Augmentation de capital : décision du 1 février 2024 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 23/03377
Augmentation de capital : décision du 1 février 2024 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 23/03377
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 3-2

ARRÊT AU FOND

DU 01 FEVRIER 2024

N° 2024/ 35

Rôle N° RG 23/03377 – N° Portalis DBVB-V-B7H-BK44S

[Z] [E] épouse [O]

C/

[V] [I]

LE PROCUREUR GENERALE

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

Me Rachel COURT-MENIGOZ

Me Valérie CARDONA

PG

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de CANNES en date du 21 Février 2023 enregistré au répertoire général sous le n° 21/00693.

APPELANTE

Madame [Z] [E] épouse [O]

née le [Date naissance 1] 1966 à [Localité 6] (92)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]

représentée par Me Rachel COURT-MENIGOZ de la SELARL CABINET FRANCOIS & ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

assistée de Me François CREPEAUX de l’ASSOCIATION MACHETTI – CREPEAUX – VERGERIO, avocat au barreau de GRASSE, plaidant

INTIMES

Maître [V] [I], es qualités de liquidateur judiciaire de la société FOR RENT RIVIERA,

demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Valérie CARDONA, avocat au barreau de GRASSE

assisté de Me Axelle TESTINI, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, plaidant, substituant Me Valérie CARDONA

Monsieur LE PROCUREUR GENERAL,

[Adresse 3]

Défaillant

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 06 Décembre 2023 en audience publique. Conformément à l’article 804 du code de procédure civile, Mme VASSAIL, conseillère,a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.

La Cour était composée de :

Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre

Madame Muriel VASSAIL, Conseillère

Madame Agnès VADROT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Laure METGE.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 01 Février 2024.

MINISTERE PUBLIC :

Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 01 Février 2024,

Signé par Madame Gwenael KEROMES, Présidente de chambre et Madame Chantal DESSI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société FOR RENT RIVIERA avait pour activité la location de véhicules à [Localité 5].

Elle avait pour dirigeante Mme [L] [E], épouse [O].

Par jugement rendu le 8 novembre 2016 par le tribunal de commerce de Cannes, cette société a bénéficié d’un plan de sauvegarde. A cette occasion ont été désignés :

– Mme [F] en qualité d’administrateur judiciaire,

– M. [V] [I] en qualité de mandataire judiciaire.

Par ordonnance du 25 avril 2017, Mme [F] a été remplacée par M. [X].

Par jugement du 12 septembre 2017, le tribunal de commerce de Cannes a adopté un plan de sauvegarde au profit de la société FOR RENT RIVIERA et désigné M. [I] en qualité de commissaire à l’exécution du plan.

Par jugement du 4 décembre 2018, le tribunal de commerce de CANNES a résolu le plan de sauvegarde, prononcé la liquidation judiciaire de la société FOR RENT RIVIERA et désigné M. [I] en qualité de liquidateur judiciaire.

Se prévalant d’une insuffisance d’actif de 849 195, 24 euros, M. [I] ès qualités a assigné Mme [Z] [O], née [E], en responsabilité pour insuffisance d’actif.

Par jugement du 21 février 2023, le tribunal de commerce de Cannes a, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :

– reçu M. [I] en son action,

– arrêté l’insuffisance d’actif de la société FOR RENT RIVIERA à la somme de 849 195, 24 euros,

– condamné Mme [E], épouse [O] à payer à M. [I] ès qualités :

– 849 195, 24 euros au titre de l’insuffisance d’actif,

– les dépens et 3 000 euros du chef de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour ce que la cour croit pouvoir déduire de la décision des premiers juges, M.[I] reprochait à Mme [E], épouse [O] :

– un défaut de déclaration de l’état de cessation des paiements,

– la poursuite d’une activité déficitaire,

– le défaut de paiement des dettes sociales et fiscales,

– une gestion contraire à l’intérêt social de la société FOR RENT RIVIERA pour favoriser la dirigeante ou d’autres sociétés dirigées par la dirigeante.

