Augmentation de capital : décision du 18 janvier 2024 Cour d’appel de Douai RG n° 20/02703
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République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 2 SECTION 2

ARRÊT DU 18/01/2024

****

N° de MINUTE :

N° RG 20/02703 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TC7D

Jugement (N° 2018020159) rendu par le tribunal de commerce de Lille Métropole le 09 Juin 2020

APPELANT

La SCP Alpha MJ agissant en la personne de Maître [M] [Y] en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS [Localité 5] Métropole Rugby

demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Olivier Berne, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉ

Monsieur [T] [U]

né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 4]

de nationalité française

demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Philippe Vynckier, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

En présence du ministère public, représenté par M. Christophe Delattre, substitut général

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Stéphanie Barbot, présidente de chambre

Nadia Cordier, conseiller

Agnès Fallenot, conseiller

———————

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Marlène Tocco

DÉBATS à l’audience publique du 16 novembre 2023 après rapport oral de l’affaire par Stéphanie Barbot

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2024 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Stéphanie Barbot, présidente, et Marlène Tocco, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC :

Cf réquisitions du 7 septembre 2023 communiquées le 8 septembre 2023

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 24 octobre 2023

****

FAITS ET PROCEDURE

La SAS [Localité 5] métropole rugby (la société LMR), créée et immatriculée le 24 janvier 2013, avait notamment pour objet de gérer et d’animer les activités sportives de l’association éponyme, et de former des joueurs professionnels de rugby. Son objectif était de permettre au club de [Localité 5] d’accéder au niveau professionnel.

A l’été 2014, à la suite d’une augmentation de capital, la société Escaut restauration, dont M. [U] était le président, est entrée dans le capital de la société LMR.

Le 9 décembre 2014, M. [U] a été nommé président de la société.

Le 26 juin 2015, alors que les résultats sportifs du club lui permettaient d’accéder à la 2e division professionnelle (la « Pro D2 »), l’autorité compétente, le Conseil supérieur de la direction d’aide et de contrôle de gestion de la ligue de rugby, a notifié à la société son refus d’accession à la 2e division pour des raisons financières.

Le 16 juillet 2015, la Commission d’appel de la fédération française de rugby, saisie du recours formé par la société LMR, a confirmé ce refus d’accession à la 2e division.

Un jugement rendu le 20 août 2015 par le tribunal administratif a rejeté le recours en suspension des effets de cette décision formé par la société LMR. Le club a donc été maintenu en « fédérale 1 ».

Le 28 septembre 2015, la société LMR a demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation, demande accueillie par une ordonnance du 13 octobre 2015 qui a désigné un conciliateur pour une durée de quatre mois. Une ordonnance du 10 février 2016 a renouvelé sa mission pour un mois.

Le 2 décembre 2015, l’Urssaf a assigné la société LMR en ouverture d’une procédure collective, en raison d’impayés de cotisations sociales d’un montant total de 271 000 euros.

Le 21 décembre 2015, M. [U] a démissionné de ses fonctions de président de la société LMR et a été remplacé par M. [L].

Lors de l’audience du 11 janvier 2016, l’instance introduite sur l’assignation de l’Urssaf a été renvoyée au 21 mars 2016.

Le 16 mars 2016, le nouveau dirigeant de la société LMR a procédé à la déclaration de la cessation des paiements.

Un jugement du 21 mars 2016, confirmé par un arrêt d’appel du 12 janvier 2017, a mis la société LMR en liquidation judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 1er avril 2015 et M. [Y] nommé liquidateur.

A la suite de ce jugement, l’Urssaf s’est désistée de sa demande en ouverture.

Le 13 décembre 2018, le liquidateur a assigné M. [U] en prononcé d’une mesure de faillite personnelle, subsidiairement d’une interdiction de gérer, d’une durée de cinq ans, et en condamnation au titre de l’insuffisance d’actif.

Par un jugement du 9 juin 2020, le tribunal de commerce de Lille métropole a rejeté l’ensemble des demandes formées par le liquidateur, ainsi que les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et ordonné l’emploi des dépens en frais de procédure.

Le 16 juillet 2020, M. [Y], ès qualités, a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

La société Alpha MJ est venue aux droits de M. [Y], ès qualités.

PRETENTIONS DES PARTIES

Par ses conclusions n° 5 notifiées par voie électronique le 23 octobre 2023, la société Alpha MJ demande à la cour de :

– infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

– condamner M. [U] à supporter une partie de l’insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire de la société LMR, à savoir :

‘ 150 000 euros en raison de la poursuite d’une activité déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements,

‘ 750 000 euros au titre du retard à déclarer la cessation des paiements,

‘ 500 000 euros au titre de l’augmentation inconsidérée de la masse salariale, le tout dans la limite totale d’un million d’euros ou tout autre montant qu’il plaira à la cour ;

– prononcer contre M. [U] une mesure de faillite personnelle, et subsidiairement d’interdiction de gérer, pour une durée de cinq ans, ou toute durée qu’il plaira à la cour ;

– condamner M. [U] au paiement d’une indemnité procédurale de 9 000 euros, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

Par ses conclusions responsives n° 3 notifiées par voie électronique le 23 octobre 2023, M. [U] demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté le liquidateur de l’ensemble de ses demandes et a mis les dépens à la charge de la procédure, mais l’infirmer en ce qu’il a rejeté sa propre demande d’indemnité de procédure ;

En conséquence, statuant à nouveau :

– débouter le liquidateur de toutes ses demandes ;

– débouter le ministère public de ses réquisitions tendant à sa condamnation à supporter l’insuffisance d’actif à concurrence de 200 000 euros et au prononcé d’une interdiction de gérer de 5 ans ;

– condamner la SCP Alpha MJ au paiement d’une indemnité de procédure de 15 000 euros, au titre de la procédure de première instance et en cause d’appel ;

– la condamner aux dépens de première instance et d’appel.

Par un avis du 7 septembre 2023, communiqué aux parties par la voie électronique le 8 septembre suivant, le procureur général demande à la cour :

– la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il a considéré que les fautes relevées par le liquidateur n’étaient pas caractérisées, sauf en ce qui concerne le défaut de paiement des dettes fiscales et sociales, ainsi que l’absence de respect des obligations déclaratives ; la poursuite d’activité déficitaire au titre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et la déclaration de cessation des paiements tardive au titre de l’interdiction de gérer ;

– l’infirmation du jugement et le constat de ce que sont caractérisées les fautes de défaut de paiement des dettes fiscales et sociales, d’absence de respect des obligations déclaratives et de poursuite d’activité déficitaire au titre de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, et de tardiveté de la déclaration de cessation des paiements au titre de l’interdiction de gérer ;

– la condamnation de M. [U] à contribuer à l’insuffisance d’actif à concurrence de la somme de 200 000 euros ;

– la condamnation du même à une mesure d’interdiction de gérer de cinq ans.

***

A l’audience, invité par la cour à préciser le sens de ses conclusions sur la distinction entre les fautes numérotées 6 (avoir aggravé les dettes par une augmentation considérable de la masse salariale) et 7 (avoir augmenté de manière irresponsable les engagements du club par des recrutements) dans ses conclusions d’appel, le conseil de la société Alpha mandataire judiciaire est convenu de ce que ces deux fautes étaient identiques.

