Conflits entre associés : décision du 9 novembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 23/01269

Conflits entre associés : décision du 9 novembre 2023 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 23/01269

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-1

ARRÊT

DU 09 NOVEMBRE 2023

N°2023/150

Rôle N° RG 23/01269 – N° Portalis DBVB-V-B7H-BKVJA

[W] [R]

C/

[V], [F], [D] [P]

S.A.S. K FRAGRANCES DESIGNER

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Eleonora MASCOLO

Me Silvia MARIN

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance de référé du Tribunal de Commerce de Grasse en date du 27 Juillet 2022 enregistrée au répertoire général sous le n°22R00013 .

APPELANT

Monsieur [W] [R]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 4] (ITALIE), demeurant [Adresse 6] – ITALIE

représenté par Me Eleonora MASCOLO, avocat au barreau de NICE substitué par Me Julien SELLI, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE

INTIMEES

Madame [V] [P]

née le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 5], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Silvia MARIN, avocat au barreau de NICE

S.A.S. K FRAGRANCES DESIGNER,

prise en la personne de son représentant légal en exercice dont le siège est sis [Adresse 3]

représentée par Me Silvia MARIN, avocat au barreau de NICE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804, 806 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Septembre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant :

Madame Valérie GERARD, Président Rapporteur,

et Mme Marie-Amélie VINCENT, conseiller- rapporteur,

chargés du rapport qui en ont rendu compte dans le délibéré de la cour composée de :

Madame Valérie GERARD, Président de chambre

Madame Stéphanie COMBRIE, Conseillère

Mme Marie-Amélie VINCENT, Conseillère, magistrat rapporteur

Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 09 Novembre 2023.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 09 Novembre 2023.

Signé par Madame Valérie GERARD, Président de chambre et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*-*-*-*-*

EXPOSE DU LITIGE

Depuis 2020, M. [W] [R] et Mme [V] [P] sont associés au sein de la Sas K. Fragrances Designer, spécialisée dans la création, production, et distribution de parfums et essences, créée en juin 2017 par Mme [V] [P], laquelle en était l’unique associée initialement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 18 décembre 2021, Mme [V] [P], en sa qualité de présidente, a révoqué M. [W] [R] de sa fonction de directeur général de la société. Par courrier en date du 7 avril 2022, M. [W] [R] se voyait notifier son exclusion de la qualité d’associé de la société.

Par acte d’huissier délivré le 3 mai 2022, M. [W] [R] a fait assigner la Sas K. Fragrances Designer et Mme [V] [P] devant le juge des référés du tribunal de commerce de Grasse, aux fins de désignation d’un administrateur provisoire.

Par ordonnance en date du 27 juillet 2022, le président du tribunal de commerce de Grasse, statuant en référé, a :

– renvoyé les parties à se pourvoir comme il appartiendra,

– dit la demande en désignation d’un administrateur régulière mais irrecevable,

– condamné M. [W] [R] à restituer à la Sas K. Fragrances Designer les deux chèques numérotés 0949016742 et 0949016743 établis à l’ordre de la Sas K. Fragrances Designer tirés par la société Meo Distribuzione sur la banque Monte Dei Paschi Di Siena pour des montants de 13.000 € et 14.000 € sous astreinte de 100 € par jour de retard, passé un délai de quinze jours après la signification de la présente décision,

– rejeté toutes autres demandes,

– condamné M. [W] [R] à payer à la Sas K. Fragrances Designer la somme de 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par acte du 18 janvier 2023, M. [W] [R] a interjeté appel de l’ordonnance.

Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 6 septembre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [W] [R] soutient que :

la décision d’exclusion prise à son encontre est nulle, de sorte qu’il se trouve toujours associé de la Sas K. Fragrances, et ainsi recevable à agir. Il avance que la décision prise par Mme [V] [P] en sa qualité de présidente ne précise aucunement le manquement allégué envers les règles statutaires, ni l’article des statuts violé, et que ses actions n’ont été ni évaluées, ni rachetées, ni cédées, contrairement à l’article 20 des statuts, ne permettant ainsi pas l’achèvement de la procédure d’exclusion,

la désignation judiciaire d’un administrateur provisoire est nécessaire en ce que la preuve est rapportée des circonstances rendant impossibles le fonctionnement normal de la société, ainsi qu’une mésentente grave entre les associés, en ce qu’aucune information ne lui a été donnée en l’absence de toute assemblée générale depuis 2020, alors qu’il est actionnaire majoritaire de la société, et en ce qu’un péril imminent pour la société résulte de la dégradation de sa situation financière ; cette désignation ne se heurte selon lui à aucune contestation sérieuse, et la mesure à prendre repose sur la notion d’urgence laquelle doit être appréciée du côté de la personne morale et non de l’associé.

