est supportable et qu’elle est la première à souhaiter qu’il y ait une meilleure ambiance de travail mais que si les dirigeants ne sont pas en phase en accord entre eux il n’en sera rien

– le témoignage de M. [W] responsable de production qui affirme qu’il avait demandé la prolongation de la période d’essai en raison des problèmes humains et fonctionnels de l’entreprise et s’interrogeait sur son avenir en son sein, que suite à l’audit avec Mme [M] il a noté un changement notable du comportement du gérant, que dès le lundi 11 novembre M. [S] a fait régner un climat détestable, a demandé à Mme [M] de lui rendre les clés de la boîte aux lettres et la carte bleue et lui a proposé une rupture conventionnelle l’accusant d’être responsable de l’atmosphère ambiante, qu’il ne la saluait pas et l’ignorait ostensiblement, lui tenait des propos vexatoires, qu’elle était tétanisée par cette agressivité inappropriée. Suite à ces événements il a mis fin à sa période d’essai, son état de santé s’en étant ressenti

– le témoignage de M. [R] qui relate l’état de son amie, qui présentait crises d’angoisse, insomnies consécutives à sa mise au placard professionnelle

– les nombreux échanges de courriels entre Mme [B], collègue de travail sur la nécessité d’organiser une réunion sur les conditions de travail avec les 3 associés et le stress supporté par Mme [M] du fait d’être considérée comme un « meuble »

– plusieurs pièces médicales attestant du syndrome anxio-dépressif réactionnel présenté par la salariée qui s’est plainte de mauvaises conditions de travail et de l’attitude de sa hiérarchie

L’attestation de Mme [J] amie de la salariée est écartée des débats car elle est l’épouse de l’un des associés et son témoignage qui ne peut être qualifié d’impartial.

Le témoignage de M. [H] commercial de la société Lenormant sera aussi écarté car la salariée se plaint de harcèlement moral à compter du mois d’octobre 2018 et l’employeur établit qu’il avait quitté la société qui l’employait le 31 août 2018.

Enfin le témoignage de M. [L] ne sera pas non plus examiné car il avait rédigé une première attestation devant le conseil de prud’hommes ne mentionnant pas un harcèlement moral.

La salariée présente ainsi des éléments de fait qui sont de nature à laisser supposer l’existence d’une situation de harcèlement moral en présence de laquelle l’employeur se doit d’établir que les comportements et faits qui lui sont reprochés étaient justifiés par des éléments objectifs à tout harcèlement moral.

La société verse aux débats :

– le courrier du 5 février 2020 de Mme [B] à M. [S] se plaignant du comportement harcelant de M. [V] (associé)

– une demande du 6 février 2020 de plusieurs salariés sollicitant l’intervention de M. [S] suite aux difficultés de management avec M. [V]

– le rapport d’audit sur les rapports entre salariés qui indique qu’il existe un problème de comportement au niveau de l’assistante de direction relevé par 4 des 7 salariés, elle cache des courriers, elle « punit », elle nous sonne, refuse d’acheter de l’eau, des chaussures, ne dit pas bonjour, se mêle des temps de pause, du temps de nettoyage des machines

– plusieurs attestations de salariés indiquant qu’ils ont des accrochages avec Mme [M] qui a un management dit « casque à pointe », qu’elle est autoritaire, a fait installer une sonnerie très bruyante dans l’usine pour appeler les ouvriers dans son bureau ; ils louent les qualités humaines du gérant

– les justificatifs de paiement des cotisations à l’association Aria au profit de Mme [M]

– le courriel de remerciement de Mme [M] à M. [S] pour le prêt que la société lui a consenti en mars 2019

– le SMS de Mme [M] demandant le prêt d’un camion en août 2019

– des pièces sur les sorties effectuées par le gérant avec Mme [M]

– la liste de cadeaux donnés par des fournisseurs

– des SMS de Mme [M] informant son employeur d’absences en raison de séances de kiné et de garde imprévue de son petit-fils.

Il est constant qu’un conflit majeur existe entre les 3 associés qui a entrainé des conséquences sur les conditions de travail des salariés. Mme [M] est amie de Mme [J] qui est l’épouse de l’un des deux associés avec qui M. [S] est en conflit et celui-ci considère visiblement qu’elle a pris parti pour les associés avec qui il est en conflit.

Il est aussi constant que M. [S] a été en dépression pendant les années 2016-2017 et que Mme [M] l’avait alors suppléé ce dont il lui était très reconnaissant (nombreux échanges de courriels et félicitations).

Si le rapport de l’audit mentionne que les salariés ont pu se plaindre de l’attitude autoritaire de Mme [M], il mentionne aussi qu’elle s’est plainte de se sentir débordée et devait compenser les absences du gérant.