MOTIVATION

I- Sur la demande de condamnation au titre de l’insuffisance d’actif

A l’appui de cette demande, le liquidateur fait notamment valoir ces éléments :

* à titre liminaire :

– la date de cessation des paiements, fixée au 1er avril 2015, ne peut plus être remise en cause ;

– l’examen de l’état des créances a révélé « une cohorte » de créanciers impayés depuis fort longtemps ;

– le litige concerne la responsabilité de M. [U] en tant que président de la société LMR, et non l’association ;

– aucune comptabilité ne lui a été communiquée, alors qu’apparemment une comptabilité a été tenue, sans doute pour le premier exercice clos le 30 juin 2014. En revanche, pour les exercices suivants (2015 et 2016), seules des balances lui ont été transmises. Le bilan synthétique invoqué dans la requête en ouverture d’une conciliation ne lui a pas été communiqué par M. [U]. Or, en tant que dirigeant de droit, celui-ci avait l’obligation d’arrêter les comptes annuels et de les faire approuver par l’assemblée générale et déposer au greffe, ce qu’il n’a pas fait. L’impossibilité d’accès à ces éléments, opposée par M. [U] au motif qu’il n’était plus dirigeant au jour du jugement d’ouverture, signifie qu’il n’a pas accompli les formalités nécessaires à l’époque de sa présidence ;

* Sur la demande formée au titre l’insuffisance d’actif :

– l’insuffisance d’actif est établie. En effet, la liste des créances actualisées mentionne un passif définitif de 2 948 763,31 euros et un passif non définitif de 8 826,27 euros, dont 2 065 723,23 euros à titre privilégié. L’actif se compose de comptes bancaires créditeurs (36 305,40 euros) et, selon l’inventaire du commissaire-priseur, d’un actif réalisable d’une valeur de 760 euros. Cette insuffisance d’actif existait pour l’essentiel déjà lorsque, quelques semaines avant le jugement d’ouverture, M. [U] a démissionné de ses fonctions, ainsi qu’en attestent les déclarations de créances. Il ne peut être sérieusement soutenu que cette insuffisance d’actif trouverait son origine dans des causes postérieures à sa démission. Le passif pris en compte concerne bien la société LMR, et non l’association ;

– les fautes reprochées à M. [U] sont les suivantes (v. pp. 16 à 18) :

(1) ne pas avoir payé les dettes sociales et fiscales en temps utile ;

(2) ne pas avoir respecté les obligations déclaratives auprès de l’URSSAF et du Trésor public ;

(3) ne pas avoir respecté les règles spécifiques de son secteur d’activité, obligeant notamment à communiquer en temps utile ses éléments comptables aux instances fédérales ;

(4) avoir poursuivi une activité déficitaire ;

(5) avoir tenu une comptabilité incomplète ;

(6) avoir aggravé les dettes par une augmentation considérable de la masse salariale ;

(7) avoir augmenté de manière irresponsable les engagements du club par des recrutements ;

(8) avoir tardé à déclarer la cessation des paiements, en se contentant de demander l’ouverture d’une conciliation, alors que la société se trouvait déjà en cessation des paiements. Cette procédure n’a fait que retarder la liquidation judiciaire en accumulant des dettes.

Ces fautes ont contribué à l’insuffisance d’actif et à son aggravation pendant toute l’année précédant la liquidation judiciaire (p. 17, avant-dernier §).

Au lieu de réduire les dépenses et de renoncer à l’accès à la D2, qui était compromis, M. [U] en a engagé de nouvelles, principalement de recrutement, qui ont abouti à vingt-quatre jugements du conseil de prud’hommes ordonnant la fixation au passif de créances d’un montant total de 1 416 516,28 euros, dont 1 382 882,43 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive des contrats de travail ;

– lorsqu’un dirigeant a cessé ses fonctions avant la liquidation judiciaire, non seulement il n’est pas nécessaire que l’insuffisance d’actif soit apparue avant sa démission, mais surtout, au-delà de tout débat théorique, en l’espèce, la liquidation judiciaire a été prononcée quelques semaines après la démission de M. [U], sans que celui-ci fasse état d’un événement qui aurait pu modifier de manière significative, pendant ces semaines, l’ampleur du passif ou l’ampleur de l’actif. Dès lors, la preuve de l’insuffisance d’actif à la date du jugement d’ouverture vaut preuve de cette insuffisance quelques semaines plus tôt. Cela est d’autant plus vrai que la plupart des dettes étaient très anciennes et que la date de cessation des paiements a été remontée quasiment un an avant le prononcé de la liquidation judiciaire (p. 19) ;

– le lien de causalité ne fait pas de difficulté. En particulier, M. [U] a fait montre « d’imprudence, d’aveuglement, de maladresse, d’amateurisme », étant incapable de voir les signaux d’alerte et engageant des dépenses qui, à terme, feront « exploser les dettes. » Le retard à déclarer la cessation des paiements et l’absence de comptabilité ont, en outre, facilité la commission d’autres fautes qui ont eu une incidence directe sur l’augmentation du passif. La situation s’est, en effet, dégradée pendant toute la présidence de M. [U] et celui-ci a laissé faire, contribuant même à creuser la dette (pp. 19-20) ;

– la situation s’est aggravée au cours de l’année 2015 (v. pp. 20 à 23). Il est établi qu’entre les 1er avril et 28 septembre 2015, le « trou de trésorerie » a été multiplié par quatre. Ces difficultés étaient bien connues de tous ;

– la société LMR n’a jamais établi qu’elle avait respecté ses obligations comptables issues du règlement applicable aux clubs fédéraux, ni même les exigences minimales attendues de toute société commerciale, puisqu’il n’existe pas de comptes annuels disponibles, ni au 30 juin 2014 ni au 30 juin 2015 ;

– les fautes se sont échelonnées dans le temps (pp. 23 à 25). D’abord, il y a eu une poursuite d’activité déficitaire, de janvier à mai 2015, et ce dans un intérêt personnel, augmentant ainsi l’insuffisance d’actif. Ensuite, de mai à décembre 2015, M. [U] a tardé à déclarer la cessation des paiements, ce qui a généré un passif supplémentaire jusqu’à la fin de son mandat. Enfin, l’augmentation de la masse salariale est directement responsable de l’importance des dettes salariales, puisqu’il a fallu licencier tous les joueurs embauchés de manière inconsidérée. Peu importe que les conséquences de cette augmentation inconsidérée de la masse salariale ait été subies seulement après la liquidation judiciaire, la faute de gestion reprochée tenant à la conclusion des contrats de travail, et non au licenciement. Le CGEA a ainsi déclaré des créances de plus de 1,5 millions d’euros.

En réponse, M. [U] s’oppose à toute demande de condamnation au titre de l’insuffisance d’actif. A titre principal, il fait valoir que :

– la preuve de l’insuffisance d’actif au jour de la cession de ses fonctions n’est pas rapportée (pp. 9 à 11). Or, cette insuffisance doit être appréciée non au jour où le juge statue, mais au jour où lui-même a cessé ses fonctions. Il importe donc peu de connaître l’actif disponible au 14 mars 2016, soit trois mois après sa démission. Le liquidateur ne produisant aucune pièce justificative relative à l’actif existant à la date de la démission, « l’action en comblement » est irrecevable ;

– l’insuffisance d’actif n’est pas certaine, dans son existence et son montant (pp. 11 à 14). En effet, le montant du passif admis et vérifié est inconnu. En tout état de cause, aucun état des créances admises n’a été publié. Alors que seule une vérification du passif et, le cas échéant, des procédures en contestation et admission de créances permettraient de déterminer le montant et la nature du passif certain de la société, le liquidateur ne justifie pas des opérations de vérification. Le liquidateur ne peut se prévaloir du passif déclaré à titre provisionnel pour déterminer l’insuffisance d’actif. N’étant lui-même pas l’auteur de la déclaration de cessation des paiements, les chiffres mentionnés dans celle-ci ne lui sont pas opposables. A titre superfétatoire, seul le passif de la société liquidée, et non celui de l’association, peut être pris en compte pour déterminer l’insuffisance d’actif.

