AFFAIRE PRUD’HOMALE
RAPPORTEUR
N° RG 20/01264 – N° Portalis DBVX-V-B7E-M3ZN
Société DOCAPOSTE BPO IS
C/
[S]
APPEL D’UNE DÉCISION DU :
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Lyon
du 17 Janvier 2020
RG : 18/01934
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE B
ARRÊT DU 05 MAI 2023
APPELANTE :
Société DOCAPOSTE BPO IS
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Aurélie MAITRE, avocat postulant inscrit au barreau de LYON
et représentée par Me Sophie MALTET de la SELARL MALTET BELKACEM ASSOCIEES, avocat plaidant inscrit au barreau de PARIS,
INTIMÉ :
[L] [S]
né le 19 Juillet 1985 à [Localité 5]
[Adresse 3]
[Localité 2]
représenté par Me Philippe NOUVELLET de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat postulant inscrit au barreau de LYON, et représenté par Me Catherine SUTER, avocat plaidant inscrit au barreau de LYON
DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 15 Mars 2023
Présidée par Catherine CHANEZ, Conseiller magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Rima AL TAJAR, Greffier.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
– Béatrice REGNIER, président
– Catherine CHANEZ, conseiller
– Régis DEVAUX, conseiller
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 05 Mai 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;
Signé par Béatrice REGNIER, Président et par Rima AL TAJAR, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
********************
Vu le jugement du conseil de prud’hommes de Lyon en date du 17 janvier 2020 ;
Vu la déclaration d’appel transmise par voie électronique le 17 février 2020 par la SA Docapost BPO IS ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 25 septembre 2020 par la SA Docapost BPO IS ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 25 juin 2020 par M. [L] [S] ;
Vu l’ordonnance de clôture en date du 14 février 2023 ;
Pour l’exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions déposées et transmises par voie électronique conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE :
Attendu qu’aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu’en vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit présente des faits laisssant supposer l’existence d’un harcèlement ; qu’au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Attendu qu’il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail ; que, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;
Attendu qu’en l’espèce M. [S] soutient avoir été agressé par un collègue de travail le 6 septembre 2017 sans que la direction ne réagisse efficacement et avoir vu ses horaires de travail modifiés sans motif, en représaille à la dénonciation des faits dont il avait été victime, cette modification ayant un impact sur sa vie familiale ; qu’il produit :
– les procès-verbaux de l’enquête préliminaire diligentée par la gendarmerie suite à son dépôt de plainte pour violences volontaires et menaces de mort à l’encontre de M. [I] [W] [O] ainsi que le procès-verbal de composition pénale du 4 juin 2018 ;
– les témoignages de M. [D] [K], responsable de site, et de Mme [Z] [Y], agent technique ; que tous deux attestent qu’un chef d’équipe n’a pas été désigné pour empêcher que l’incident ne se répète, que M. [S] a continué à travailler aux côtés de M. [O] dit [C] et leur a indiqué se sentir en danger compte tenu de la persistance de l’attitude hostile et agressive de l’intéressé ;
– la lettre adressée par Mme [Y] à la direction le 6 février 2018 se plaignant notamment de l’absence de sanction vis à vis de M. [O] ;
– le courrier adressé par M. [S] le 15 février 2018 à la direction dans lequel il se plaint de l’attitude hostile de cette dernière suite aux faits dont il a été victime le 6 septembre 2017 ;
– la lettre de la SA Docapost BPO IS en date du 28 février 2018 accusant réception de son courrier du 15 février et précisant qu’elle reviendra vers lui dans les meilleurs délais ;
– les documents médicaux suivants : arrêts de travail en rapport avec un accident du travail à compter du 18 janvier 2018, attestation du docteur [R] certifiant que M. [S] est dans une situation psychologique fragile dans le cadre d’un burn out en lien d’après lui avec une situation anxiogène et compliquée sur son lieu de travail, dossier de la médecine du travail contenant notamment un certificat du médecin du travail du 25 septembre 2017 décrivant un état de stress avec anxiété et troubles du sommeil ;
