Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 3
ARRET DU 12 AVRIL 2023
(n° , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/03446 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB4EC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Mars 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 18/03464
APPELANT
Monsieur [N] [O]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Jean-charles NEGREVERGNE, avocat au barreau de MEAUX
INTIMEE
S.N.C. GROUPEMENT PETROLIER AVIATION
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Marion HOCHART, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Anne MENARD, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne MENARD, présidente
Madame Fabienne ROUGE, présidente
Madame Véronique MARMORAT, présidente
Lors des débats : Madame Sarah SEBBAK, greffière en préaffectation sur poste
ARRÊT :
– contradictoire
– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Madame Anne MENARD, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Après avoir suivi une formation spécifique, monsieur [O] a effectué au sein de la société Groupement Pétrolier Aviation (GPA), 221 contrats d’intérim entre le 9 avril 2016 et le 2 septembre 2017. À l’exception de deux qui se fondaient sur un surcroît exceptionnel d’activité, tous ont été conclu pour le remplacement de salariés absents.
Au mois de juillet 2017, monsieur [O] a présenté sa candidature dans le cadre d’une campagne de recrutement en contrat à durée indéterminée, mais au terme du processus de recrutement, elle n’a pas été retenue.
Il était rémunéré sur la base d’un salaire brut mensuel de 2.596,35 euros.
Monsieur [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny le 23 novembre 2018, afin principalement d’obtenir la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée, et le paiement d’indemnités de requalification et de rupture.
Il a été débouté de ses demandes par jugement du 4 mars 2020 dont il a interjeté appel le 11 juin 2020.
Par conclusions récapitulatives du 2 janvier 2023, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, il demande à la cour d’infirmer le jugement, de requalifier l’ensemble des contrats de mission successifs en contrat à durée indéterminée à compter du 29 février 2016, et de condamner la société GPA à lui payer les sommes suivantes :
5.000 euros à titre d’indemnité de requalification
110,15 euros à titre de rappel de salaire sur prime d’ancienneté
11,01 euros au titre des congés payés afférents
2.596,35 euros à titre d’indemnité pour non respect de la procédure de licenciement
2.596,35 euros à titre d’indemnité de préavis
259,63 euros au titre des congés payés afférents
1.168,79 euros à titre d’indemnité de congédiement conventionnelle
5.192,70 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive
5.000 euros à titre de rappel de salaire sur prime de litrage
5.000 euros à titre de perte de chance de pouvoir bénéficier de la prime d’intéressement et de participation
3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
Il sollicite la remise de documents sociaux conformes sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard.
Par conclusions récapitulatives du 21 décembre 2022, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société GPA demande à la cour à titre principal de confirmer le jugement, à titre subsidiaire, de dire que l’action est prescrite, en tout état de cause de condamner monsieur [O] au paiement d’une somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
MOTIFS
– Sur la prescription
Aux termes de l’article L1471-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la présente espèce, toute action portant sur l’exécution se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture’.
La société GPA soutient qu’en l’espèce, le contrat ayant été rompu, le délai de prescription est de une année.
Toutefois, l’action en requalification, dont découle toutes les autres demandes, porte sur l’exécution du contrat de travail, et non sur sa rupture, de sorte que le délai de prescription est de deux ans.
Lorsqu’une action en requalification se fonde sur le recours aux contrats de mission pour pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente, le délai de prescription commence à compter du terme du dernier contrat de mission, soit en l’espèce le 2 septembre 2017.
Le délai de prescription de deux ans n’était pas acquis à la date de la saisine du conseil de prud’hommes, cette fin de non recevoir a par conséquent été rejetée à raison par le premier juge.
– Sur la demande de requalification
Selon les articles L 1251-5 et 1251-6 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise ; il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire seulement dans les cas déterminés, parmi lesquels le replacement de salariés absents et l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ; celle-ci, en application de ces textes, ne peut donc recourir de façon systématique aux missions d’intérim pour faire appel à un besoin structurel de main d’oeuvre.
À défaut, le salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
Monsieur [O] soutient que la société GPA a recours continuellement et de façon permanente à du personnel intérimaire pour effectuer un travail occupé par des emplois permanents et au titre d’absences prévisibles, telles que congés payés, RTT, jours fériés et jours de récupération.
La société GPA réplique que le recours à du personnel temporaire constitue le seul moyen de répondre aux contraintes imposées par ses partenaires, l’activité de l’entreprise étant constante et les chauffeurs avitailleurs ayant 5 prises de service dans une journée fonctionnant en 3X8 ; qu’un salarié titulaire ne peut pas en remplacer un autre sur un autre service puisque chacun possède sa propre grille avec une heure précise de service fixée à l’avance.
Elle souligne que chacun des contrats de mise à disposition de monsieur [O] en précise expressément le motif, à savoir le remplacement avec le nom et la qualification du salarié absent ou, exceptionnellement, l’accroissement d’activité ; elle ajoute que la prévisibilité d’un besoin de main d’oeuvre n’est pas une cause d’exclusion de recours à l’intérim.