A titre subsidiaire, M. [U] soutient que ni les fautes de gestion ni le lien de causalité ne sont prouvés (pp. 15 à 30), et que le principe de proportionnalité justifie que si plusieurs fautes de gestion sont reprochées pour justifier la mesure de « comblement de passif », le caractère non fondé de l’une conduit « au débouté de la demande» (p. 16, § 3). Il développe donc un argumentaire sur ces points (existence de la faute et lien de causalité) concernant chacune des fautes qui lui sont reprochées :

‘ le non-paiement des dettes fiscales et sociales « en temps utile » (pp. 16-18) ;

‘ l’absence de déclarations auprès de l’Urssaf et du Trésor public (pp. 19-20), celle-ci constituant, en outre, si elle était démontrée, une simple négligence ;

‘ l’absence de communication en temps utile des éléments comptables aux instances fédérales (pp. 20-21) ;

‘ la poursuite d’une activité déficitaire (pp. 22 à 26). Sur ce point, M. [U] fait en particulier valoir que :

– le liquidateur s’appuie sur la date de cessation des paiements, mais se trouve dans l’impossibilité de dater de manière précise et certaine l’état de cessation des paiements. En outre, lui-même n’a pas été partie à l’arrêt du 12 janvier 2017 qui a fixé la date de cessation des paiements. En tout état de cause, cela ne permet pas d’en déduire que la situation financière de la société était compromise à cette date et qu’il y ait eu une poursuite d’activité déficitaire. Selon la jurisprudence, l’insuffisance d’actif s’apprécie au regard de la situation globale du passif et de l’actif, à la date de démission du dirigeant – ici le 21 décembre 2015. Or, le liquidateur n’apporte aucun élément sur cette situation globale, que ce soit à cette date ou au 1er avril 2015. De plus, il doit être tenu compte de ce que lui, M. [U], a demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation qui a été accueillie sans que le ministère public forme un recours contre l’ordonnance désignant un conciliateur. La poursuite abusive d’une activité déficitaire n’est donc pas démontrée ;

– en toute hypothèse, il résulte de l’article L. 653-8 du code de commerce que le dirigeant qui a omis de demander l’ouverture d’une procédure collective dans le délai légal ne peut être sanctionné que par une mesure d’interdiction de gérer, et lui-même a obtenu l’ouverture d’une procédure de conciliation ;

‘ l’absence de tenue d’une comptabilité complète (p. 26). Sur ce point, M. [U] indique notamment qu’une comptabilité a été tenue, qui a été produite à l’appui de la demande d’ouverture de la procédure de conciliation, et qu’il n’est plus détenteur de cette comptabilité en raison de sa démission depuis plus de cinq ans ;

‘ et l’aggravation alléguée des dettes sociales, via l’augmentation de la masse salariale (pp. 27 à 30). A cet égard, M. [U] réfute avoir agi de manière inconsidérée ou inconséquente et affirme qu’il doit être tenu compte tenu de la spécificité de l’activité sportive en cause, qui nécessite, lors de la nouvelle saison de championnat, de recruter et d’entraîner une équipe pendant plusieurs semaines, ainsi que des contraintes administratives imposant la signature de contrats au plus tard en juillet 2015. Il ajoute que la rémunération des joueurs était raisonnable et la durée des contrats habituelle. De plus, le refus définitif d’accession en Pro D2 était postérieur au recrutement des joueurs. Il n’y a pas eu d’augmentation considérable de la masse salariale. En outre, le passif supplémentaire résultant des condamnations prononcées par le conseil des prud’hommes provient principalement de dommages et intérêts pour rupture abusive de CDD, qui naissent au jour du jugement qui les prononce. En l’occurrence, ces jugements étant postérieurs au jugement d’ouverture, ils constituent donc des dettes postérieures n’entrant pas dans le passif pouvant entraîner la sanction du comblement de passif.

A titre plus subsidiaire, M. [U] rappelle que la sanction est facultative (pp  30 à 33). Il prétend qu’en l’espèce, une dispense totale s’impose au vu du contexte dans lequel il a pris ses fonctions. Outre que la situation financière de la société n’était alors pas florissante, il a contribué à assurer sa bonne santé financière, notamment par plusieurs apports en capital consentis par le biais de la société actionnaire Escaut restauration, dont il est dirigeant. Il n’a reçu aucune rémunération au titre de ses fonctions de dirigeant de la société LMR, ni indemnité de frais de déplacement ou de repas, et la société Escaut restauration n’a pas reçu de dividendes. Il a exercé ses fonctions avec une grande implication personnelle, professionnelle et financière. Il a tout tenté pour permettre à la société LMR de réussir son accession en Pro D2 et d’atteindre une situation financière stable, via la signature de contrats de sponsoring, de partenariat, des subventions et des dons. Il a pris l’initiative de demander l’ouverture d’une procédure de conciliation.

Il observe, enfin, que le quantum de la demande de sanction financière requis par le ministère public n’est pas expliqué ni documenté.

Le ministère public, qui requiert une condamnation de 200 000 euros, examine certaines des fautes imputées à M. [U] et fait valoir que :

– le non-paiement des dettes sociales et fiscales, et l’absence des obligations déclaratives auprès des services fiscaux et sociaux. Les déclarations de créance ici en cause correspondent à la période de gestion de M. [U], et cette faute a contribué à aggraver l’insuffisance d’actif ;

– s’agissant du non-respect des règles spécifiques du secteur d’activité de rugby, le liquidateur ne démontre pas que cette faute aurait un lien avec l’insuffisance d’actif ;

– la poursuite d’une activité déficitaire est caractérisée, notamment au regard des dettes fiscales et sociales, confortées par l’arrêt du 12 janvier 2017 précité.

En outre, M. [U] a eu recours à la mesure préventive de conciliation en dehors des critères légaux édictés par l’article L. 611-4 du code de commerce, qui suppose que le débiteur ne soit pas en cessation des paiements, cependant et que cette cessation a été fixée définitivement au 1er avril 2015.

Le ministère public estime que ces fautes ne relèvent pas de la simple négligence, le dirigeant ne pouvant prétendre ignorer la dégradation de la situation de son entreprise et ses difficultés financières, au regard des impayés sur plusieurs mois, des saisies bancaires et du fait qu’il a réinjecté personnellement de l’argent pour renflouer la société.

Sur le quantum de la sanction, s’il considère que l’absence de recours au dispositif de l’article L. 651-4 du code de commerce prive la cour d’éléments utiles pour fixer le montant de la condamnation, il soutient néanmoins que, même si M. [U] indique avoir versé des sommes à titre personnel, via une autre entité qu’il dirige, cela démontre qu’il a contribué à maintenir une société perçue par les tiers comme étant solvable et permis la poursuite d’une activité déficitaire. Il n’est donc pas justifié de le dispenser de toute sanction pécuniaire et de l’exonérer de sa responsabilité.

Réponse de la cour :

A titre liminaire, il importe de rappeler les principes applicables afin, notamment, d’écarter certaines inexactitudes juridiques figurant dans les conclusions de M. [U].

Aux termes de l’article L. 651-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi du 9 décembre 2016 :

Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée.

