COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 SEPTEMBRE 2022
N° RG 20/00729
N° Portalis DBV3-V-B7E-TZTQ
AFFAIRE :
[W] [G]
C/
SAS ETABLISSEMENTS SEGUREL ET FILS
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 février 2020 par le Conseil de Prud’hommes Formation paritaire de DREUX
Section : C
N° RG : F 19/00088
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Faouzi Achraf
EL MOUNTASSIR
Me Nathalie PERRIN
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur [W] [G]
de nationalité française
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentant : Me Faouzi Achraf EL MOUNTASSIR, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0158
APPELANT
****************
SAS ETABLISSEMENTS SEGUREL ET FILS
N° SIRET : 302 204 235
[Adresse 1]
Actipole 12
[Localité 3]
Représentant : Me Nathalie PERRIN, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0064
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 17 juin 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
Par jugement du 11 février 2020, le conseil de prud’hommes de Dreux (section commerce) a :
en la forme,
– déclaré M. [I] [D], [K] [H], [Y] [J], [V] [M], [VZ] [S], [W] [G], [O] [B], [A] [F], [E] [C] et [P] [DM] recevables en leurs demandes,
– déclaré les établissements Segurel & Fils, pris en la personne de son représentant légal, recevables
en leur demande reconventionnelle,
– mis hors de cause la société Crit Interim,
en droit,
– dit qu’il est fait une juste application des salaires minimums garantis par les avenants numéros 45, 50, 57, 62 et 67 de la convention collective du commerce de détail et de gros fa prédominance alimentaire du 12 juillet 2001,
en conséquence,
– rejeté les demandes en rappels de salaire formulées par M. [I] [D], [K] [H], [Y] [J], [V] [M], [VZ] [S], [W] [G], [O] [B], [A] [F], [E] [C] et [P] [DM],
– dit que le recours aux contrats de mission d’intérim est conforme à la législation,
en conséquence,
– rejeté les demandes de requalification des contrats de missions de M. [I] [D], [K] [H], [Y] [J], [V] [M], [VZ] [S], [W] [G], [O] [B], [A] [F], [E] [C] et [P] [DM] en contrat à durée indéterminée,
– dit que les demandes formulées par M. [K] [H], [Y] [J], [V] [M], [VZ] [S], [W] [G] et [O] [B] au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive sont infondées,
– rejeté les demandes d’indemnité légale de licenciement formulées par M. [K] [H], [Y] [J], [V] [M], [VZ] [S], [W] [G] et [O] [B],
– rejeté les demandes d’indemnité au titre du préavis et des congés payés y afférents formulées par M. [K] [H], [Y] [J], [V] [M], [VZ] [S], [W] [G] et [O] [B],
– dit qu’il n’y a pas lieu d’assortir les dispositions du jugement de l’exécution provisoire,
– débouté les parties des demandes plus amples ou contraires,
– laissé à chacune des parties la charge des dépens.
Par déclaration adressée au greffe le 9 mars 2020, M. [G] a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance du 3 septembre 2020, le magistrat chargé de la mise en état a prononcé la caducité de la déclaration d’appel à l’égard de la SAS Crit Intérim.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 29 mars 2022.
Par dernières conclusions remises au greffe le 22 mars 2022, M. [G] demande à la cour de :
– le recevoir en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de l’ensemble de ces demandes,
statuant à nouveau,
y faisant droit,
à titre principal,
– ordonner la requalification des missions intérim courant du 14 juin 2014 au 16 août 2017 en contrat de travail à durée indéterminée,
– condamner la société Établissements Segurel & Fils à lui payer les sommes de :
· 8 661,26 euros à titre de rappel de salaire,
· 866,13 euros au titre des congés payés y afférents,
· 4 827,60 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
· 482,76 euros au titre des congés payés y afférents,
· 1 611,88 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,
. ces sommes seront assorties des intérêts de droit au taux légal à compter de l’introduction de la demande en application de l’article 1231-7 du code civil et ordonner la capitalisation des intérêts, conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du même code,
– condamner les sociétés Établissements Segurel & Fils et Crit Intérim à lui payer à la somme de 3 000 euros à titre d’indemnité de requalification,
– condamner en sus la société Établissements Segurel & Fils à lui payer les sommes de :
· 20 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
· 2 500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– décerner injonction à la société Établissements Segurel & Fils d’avoir à lui remettre, sous astreinte journalière de 100 euros qui courra passé un délai de huitaine suivant la notification du jugement à intervenir :
· un bulletin de salaire conforme,
· une attestation destinée au Pôle emploi conforme,
· un certificat de travail conforme,
. la cour se réservera le droit de liquider l’astreinte,
– condamner enfin la société Établissements Segurel & Fils aux entiers dépens en ce notamment compris les frais de l’exécution forcée.
Par dernières conclusions remises au greffe le 24 mars 2022, la société Établissements Segurel et Fils demande à la cour de :
– confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
– condamner M. [G] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens.
LA COUR,
La société Établissements [U] a pour activité principale la distribution de produits alimentaires, de produits frais et de produits surgelés, et la vente en gros de produits alimentaires et de boissons.
M. [W] [G] a été engagé par la société Crit Intérim en qualité de préparateur de commandes et mis à la disposition de la société Établissements [U] et Fils, par contrats de mission.
Le 8 mars 2018, M. [G] a saisi le conseil de prud’hommes de Dreux aux fins de requalifier les missions intérim courant du 14 juin 2014 au 16 août 2017 en contrat de travail à durée indéterminée et d’obtenir le paiement de rappel de salaire et d’autres sommes de nature indemnitaire.
SUR CE,
Sur les demandes fondées sur l’inégalité de traitement :
Le salarié explique que durant la relation de travail temporaire et au mépris du principe « à travail égal salaire égal » et des dispositions des articles L. 1251-18 et L. 1251-43 6° du code du travail, il a bénéficié d’une rémunération inférieure à celle de ses collègues engagés de façon pérenne par la société Établissements [U] & Fils.
La société objecte que le salarié n’apporte pas aux débats d’éléments de nature à établir qu’il serait victime d’une inégalité salariale ; qu’en tout état de cause, aucune discrimination n’existe.
Le principe de l’égalité de traitement impose à l’employeur d’assurer une égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale. Il appartient d’abord au salarié qui invoque une atteinte à ce principe de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser une différence de traitement et il appartient ensuite à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant cette différence et dont le juge doit contrôler la réalité et la pertinence.
Si l’employeur peut accorder des avantages particuliers à certains salariés, c’est à la condition que tous les salariés de l’entreprise placés dans une situation identique au regard de l’avantage en cause puissent bénéficier de l’avantage ainsi accordé et que les règles déterminant l’octroi de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables.
En l’espèce, le salarié se contente d’invoquer des généralités sans se comparer à un ou plusieurs salariés placés dans une situation identique à la sienne. Il ne soumet donc pas à la cour des éléments de fait susceptibles de caractériser une différence de traitement.
Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef de demande ainsi que de sa demande tendant à l’obtention d’un rappel de salaire.
Sur la demande de requalification :
Le salarié soutient que l’employeur utilise la main d »uvre intérimaire comme un véritable outil de gestion pour pourvoir durablement des emplois liés à l’activité normale et permanente de l’entreprise ; qu’il ne justifie d’ailleurs pas d’un motif de recours valable au regard de l’article L. 1251-6 du code du travail. Il ajoute que l’employeur ne démontre pas lui avoir transmis dans les deux jours ouvrables ses contrats de mission.
En réplique, la société expose qu’elle n’a pas un besoin structurel de main d »uvre mais doit faire face à des variations cycliques de production et en particulier à des pics d’activité à certaines périodes de l’année (Noël, rentrée scolaire, soldes, etc.) et donc à des périodes d’accroissement temporaire d’activité ; qu’elle doit aussi faire face à des absences de ses salariés ; qu’elle n’a donc pas pourvu un emploi lié à son activité normale et permanente, d’autant que le recours au salarié a été interrompue à plusieurs reprises.