Le harcèlement moral s’entend d’agissements répétés de l’employeur révélateurs d’un exercice anormal et abusif par celui-ci de ses pouvoirs d’autorité, de direction, de contrôle et de sanction.

Les atteintes à la dignité telles qu’elles sont caractérisées par la jurisprudence sont le plus souvent liées aux conditions de travail et peuvent se manifester par une mise au placard, des brimades, des mesures vexatoires, des humiliations. Or en l’espèce il existe une mésentente prégnante entre la salariée et le gérant, si le gérant refuse de saluer la salariée, elle en fait de même.

Le retrait de la clé de la boîte aux lettres et de la carte bleue s’explique par la perte de confiance de l’employeur qui s’est cristallisée après l’audit et la proposition de rupture conventionnelle était une solution possible pour sortir de la situation sans pour autant caractériser une atteinte à la dignité de la salariée.

Par ailleurs, l’employeur n’a pas « mis au placard « la salariée, le gérant a repris la plénitude de ses fonctions à l’issue de sa maladie et elle a continué à l’assister et à participer aux différentes manifestations professionnelles telles que reprises dans les pièces produites notamment les salons professionnels, inaugurations’lui permettant de séjourner aux frais de l’employeur dans un cadre agréable.

Elle a aussi continué à bénéficier d’avantages tels prêt financier et prêt de camion comme l’ensemble du personnel, alors que l’employeur la laissait terminer plus tôt son travail pour se rendre chez le kinésithérapeute et pour suppléer à la garde de son petit-fils.

Si la salariée a pu pâtir de soucis de santé, ceux-ci peuvent s’expliquer par la mésentente au travail sans pour autant caractériser un quelconque harcèlement moral.

Ainsi, la société Agri CPS contredit les éléments de la salariée et justifie que les agissements que celle-ci dénonce étaient justifiés objectivement et non constitutifs de harcèlement moral.

Au regard de l’ensemble de ces éléments la cour, par confirmation du jugement, déboutera Mme [M] de sa demande au titre du harcèlement moral.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur la prise d’acte du contrat de travail

Mme [M] sollicite de la cour qu’elle juge la prise d’acte de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur bien-fondée et invoque plusieurs manquements :

– suite à l’audit des 15 et 16 novembre 2018 l’avoir accusé de la mauvaise ambiance de travail, avoir exigé la remise de la clé de la boîte aux lettres et de la carte bleue et la carte d’accès aux comptes bancaires et lui avoir proposé une rupture conventionnelle du contrat de travail

– le 5 décembre 2018 avoir envoyé un mail à 23 heures 23 lui interdisant de contacter le cabinet comptable

– M. [S] lui avoir reprochant d’être encore là le 17 décembre 2018 et l’informer qu’il ne voulait plus lui adresser la parole

– le 17 décembre 2018 avoir informé par note de service la fermeture de l’entreprise pour deux semaines

– l’absence de paiement de prime

– l’absence de chèques cadeaux

– le 20 décembre 2019 ordonner verbalement la fermeture de l’entreprise.

La société réplique que la salariée avait effectué des recherches pour trouver un nouvel emploi dès le 13 décembre 2019 bien avant la prise d’acte du contrat de travail, qu’il a tenté une médiation qu’elle a refusée, qu’après son brusque départ elle a tardé à remettre la matériel professionnel , qu’elle a vidé l’ordinateur de toutes ses données se permettant de copier les relevés bancaires depuis 2015, qu’elle connaît la procédure ayant déjà engagé une procédure prud’homale contre un employeur précédent, que son nouvel emploi est plus rémunérateur et a débuté quelques jours après son départ de Agri CPS , qu’elle aurait dû démissionner, que l’entreprise ferme au moment de Noël.

Su ce

La prise d’acte est un mode de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié.

Il résulte de la combinaison des articles L 1231-1, L 1237-2 et L 1235-1 du code du travail que la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l’employeur en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

Il appartient au salarié d’établir les manquements invoqués et leur gravité ayant empêché la poursuite de contrat qu’il allègue à l’encontre de l’employeur.

L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d’examiner les manquements de l’employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail et cesse son travail à raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

La cour a retenu précédemment que le versement de la prime n’était pas du.

Il a aussi été jugé que le retrait de la clé de la boîte aux lettres et de la carte bleue et l’interdiction d’entrer en contact avec l’expert-comptable s’expliquait par la perte de confiance de l’employeur qui s’est cristallisée après l’audit et que la proposition de rupture conventionnelle était une solution possible pour sortir de la situation sans pour autant caractériser une atteinte à la dignité de la salariée.