Pour prendre leur décision, les premiers juges ont retenu que :

– M. [I] justifie d’une insuffisance d’actif de 849 195, 24 euros,

– dès l’année 2016, la société FOR RENT RIVIERA enregistre une baisse de 30% de son chiffre d’affaire et une perte de 441 066 euros,

– les conditions pour une responsabilité pour insuffisance d’actif sont réunies puisque les fautes de gestions visées ont été commises avant l’ouverture de la liquidation judiciaire,

– l’adoption d’un plan ne constitue pas une purge des fautes commises,

– le seul délai de prescription applicable est celui de l’article L651-2 du code de commerce qui a pour point de départ le prononcé de la liquidation judiciaire,

– les loyers et charges sociales et fiscales n’ont pas été payés, pour certains, depuis 2012,

– ce ne sont pas les recours introduits par M. [I] ès qualités qui ont compromis l’exécution du plan de sauvegarde,

– le défaut de paiement des charges a généré une trésorerie artificielle,

– la transmission universelle du patrimoine de la société RENTING CAR RENTAL à la société FOR RENT RIVIERA quelques mois avant l’ouverture de la procédure de sauvegarde était contraire à l’intérêt social de la société FOR RENT RIVIERA qui a été contrainte de supporter le passif de sa filiale,

– dans les mois ayant précédé le dépôt de bilan, la dirigeante et son époux se sont payés des salaires trop élevés (6 000 euros pour le mari et 4 000 euros pour elle-même),

-le fait de conserver son mari en qualité de commercial pour un salaire de 6 000 euros par mois pose question.

Le 2 mars 2023, Mme [E], épouse [O], a fait appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, notifiées au RPVA le 14 novembre 2023, elle demande à la cour de :

– réformer le jugement frappé d’appel,

– débouter M. [I] ès qualités de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner M. [I] à lui payer 5 000 euros du chef de l’article 700 du code de procédure civile,

– statuer ce que de droit sur les dépens.

Dans ses dernières conclusions, communiquées au RPVA le 17 novembre 2023, M. [I] demande à la cour :

A titre liminaire, de ;

– prendre acte de ce qu’il ne s’oppose pas à la révocation de l’ordonnance de clôture,

– recevoir les dernières pièces et écritures des deux parties,

A titre principal, de confirmer le jugement frappé d’appel en toutes ses dispositions,

A titre subsidiaire, de :

– retenir une insuffisance d’actif de 849 195, 24 euros,

– condamner Mme [E], épouse [O], à payer telle somme qu’il plaira à la cour au titre de l’insuffisance d’actif de la société FOR RENT RIVIERA,

Dans tous les cas, de :

– débouter Mme [E], épouse [O], de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

– condamner Mme [E], épouse [O], aux entiers dépens et à lui payer ès qualités 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières réquisitions, notifiées au RPVA le 27 octobre 2023, le ministère public poursuit la confirmation du jugement frappé d’appel.

Le 27 mars 2023, les parties ont été avisées de la fixation du dossier à l’audience du 6 décembre 2023.

La procédure a été clôturée le 9 novembre 2023 avec rappel de la date de fixation.

Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il conviendra de se référer aux écritures des parties pour l’exposé de leurs moyens de fait et de droit.

MOTIFS DE LA DECISION

1) Considérant l’accord unanime des parties, qui ont toutes les deux échangé des pièces et conclusions après la clôture de la procédure, il procède d’une bonne administration de la justice de révoquer l’ordonnance de clôture et de prononcer une nouvelle clôture de la procédure au jour des débats.

2) En cause d’appel, Mme [E], épouse [O] demande à la cour de réformer le jugement frappé d’appel et de débouter M. [I] de toutes ses demandes.

Au vu du dispositif de ses écritures qui seul la lie en application de l’article 954 du code de procédure civile, la cour est fondée à considérer qu’après avoir soulevé devant le premier juge l’irrecevabilité de l’action de M. [I], Mme [E], épouse [O], abandonne ce moyen.

La cour n’est donc pas saisie de ce chef.

