AFFAIRE : N° RG 21/00332
N° Portalis DBVC-V-B7F-GVXW
Code Aff. :
ARRET N°
C.P
ORIGINE : Décision du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ALENCON en date du 15 Décembre 2020 – RG n° F18/00031
COUR D’APPEL DE CAEN
Chambre sociale section 1
ARRET DU 07 JUILLET 2022
APPELANTE :
S.C.P. GUILLAUME RENON – BENOIT LARUPE – MARIE-CHARLOTTE ANDRO – CLAIRE DEMAS, JULIEN AUBRY, HUISSIERS Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Bertrand OLLIVIER, avocat au barreau de CAEN
INTIMEE :
Madame [B] [I]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Ophélie GOURDET, substitué par Me TOUBIANAH, avocats au barreau de CAEN
DEBATS : A l’audience publique du 09 mai 2022, tenue par Mme PONCET, Conseiller, Magistrat chargé d’instruire l’affaire lequel a, les parties ne s’y étant opposées, siégé seul, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme ALAIN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,
Mme PONCET, Conseiller, rédacteur
Mme VINOT, Conseiller,
ARRET prononcé publiquement contradictoirement le 07 juillet 2022 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme ALAIN, greffier
FAITS ET PROCÉDURE
Mme [B] [I] a travaillé au sein de la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry comme agent de recouvrement dans le cadre de trois contrats de mission temporaire, du 7 septembre au 4 décembre 2015 puis, comme employée de bureau, à compter du 7 décembre 2015 dans le cadre d’un contrat à durée déterminée de six mois renouvelé, à son issue, pour une nouvelle période de six mois.
Mme [I] a été placée en arrêt de travail à compter du 7 novembre 2016 puis en congé de maternité. Son contrat s’est achevé, à son terme, le 10 décembre 2016.
Le 31 mai 2018, Mme [I] a saisi le conseil de prud’hommes d’Alençon pour demander, en dernier lieu, la requalification des contrats de mission et contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et obtenir une indemnité à ce titre, voir dire nulle la rupture de son contrat de travail, subsidiairement, considérer qu’il s’agit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, prononcer la résiliation de son contrat de travail, obtenir des indemnités de rupture et des dommages et intérêts pour discrimination.
Par jugement du 15 décembre 2020, le conseil de prud’hommes a ‘requalifié les différents contrats à durée déterminée à compter du 7 septembre 2015″, a ‘prononcé’ la nullité du licenciement, ‘prononcé la résiliation du contrat de travail à compter du 15 décembre 2020 date de prononcé du jugement de Mme [I] qui produira les effets d’un licenciement nul’, condamné la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry à verser à Mme [I] : 12 750€ d’indemnité pour licenciement nul, 6 000€ de dommages et intérêts pour discrimination, à lui payer intégralement ses salaires jusqu’au 15 décembre 2020, congés payés inclus, à lui verser 2 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile et à lui remettre attestation Pôle Emploi, certificat de travail, bulletins de paie rectifiés et conformes au jugement.
La SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry a interjeté appel de ce jugement. Cette affaire a été enregistrée sous le numéro 21/332.
Le 16 mai 2018, Mme [I] a saisi le conseil de prud’hommes d’Alençon d’une requête en omission de statuer
Par jugement du 21 septembre 2021, le conseil de prud’hommes a condamné la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry à verser à Mme [I] une indemnité de requalification de 2 125€ et a rectifié le prénom de Mme [I] inexactement orthographié dans son premier jugement.
La SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry a interjeté appel de ce jugement. Cette affaire a été enregistrée sous le numéro 21/2885.
Vu les jugements rendus les 15 décembre 2020 et 21 septembre 2021 par le conseil de prud’hommes d’Alençon
Vu les dernières conclusions de la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry, appelante, communiquées et déposées :
– le 14 avril 2022 (dossier 21/332) tendant à voir le jugement du 15 décembre 2020 infirmé, à voir Mme [I] déboutée de toutes ses demandes, à voir ‘rejeter la demande en omission de statuer présentée’ par Mme [I] ‘au titre de l’indemnité sollicitée au titre du préjudice prétendument subi par la non indemnisation de l’arrêt de travail de 26 semaines’ et à la voir condamnée à lui verser 3 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile
– le 11 janvier 2022 (dossier 21/2825) tendant à voir le jugement du 21 septembre 2021 infirmé et voir Mme [I] déboutée de toutes ses demandes
Vu les dernières conclusions de Mme [I] intimée, communiquées et déposées :
– le 26 avril 2022 (dossier 21/322) tendant à voir, au principal, confirmé le jugement du 15 décembre 2020, y ajoutant, tendant à voir la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry condamnée à lui verser 13 812,50€ ‘en indemnisation du préjudice subi par la non indemnisation de l’arrêt de travail de 26 semaines à laquelle (elle) aurait pu prétendre’, demande sur laquelle le conseil de prud’hommes a, selon elle, omis de statuer, subsidiairement, tendant à voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et à voir la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry condamnée à lui verser 4 250€ d’indemnité de préavis, 13 812,50€ ‘en indemnisation du préjudice subi par la non indemnisation de l’arrêt de travail de 26 semaines à laquelle (elle) aurait pu prétendre’, 25 500€ de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, tendant à voir la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry condamnée à lui verser 5 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile
– le 28 janvier 2022 (dossier 21/2825) tendant à voir confirmé le jugement du 21 septembre 2021 et à voir la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry condamnée à lui verser 5 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile
Vu les ordonnances de clôture rendues le 4 mai 2022
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient dans un souci de bonne administration de la justice d’ordonner la jonction des deux dossiers sous le numéro 21/322.