Ainsi, au visa des articles 811-1 du code de commerce, 544 et suivants du code civil et 700 du code de procédure civile, M. [W] [R] demande à la Cour de :

infirmer l’ordonnance de référé du tribunal de commerce de Grasse prononcée en date du 27 juillet 2022 en toutes ses dispositions,

A titre principal, juger que la procédure d’exclusion ne s’est pas achevée et juger qu’elle est arbitraire et disproportionnée ,

juger que M. [W] [R] est associé de la Sas K. Fragrances Designer,

désigner tel administrateur provisoire qu’il plaira à la Cour à la Sas K. Fragrances Designer qui disposera d’un mandat général de gestion et d’administration et aura notamment pour mission de :

se faire remettre par toute personne l’ensemble des documents et archives de la société,

administrer la société, et plus généralement de faire toutes opérations conformes aux statuts et entrant dans l’objet social de la société et permettant la conservation du patrimoine et le respect des obligations légales,

prendre toutes mesures utiles dans l’intérêt de la société, à l’effet de remédier à une situation de blocage et de paralysie, et notamment de provoquer, le cas échéant, toutes assemblées générales utiles des associés,

proposer toutes solutions susceptibles de favoriser le redressement de la situation et le traitement du conflit entre associés,

fixer la durée de la mission de l’administration provisoire pour une durée de six mois,

fixer le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’administrateur provisoire à la charge de la Sas K. Fragrances Designer,

condamner la Sas K. Fragrances Designer à verser à M. [W] [R] la somme de 4.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par conclusions enregistrées par voie dématérialisée le 7 septembre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la Sas K. Fragrances Designer et Mme [V] [P] répliquent que :

les dernières conclusions de l’appelant doivent être rejetées en ce qu’elles sont tardives, pour avoir été signifiées la veille de l’ordonnance de clôture, alors que les conclusions adverses avaient été signifiées quatre mois auparavant, que l’avis de fixation était intervenu le 16 février 2023, et qu’elles contiennent de nouvelles demandes et prétentions,

in limine litis, les demandes formées par l’appelant sont irrecevables pour défaut de droit d’agir, celui-ci ne disposant plus de la qualité d’associé à la date de la signification de l’assignation en référé,

les conditions requises pour la désignation d’un administrateur provisoire ne sont pas remplies en ce qu’aucune mésentente entre associés n’existe, s’agissant d’un différend entre anciens partenaires, ne touchant pas aux intérêts de la société mais à leurs rapports personnels passés, en ce que le fonctionnement normal et régulier de la société n’est pas mis en cause, la conduite M. [W] [R] tendant au contraire à priver la société de toute trésorerie, notamment en refusant la restitution de deux chèques pour un montant total de 27.000 €, et en ce qu’aucune urgence ou péril imminent ne menace la société ;

A titre reconventionnel, elles sollicitent la restitution de deux chèques d’un montant total de 27.000 € détenus illégitimement par M. [W] [R], dont le comportement relève du trouble manifestement illicite.

Ainsi, au visa des articles 3, 15, 16, 31, 32, 122, 124, 780 et suivants, 855, 872, 873 et suivants, 910-4, du code de procédure civile, et de l’article 20 des statuts de la Sas K. Fragrances Designer, elles demandent à la Cour de :

rejeter les conclusions et pièces signifiées par M. [W] [R] le 6 septembre 2023 et les écarter des débats,

A titre subsidiaire, d’ordonner la révocation de l’ordonnance de clôture en date du 7 septembre 2023,

confirmer l’ordonnance du tribunal de commerce de Grasse du 27 juillet 2022,

débouter l’appelant de toutes ses demandes, fins et conclusion,

Par conséquent, constater l’exclusion depuis le 7 avril 2022 de M. [W] [R] de la Sas K. Fragrances, conformément à l’article 20 des statuts,

constater le défaut du droit d’agir et de la qualité à agir de M. [W] [R],

En conséquence, dire et juger irrecevables, faute de droit d’agir et de qualité à agir, l’ensemble des demandes formées par M. [W] [R] à l’encontre de la Sas K. Fragrances Designer et de Mme [V] [P],

A titre principal, débouter M. [W] [R] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

A titre reconventionnel, constater que M. [W] [R] détenait sans titre et illégitimement les chèques émis par la société de droit italien Meo Distribuzione à l’ordre de la Sas K. Fragrances Designer ;

Par conséquent, condamner M. [W] [R] à remettre lesdits chèques ç la Sas K. Fragrances Designer en la personne de sa présidente Mme [V] [P], sous astreinte de 500 € par jour de retard, à compter de la signification de la présente décision ;

En tout état de cause, condamner M. [W] [R] au paiement de la somme de 3.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

MOTIFS

Sur la demande de rejet des conclusions et pièces signifiées le 6 septembre 2023

Aux termes de l’article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense.