– des échanges de SMS entre le salarié et sa supérieure hiérarchique, un tableau de ses anciens horaires, les plannings de travail des différents salariés de la SA Docapost BPO IS pour les semaines des 2 février et 26 mars 2018, d’où il ressort horaires de M. [S], de M. [K] et de Mme [Y] auraient été modifiés alors que ceux de M. [O] seraient restés les mêmes et qu’il serait même passé à temps complet selon avenant du 5 mars 2018 alors qu’il travaillait à temps partiel ; que M. [S] devait travailler de 6h à 11h puis l’après-midi jusqu’à 16h45 alors qu’auparavant ses horaires étaient les suivants : lundi de 5h30 à 11h30 et de 13h à 15h15, mardi de 6h30 à 11h30 et du mercredi au vendredi de 5h15 à 12h15 ;
– l’avis d’inaptitude du 27 mars 2018 précisant que l’état de santé du salarié ne permet pas de proposer des tâches ou des postes existant dans l’entreprise et fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ;
Qu’il se réfère par ailleurs aux pièces suivantes communiquées par la SA Docapost BPO IS:
– le procès-verbal de réunion du CHSCT des 29 septembre et 4 octobre 2017 dans lequel il est fait état de ce que la direction reconnaît qu’il existe un lien familial entre le responsable de site et le salarié qui aurait proféré des menaces et que l’inspectrice du travail s’étonne qu’aucune décision n’a été prise par la direction un mois après les faits au risque de mettre en danger un salarié ;
– un mail en date du 12 octobre 2017 dans lequel le CHSCT met en exergue un manque d’encadrement opérationnel sur le site de l’incident en raison de la prévision d’un accroissement d’activité, de la promiscuité des locaux et des personnalités de chacun ;
Attendu que le salarié établit ainsi l’existence matérielle de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre ;
Attendu que la SA Docapost BPO IS conteste tout fait de harcèlement et tout manquement à l’obligation de sécurité et affirme d’une part qu’elle a réagi activement à l’incident, que la séparation de M. [S] et de M. [O] ainsi le prononcé d’une sanction à l’encontre de ce dernier ne s’imposaient pas compte tenu des éléments dont elle disposait, d’autre part que le changement d’horaires envisagé n’avait rien d’abusif, alors même que M. [S] n’avait aucun horaire de fixé dans son contrat de travail, que cette modification correspondait à un besoin du service et n’était que temporaire et que le passage de M. [O] à temps complet n’a quant à lui pas duré ;
Qu’elle verse aux débats :
– les auditions réalisées par les gendarmes dans lesquelles les personnes interrogées, y compris M. [S] et M. [O], affirment qu’il n’y avait jamais eu de problème entre eux avant l’altercation du 6 septembre 2017 ;
– les avis d’aptitude de M. [S] des 25 septembre et 11 novembre 2017 ne contenant aucune réserve ou préconisations sur la nécessité de le séparer de M. [O] ;
– un compte-rendu du CHSCT du 12 octobre 2017 relatif à l’incident du 6 septembre 2017 déplorant le manque d’un 2ème chef d’équipe sur la position d’ouverture et préconisant un encadrement expérimenté compte tenu de la promiscuité des locaux et des personnalités de chacun ;
– les contrats de travail de deux chefs d’équipe ;
– le contrat de travail de M. [S], qui ne prévoit pas d’horaire de travail ;
– deux avenants au contrat de travail de [O] prévoyant pour le mois de janvier une durée de travail de 34 heures et pour février 2018 une durée de travail de 25 heures ;
Attendu qu’il est constant que M. [S] et M. [O] ont continué à travailler ensemble sans qu’aucune mesure ne soit prise par l’employeur après l’incident du 6 septembre 2017, et ce alors même qu’une enquête de gendarmerie était en cours et que l’inspectrice du travail avait fait part le 4 octobre lors d’une réunion du CHSCT de son étonnement sur le fait qu’aucune décision n’avait été prise par la direction ; que M. [S] a dès lors travaillé entre le 6 septembre 2017 et le 18 janvier 2018, date de son arrêt de travail, dans une ambiance pesante et hostile ; que par ailleurs la société a décidé de modifier ses horaires de travail à son retour de maladie ; que l’entreprise ne justifie aucunement que les faits matériellement établis étaient justifiés par des motifs étrangers à tout harcèlement ; que la cour retient par voie de conséquence que M. [S] a été victime de faits de harcèlement moral ; que le préjudice subi par l’intéressé de ce chef a justement été évalué à la somme de 4 000 euros par le conseil de prud’hommes ; que ce montant produira intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2020, date du jugement, et que les intérêts seront capitalisés ;