Il ressort des pièces produites qu’aux termes des 221 contrats de missions conclus de façon régulière chaque mois sur les 18 mois qu’a duré la relation de travail, monsieur [O] a toujours exercé les mêmes fonctions d’avitailleur, les motifs de recours, étant en presque totalité le remplacement de salariés absents pour des motifs divers, – congés, jours fériés, jours de récupération etc. – dont 19% seulement pour maladie.
Les tableaux versés aux débats par le GPA révèlent qu’il y avait, chaque mois, un important pourcentage d’absentéisme parmi les avitailleurs permanents et monsieur [O] fait valoir, sans être contredit, que plusieurs autres intérimaires travaillaient en cette qualité pendant les mêmes périodes que lui, ce qui démontre que le GPA avait recours à l’intérim pour compenser un besoin structurel de main d’oeuvre.
La circonstance que monsieur [O] ait été recruté pour pourvoir à des absences par nature prévisibles, tels que congés payés, repos jours fériés, réunions IRP ou formation, fait présumer que l’effectif permanent était manifestement insuffisant pour assurer la charge de travail et que le recours à l’intérim procède d’un sous-effectif structurel et non pas ponctuel.
Il convient, en conséquence, en application des dispositions de l’article L 1251-40 du code du travail, de requalifier l’ensemble des contrats de mission en contrat à durée indéterminée, le jugement étant infirmé sur ce point.
Du fait de la requalification et en application des dispositions de l’article 1245-2 alinéa 2 du code du travail, monsieur [O] a droit à une indemnité de requalification qui ne peut être inférieure à un mois de salaire ; il convient de lui accorder, à ce titre, une somme de 3.000 euros.
– Sur la date du début de la relation contractuelle
Il n’est pas contesté par monsieur [O] que la formation assurée par le GPA du 29 février au 9 avril 2016, laquelle a été financée par l’entreprise d’intérim puis remboursée par Pôle Emploi, si bien que monsieur [O] ne peut prétendre avoir été, pendant cette période, mis à la disposition de la société GPA pour accomplir une mission.
Son ancienneté remonte en conséquence au 9 avril 2016.
– Sur la prime d’ancienneté
Compte tenu de la date du début de la relation contractuelle retenue par la cour, monsieur [O] avait une ancienneté de 1 an et 4 mois ; en application de l’article 405 de la convention collective et des accords d’entreprise, une prime est due après un an d’ancienneté dans l’entreprise ; compte tenu de la requalification, monsieur [O] a droit à une prime d’ancienneté de 1% calculée sur le salaire minimum soit la somme de 73,43 euros , outre 7,34 euros au titre des congés payés afférents.
– Sur la prime de litrage
Monsieur [O] ne se réfère à aucune disposition pour solliciter cette prime, de sorte qu’il sera débouté de ce chef de demande.
– Sur la prime d’intéressement et de participation
Monsieur [O] justifie de l’existence d’une prime d’intéressement dans l’entreprise, qui était en 2016 de 2.085 euros pour une année complète. Le montant pour l’année 2017 n’est pas produit par les parties.
Au regard de ces éléments, compte tenu du temps de présence de monsieur [O] dans l’entreprise, il sera fait droit à sa demande à hauteur de 2.500 euros.
– Sur la rupture du contrat de travail
Il n’est pas contesté que la société GPA a cessé de fournir du travail à monsieur [O], la fin de la relation contractuelle s’analysant comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Cette rupture ouvre droit au paiement de l’indemnité conventionnelle de congédiement et à l’indemnité de préavis, les montants sollicités n’étant pas contestés.
Monsieur [O] est resté un an et demi dans l’entreprise, et il ne justifie pas de sa situation à la suite de la rupture. Il lui sera alloué une indemnité de 5.000 euros pour licenciement abusif sur le fondement des dispositions de l’article 1235-3 du code du travail.
Aux termes de l’article L1235-2 du code du travail, lorsqu’une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d’un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l’employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
Il en résulte que l’indemnité pour le défaut d’observation de la procédure de licenciement ne se cumule pas avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le salarié sera débouté de ce chef de demande.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement, sauf en ce qu’il a débouté monsieur [O] de sa demande au titre de la prime de litrage et de sa demande d’indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement.
REQUALIFIE la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 9 avril 2016.
CONDAMNE la société GPA à payer à monsieur [O] les sommes suivants :
3.000 euros à titre d’indemnité de requalification
73,43 euros à titre de rappel de salaire sur prime d’ancienneté
7,34 euros au titre des congés payés afférents
2.596,35 euros à titre d’indemnité de préavis
259,63 euros au titre des congés payés afférents
1.168,79 euros à titre d’indemnité de congédiement conventionnelle
5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive
2.500 euros à titre de perte de chance de pouvoir bénéficier de la prime d’intéressement et de participation
VU l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société GPA à payer à monsieur [O] en cause d’appel la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.
CONDAMNE la société GPA aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE