CDD pour accroissement d’activité : décision du 31 août 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 22/01956
CDD pour accroissement d’activité : décision du 31 août 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 22/01956

N° RG 22/01956 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JDGQ

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 31 AOUT 2023

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES D’EVREUX du 12 Mai 2022

APPELANT :

Monsieur [S] [I]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté par Me Evelyne BOYER de la SCP BOYER BERGERON-DURAND, avocat au barreau de l’EURE

INTIMEE :

S.A.R.L. NORMANDY TRANSFERTS

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Céline VERDIER de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, avocat au barreau de l’EURE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 28 Juin 2023 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l’audience publique du 28 Juin 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 31 Août 2023

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 31 Août 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [S] [I] a été engagé par la SARL Normandy Transferts en qualité de chauffeur grand routier groupe 5 par contrat à durée déterminée du 4 juillet 2016 pour une durée de trois mois en raison d’un accroissement d’activité. La relation s’est poursuivie, à compter du 5 octobre 2016, dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Le licenciement pour cause réelle et sérieuse a été notifié au salarié le 12 novembre 2019.

Par requête du 9 février 2021, M. [I] a saisi le conseil de prud’hommes d’Evreux d’une demande en paiement d’heures supplémentaires.

Par jugement du 12 mai 2022, le conseil de prud’hommes a débouté M. [I] de l’intégralité de ses demandes et l’a condamné à payer à la société Normandy Transferts la somme de 100 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

M. [I] a interjeté appel de cette décision le 13 juin 2022.

Par conclusions remises le 28 juillet 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, M. [I] demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, condamner la société Normandy Transferts au paiement des sommes suivantes :

heures supplémentaires : 27 776,06 euros brut,

repos compensateur : 2 777,60 euros,

travail dissimulé : 16 432,80 euros,

préjudice moral : 10 000 euros,

indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros, outre les entiers dépens.

Par conclusions remises le 15 juin 2023 auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens, la société Normandy Transferts demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, en conséquence, débouter M. [I] de l’intégralité de ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 juin 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I – Sur les heures supplémentaires et les repos compensateurs

Aux termes de l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Il est acquis que le salarié doit fournir préalablement des éléments de nature suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments.

Par ailleurs, l’article L. 3121-1 du code du travail dans sa version postérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 dispose que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

L’article L. 3121-4 du même code, dans sa version postérieure à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 précise que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif.

Toutefois, s’il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l’objet d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l’horaire de travail n’entraîne aucune perte de salaire.

Cette disposition exclut les temps de déplacements des salariés qui doivent se rendre sur différents sites et ont l’obligation, au préalable, de se rendre au siège de l’entreprise, ces temps constituant un temps de travail effectif. Elle exclut également les temps de déplacements entre deux lieux de travail, qui constituent également un temps de travail effectif, dès lors que le salarié reste à la disposition de l’employeur sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.

En l’espèce, se fondant sur les plannings communiqués par son employeur qui mentionnent toutes ses journées de travail et un horaire de travail sur site, chez le client, de 8h à 17h, et soutenant qu’il n’a jamais été réglé des heures de trajet qu’il effectuait le matin et le soir entre le dépôt où se trouvait le camion utilisé pour le déménagement et la domiciliation du client, ce qui représentait 2 heures aller et 2 heures retour, la société ayant un bassin d’activité principalement en région parisienne, dans un premier temps, pour calculer le nombre d’heures supplémentaires réclamées de 2017 à 2020, M. [I] a établi un décompte mensuel de ses jours travaillés auquel il a ajouté 2 heures le matin et 2 heures le soir.

Puis, dans un second temps, à la suite de la communication de ses relevés de conduite qui montraient le caractère incohérent et infondé de ses prétentions, M. [I] a établi, sur la même période, un nouveau décompte à la semaine indiquant les jours pour lesquels il demandait à être payé de son temps de trajet entre le dépôt et le lieu du déménagement dont il avait la charge.

Malgré l’absence d’indication du temps de travail effectif sur chaque jour, seul élément permettant un chiffrage du temps de travail hebdomadaire, base de référence du calcul des heures supplémentaires, il y a lieu de considérer qu’il s’agit d’éléments suffisamment précis permettant à l’employeur d’y répondre, étant précisé que la société Normandie Transferts, non seulement, conteste les affirmations de principe sur le mode de calcul du temps de travail effectif et des heures supplémentaires non payées de M. [I], mais critique également, de manière plus circonstanciée, l’incohérence des heures réclamées, au vu notamment des relevés d’heures et de conduite qu’elle verse aux débats.