Le succès de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif est subordonné à la réunion de trois conditions : un préjudice consistant en une insuffisance d’actif, une faute de gestion et un lien de causalité qui, en cas de pluralité de fautes de gestion retenues, doit être caractérisé entre chacune de ces fautes et l’insuffisance d’actif. La charge de la preuve de l’existence de chacune de ces conditions repose sur le demandeur à l’action.

A- Sur l’insuffisance d’actif

En droit, l’insuffisance d’actif, qui doit être distinguée de la cessation des paiements, est égale à la différence entre le montant du passif antérieur et le montant de l’actif de la personne morale débitrice. Cette insuffisance doit être déterminée à la date à laquelle le juge statue, que ce soit en première instance ou en appel (voir par exemple Com. 23 avril 2013, n° 12-12231).

La charge de la preuve de la consistance des éléments de passif et d’actif permettant de calculer l’insuffisance d’actif repose sur le demandeur à l’action, soit en l’occurrence sur le liquidateur.

L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif est recevable même si les opérations de vérification du passif ne sont pas achevées, donc même si les créances n’ont pas encore été admises ; il suffit que l’insuffisance d’actif soit certaine (voir par exemple Com. 7 juin 2005, n° 04-13262).

Dans la mesure où seule la gestion du dirigeant social antérieure à l’ouverture de la procédure collective peut donner lieu à application de l’article L. 651-2 précité, seules les dettes antérieures au jugement d’ouverture peuvent être prises en compte au titre du passif (voir par exemple Com. 28 février 1995, n° 92-18572). Il s’ensuit en particulier que n’entrent pas dans ce passif celui qui est consécutif aux licenciements de salariés, telle l’indemnité de licenciement, si ce passif n’est pas né avant le jugement d’ouverture (voir not. : Com. 18 mars 2008, n° 02-21616 ; Com. 17 septembre 2013, n° 12-26360). En effet, en droit social, le fait générateur de ce passif est la rupture du contrat de travail.

De plus, ne peuvent pas non plus être prises en considération les créances déclarées à titre provisionnel (voir par exemple : Com. 3 octobre 2006, n° 05-15150).

Par ailleurs, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif peut être exercée contre le dirigeant encore en exercice à la date du jugement d’ouverture ou un ancien dirigeant. Toutefois, en cas de démission du dirigeant, la responsabilité de ce dernier ne peut être engagée que s’il existait une insuffisance d’actif à la date de la cessation de ses fonctions (voir par exemple : Com. 24 janvier 2018, n° 15-26810 ; Com. 5 mai 2021, n° 19-18207, 19-19473), peu important le montant exact de l’insuffisance d’actif à la date du départ du dirigeant (Com. 13 mai 2014, n°13-12355).

En l’espèce, il résulte de l’état des créances établi par le liquidateur (cf. sa pièce n° 89) que :

– les créances déclarées par MM. [S] et [O], expressément contestées par M. [U], n’ont pas été prises en considération par le liquidateur dans la détermination du passif antérieur ;

– et, après contestation, une partie de la créance déclarée par la société d’expertise comptable FMD Experts a été exclue.

C’est pourquoi doit être exclue du passif la somme, contestée, de 6 928,27 euros.

Doivent encore être écartées du passif :

– la partie de la créance de 114 768 euros déclarée à titre provisionnel par l’administration fiscale (pôle recouvrement spécialité du Nord), soit un montant de 700 euros ;

– la créance n° 35 de 13 579 euros déclarée par l’Université de [6], dès lors que cette créance se fonde sur un contrat conclu avec l’association [Localité 5] Métropole rugby, et non la société débitrice éponyme (cf. pièce n° 10 du liquidateur) ;

– la créance n° 29 de 13 105,88 euros déclarée par la société Dupont, un doute existant quant à l’identité exacte du débiteur. En effet, cette créance correspond à des factures impayées entre juin 2011 et septembre 2014 ; or, la première de ces factures (juin 2011) a émise à une date à laquelle la société LMR n’existait pas encore, cependant que les factures suivantes comportent exactement les mêmes mentions dans l’encadré réservé à l’identification du débiteur ;

– et, enfin, les créances déclarées par le CGEA, d’un montant respectif de 162 644,25 euros à titre superprivilégié, 1 287 285,19 euros à titre privilégié et 65 940,42 euros. En effet, le liquidateur ne fournit aucune explication sur la nature et l’objet de ces créances ni sur les périodes de temps auxquelles elles se rapportent. La cour ignorant donc s’il s’agit, fût-ce seulement en partie, de rappels de salaires dus antérieurement au jugement d’ouverture, ou de sommes consécutives à la rupture de contrats de travail, elle ne se trouve pas en mesure de vérifier si ces créances sont nées avant ou après ce jugement. Or, il existe une incertitude notable sur l’antériorité des créances du CGEA, puisque qu’il résulte de jugements prud’homaux du 14 septembre 2017 produits (cf. pièces n° 40 à 63 du liquidateur) qu’ont été fixées au passif de la liquidation judiciaire de la société débitrice des créances de dommages et intérêts d’un montant total excédant la somme de 1 300 000 euros, au titre de la rupture abusive des CDD conclus avec des entraîneurs et joueurs, rupture décidée par le liquidateur après le jugement d’ouverture. Pour les motifs ci-dessus explicités, de telles créances, nées d’une rupture postérieure au jugement d’ouverture, ne peuvent être intégrées dans le calcul de l’insuffisance d’actif.

Déduction faite de ces créances, le passif antérieur certain et non contesté susceptible d’être retenu dans le calcul de l’insuffisance d’actif s’élève donc à la somme totale de 1 404 334,84 euros.

S’agissant de l’actif à prendre en considération, et alors que le nouveau dirigeant a mentionné un actif nul dans sa déclaration de cessation des paiements du 14 mars 2016 (cf. pièce n° 37 du liquidateur), le liquidateur fait état :

– de soldes créditeurs de comptes bancaires cumulés équivalents à 36 305,40 euros, sans que le débiteur justifie des raisons pour lesquelles il conviendrait de remettre en question la véracité de cette indication qui lui est favorable ;

– et d’un actif réalisable évalué à 760 euros par le commissaire-priseur, étant précisé que la pièce n° 90 produite sur ce point par le liquidateur se rapporte bien à la SAS LMR, et non à l’association du même nom ;

soit un actif total de 37 065,40 euros

L’insuffisance d’actif, à la date à laquelle la cour statue, peut donc être évaluée avec certitude à la somme de 1 367 269,44 euros.

Enfin, s’agissant du point de savoir si tout ou partie de cette insuffisance d’actif peut être mise à la charge de M. [U], la cour relève, d’une part, que ce dernier ne soutient pas que le passif antérieur pris en considération ci-dessus serait apparu exclusivement entre la date de sa démission, le 21 décembre 2015, et le jugement d’ouverture, du 21 mars 2016. Tout au contraire, il est démontré que ce passif inclut des créances qui sont apparues pendant la période de sa présidence et persistaient encore lorsqu’il a démissionné le 21 décembre 2015. Il en va notamment ainsi des créances suivantes :

– la créance de l’Urssaf (437 703,73 euros), qui inclut 271 077,34 euros au titre des « cotisations, majorations, pénalités et frais » afférents aux mois d’octobre 2014 et de janvier à octobre 2015, selon l’assignation en ouverture d’une procédure collective délivrée par cet organisme le 2 décembre 2015 (cf. pièce n° 92 du liquidateur) ;

– les créances de cotisations sociales obligatoires dues à l’organisme Humanis, d’un total de 222 985,58 euros englobant :

* 221 483,07 euros (retraite Arrco) incluant notamment des cotisations dues au titre du 4e trimestre de l’année 2014, et des 1re, 2e et 3e trimestres de 2015 ;

* et 1 502,51 euros (retraite Agirc) correspondant aux cotisations dues au titre des 1er et 2e trimestres 2015 ;

– les créances déclarées par la Brasserie Lambelin, qui comprennent la somme de 36 150,23 euros au titre de trois factures, dont deux ont été émises en février 2015 et mars 2015 ;

– la créance déclarée par la société Acti Propre, et non contestée, portant sur un total de 3 834,98 euros, au titre de factures de prestations ménagères impayées sur toute la période comprise entre septembre 2014 et juillet 2015 inclusivement.