Attendu que les faits reprochés à la SA Docapost BPO IS dans le cadre des demandes de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité et pour exécution déloyale du contrat de travail sont exactement les mêmes que ceux invoqués dans le cadre de la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ; que, s’agissant en particulier de l’obligation de sécurité, il n’est nullement argué d’un manquement dans l’obligation de prévention et que, s’il est fait état d’une absence de sanction à l’encontre de M. [O] et de séparation des salariés, il s’agit justement des faits de harcèlement moral invoqués et retenus par la cour ; qu’aucun préjudice distinct n’est donc caractérisé de ces deux chefs et que les demandes indemnitaires présentées à ces titres sont rejetées ;
Attendu que l’inaptitude a été prononcée seulement deux mois après le début de l’arrêt de travail de M. [S] lui-même consécutif à la situation de harcèlement moral dans laquelle il se trouvait ; que, ainsi qu’il a été dit plus haut, les arrêts de travail étaient en lien avec des troubles anxieux et que, dans son avis du 27 mars 2018, le médecin du travail a déclaré M. [S] inapte à tout poste ; que, par suite, la cour retient que l’inaptitude à l’origine du licenciement du salarié en date du 7 mai 2018 est consécutive aux actes de harcèlement moral dont il a été victime ; que, conformément aux dispositions de l’article L. 1152-3 du code du travail, le licenciement est donc nul ;
Attendu que, en considération de son ancienneté (22 mois), M. [S] a droit, en application de l’article L. 1234-1 du code du travail, à une indemnité compensatrice de préavis égale à un mois de salaire ; que l’examen de ses fiches de paie conduit la cour à retenir une rémunération mensuelle brute de 1 545 euros et non de 1 900 euros comme il le prétend ; qu’il lui est donc alloué la somme de 1 545 euros, outre celle de 154,50 euros de congés payés ; que ces montants produiront intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2018, date de la réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation, et que les intérêts seront capitalisés ;
Qu’il peut également prétendre, en application de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, à une indemnité pour licenciement nul qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ; qu’en considération de son ancienneté, de sa rémunération mensuelle brute, de son âge (32 ans au moment du licenciement) et du fait qu’il a retrouvé un emploi en contrat à durée indéterminée le 4 mars 2019, son préjudice est évalué à la somme de 10 000 euros; que ce montant produira intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2020 et que les intérêts seront capitalisés ;
Attendu qu’en application de l’article L. 1235-4 du code du travail il y lieu d’ordonner le remboursement par la SA Docapost BPO IS des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à M. [S] postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois ;
Attendu qu’il convient pour des raisons tenant à l’équité d’allouer à M. [S] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel, les dispositions du jugement relatives aux frais exposés en première instance étant quant à elles confirmées ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :
– dit que le licenciement est nul,
– condamné la SA Docapost BPO IS à payer à M. [L] [S] les sommes de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre intérêts au taux légal à compter du jugement et capitalisation des intérêts, ainsi qu’à régler les dépens,
– débouté M. [L] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
L’infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant,
Condamne la SA Docapost BPO IS à payer à M. [L] [S] les sommes de :
– 1 545 euros, outre 154,50 euros de congés payés, à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre intérêts au taux légal à compter du 5 juillet 2018,
– 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, intérêts au taux légal à compter du 17 janvier 2020,
– 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d’appel,
Déboute M. [L] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité,
Ordonne le remboursement par la SA Docapost BPO IS des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à M. [L] [S] postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois,
Ordonne la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
Condamne la SA Docapost BPO IS aux dépens d’appel,
Le Greffier La Présidente