L’article L. 1251-40 du code du travail dispose que lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
Aux termes de l’article L. 1251-5, le contrat de mission ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
Selon l’article L. 1251-6, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée « mission » et seulement dans les cas énumérés dans ce texte et notamment dans les cas suivants :
1° Remplacement d’un salarié, en cas :
a) D’absence ;
b) De passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur ;
c) De suspension de son contrat de travail ;
d) De départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s’il en existe ;
e) D’attente de l’entrée en service effective d’un salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ;
2° Accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ;
(…)
D’abord, il convient de relever que la transmission du contrat de mission dans les deux jours ouvrables de la mise à disposition est une obligation qui pèse sur l’entreprise de travail temporaire. Dès lors, le salarié ne peut reprocher à l’entreprise utilisatrice de ne pas justifier d’une telle transmission, ce moyen étant inopérant.
Ensuite, il apparaît que la société reconnaît que le salarié a été amené à travailler pour elle dans le cadre de 18 missions d’intérim sur une période de près de 39 mois avec des interruptions :
. entre avril 2015 et novembre 2016 ce qui représente 18 mois,
. entre le 27 janvier 2017 et le 3 mars 2017 (2 mois),
. entre le 10 mars et le 1er août 2017 (5 mois).
Il n’est toutefois pas discuté que le salarié a été amené à travailler au profit de l’entreprise utilisatrice entre le 14 juin 2014 et le 16 août 2017.
Le salarié produit ses contrats de mission temporaire (sa pièce 1), lesquels sont justifiés :
. tantôt par un accroissement temporaire d’activité,
. tantôt pour pourvoir au remplacement de salariés absents (MM. [R], [T], [N], [L], [Z], [X]).
S’agissant du recours au salarié pour les besoins d’une ou plusieurs tâches résultant du seul accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, notamment en cas de variations cycliques de production, il n’est pas nécessaire que cet accroissement présente un caractère exceptionnel, ni que le salarié recruté soit affecté à la réalisation même de ces tâches. Il ressort de la pièce 1 du salarié que l’entreprise utilisatrice a eu recours à des contrats de mission pour accroissement temporaire d’activité :
. du 11 juin au 27 juin 2014,
. du 12 au 30 décembre 2016.
Par sa pièce 5 (évolution du chiffre d’affaires moyen entre janvier 2013 et juillet 2018), la société démontre que son activité connaît d’importantes fluctuations. Il y apparaît que les mois de juin 2014 (pour atteindre un pic courant septembre 2014) et décembre 2016 correspondent effectivement à des périodes d’accroissement d’activité.
S’agissant du recours à l’intérim pour pourvoir au remplacement d’un salarié absent, la société apporte les justificatifs correspondant aux justifications d’absences (congés annuels ou congés maladie) de MM. [R], [T], [N], [L], [Z] et [X] (pièce 14 E).
Par comparaison avec la pièce 1 du salarié, il apparaît que toutes les absences correspondant aux remplacements du salarié sont justifiées.
Compte tenu des longues interruptions de la relation entre le salarié et l’employeur et compte tenu de ce que le recours à l’intérim est ponctuellement justifié pour chaque contrat de mission, il ne peut être raisonnablement soutenu que l’employeur a eu recours aux contrats de mission pour pourvoir un emploi lié à son activité durable et permanente.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de ses demandes.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Succombant, le salarié sera condamné aux dépens.
Il conviendra de dire n’y avoir lieu de condamner le salarié à payer à son adversaire une indemnité sur le fondement de l’article 700 code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
DIT n’y avoir lieu de condamner M. [G] à payer à la société Établissements [U] & Fils une indemnité sur le fondement de l’article 700 code de procédure civile,
CONDAMNE M. [G] aux dépens.
. prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente et par Madame Dorothée MARCINEK, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La greffière La présidente