M. [U] ne soutient ni ne démontre qu’au moment de sa démission, la société possédait un actif supérieur au passif déjà existant à cette date.

La cour en déduit que l’insuffisance d’actif constatée existait déjà en partie à la date de cessation des fonctions de M. [U], de sorte que ce dernier peut être condamné à supporter cette insuffisance.

B- Sur les fautes de gestion

La faute de gestion susceptible d’engager la responsabilité pour insuffisance d’actif d’un dirigeant, sur le fondement de l’article L. 651-2 précité, doit avoir été commise antérieurement au jugement d’ouverture (voir en dernier lieu Com. 8 mars 2023, n° 21-24650, publié).

Par ailleurs, la modification du texte précité par la loi du 9 décembre 2016 qui écarte, en cas de simple négligence dans la gestion de la société, la responsabilité du dirigeant au titre de l’insuffisance d’actif, est applicable immédiatement aux procédures collectives en cours et aux instances en responsabilité en cours (Com. 5 septembre 2018, n° 17-15031, publié).

Il s’ensuit qu’en l’espèce, bien que le jugement d’ouverture date du 21 mars 2016, cette modification législative est applicable au litige. La faute de gestion ne doit donc pas relever d’une simple négligence.

L’exigence de caractérisation d’un lien de causalité signifie que la faute de gestion retenue doit avoir contribué à l’insuffisance d’actif. Selon une jurisprudence ancienne et constante, le dirigeant peut être déclaré responsable de l’insuffisance d’actif même si la faute de gestion qu’il a commise n’est que l’une des causes de cette insuffisance, sans qu’il y ait lieu de déterminer la part de cette insuffisance imputable à sa faute (voir par exemple : Com. 21 juin 2005, n° 04-12087, publié ; Com. 7 nov. 2015, n° 14-12372, publié ; Com. 20 avril 2017, n° 15-23600). C’est pourquoi il n’est pas exigé que la contribution à l’insuffisance d’actif mise à la charge d’un dirigeant tienne compte de la période de sa gestion (Com. 7 nov. 2015, précité).

Ces rappels ayant été faits, il convient d’apprécier si sont caractérisées les fautes de gestion invoquées par le liquidateur.

B.1 Sur le non-paiement des dettes sociales et fiscales en temps utile

Les motifs ci-dessus relatifs à la caractérisation du passif révèlent qu’à l’époque de la présidence de M. [U], ont été enregistrés des impayés au titre de cotisations sociales dues à l’organisme de retraite Humanis.

Le non-paiement de ces cotisations ne relève pas d’une simple négligence, tout dirigeant normalement compétent, attentif et diligent ayant connaissance de l’obligation de payer ces cotisations légalement obligatoires.

Ces créances étant incluses dans le passif ayant servi au calcul de l’insuffisance d’actif, cette faute a contribué à cette dernière.

Ces seules constatations suffisent à caractériser un manquement imputable à M. [U], sans qu’il y ait lieu d’apprécier, en outre, la pertinence de l’argumentation développée par M. [U] concernant la créance du Trésor public et celle de l’Urssaf.

Cette faute de gestion est, dès lors, caractérisée.

B.2 Sur le non-respect des obligations déclaratives auprès de l’URSSAF et du Trésor public

A supposer même que cette faute-ci puisse être imputée à M. [U], force est de constater qu’il ne résulte d’aucune des pièces versées aux débats par le liquidateur qu’elle aurait contribué, fût-ce pour partie, à l’insuffisance d’actif, par exemple en générant des pénalités ou majorations de retard liés au non-respect des obligations déclaratives ici en cause.

Cette faute ne sera donc pas retenue.

B.3 Sur le non-respect des règles spécifiques de son secteur d’activité

Là de même, même si l’on retient que M. [U] a failli aux obligations s’imposant aux clubs de rugby, il ne ressort, en tout état de cause, ni des conclusions du liquidateur ni des pièces communiquées qu’un tel manquement aurait contribué à l’insuffisance d’actif.

Par conséquent, cette faute doit être écartée.

B.4 Sur la poursuite d’une activité déficitaire

En droit, constitue une faute de gestion, au sens de l’article L. 651-2 précité, la poursuite d’une activité déficitaire, sans qu’il soit exigé, en outre, que la preuve de ce que cette poursuite soit abusive et réalisée dans un intérêt personnel.

En l’espèce, il résulte de la déclaration de cessation des paiements établie le 14 mars 2016 par le successeur de M. [U] que le résultat net de la société débitrice n’a cessé de décroître depuis sa création en janvier 2013 : de – 657 euros au juin 2013, ce résultat a diminué à – 1 655 euros au 30 juin 2014, pour chuter à – 446 971 euros au 30 juin 2015, alors que M. [U] avait été désigné dirigeant depuis le mois de décembre 2014. La circonstance que cette pièce a été établie par son successeur n’est en soi pas de nature à lui ôter tout caractère probant.

En outre, la date de cessation des paiements de la société débitrice a été irrévocablement fixée au 1er avril 2015 par un arrêt du 12 janvier 2017, auquel M. [U] n’a pas formé tierce opposition en sa qualité d’ancien dirigeant. La date fixée par cette décision, qui s’impose à la cour, est donc opposable à M. [U].

Or, il est démontré que, pendant le temps de la présidence de M. [U] (du 9 décembre 2014 au 21 décembre 2015), une partie du passif social inclus dans le calcul de l’insuffisance d’actif s’est accrue continûment. Il en va en particulier ainsi des créances suivantes, incluses dans le passif ayant servi à la détermination de l’insuffisance d’actif  :

– la créance de l’Urssaf, qui inclut 271 077,34 euros de cotisations, majorations et pénalités et frais portant notamment sur la période de janvier à octobre 2015 ;

– la créance de la société Acti Propre, dont les factures mensuelles sont demeurées impayées de septembre 2014 à juillet 2015, et ce malgré la délivrance d’une lettre de relance du 21 avril 2015 et d’une mise en demeure du 5 juin 2015, ce qui signifie que l’attention du dirigeant a été attirée sur les difficultés financières de la société débitrice ;

– la créance de cotisations de retraite impayées du groupe Humanis : alors que ces impayés s’élevaient à 1 634 euros au 4e trimestre 2014, c’est-à-dire lors de la nomination de M. [U], ils se sont accrus pour atteindre la somme de 16 549 euros au cours du 1er trimestre 2015, puis 33 697 euros au titre du 3e trimestre 2015.

Ces éléments démontrent que M. [U] a poursuivi une activité déficitaire ne relevant pas d’une simple négligence et que cette faute de gestion a contribué à l’insuffisance d’actif.

Cette faute de gestion doit, dès lors, être retenue.

B.5 Sur la tenue d’une comptabilité incomplète

En l’espèce, le liquidateur se borne à faire valoir qu’aucune comptabilité ne lui a été communiquée, tout en admettant lui-même que le conciliateur a dû avoir connaissance de cette comptabilité dont il fait état dans son rapport et que seules des balances lui ont été communiquées au titre des exercices 2014-2015 et 2015-2016.