3) Comme le rappelle l’article L. 651-2 du code de commerce, le tribunal de commerce peut condamner à supporter l’insuffisance d’actif d’une société placée en liquidation judiciaire tout dirigeant de droit ou de fait responsable d’une faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif.

Pour que l’action initiée par M. [I] ès qualités puisse prospérer, il faut donc que soient établis :

– une insuffisance d’actif,

– une ou plusieurs fautes de gestion imputables à Mme [E], épouse [O],

– un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l’insuffisance d’actif.

4) Mme [E], épouse [O], conteste l’insuffisance d’actif retenue par le tribunal de commerce de CANNES à hauteur de 846 195, 24 euros en faisant valoir qu’il convient de déduire du passif :

– la somme de 45 000 euros de compte courant d’associé,

– le premier dividende du plan, à savoir la somme de 8 500 euros qui a été réglé,

– la créance du CREDIT AGRICOLE, déclarée à hauteur de 104 704, 24 euros, qui était soldée au moment de la liquidation judiciaire, le contrat de location de véhicule afférent ayant été poursuivi jusqu’à son terme.

Elle en conclut que le passif de la société FOR RENT RIVIERA doit être arrêté à la somme de 741 000 euros (854 820 ‘ 104 704 ‘ 8 500).

Comme elle l’admet elle-même (page 9 de ses écritures), le compte courant d’associé dont elle se prévaut n’est pas le sien mais celui de son époux, dans ces conditions, la jurisprudence qu’elle cite n’est pas applicable et l’explication tendant à souligner qu’en cas de condamnation elle serait conduite à supporter deux fois le poids de cette somme n’est pas pertinente.

Dès lors, elle ne justifie d’aucune raison objective valable permettant de déduire du passif de la société FOR RENT RIVIERA la somme de 45 000 euros correspondant au compte courant d’associé de M. [O].

Alors que M. [I] reste muet sur ce point, Mme [E], épouse [O], soumet à la cour des documents (ses pièces n°33 et n°44) qui démontrent que la créance du CREDIT AGRICOLE CONSUMER FINANCE, admise à échoir dans le plan de sauvegarde à hauteur de 104 704, 24 euros, a bel et bien été soldée.

De la même façon, il n’est pas contesté que le premier dividende du plan de sauvegarde, soit la somme de 8 500 euros, a été réglé.

5) Mme [E], épouse [O], estime encore qu’elle ne peut être tenue du passif antérieur du plan de sauvegarde de la société FOR RENT RIVIERA.

Or, d’une part, ainsi que le fait valoir M. [I], le passif antérieur du plan de sauvegarde est automatiquement admis au passif de la liquidation judiciaire. Dès lors, il n’existe aucune raison de le déduire du passif de la débitrice ou de son éventuelle insuffisance d’actif.

D’autre part, les éventuelles fautes commises par l’appelante dans la gestion de son entreprise et leur imputabilité, sont sans conséquence sur le calcul du montant du passif d’une société et de son éventuelle insuffisance d’actif.

Il s’ensuit que la cour dispose d’élément suffisants pour arrêter le passif de la société FOR RENT RIVIERA à la somme de 741 616 euros (854 820 ‘ 104 704 ‘ 8 500).

6) Le liquidateur judiciaire indique que l’actif de la société FOR RENT RIVIERA est exclusivement constitué de la somme de 5 625, 65 euros qu’il détient en trésorerie. Mme [E], épouse [O], s’étonne en premier lieu que le produit de la vente aux enchères des matériels et mobiliers de l’entreprise n’ait pas été comptabilisé dans l’actif.

Toutefois, M. [I] démontre que la valeur de réalisation du mobilier de la liquidation judiciaire s’élève à 350 euros (sa pièce n°20) de sorte qu’il a renoncé à le vendre aux enchères pour recouvrer cette somme.

Enfin, Mme [E], épouse [O], ne peut valablement reprocher au liquidateur judiciaire de ne pas avoir tenté de revendre son fonds de commerce et/ou son droit au bail qui avait fait l’objet de quatre commandements de payer pour défaut de paiement des loyers (pièces n°13 et n°14 de l’intimé).