1) Sur l’exécution du contrat de travail
1-1) Sur la demande de requalification des contrats de mission et du contrat à durée déterminée
Mme [I] fait valoir qu’elle a été employée pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité permanente et normale de l’étude, que le motif de recours allégué était fallacieux et que le délai de carence entre deux contrats n’a pas été respecté.
Les trois contrats de mission, le contrat à durée déterminée et son renouvellement ont été conclus à raison d’un accroissement temporaire d’activité.
Il appartient à l’employeur de justifier de la réalité de cet accroissement lié, selon ce qui figure dans les contrats de mission, ‘à l’arrivée de nouveaux clients nécessitant un renfort de personnel’. La SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry n’apporte aucun justificatif de cet accroissement d’activité qu’elle ne fait d’ailleurs que mentionner brièvement dans ses conclusions. Elle insiste en revanche sur le fait que certains salariés ou membres de la SCP étaient absents (arrêts de travail d’une salariée de janvier à août 2016 puis travail à temps partiel, congé maternité d’une des membres de la SCP de février à avril 2016) ce qui nécessitait un renfort en personnel. Toutefois, l’augmentation de la charge de travail découlant d’absences ne constitue pas un accroissement temporaire d’activité. Dès lors, la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry ne justifiant pas de la réalité du motif allégué, il y a lieu de requalifier la relation de travail, depuis le premier contrat de mission, en contrat à durée indéterminée.
Mme [I] demande la confirmation du jugement du 21 septembre 2021 qui lui a alloué 2 125€ à titre d’indemnité de requalification.
La SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry fait valoir que la demande d’indemnité de requalification n’avait été présentée devant le conseil de prud’hommes qu’à titre subsidiaire, que le conseil de prud’hommes ayant fait droit à la demande principale de Mme [I], il n’avait pas à se pencher sur cette demande subsidiaire et ne devait donc pas faire droit à la requête en omission de statuer.
Dans ses dernières conclusions N°4 devant le conseil de prud’homme, Mme [I] a, effectivement, placé cette demande parmi ses demandes subsidiaires. Toutefois, malgré cette présentation, il ressort de ces écritures que Mme [I] a bien entendu non seulement demander, au principal, la requalification des contrats en contrat à durée indéterminée mais également obtenir, de ce chef, une indemnité. Il y a donc lieu de confirmer le jugement du 21 septembre 20121, la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry ne contestant pas, même à titre subsidiaire, le montant alloué.
1-2) Sur la discrimination
Mme [I] fait valoir qu’elle a été discriminée à raison de son état de grossesse, de sa maternité et de sa parentalité car, au lieu de lui proposer un contrat à durée indéterminée en juin 2016, la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry a renouvelé ce contrat à durée déterminée contrairement à l’usage dans l’entreprise, parce qu’à l’issue de ce contrat à durée déterminée, aucun contrat à durée indéterminée ne lui a été proposé, contrairement aux promesses qui lui avaient été faites, enfin, parce que, ultérieurement, la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry, qui a passé des annonces pour des postes, ne l’a pas recrutée et n’a pas répondu à son courrier de relance du 23 mai 2017 à ce propos.
Il appartient à Mme [I] d’établir la matérialité d’éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination. En même temps que les éléments apportés, à ce titre, par Mme [I], seront examinés ceux, contraires, apportés par la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry quant à la matérialité de ces faits. Si la matérialité de faits précis et concordants est établie et que ces faits laissent supposer l’existence d’une discrimination, il appartiendra à la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry de démontrer que ces agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
‘ Mme [I] n’établit pas qu’un usage existait dans l’étude consistant à recruter en contrat à durée indéterminée les salariés engagés depuis six mois en contrat à durée déterminée.
Elle soutient que la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry aurait choisi de renouveler son contrat à durée déterminée plutôt que de l’embaucher en contrat à durée indéterminée parce qu’elle venait d’apprendre sa grossesse. Toutefois, alors que ce point est contesté par l’employeur, elle n’établit pas que le 10 juin 2016 quand son contrat à durée déterminée a été renouvelé, l’employeur était au courant de cette grossesse.
Ce fait n’est donc pas matériellement établi.