La fermeture de l’entreprise pendant les vacances de Noël pratique habituelle ne constitue pas un manquement de l’employeur, quand bien même il en informait les salariés tardivement.

Enfin la mauvaise ambiance au travail n’est pas la résultante d’un harcèlement moral mais de la mésentente entre le gérant et l’assistante de direction sur fond de conflit entre associés.

Il ne reste au titre des manquements invoqués que la non remise des bons cadeaux de l’année 2018, ce qui ne constitue pas un manquement suffisamment grave pour justifier une prise d’acte du contrat de travail par le salarié aux torts exclusifs de l’employeur.

La prise d’acte du contrat de travail de Mme [M] produira les effets d’une démission.

Dans ces conditions, la cour, par confirmation du jugement, dira que les manquements graves de l’employeur invoqués par Mme [M] ne sont pas établis et la déboutera de sa demande aux fins de voir juger la prise d’acte du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur devant produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes indemnitaires consécutives bien-fondées.

Sur la clause de non-concurrence

Mme [M] sollicite le paiement de l’indemnité compensatrice de non concurrence stipulée au contrat de travail arguant qu’après la prise d’acte elle a retrouvé un emploi auprès d’une société dont l’activité est sans rapport avec celle exercée précédemment, que la date de fin de contrat est celle du courrier de prise d’acte du contrat qui entraîne rupture immédiate.

La société Agri CPS s’y oppose indiquant qu’elle a envoyé un courrier recommandé le 25 mai 2020 pour lever la clause de non-concurrence, qu’elle a respecté ainsi le délai de préavis et le contrat de travail qui prévoyait la levée au plus tard au jour de la cessation effective des fonctions.

Sur ce

L’indemnité compensatrice de l’interdiction de concurrence, versée au moment de la mise en oeuvre de la clause se trouve acquise, sans que le salarié qui a respecté son obligation ait à invoquer un préjudice, dès lors que l’employeur n’a pas renoncé au bénéfice de celle-ci dans le délai conventionnel et les formes prévues au contrat.

Le salarié qui ne respecte pas, même temporairement, l’obligation contractuelle de non concurrence, perd le droit à l’indemnité compensatrice et doit rembourser les sommes versées à ce titre. En revanche, il peut prétendre à l’indemnité pour le temps où il a respecté la clause. L’ancien salarié agit en violation de son obligation de non concurrence s’il exerce une activité sans respecter les limites fixées par la clause. La preuve de l’accomplissement d’actes de concurrence incombe à l’employeur.

L’indemnité compensatrice est due à l’ancien salarié dès lors qu’il respecte son obligation de ne pas concurrencer son ex-employeur et que celui-ci n’a pas renoncé à la clause dans les délais et les formes prescrites.

En l’espèce, le contrat de travail stipule en son article 11 une clause de non concurrence ainsi rédigée :

En cas de cessation du présent contrat pour quelque cause que ce soit, Mme [M] s’interdit de s’intéresser directement ou indirectement ou pour me compte d’un tiers, à une entreprise concurrente, ou d’entrer au service d’une telle entreprise en qualité d’employé ou de représentant ou à tout autre titre.

Cette interdiction s’appliquera pendant un an, commençant à courir au jour de la rupture du contrat. Elle est limitée à la zone de rayonnement commercial de la SARL Agri CPS c’est à dire la France et le Benelux.

En contre- partie de l’obligation de non-concurrence prévue ci-dessus, Madame [M] percevra après cessation effective de son contrat et pendant toute la durée de l’interdiction, une indemnité spéciale forfaitaire égale à 40 % de la moyenne mensuelle du salaire brut perçu par elle au cours de ses trois derniers mois de présence dans l’entreprise.

L’indemnité est généralement mensuelle et correspond à un prorata du salaire brut. Elle a la nature d’un salaire

Toute violation de l’interdiction de concurrence, en libérant la Sarl Agri cps du versement de cette contrepartie, rendra Madame [M] redevable envers la sarl Agri CPS du remboursement intégral de ce qu’elle aurait pu percevoir à ce titre.

La Sarl Agri CPS pourra cependant libérer Mme [M] de l’interdiction de concurrence et, par la même, se dégager du paiement de l’indemnité prévue en contrepartie, soit à tout moment au cours de l’exécution du contrat, soit à l’occasion de sa cessation, sous réserve dans ce dernier cas de notifier sa décision par lettre recommandée au plus tard le jour de la cessation effective de ses fonctions.