Cette analyse s’impose d’autant qu’en page 17 de ses écritures, elle affirme qu’en tout état de cause le local commercial était devenu quasiment inaccessible et invisible en raison d’importants travaux de voirie, ce dont il résulte que sa valeur de revente a été nécessairement impactée.

Dans ces conditions, la cour dispose d’éléments suffisants pour fixer l’actif de la société FOR RENT RIVIERA à la somme de 5 625, 65 euros.

7) Il en résulte que l’insuffisance d’actif de la société FOR RENT RIVIERA doit être arrêtée à la somme de 735 990, 35 euros (741 616 ‘ 5 625, 65) qu’il convient d’arrondir à 735 990 euros.

Le jugement frappé d’appel sera donc infirmé de ce chef.

8) M. [I] reproche à Mme [E], épouse [O], les fautes de gestion suivantes :

– le défaut de déclaration de l’état de cessation des paiements dans un délai raisonnable, laissant la société en déshérence,

– la poursuite d’une activité déficitaire en connaissance de cause,

– le défaut de paiement des charges sociales,

– le non respect des obligations fiscales,

– une gestion contraire à l’intérêt social et dans l’intérêt du dirigeant ou des sociétés qu’il dirige,

– le défaut de paiement des loyers commerciaux.

9) Mme [E], épouse [O], affirme que le défaut de déclaration de l’état de cessation des paiements ne peut lui être reprochée en ce que :

-la date de cessation des paiements n’a pas été reportée,

– elle n’a pas commis cette faute et attendait l’issue de plusieurs recours initiés par M. [I] ès qualités.

L’état de cessation des paiements se définit par l’impossibilité pour un débiteur de faire face au passif exigible avec son actif disponible. Il doit être prouvé par celui qui s’en prévaut, il se distingue du refus de paiement et ne résulte pas de la seule existence d’une dette, d’un résultat déficitaire ou d’une perte d’exploitation.

Dans le cas présent, pour reprocher à Mme [E], épouse [O], d’avoir tardé à déclarer l’état de cessation des paiements de la société FOR RENT RIVIERA, M. [I] fait valoir que cette entreprise, de l’aveu même de sa dirigeante :

– connaissait des difficultés depuis des années et même depuis sa création,

– a souffert :

– d’une baisse de fréquentation de la clientèle russe,

– de la transmission universelle du patrimoine de la société RENTING CAR RENTAL,

– d’une activité hautement saisonnière,

– du refus du bailleur de modérer son loyer,

– n’a plus réglé :

– ses loyers commerciaux depuis janvier 2018,

– ses charges sociales depuis janvier 2015,

– ses charges fiscales depuis 2012.

Cependant, alors que la cour remarque que la société FOR RENT RIVIERA a bénéficié d’un plan de sauvegarde le 8 novembre 2016 et qu’il a lui-même réclamé la conversion de la sauvegarde en redressement judiciaire, ce qui lui a été refusé, M. [I], qui en supporte la charge, ne produit aucun élément chiffré pour démontrer qu’antérieurement au 28 novembre 2018 (date de la déclaration de la cessation des paiements) la société FOR RENT RIVIERA n’était pas en mesure de régler son passif exigible avec son actif disponible.

Dans ces conditions, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens développés par les parties, le jugement frappé d’appel, resté flou sur les fautes retenues à l’encontre de Mme [E], épouse [O], sera réformé et complété en ce que la faute de gestion de défaut de déclaration de l’état de cessation des paiements ne peut être retenue contre l’appelante.