‘ Mme [I] ne produit aucun élément établissant qu’un contrat à durée indéterminée lui aurait été promis à l’issue de son contrat à durée déterminée.
Le fait allégué n’est donc pas matériellement établi.
‘ La SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry a passé, en avril 2017, au moins une annonce pour recruter un collaborateur d’huissier chargé du recouvrement. Il est constant que Mme [I] a vainement postulé à cette (ou ces) offre(s) de recrutement. Elle a écrit le 23 mai 2017 à la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry pour s’en plaindre, alléguant, à cette occasion, qu’elle n’avait pas été recrutée à raison de ses charges de famille. Il est constant que la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry n’a pas répondu à c courrier.
Ce fait est matériellement établi.
L’unique fait matériellement établi est insuffisant pour laisser supposer l’existence d’une discrimination. Mme [I] sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
2) Sur la rupture du contrat de travail
Le contrat à durée déterminée ayant été requalifié en contrat à durée indéterminée, la rupture des relations à l’issue de ce contrat s’analyse en un licenciement nul puisque prononcé pendant la période de protection liée à la grossesse et à la maternité.
Le contrat ayant été rompu le 10 décembre 2016, à l’issue du contrat à durée déterminée, la demande postérieure de Mme [I] tendant à voir prononcer la résiliation du contrat de travail est sans objet.
Mme [I] est fondée à obtenir des indemnités de rupture et des dommages et intérêts au moins égaux à six mois de salaire.
‘ Compte tenu de son ancienneté (moins de deux ans) au moment de la rupture du contrat, Mme [I] est fondée à obtenir une indemnité compensatrice de préavis d’un et non de deux mois. Il lui sera donc alloué 2 125€ bruts (outre les congés payés afférents) et non 4 250€ comme réclamé.
Il est à noter que Mme [I] ne réclame pas d’indemnité de licenciement.
‘ Mme [I] peut prétendre à des dommages et intérêts au moins égaux à six mois de salaire.
Elle justifie avoir perçu des indemnités maternité jusqu’au 21 mai 2017, avoir été embauchée à compter du 1er juillet 2017 et a perçu un salaire brut de 1 765,61€ en août 2021 pour 151H40.
Compte tenu de ces renseignements, des autres éléments connus : son âge (36 ans) son ancienneté (15 mois) son salaire (2 125€ pour 169H) il y a lieu de lui allouer 12 750€ de dommages et intérêts.
3) Sur les points annexes
‘ Mme [I] demande également une indemnité pour ‘non indemnisation de l’arrêt de travail de 26 semaines’ indemnisation à laquelle elle aurait pu prétendre ‘puisqu’elle attendait son 3ième enfant’.
La salariée entend donc se voir attribuer, à titre d’indemnité, le montant qu’elle aurait perçu si son contrat avait perduré. À supposer que le fait de ne pas percevoir cette indemnité puisse caractériser un préjudice, celui-ci ne serait que l’une des composantes du préjudice découlant de la rupture du contrat de travail, dont elle ne pourrait donc pas demander distinctement réparation. Elle sera donc déboutée de cette demande, sachant de surcroît que si elle avait perçu cette indemnité elle n’aurait pas perçu de dommages et intérêts pour licenciement nul.
‘ Les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2018, date de réception par la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry de sa convocation devant le bureau de conciliation, à l’exception de la somme accordée à titre de dommages et intérêts qui produira intérêts à compter du 15 janvier 2021, date de notification du jugement du 15 décembre 2020 confirmé sur ce point.
‘ La SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry devra remettre à Mme [I], dans le délai d’un mois à compter de la date du présent arrêt, un bulletin de paie complémentaire, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi rectifiés conformes à la présente décision.
‘ Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [I] ses frais irrépétibles. De ce chef, la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry sera condamnée à lui verser 2 500€.
DÉCISION
PAR CES MOTIFS, LA COUR,
– Joint les dossiers 21/332 et 21/2825 sous le numéro 21/332
– Confirme le jugement du 21 septembre 2021
– Y ajoutant
– Dit que la somme allouée produira intérêts au taux légal à compter du 17 mai 2018
– Confirme le jugement du 15 décembre 2020 en ce qu’il a dit le licenciement nul et en ce qu’il a condamné la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry à verser à Mme [I] 12 750€ de dommages et intérêts à ce titre
– Y ajoutant
– Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 15 janvier 2021
– Réforme ce jugement pour le surplus
– Requalifie les contrats de mission et le contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 7 septembre 2015
– Dit que la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry devra remettre à Mme [I], dans le délai d’un mois à compter de la date du présent arrêt, un bulletin de paie complémentaire, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi rectifiés conformes à la présente décision
– Déboute Mme [I] du surplus de ses demandes principales
– Condamne la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry à verser à Mme [I] 2 500€ en application de l’article 700 du code de procédure civile
– Condamne la SCP Renon Larupe Andro Demas et Aubry aux entiers dépens de première instance et d’appel
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
M. ALAIN L. DELAHAYE