COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-2
ARRÊT AU FOND
DU 17 JUIN 2022
N° 2022/153
Rôle N° RG 19/01514 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BDV47
[K] [D]
C/
S.A.S. ISSM-INVIA
Copie exécutoire délivrée
le : 17 juin 2022
à :
Me Benjamin CORDIEZ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
(Vestiaire 227)
Me Jean-François JOURDAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
(Vestiaire 356)
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AIX-EN-PROVENCE en date du 28 Décembre 2018 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 17/00579.
APPELANT
Monsieur [K] [D], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Benjamin CORDIEZ de la SCP CORDIEZ BENJAMIN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SAS THALES DIS DESIGN SERVICES anciennement dénommée S.A.S. ISSM-INVIA, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Jean-François JOURDAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Bertrand OLLIVIER, avocat au barreau de PARIS
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Avril 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre
Madame Marie-Noëlle ABBA, Présidente de chambre suppléante
Madame Véronique SOULIER, Présidente de chambre suppléante
Greffier lors des débats : Mme Cyrielle GOUNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 03 Juin 2022, délibéré prorogé au 17 Juin 2022
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 17 Juin 2022
Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Cyrielle GOUNAUD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
La société ISSM INVIA a embauché M [D] en qualité d’ingénieur » lay out » cadre position II coefficient 108 selon contrat à durée déterminée du 9 octobre 2014 a effet du 13 octobre 2014 et jusqu’au 30 avril 2015 pour motif » d’accroissement d’activité liée au test chip TC5 en techno UMC 55 » et en contrepartie d’un salaire brut annuel de 40 000 euros pour 218 jours travaillés.
Par avenant du 24 avril 2015 ce contrat a été prolongé jusqu’au 12 avril 2016 pour le même motif.
La convention collective applicable est celle des industries métallurgiques et Connexes des ingénieurs.
Au dernier état de la relation contractuelle M [D] percevait une rémunération mensuelle brute de 3333,33 euros.
Par requête en date du 28 juin 2016 M [D] a saisi le conseil de prud’hommes d’AIX EN PROVENCE aux fins de voir requalifier son contrat de travail en CDI, dire que sa rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner en conséquence la société ISSM INVIA a lui payer diverses sommes au titre du préavis et congés payés afférents, de l’indemnité conventionnelle de licenciement, d’indemnité spéciale de requalification et de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre une somme au titre de l’article 700 du CPC et la remise d’une attestation pôle emploi rectifiée.
Par jugement en date du 28 décembre 2018 le conseil de prud’hommes a débouté M [D] de sa demande en requalification et des demandes subséquentes et l’a condamné à payer à la société ISSM INVIA la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du CPC outre sa condamnation aux dépens au motif qu’il ne rapportait pas la preuve d’avoir occupé un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.
Par déclaration enregistrée au RPVA le 24 janvier 2019 M [D] a interjeté appel du jugement dont il sollicite l’infirmation dans toutes ses dispositions.
Par conclusions d’appelant récapitulatives et responsives N° 2 notifiées le 15 mars 2022 il demande à la cour :
– d’infirmer le jugement dans toutes ses dispositions
– de dire que la rupture du contrat de travail s’analyse en un licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence
– de condamner La société ISSM INVIA devenue THALES DIS DESIGN SERVICES à lui payer
– 8000 euros de dommages intérêts pour harcèlement moral
– 9999,99 euros à titre d’indemnité de préavis
– 999,99 euros au titre des congés payés afférents
– 3333, 33 euros au titre de l’indemnité spéciale de requalification
– 39 996 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement nul
– Subsidiairement 20 000 euros de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-2500 euros en application de l’article 700 du CPC outre sa condamnation aux dépens.
A l’appui de ses demandes l’appelant fait valoir :
-Que l’employeur ne démontre pas la réalité de l’accroissement d’activité visé aux contrats de travail contrairement aux dispositions de l’article L 1242-2 du code du travail ; que les premiers juges ont inversé la charge de la preuve en retenant qu’il ne rapportait pas la preuve que le contrat était conclu en vue de pourvoir un emploi lié à l’activité normale de l’entreprise.
-Qu’en réalité les CDD avaient pour objet de pourvoir un emploi lié à l’activité normale de l’entreprise et d’offrir à l’employeur une période d’essai de 18 mois ainsi que le démontre l’emploi permanent d’ingénieurs LAY OUT apparaissant dans l’organigramme de la société , la publication d’une offre en CDI sur un poste similaire , et non un poste de manager , avant le terme du CDD de l’appelant et le fait qu’il a travaillé sur d’autres projets que celui visé aux contrats à compter du 28 janvier 2015 .
– Que durant l’exécution de son contrat il a dénoncé le harcèlement moral de son supérieur hiérarchique ce qui a justifié un changement de responsable et le licenciement du supérieur en question ainsi qu’il ressort d’une lettre de l’employeur en date du 14 avril 2016 ; Que c’est cette situation qui est la véritable cause du non renouvellement de son contrat alors que l’entreprise lui avait annoncé qu’elle envisageait de lui proposer un CDI
Après avoir conclu le 10 mars l’intimé a notifié des conclusions le 22 mars 2022, jour de la clôture et le 23 mars 2022 postérieurement à celle-ci
Motifs de la décision
I Sur la recevabilité des dernières écritures de l’intimée
La Cour ayant constaté que les conclusions de l’intimée notifiées le 21 mars à 16h08 et 23 mars 2022 sont postérieures à l’ordonnance de clôture rendue le 21 mars à 14h 19 dont la révocation n’est justifiée par aucun motif grave, a déclaré ces écritures irrecevables en application de l’article 802 du code de procédure civile.
En conséquence la cour tiendra compte des dernières écritures de l’intimée avant clôture en date du 10 mars 2022 .
Aux termes de ces écritures l’intimée demande à la cour de :
– CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes d’Aix en Provence
A titre subsidiaire,
– DECLARER que la Société THALES DIS DESIGN a pris toutes les mesures pour faire
cesser la situation de harcèlement moral
En conséquence,
– DEBOUTER Monsieur [D] de ses demandes consécutives à la prétendue
nullité du terme de son contrat de travail à durée déterminée ;
II Sur l’appel incident
– INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes d’Aix-en-Provence
en ce qu’il a partiellement débouté la société THALES DIS DESIGN de sa demande d’article 700 du Code de procédure civile ;
En conséquence,
– CONDAMNER Monsieur [D] à verser à la société THALES DIS DESIGN
la somme de :
. 1.500 euros au titre de l’article 700, pour la première instance ;
. 4.000 euros au titre de l’article 700, pour la procédure
Elle fait valoir que :
– le CDD a été conclu pour un motif précis et déterminé prévu par la loi correspondant à une activité non permanente de l’entreprise ; que dans ce contexte la question de la performance de l’appelant dans l’exercice de cette activité est étrangère aux débats, qu’au demeurant l’appelant ne démontre pas avoir été engagé pour pouvoir un emploi lié à l’activité permanente de l’entreprise
– que la demande liée au harcèlement moral est nouvelle en cause d’appel et n’est pas justifiée en l’espèce les conditions exigées pour retenir le harcèlement n’étant pas réunies au regard d’une seule attestation faisant état de simples rumeurs et alors que l’employeur a pris toutes mesures pour faire cesser la situation dénoncée et a procédé au licenciement de la personne mise en cause avant la fin du contrat de l’appelant de sorte que le non renouvellement du contrat est dé- corrélé de la question du harcèlement.
– que le barème fixé par l’article L. 1235-3 du Code du travail fixe à un mois de salaire minimum le montant des dommages et intérêts alloué au salarié dont l’ancienneté est comprise entre 1 et 2 ans ; qu’en outre l’appelant ne rapporte pas la preuve de son préjudice.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes des dispositions de l’article L. 1242 2 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dans des cas limitativement énumérés tel que l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise , motif visé au contrat en l’espèce.
En cas de litige sur le motif du recours à un contrat à durée déterminée, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat à la date de sa signature.
En l’espèce cette preuve ne saurait résulter d’un seul document interne à l’entreprise (doc 4 de l’employeur) faisant état d’un besoin de recrutement en prévision d’une forte activité sans justificatifs de la réalisation de la prévision effectuée par la démonstration d’une augmentation effective de l’activité ; l’employeur ne produit aucun document justifiant de l’augmentation effective de son activité.
Ainsi à défaut de preuve d’une augmentation effective de son activité tant à la date de la conclusion du contrat initial que de l’avenant d’avril 2015 la cour fait droit à la demande de requalifIcation du CDD de M [D] en CDI prenant effet au 9 octobre 2014 , il est dès lors inutile d’apprécier si M [D] a occupé un poste correspondant à une activité permanente de l’entreprise.
M [D] peut donc effectivement prétendre à l’indemnité de requalification prévue par l’article L 1245-2 du code du travail.
La requête introductive d’instance de l’appelant devant le conseil des prod’hommes étant antérieure au 1er aout 2016 la règle de l’unicité de l’instance s’applique en l’espèce et la demande relative au harcèlement moral est recevable en cause d’appel.
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L. 1154 1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n 2018-1088 du 8 août 2016, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152 1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce l’appelant produit aux débats un courrier adessé à l’employeur le 6 avril 2016 (pièce 8 de l’appelant) faisant état d’agissement répétés de son supérieur hiérarchique consistant en des reproches infondés et un comportement inapprorié de dénigrement devant les salariés de l’entreprise dont l’employeur admet la réalité dans le courrier en réponse adressé le 14 avril 2016 ( pièce 9 de l’appelant) dans ces termes « suite à vos alertes orales nous avons pris l’initiative de vous séparer physiquement par un changement de bureau ‘. Si nous avons dernièrement dû prendre la décision de nous séparer de M. [L] c’est en partie en raisons des faits qui se sont produits à votre encontre et celle d’autre salariés le 1er mars 2016 » ; il produit en outre un arrêt de travail daté du 2 mars 2016 manifestement lié à ces évènements. Ainsi la cour estime que l’appelant établit des éléments de nature à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral.
Toutefois l’employeur démontre, et M [D] reconnait lui-même dans ses écritures, que face à cette situation, il a pris les mesures appropriées en mettant M [L] à l’écart du reste de l’équipe et notamment de l’appelant et en procédant à son licenciement avant le terme du contrat de l’appelant.
En l’absence de preuve de la promesse d’embauche dont fait état M [D] et compte tenu du recrutement ultérieur d’un ingénieur sur le poste de d’ingénieur SENIOR lay out occupé par M [L] (pièce 7 de l’appelant) il n’est pas démontré qu’il existe en l’espèce un lien de causalité entre le harcèlement et la rupture des relations contractuelles dont M [D] fait état au titre du préjudice subi. M [D] sera donc débouté de sa demande de dommages intérêts pour harcèlement moral.
En conséquence la fin du contrat requalifié s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse qui en raison de sa date ne relève pas de l’application du barème résultant de l’ordonnance du 22 septembre 2017.
En application de l’article 1235-3 du code du travail dans sa rédaction en vigueur à la date de la rupture du contrat il sera alloué à M [D] l’indemnité minimum prévue par ce texte pour un montant de 19999, 98 euros. Il sera en outre fait droit à sa demande au titre du préavis et des congés payés afférents ainsi que de l’indemnité conventionnelle de licenciement dont les montants ne sont pas contestés.
L’intimé qui succombe dans ses prétentions sera condamnée à payer à l’appelant la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du CPC et déboutée de ses prétentions sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement dans toutes ses dispositions;
Requalifie le CDD conclu le du 9 octobre 2014 renouvelé le 24 avril entre M [D] et la SAS ISSM INVIA devenue la société THALES DIS DESIGN SERVICES SAS en contrat à durée indéterminée ;
Dit que la rupture de ce contrat à la date du 13 avril 2016 s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence :
Condamne la SAS ISSM INVIA devenue la société THALES DIS DESIGN SERVICES SAS à payer à M [D]
-3333,33 euros à titre d’indemnité de requalification.
-9999,99 euros à titre d’indemnité de préavis
-999,99 euros au titre des congés payés afférents
-999,99 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement
-19 999,98 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
-2000 euros au titre de l’article 700 du CPC
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne SAS ISSM INVIA devenue la société THALES DIS DESIGN SERVICES SAS aux dépens de première instance et d’appel.
Le greffierLe président