De fait, une comptabilité a existé en 2014 et en 2015, puisqu’elle apparaît dans la liste des pièces jointes à la demande de conciliation déposée par M. [U] (cf. pièce n° 18 du liquidateur) et que le conciliateur y fait allusion dans son rapport (cf. pièce n° 70 de l’appelant).

Il ne peut, dès lors, être déduit ipso facto de l’absence de communication de la comptabilité au liquidateur que celle-ci serait nécessairement incomplète, et ce d’autant moins que le liquidateur ne justifie pas avoir vainement réclamé cette comptabilité à celui qui dirigeait encore la société débitrice à la date du jugement d’ouverture, M. [L].

Pour l’ensemble de ces raisons, la cour estime que la faute de gestion alléguée à ce titre n’est pas caractérisée.

B.6 Sur l’aggravation des dettes par une augmentation considérable de la masse salariale et l’augmentation irresponsable les engagements du club par des recrutements

A titre liminaire, la cour rappelle que, ainsi que l’a confirmé le conseil du liquidateur à l’occasion de l’audience, ces deux fautes (numérotées 6 et 7 dans ses conclusions, p. 16-17) n’incriminent, en réalité, qu’un seul et même comportement fautif : l’augmentation de la masse salariale via le recrutement de nouveaux joueurs.

M. [U] reconnaît lui-même dans ses conclusions (p. 3), d’une part, que, dès le 26 juin 2015, le Conseil supérieur de la direction d’aide et de contrôle de gestion de la ligue de rugby a notifié à la société débitrice un refus d’accession en 2e division professionnelle « pour raison financière », d’autre part, que la confirmation de ce refus par une décision de la commission d’appel du 7 juillet 2015, frappée d’un recours rejeté par le tribunal administratif de Versailles le 20 août suivant, a « lourdement perturbé l’activité de la société LMR », en la privant de ses sponsors et, partant, des budgets annoncés.

C’est dire qu’à l’été 2015, M. [U] avait pleinement conscience des difficultés financières auxquelles la société débitrice était confrontée et des pertes financières qu’engendrait le refus d’accession en 2e division professionnelle. La presse locale s’en est d’ailleurs fait l’écho. Ainsi, un article paru le 21 août 2015 relate qu’à la suite de la perte des « droits télé » engendrée par la confirmation de la non-accession de la société débitrice à cette division consécutivement au jugement du 20 août 2015 précité, M. [U] a déclaré « on va réduire le budget de 5 à 2 millions et faire baisser la masse salariale » (cf. pièce n° 22 du liquidateur). Or, loin de se conformer à l’objectif qu’il s’était lui-même fixé, l’intéressé a, au cours du mois de septembre 2015 – soit quelques jours après le refus définitif d’accès du club à la deuxième division, et non avant comme il le soutient -, recruté deux entraîneurs et pas mois de quinze nouveaux joueurs professionnels de rugby (cf. les jugements du conseil des prud’hommes, pièces n° 40 à 63 du liquidateur).

M. [U] allègue, sans preuve à l’appui, avoir obtenu des moratoires « auprès des créanciers », qu’il se garde bien de désigner précisément (cf. ses conclusions, p. 4).

Par ailleurs, c’est à mauvais escient qu’il tente de justifier ces recrutements massifs, réalisés à un moment critique – le refus d’accéder à la deuxième division étant irrévocablement acquis et, du propre aveu de M. [U], la société débitrice ayant donc perdu ses principales sources de financements -, en arguant de la spécificité de l’activité de rugby, qui implique de recruter et d’entraîner une équipe pendant plusieurs semaines lors de la nouvelle saison de championnat, et des contraintes administratives imposant la signature de contrats au plus tard en juillet 2015. Outre que les recrutements litigieux sont intervenus postérieurement à cette dernière période, le comportement de M. [U] montre que celui-ci a fait fi des difficultés financières de la société débitrice avérées, visibles et connues de tous, spécialement de lui-même.

De même, n’est nullement de nature à exonérer M. [U] de sa responsabilité la circonstance que celui-ci a demandé, le 28 septembre 2015, une procédure de conciliation accueillie par une ordonnance du 13 octobre suivant. En effet, cette demande a été formée non seulement après les recrutements litigieux, mais surtout largement après l’expiration du délai de quarante-cinq jours suivant la date de cessation des paiements de la société débitrice (irrévocablement fixée au 1er avril 2015, tel qu’indiqué précédemment), cependant que l’article L. 611-4 du code de commerce réserve cette procédure au débiteur qui ne se trouve « pas en état de cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours. »

Ces recrutements massifs du mois de septembre 2015 sont directement à l’origine de l’aggravation du passif tenant à la créance de cotisations sociales de retraite du groupe Humanis, incluse dans la détermination de l’insuffisance d’actif et dont il a déjà été relevé ci-dessus que ces impayés, préexistant à la nomination de M. [U] (1 634 euros au 4e trimestre 2014), ont constamment augmenté, passant à 16 549 euros au 1er trimestre 2015 à 33 697 euros au 3e trimestre 2015.

Il résulte de ces constatations que cette faute de gestion ne peut s’analyser en une simple négligence et qu’elle a contribué à l’insuffisance d’actif.

Cette faute est donc caractérisée.

B.7 Sur le retard dans la déclaration la cessation des paiements

En droit, constitue une faute de gestion le fait de ne pas avoir déclaré la cessation des paiements de la société mise en liquidation judiciaire dans le délai légal de quarante-cinq jours, ou d’y avoir procédé avec retard.

Contrairement à ce que soutient M. [U], il ne résulte pas de l’article L. 653-8 du code de commerce que cette faute de gestion ne peut être sanctionnée que par une mesure d’interdiction de gérer, sans pouvoir fonder une condamnation au titre de l’insuffisance d’actif. La jurisprudence qu’il invoque à l’appui de cette assertion n’a pas la signification qu’il lui prête : elle ne fait que rappeler qu’en vertu de ce texte, issu de la loi de sauvegarde des entreprises de 2005, lorsqu’est demandée contre un dirigeant le prononcé d’une sanction personnelle – et non pécuniaire, comme l’est la condamnation à contribuer à l’insuffisance d’actif -, cette faute ne peut pas justifier le prononcé d’une faillite personnelle, mais exclusivement celui d’une interdiction de gérer.

En outre, en cas d’omission de déclaration de la cessation des paiements, ou de tardiveté de cette déclaration, cette faute s’apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements telle qu’elle a été fixée dans le jugement d’ouverture ou dans un jugement de report (v. l’arrêt de principe Com. 4 nov. 2014, n° 13-23070, publié). Les juges saisis de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ne peuvent, dès lors, remettre en cause cette date.

En l’espèce, la déclaration de cessation des paiements n’a été réalisée que par le successeur de M. [U], le 16 mars 2016. Or, tel qu’indiqué précédemment :

– la date de cessation des paiements a été fixée au 1er avril 2015 par un arrêt irrévocable du 12 janvier 2017, qui est opposable à M. [U] ;

– le passif social s’est accru entre le 16 mai 2015, date à laquelle expirait le délai légal de 45 jours pour déclarer la cessation des paiements, et la démission de M. [U] intervenue le 21 décembre 2015, soit très peu de temps après que l’Urssaf a assigné la société débitrice en ouverture d’une procédure collective, le 2 décembre 2015, en arguant d’une dette d’impayés de cotisations de 271 077,34 euros ;

– M. [U] ne peut se retrancher derrière le fait qu’il a sollicité la désignation d’un conciliateur en septembre 2015 et qu’il a été fait droit à cette demande, cette dernière ayant été formée trop tard, alors que la société débitrice se trouvait déjà en cessation des paiements depuis plus de cinq mois.