L’article 16 du code de procédure civile prévoit que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

Il résulte de la lecture combinée des articles 10 du code civil et 3 du code de procédure civile que le juge est tenu de faire respecter la loyauté des débats.

En l’espèce, il est manifeste qu’en signifiant de nouvelles conclusions le 6 septembre 2023 à 19 heures 15, soit la veille de l’ordonnance de clôture, alors qu’il était informé depuis le 16 février 2023 par l’avis de fixation tant de la date de l’ordonnance de clôture que de celle de l’audience, et alors que les conclusions d’intimés étaient signifiées le 16 avril 2023, soit plus de quatre mois auparavant, M. [W] [R] a manifestement violé le principe du contradictoire, ne permettant ainsi pas la réplique des parties adverses avant l’intervention de l’ordonnance de clôture.

Aucun élément objectif ne justifie la signification tardive de ces conclusions, l’appelant présentant au surplus pour la première fois des demandes jamais formulées auparavant tant en première instance qu’en cause d’appel, au mépris des dispositions de l’article 910-4 du code de procédure civile.

Il convient dès lors de déclarer irrecevables les conclusions et pièces signifiées par M. [W] [R] le 6 septembre 2023, et de se reporter aux moyens et prétentions tels qu’issus des conclusions signifiées par M. [W] [R] le 16 mars 2023.

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de M. [W] [R]

Aux termes de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d’agir, tel que le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L’article 32 de ce même code prévoit qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.

La désignation d’un administrateur provisoire peut être demandée par tout associé ou actionnaire.

En l’espèce, M. [W] [R] a fait l’objet d’une décision d’exclusion de la société notifiée par courrier recommandé du 7 avril 2022, laquelle n’a fait l’objet d’aucune contestation, et qui statue sur le sort des actions de ce dernier, Mme [V] [P] mentionnant « concernant le rachat de tes actions, j’entends les acquérir moi-même et ce pour le prix auquel tu les as payés, soit 1€. Si ce prix ne t’agrée pas, tu as la possibilité de le faire déterminer par un expert dans les conditions de l’article 1843-4 du code civil ».

Celle-ci fait suite à la procédure d’exclusion initiée par Mme [V] [P], en sa qualité de présidente de la Sas K Fragrances Designer par courrier recommandé en date du 18 février 2022, lequel vise explicitement l’article 20 des statuts de la société, lequel prévoit quatre cas d’exclusion de la société, dont « la révocation d’un associé de ses fonctions de mandataire social », ainsi que sa révocation de son mandat de directeur général en date du 18 décembre 2021. Seul un courriel a été adressé par M. [W] [R] à Mme [V] [P] le 24 février 2022.

Dès lors, M. [W] [R] n’est plus associé depuis la décision du 7 avril 2022, le privant dès lors de la qualité d’agir en désignation d’un administrateur. C’est à bon droit que le premier juge a déclaré irrecevable l’action de M. [W] [R], et l’ordonnance entreprise sera confirmée de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle de transmission de chèques

Aux termes de l’article 872 du code de procédure civile le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

Par ailleurs, en application de l’article 873 du même code, le président peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En l’espèce, les intimés sollicitent la remise de deux chèques détenus sans titre par M. [W] [R]. Ce dernier, bien qu’ayant interjeté un appel total, ne formule aucune prétention et aucun moyen relativement à ce chef de jugement.

Les motifs retenus par le premier juge seront dès lors intégralement adoptés. Il résulte en effet de ceux-ci que dans le cadre de la première instance, l’appelant admettait détenir deux chèques numérotés 0949016742 et 0949016743 établis à l’ordre de la Sas K. Fragrances Designer, tirés par la société Meo Distribuzione sur la banque Monte Dei Paschi Di Siena pour des montants de 13.000 € et 14.000 €, sans motif légitime, n’exerçant aucune fonction au sein de la société.

L’ordonnance entreprise ayant condamné M. [W] [R] à restituer à la Sas K. Fragrances Designer ces deux chèques sous astreinte de 100 € par jour de retard passé un délai de quinze jours après sa signification, sera confirmée de ce chef.

Sur les demandes accessoires

M. [W] [R], qui succombe, sera condamné à payer à la Sas K. Fragrances Designer et Mme [V] [P] la somme de 2.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d’appel, outre les dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

DECLARE irrecevables les conclusions et pièces notifiées par M. [W] [R] le 6 septembre 2023 ;

CONFIRME en toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 27 juillet 2022 par le juge des référés du tribunal de commerce de Grasse ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [W] [R] aux entiers dépens de la procédure d’appel ;

CONDAMNE M. [W] [R] à payer à la Sas K. FRAGRANCES DESIGNER et Mme [V] [P] la la somme totale de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles de l’appel en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

 


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