10) Sans contester que la société FOR RENT RIVIERA accusait un déficit sur les exercices 2016, 2017 et 2018, ce qui est attesté par les documents versés aux débats par M. [I] (ses pièces 8 et 9), Mme [E], épouse [O], conteste toute poursuite d’une activité déficitaire en connaissance de cause aux motifs que :

– dès 2016, date à laquelle les attentats de [Localité 8] ont fait fuir sa clientèle fortunée, elle a sollicité le bénéfice d’un plan de sauvegarde,

– à cette époque, l’administrateur judiciaire et le tribunal avaient demandé le renouvellement de la période d’observation et, tout comme le ministère public, soutenu le projet de plan,

– le plan de sauvegarde a été adopté le 12 septembre 2017 de sorte que seul le déficit accusé en 2018 pourrait être fautif,

– durant cette période les recours initiés par le commissaire à l’exécution du plan ont sapé la réputation de l’entreprise et retardé l’augmentation du capital, ce qui est à l’origine de sa déconfiture.

Il n’est pas remis en cause que :

– le tribunal de commerce de Cannes a ouvert la procédure de sauvegarde de la société FOR RENT RIVIERA le 8 novembre 2016 à l’initiative de sa dirigeante,

– le 18 juillet 2017, la même juridiction a rejeté la demande d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire qui lui avait été présentée par les organes désignés de la sauvegarde,

– le 12 septembre 2017, la même juridiction a adopté le plan de sauvegarde de la société FOR RENT RIVIERA,

– par arrêt du 11 octobre 2018, la cour de céans a confirmé le jugement du 18 juillet 2017 qui avait été frappé d’appel par M. [I],

– Mme [E], épouse [O], a déclaré l’état de cessation des paiements le 18 novembre 2018.

Même si, comme il le fait valoir, les recours initiés par M. [I] ès qualités n’ont pas pu entraver l’exécution du plan de sauvegarde de la société FOR RENT RIVIERA, il s’évince de la chronologie rappelée ci-dessus et des décisions rendues qui ont autorité de la chose jugée que Mme [E], épouse [O], qui était quand même fondée à attendre l’arrêt de la cour de ce siège avant de se déterminer quant à l’avenir de sa société, n’a pas abusivement et en pleine connaissance de cause poursuivi une activité déficitaire.

Considérant les circonstances auxquelles elle a fait face, c’est tout au plus une simple négligence, qui n’est pas sanctionnable, qui aurait pu lui être reprochée.

11) Contrairement à ce que prétend Mme [E], épouse [O], même en l’absence de fraude, le défaut de paiement régulier des charges sociales et des dettes fiscales d’une entreprise est une faute susceptible d’être sanctionnée au titre de l’insuffisance d’actif.

De la même façon, l’adoption et/ou l’exécution d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire ne constitue pas une purge des éventuelles fautes commises par le dirigeant d’une société qui peuvent être sanctionnées au titre de l’action en insuffisance d’actif, action ouverte seulement en cas de liquidation judiciaire.

En l’occurrence, il n’est pas remis en cause par l’appelante que les charges sociales et fiscales de la société FOR RENT RIVIERA n’ont pas été régulièrement réglées que ce soit dans la cadre d’accords amiables ou pas.

Ainsi que M. [I] le fait valoir, ces défauts de paiement ont généré pour l’entreprise une trésorerie fictive qui a caché la situation réelle de son endettement.

Ces défauts de paiements n’ont pas manqué de faire l’objet de rappels. En outre, ils constituent des manquements à une obligation essentielle de toute société.

En conséquence, la cour est fondée à considérer que cette faute ne peut qu’être volontaire.

Elle sera retenue à l’égard de Mme [E], épouse [O].

12) S’agissant de la faute consistant en une gestion contraire à l’intérêt social dans l’intérêt du dirigeant ou des sociétés qu’il dirige, M. [I] ès qualités reproche à Mme [E], épouse [O] :

– la transmission universelle du patrimoine de la société RENTING CAR RENTAL à la société FOR RENT RIVIERA,

– de s’être remboursé des sommes et de s’être versé des salaires, ainsi qu’à son époux, qui étaient exorbitants au regard de la situation financière de la société, alors en plan de sauvegarde.

Mme [E], épouse [O], rétorque que, même si elle a fait remonter le passif de la filiale dans la holding, la transmission universelle du patrimoine de la société RENTING CAR RENTAL à la société FOR RENT RIVIERA était une opération opportune en ce que :

– une fois la créance de la société FOR RENT RIVIERA déduite (126 785, 14 euros) le passif à prendre en charge ne dépassait pas les 40 000 euros,

– la société RENTING CAR RENTAL était titulaire du droit au bail de [Adresse 7], ce qui assurait l’avenir de la société FOR RENT RIVIERA jusqu’alors simple sous-locataire,

– la transmission universelle du patrimoine avait été précédée d’une augmentation de capital de la société FOR RENT RIVIERA de 115 000 euros,

– à la même époque, elle-même et son époux, se sont portés caution à l’égard de la Société Générale à hauteur d’un montant total de 182 000 euros.

Toutefois, quelles que soient les circonstances, la cour remarque que la transmission universelle du patrimoine de la société RENTING CAR RENTAL a généré pour la société FOR RENT RIVIERA une perte de 162 680, 36 euros puisque, comme le précise l’appelante, elle l’a conduit à abandonner une créance de 126 000 euros.

Il en résulte que l’opération a fortement aggravé son passif aux détriments de ses créanciers.

Contrairement à ce qui est soutenu, alors qu’elle allait bénéficier d’un plan de sauvegarde et qu’il n’est pas allégué d’aléas, il ressort que cette opération n’était pas opportune et qu’elle n’a en rien permis à la société FOR RENT RIVIERA de se relever.

Il s’agit là d’une faute intentionnelle qui est imputable à Mme [E], épouse [O].

L’activité de la société FOR RENT RIVIERA étant saisonnière, la cour estime que M. [I] ne démontre pas que les salaires des années 2017 et 2018 aient tous bénéficié à Mme [E], épouse [O] et à son mari et qu’elle ait fait, de ce chef, des biens ou du crédit de la société un usage contraire à l’intérêt social.

Les premiers juges ont encore imputé à Mme [E], épouse [O], un paiement préférentiel concernant la somme totale de 13 456 euros concernant un remboursement de 3 456 euros et des salaires pour elle (4 000 euros) et son mari (6 000 euros).

Cependant, Mme [E], épouse [O], a déclaré l’état de cessation des paiements de la société FOR RENT RIVIERA le 18 novembre 2018. Elle démontre que les salaires en cause sont ceux du mois de septembre (sa pièce n°37), que les salaires payés en novembre concernent ceux des autres membres du personnel (ses pièces n°38 et n° 39) et qu’elle n’a rien réglé à son époux ni à elle-même pour le salaire du mois d’octobre (sa pièce n°40).

Le paiement des salaires constitue une obligation prioritaire de tout gérant de société. Dans ces conditions, ces règlements ne peuvent pas être considérés comme des paiements préférentiels.

Dans la mesure où la réalité de l’avance qu’il prétend couvrir (location de véhicule) n’est pas établie, il en va différemment du remboursement de la somme de 3 456 euros qui a été réalisé le 3 octobre 2018, alors que l’état de cessation des paiements a été déclaré seulement un mois plus tard.

En conséquence, la faute consistant en une gestion contraire à l’intérêt social et dans l’intérêt de la dirigeante sera retenue contre Mme [E], épouse [O], mais seulement du fait de ce remboursement et de l’opération de transmission de patrimoine sus-visés, qui ont eu pour effet de priver la société de fonds qui auaient permis d’abonder sa trésorerie et de régler ses créanciers et partant, d’augmenter le passif social, et contribuer ainsi à l’insuffisance d’actif.

13) Mme [E], épouse [O], se défend d’avoir commis la moindre faute et explique le défaut de paiement des loyers commerciaux durant l’exécution du plan de sauvegarde par les travaux de voirie qui ont affecté la visibilité et l’accessibilité du local commercial de la société FOR RENT RIVIERA.

Cependant, à défaut pour elle de démontrer avoir intenté une action en révision du loyer commercial à l’encontre de son bailleur et d’avoir, dans l’attente, consigné le montant des loyers afférents, la cour, à l’instar de M. [I], estime qu’elle a commis une faute en s’abstenant de régler les loyers de la société FOR RENT RIVERA, ce qui a aggravé le passif social et contribué ainsi à l’insuffisance d’actif.

Cette solution s’impose d’autant qu’elle ne justifie d’aucune réaction aux quatre commandements de payer que son bailleur lui a fait délivrer.

14) En organisant la transmission universelle du patrimoine de la société RENTING CAR RENTAL à la société FOR RENT RIVIERA, Mme [E], épouse [O], a volontairement alourdi la passif de cette dernière à hauteur de la somme de 160 000 euros.

En s’abstenant de régler régulièrement ses dettes sociales et fiscales, Mme [E], épouse [O], a ménagé à la société FOR RENT RIVIERA une trésorerie fictive masquant la réalité de sa situation matérielle et retardant sa liquidation judiciaire au préjudice de ses créanciers.

Du fait de la faute commise, à s’en tenir aux créances admises, elle est également directement responsable du passif fiscal (117 000 euros) et du passif social (132 000 + 40 000 + 15 000 = 187 000 euros) de la société FOR RENT RIVIERA.

Enfin, en tenant compte des loyers échus, elle est aussi directement responsable du passif locatif de la société FOR RENT RIVIERA pour un montant de 40 000 euros. En effet, ayant été dessaisie de la gestion de l’entreprise à compter de la liquidation judiciaire, elle ne peut être tenue responsable ni du passif postérieur à la liquidation judiciaire ni du passif à échoir.

Quelles que soient les circonstances, les apports des associés en compte courant et les engagements de caution souscrits, la cour dispose donc d’éléments suffisants pour considérer que les fautes commises par Mme [E], épouse [O], ont directement contribué à l’insuffisance d’actif de cette société, à hauteur de la somme de 504 000 euros.

Il en résulte que le jugement frappé d’appel sera infirmé sur ce point et que Mme [E], épouse [O], sera condamnée à supporter l’insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire de la société FOR RENT RIVIERA à hauteur de la somme de 504 000 euros.

15) Considérant les fautes de gestion dont l’appelante s’est rendue coupable, le jugement rendu le 21 février 2023 par le tribunal de commerce de CANNES sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

Pour la même raison, Mme [E], épouse [O], sera condamnée aux dépens d’appel. Elle se trouve, ainsi, infondée en ses prétentions au titre des frais irrépétibles.

Il serait inéquitable de laisser M. [I] ès qualités supporter les frais qu’il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.

Mme [E], épouse [O], sera condamnée à lui payer 3 000 euros du chef de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, après débats publics et par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe ;

Révoque l’ordonnance de clôture ;

Ordonne une nouvelle clôture de la procédure, au jour des débats ;

Confirme le jugement rendu le 21 février 2023 par le tribunal de commerce de Cannes en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles et en ce qu’il a retenu à l’encontre de Mme [E], épouse [O], les fautes de gestion suivantes ;

– gestion contraire à l’intérêt social de l’entreprise,

– non respect des obligations fiscales et sociales,

– défaut de paiement des loyers commerciaux,

Infirme la décision frappée d’appel pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs d’infirmation et y ajoutant :

Arrête l’insuffisance d’actif a minima de la société FOR RENT RIVIERA à la somme de 735 990 euros ;

Déboute M. [I] ès qualités de ses demandes au titre des fautes de gestion suivantes :

– défaut de déclaration de l’état de cessation des paiements,

– poursuite abusive d’une activité déficitaire,

Condamne Mme [E], épouse [O], à payer à M. [I] ès qualités la somme de 504 000 euros au titre de sa participation à l’insuffisance d’actif de la société FOR RENT RIVIERA, du fait des fautes de gestion retenues contre elle ;

Déclare Mme [E], épouse [O], infondée en ses prétentions au titre des frais irrépétibles ;

Condamne Mme [E], épouse [O], à payer à M. [I] ès qualités 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [E], épouse [O], aux dépens d’appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

 


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