Les éléments précédemment relevés, parmi lesquels l’on soulignera, d’un côté, les propres déclarations de M. [U] révélant la conscience qu’il avait de l’aggravation des difficultés financières de la société débitrice en raison de la non-accession en deuxième division professionnelle dès la fin du mois d’août 2015, de l’autre, l’augmentation du passif social pendant la période postérieure à l’expiration du délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, démontrent à suffisance que cette faute de non-déclaration ne relève pas d’une simple négligence et qu’elle a contribué à l’insuffisance d’actif.

Cette faute est ainsi établie.

C- Sur le montant de la contribution à l’insuffisance d’actif

En droit, il résulte des termes mêmes de l’article L. 651-2 que, bien que les conditions de fond de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif soient réunies, les juges du fond apprécient souverainement le montant de la condamnation à prononcer, dans la limite du plafond que constitue le montant de l’insuffisance d’actif, et peuvent même décider de ne pas prononcer de condamnation, laquelle n’est que facultative pour eux (v. par exemple : Com. 11 juin 2014, n° 13-16481 ; Com. 8 mars 2023, n° 21-24650).

Par ailleurs, la condamnation prononcée à ce titre ne peut qu’être unique, et non scindée entre chacune des fautes retenues comme le fait en l’espèce le liquidateur, dès lors que, étant une action en responsabilité civile délictuelle, l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif obéit aux règles gouvernant cette matière, notamment à celle selon laquelle les fautes concourant à la réalisation d’un même dommage – ici constitué de l’insuffisance d’actif – ne peuvent jamais donner lieu qu’à une seule réparation indemnitaire.

Enfin, contrairement à ce qu’affirme M. [U], le « principe de proportionnalité » appliqué en jurisprudence depuis 2009 (voir Com. 15 déc. 2009, n° 08-21906, publié) ne signifie nullement que « si plusieurs fautes de gestion sont reprochées pour justifier la mesure de comblement du passif, le caractère non fondé de l’une conduit au débouté de la demande »(cf. ses conclusions, p. 16, § 2). Ce principe, applicable devant la Cour de cassation, signifie uniquement que, si une cour d’appel a prononcé une condamnation pour insuffisance d’actif en tenant compte de plusieurs fautes de gestion, et si la Cour de cassation estime que l’une de ces fautes n’est pas légalement justifiée, alors le fait que cette faute ait été prise en considération dans l’appréciation du quantum de la condamnation suffit à faire tomber celle-ci dans son intégralité – autrement dit à casser totalement le chef de l’arrêt relatif à cette condamnation.

En l’espèce, la cour, qui n’est donc pas tenue d’appliquer un prétendu principe de proportionnalité entre l’insuffisance d’actif et les revenus du dirigeant fautif – ce principe n’étant pas consacré par la jurisprudence et étant, au demeurant, étranger aux principes gouvernant la responsabilité civile délictuelle -, appréciera souverainement le montant de la condamnation à prononcer, ou non, à l’égard de M. [U], et ce dans la limite, infranchissable, du montant du préjudice que constitue l’insuffisance d’actif.

En toute hypothèse, à supposer même qu’il faille motiver spécialement la condamnation à ce titre, la cour relève que quatre fautes sont imputables à M. [U] et en lien avec l’insuffisance d’actif : le non-paiement des dettes sociales et fiscales en temps utile, la poursuite d’une activité déficitaire, l’augmentation de la masse salariale via le recrutement de nouveaux joueurs, et la non-déclaration de la cessation des paiements.

Contrairement au tribunal, la cour estime que la circonstance que la société débitrice fût en difficultés financières avant même la nomination de M. [U] au poste de président n’est pas de nature à atténuer sa responsabilité, puisqu’au contraire, cet état de fait aurait dû inciter ce dirigeant à davantage de prudence et de vigilance dans la gestion de la société.

De même, la cour ne voit pas pour quel motif les apports de 150 000 euros consentis à la société débitrice, entre décembre 2014 et juin 2015, par la société Escaut restauration dirigée par M. [U], et non par ce dernier personnellement, justifieraient un amoindrissement de la condamnation à l’insuffisance d’actif, voire une exemption de toute condamnation, et ce d’autant moins que ces apports, réalisés concomitamment à l’examen des comptes par l’autorité de contrôle des clubs de rugby professionnels pour tenter de permettre au club d’accéder en deuxième division, ont contribué à laisser accroire que la situation financière de la société débitrice était moins obérée qu’elle ne l’était en réalité.

Pour la même raison, il n’y a pas lieu de faire crédit à M. [U] de l’abandon de sa créance en compte courant décidé en juin 2015.

En revanche, la cour estime qu’il convient de prendre en considération le fait que M. [U] n’a dirigé la société débitrice que pendant une année, que la situation financière de celle-ci était déjà difficile lorsqu’il a pris ses fonctions, que l’intéressé n’a jamais été condamné antérieurement à une sanction pécuniaire ou personnelle et, enfin, qu’il a assuré ses fonctions bénévolement, sans percevoir ni rémunération ni indemnité quelconque.

Au regard de ces éléments, du nombre et de la gravité des fautes commises, et du montant du préjudice subi par la société débitrice (l’insuffisance d’actif retenue s’élève à 1 367 269,44 euros), la cour estime qu’il y a lieu de condamner M. [U] au paiement de la somme de 350 000 euros au titre de sa responsabilité pour insuffisance d’actif.

Le jugement, qui a exonéré M. [U] de toute condamnation pécuniaire, sera donc réformé de ce chef.

II- Sur la demande de prononcé d’une faillite ou d’une interdiction de gérer

Le liquidateur soutient que les fautes de gestion reprochées à M. [U] à l’appui de la demande de condamnation au titre de l’insuffisance d’actif permettent de condamner l’intéressé à une mesure de faillite personnelle ou, à tout le moins, d’interdiction de gérer.

A l’appui de la demande principale de faillite, il invoque les deux séries de faits suivants :

(1) la poursuite abusive d’une activité déficitaire dans un intérêt personnel (article L. 653-4, 4° du code de commerce) ;

(2) la disparition ou le défaut de tenue d’une comptabilité, ou la tenue d’une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière (article L. 653-5, 6°).

Il prétend que l’intérêt personnel de M. [U] à cette poursuite d’activité n’était pas patrimonial, mais néanmoins certain, tenant à sa volonté de préserver sa réputation d’homme d’affaires et de gestionnaire.

Et à l’appui de sa demande subsidiaire d’interdiction de gérer, le liquidateur se prévaut de l’omission de la déclaration de cessation des paiements dans le délai légal (article L. 653-8), en soutenant que :

– cette omission a été faite sciemment, dès lors que M. [U] ne pouvait ignorer cet état, au vu des relances et mises en demeure délivrées à la société et d’une assignation signifiée par l’URSSAF en décembre 2005, avant la démission de l’intéressé ;

– et la demande, tardive, d’ouverture d’une procédure de conciliation ne peut exonérer M. [U] de sa responsabilité.