Le paiement de cette indemnité ne porte pas atteinte aux droits que la Sarl Agri CPS se réserve expressément de poursuivre Mme [M] en remboursement du préjudice pécuniaire et moral subi et de faire ordonner sous astreinte la cessation de l’activité concurrente.

La prise d’acte du contrat de travail produit des effets immédiats et la rupture du contrat de travail doit être fixée au 9 mars 2020.

C’est à cette date que l’employeur devait soit notifier à la salariée sa décision de la libérer de la clause de non concurrence et non attendre le 25 mai 2020 puisqu’il n’est pas effectué de préavis dans le cas d’une prise d’acte du contrat de travail.

En tout état de cause, la salariée est en droit de prétendre au versement de l’indemnité compensatrice de la clause de non-concurrence dès son départ effectif de l’entreprise, et non pas à l’expiration du préavis.

La contrepartie financière de la clause de non-concurrence ayant pour objet d’indemniser le salarié qui, après la rupture, est tenu d’une obligation qui limite ses possibilités de rechercher un autre emploi, l’employeur ne peut être dispensé de verser cette contrepartie nonobstant toute stipulation contraire du contrat de travail, que s’il libère le salarié de son obligation de non-concurrence dans un délai raisonnable à compter de la rupture du contrat.

La société Agri CPS a renoncé à la clause de non-concurrence plus de deux mois et demi après la rupture du contrat de travail et l’arrêt de ses relations contractuelles. Une telle durée ne saurait constituer le délai raisonnable permettant la renonciation à cette clause.

Ainsi elle ne s’est pas trouvée libérée de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et en reste débitrice pour la totalité.

La cour, par infirmation du jugement condamnera la société Agri CPS à verser à Mme [M] la somme de 16 000 euros, montant non spécifiquement contesté au titre de la clause de non-concurrence.

Sur la demande au titre du préavis non effectué

La société Agri CPS sollicite la condamnation de la salariée à lui verser 3 mois de salaires au titre du préavis non effectué qui est de trois mois en application de la convention collective.

Mme [M] s’oppose à cette demande répliquant que la prise d’acte du contrat de travail est bien-fondée.

Sur ce

Si les griefs invoqués par le salarié sont infondés, la prise d’acte produira les effets d’une démission. Dans ce cas, le salarié est redevable de l’indemnité correspondant au préavis qu’il n’a pas exécuté.

Cette indemnité est due dès lors que l’employeur en réclame le paiement, même en l’absence d’un quelconque préjudice.

La cour, par confirmation du jugement, condamnera Mme [M] à payer à la société Agri CPS la somme de 10 399,98 euros.

Sur la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive

La société Agri CPS sollicite la condamnation de la salariée à lui verser des dommages et intérêts pour procédure abusive et accusations calomnieuses qui a invoqué un harcèlement moral inexistant qui ont particulièrement affectées le gérant attaché aux valeurs humaines.

Mme [M] s’oppose à cette demande car l’action en justice ne peut ouvrir droit à des dommages et intérêts sauf à établir que ce droit a dégénéré, ce qui n’est pas le cas de l’espèce.

Sur ce

L’article 1241 du code civil dispose que « chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

L’exercice du droit d’ester en justice ne peut constituer un abus que dans des circonstances particulières. La règle est celle de la liberté d’exercer et l’action en justice et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts qu’en cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur équipollente au dol.

En l’espèce, la cour a fait droit à une partie des demandes de la salariée si bien que son action ne saurait être constitutive d’un quelconque abus.

La cour confirmera le jugement sur ce point.

Sur les frais irrépétibles et les dépens de l’instance

Les dépens et les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile seront infirmés.

Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais qu’elles ont exposés pour la présente procédure. Elles seront déboutées de leurs demandes respectives sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure.

Il convient par ailleurs de juger que les parties supporteront les dépens qu’elles ont exposés pour l’ensemble de la procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort ;

Confirme le jugement rendu le 16 décembre 2021 par le conseil de prud’hommes de Beauvais sauf en ce qu’il a :

– débouté Mme [M] de sa demande au titre des chèques cadeaux

-débouté Mme [M] de sa demande au titre de l’indemnité compensatrice de non-concurrence

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit irrecevable la demande de Mme [M] au titre du PER

Condamne la société Agri CPS à payer à Mme [M] la somme de 150 euros représentant la valeur des chèques cadeaux de l’année 2018

Condamne la société Agri CPS à payer à Mme [M] la somme de 16 000 euros au titre de l’indemnité compensatrice de non-concurrence

Déboute les parties de leurs demandes respectives sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne chaque partie à supporter ses propres dépens pour l’ensemble de la procédure.

LA PRESIDENTE, LA GREFFIERE,

 


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