En réponse, M. [U], qui s’oppose au prononcé de sanctions personnelles, fait notamment valoir ces éléments :

– en application du principe de proportionnalité, la démonstration du caractère infondé de l’une des fautes reprochées doit conduire au rejet des prétentions du liquidateur (p. 34) ;

– le grief d’exploitation déficitaire (p. 35) n’est pas caractérisé, dès lors que le liquidateur ne démontre ni l’exploitation déficitaire abusive ni l’intérêt personnel du dirigeant à cette poursuite ;

– le grief relatif à la comptabilité (p. 36 à 38) n’est pas non plus fondé ;

– et, s’agissant de la non-déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, le liquidateur ne rapportant pas la preuve de l’existence et de la consistance de l’actif disponible au jour de sa date de cessation des fonctions, aucune faute ne peut être retenue. En outre, le caractère délibéré de l’omission de déclarer n’est pas établi. Enfin, puisqu’il a requis l’ouverture d’une procédure de conciliation, les conditions de l’article L. 653-8 ne sont pas réunies. Le président du tribunal de commerce a accueilli cette demande et son ordonnance n’a pas été frappée de recours par le ministère public.

Le ministère public, qui requiert le prononcé d’une interdiction de gérer de 5 ans, écarte certains des griefs invoqués :

– la poursuite d’une activité déficitaire, faute de démonstration qu’elle a été faite dans un intérêt personnel ;

– le grief tenant à la tenue de la comptabilité, dès lors qu’il existait des documents comptables au 29 juillet 2015, ainsi qu’en atteste l’ouverture de la procédure de conciliation.

En revanche, il estime que la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements est caractérisée, que ce manquement a été fait sciemment et que cette faute justifie le prononcé d’une interdiction de gérer.

Réponse de la cour

A titre liminaire, il convient de rappeler que M. [U] se livre à une interprétation erronée du principe dit « de proportionnalité ». Loin de signifier que « la démonstration du caractère infondé de l’une des fautes reprochées [au dirigeant poursuivi] doit conduire au rejet des prétentions adverses », comme l’intéressé le prétend (p. 34 de ses conclusions), ce principe signifie uniquement qu’à hauteur de cassation, si une cour d’appel a prononcé une sanction personnelle en tenant compte de plusieurs faits et si la Cour de cassation estime que l’un de ces faits n’est pas légalement justifié, alors la condamnation « tombe » dans son intégralité, les juge ayant indûment pris en considération ce fait dans l’appréciation du quantum de la sanction.

A- Sur la demande de prononcé d’une faillite

En premier lieu, l’article L. 653-5 du code de commerce dispose que :

« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 contre laquelle a été relevé l’un des faits ci-après :

[…]

6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ; […] »

En l’espèce, pour les raisons explicitées ci-dessus au titre de la sanction pécuniaire, le fait tenant à la disparition ou au défaut de tenue d’une comptabilité, ou à la tenue d’une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière, n’est pas caractérisé à l’égard de M. [U].

En second lieu, l’article L. 653-4 dispose que :

« Le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d’une personne morale, contre lequel a été relevé l’un des faits ci-après :

[…]

4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale ; […] »

En l’espèce, il a déjà été indiqué, ci-dessus, que M. [U] n’a perçu ni rémunération ni indemnité quelconque dans l’exercice de ses fonctions de dirigeant de la société LMR. A supposer même que l’intérêt personnel qui conditionne la mise en oeuvre de ces dispositions puisse s’entendre d’un intérêt non patrimonial, la cour observe, en tout état de cause, que le liquidateur affirme, sans que cela résulte d’aucune des pièces versées aux débats, que M. [U] aurait poursuivi abusivement l’exploitation déficitaire de la société débitrice dans un intérêt personnel tenant à « la volonté de préserver sa réputation d’homme d’affaire et de gestionnaire. »

La condition tenant à l’existence d’un intérêt personnel n’étant pas remplie, le fait sanctionné par l’article L. 653-4, 4° n’est pas démontré.

Eu égard à l’absence de caractérisation de tout fait susceptible de fonder le prononcé d’une mesure de faillite, cette demande doit être rejetée. Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

B- Sur la demande de prononcé d’une interdiction de gérer

En droit, l’article L. 653-8, alinéa 3, du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 applicable en la cause, dispose que :

« [L’interdiction de gérer] peut également être prononcée à l’encontre de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation. »

Il résulte de l’article R. 653-1 du même code, pris en application de ce texte, que, depuis l’entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises – soit depuis le 1er janvier 2006 -, l’omission de déclaration de la cessation des paiements dans le délai légal, susceptible de justifier le prononcé d’une interdiction de gérer, s’apprécie au regard de la seule date de la cessation des paiements fixée dans le jugement d’ouverture ou dans un jugement de report.

Enfin, en matière de faillite et d’interdiction de gérer, le prononcé de la sanction n’est qu’une faculté pour les juges du fond, et si ces derniers décident de prononcer cette sanction, ils doivent motiver leur décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle du dirigeant (v. l’arrêt de principe Com. 17 avril 2019, n° 18-11743, publié).

En l’espèce, il a déjà été indiqué, précédemment, que la date de cessation des paiements a été irrévocablement fixée au 1er avril 2015 par l’arrêt du 12 janvier 2017 et que la déclaration de cessation des paiements a été effectuée seulement le 16 mars 2016.

D’abord, la cour étant tenue par la date de cessation des paiements fixée par l’arrêt du 12 janvier 2017, est inopérant le moyen, opposé par M. [U], tiré de ce que le liquidateur ne rapporte pas la preuve de l’existence et de la consistance de l’actif disponible à cette date.

Ensuite, M. [U] ne peut se retrancher derrière la circonstance que sa demande d’ouverture d’une conciliation a été accueillie, dès lors que celle-ci a été formée le 28 septembre 2015, soit largement après l’expiration du délai de 45 jours pour déclarer la cessation des paiements de la société débitrice.

Les éléments ci-dessus mis en évidence, et en particulier les propres déclarations faites à la presse par M. [U], démontrent que, au plus tard dès l’été 2015, ce dernier avait conscience des difficultés financières de la société et de ce que le refus définitif d’accession du club en deuxième division professionnelle aggraverait ces difficultés. C’est donc sciemment qu’il a omis de déclarer la cessation des paiements.

Le fait réprimé par l’article L. 653-8 précité est donc établi.

Toutefois, l’unicité de ce manquement, conjugué à l’absence de condamnation antérieure de M. [U] à toute sanction personnelle, alors que ce dernier dirige une autre société concernant laquelle sa gestion n’a jamais été remise en cause, justifie de ne pas prononcer d’interdiction de gérer à son endroit. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

III- Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Succombant principalement, M. [U] doit être condamné aux dépens, débouté de sa demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile et condamné à ce titre.

Le jugement entrepris, qui a ordonné l’emploi des dépens en frais de procédure et rejeté les demandes d’indemnité de procédure, sera donc infirmé de ces chefs.

PAR CES MOTIFS

La cour,

– Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de [Y], aux droits duquel vient la société Alpha MJ, tendant à la condamnation de M. [U] à une mesure de faillite personnelle et, subsidiairement, d’interdiction de gérer ;

Et statuant de nouveau des chefs infirmés,

– CONDAMNE M. [U] à payer à la société Alpha MJ, venant aux droits de M. [Y], en qualité de liquidateur de la société [Localité 5] métropole rugby, la somme de 350 000 euros à titre de contribution à l’insuffisance d’actif de cette société ;

– CONDAMNE M. [U] aux dépens de première instance et d’appel ;

– Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [U] et le condamne à payer à la société Alpha MJ, venant aux droits de M. [Y], en qualité de liquidateur de la société [Localité 5] métropole rugby, la somme de 6 000 euros au titre de la première instance et de l’appel.

Le greffier

Marlène Tocco

La présidente

Stéphanie Barbot

 


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