A titre liminaire, il convient de préciser que M. [I] ne conteste pas que son employeur imposait à ses salariés de remplir mensuellement un relevé d’heures attestant de leur temps de travail effectif mais qu’en l’espèce la société Normandie Transferts se trouve dans l’incapacité de produire de manière complète, pour chaque année, ces documents, M. [I] ayant régulièrement refusé de les remplir.

Contrairement à ce qu’il soutient, il ne peut, dans le cadre de la présente instance, justifier cette carence au motif que le renseignement de ces fiches était inutile, puisque les plannings transmis indiquaient les horaires de travail. En effet, la simple lecture de ces documents permet aisément de comprendre qu’il s’agit uniquement de fiches d’organisation prévisionnelle avec attribution des chantiers et des clients par équipe de salariés, définition du véhicule attribué et du matériel nécessaire, ainsi que la durée estimée de la mission avec ses éventuelles contraintes horaires (notamment heures entre 17 et 22 heures, voire heures de nuit).

Au demeurant, alors qu’initialement, M. [I] avait effectué ses calculs uniquement sur la base desdits plannings, il a bien été contraint, à la suite de la communication de ses relevés de conduite qui démontraient l’incohérence des heures de travail retenues, de reconnaître que ces documents ne reflétaient nullement son temps de travail effectif. De même, alors que la société Normandie Transferts explique, sans être contredite, qu’en l’absence des fiches d’heures mensuelles, elle a calculé et rémunéré le temps de travail de M. [I], en se fiant aux heures déclarées par les salariés qui étaient affectés au même client, il convient de relever qu’au cours de la relation de travail, M. [I] n’a jamais fait la moindre remarque sur cette solution de substitution destinée à pallier son manque de diligence.

Pour autant, il maintient sa position et considère que ces plannings sont des éléments probants pertinents sur lesquels il peut s’appuyer et sollicite ainsi, pour tous les jours où il n’a pas conduit de camion et pour lesquels l’employeur ne peut donc produire de relevé de conduite démontrant l’inexactitude de sa réclamation, le paiement d’heures supplémentaires.

D’une part, ainsi que le fait justement observer la société Normandie Transferts, les quelques relevés d’heures qu’il a lui-même remplis et dont il ne conteste pas le contenu démontrent qu’une telle réclamation est injustifiée. Ainsi, par exemple, sur le mois de février 2019, alors qu’il avait déclaré uniquement deux journées débutant à 5h30 du matin, il soutient désormais qu’il a pris son poste tous les jours à 6 heures du matin. Le constat est identique pour le mois de décembre 2020 et, au demeurant, pour tous les mois pour lesquels l’employeur dispose d’une fiche d’heures remplie par le salarié.

De même, non seulement, il est étonnant de constater que les premiers et seconds décomptes produits par M. [I] ne mentionnent pas les mêmes jours de congés mais de plus, même à prendre en considération uniquement le second décompte, sa comparaison avec les bulletins de salaires permet d’établir que le salarié sollicite des heures supplémentaires pour des jours pendant lesquels il était en congés.

D’autre part, le décompte opéré par M. [I] est particulièrement critiquable puisqu’il est fondé sur le pré-supposé selon lequel la politique salariale de l’entreprise était de ne pas considérer comme étant un temps de travail effectif le temps de trajet entre l’entrepôt et le lieu de domiciliation du client, de sorte que les heures de trajet qu’il réclame sont nécessairement des heures supplémentaires majorées à 50 % qui n’ont pas été prises en considération dans les heures d’équivalence majorées à 25 % ni dans les heures supplémentaires majorées à 50 % qui lui étaient réglées mensuellement par l’employeur.

Or, cette affirmation, contestée par l’employeur, n’est aucunement établie par les attestations produites par M. [I]. Ainsi, si trois attestations font effectivement état de ce que les salariés devaient être présents à 8 heures sur site et que par conséquent, il était fréquent qu’ils embauchent avant, aucun de ses témoignages ne précise qu’ils n’étaient pas payés de ce temps de travail, ni à quelle heure il finissait leur journée, la société Normandie Transferts versant des attestations expliquant que les salariés, selon les journées, pouvaient terminer leur déménagement vers 15h ou 16h, voire à 13h30 et rentrer ensuite chez eux.

Quant à l’attestation de M. [O] qui affirme que les heures de trajet n’étaient jamais payées, non seulement l’absence de propos circonstanciés ne permet pas de reconnaître une grande force probante à cette affirmation, mais surtout, la société Normandie Transfert en démontre le caractère mensonger, établissant que M. [O] a été engagé plus de deux ans après le départ de M. [I] et que contrairement à ce qu’il explique dans son attestation, il n’a pas quitté l’entreprise en raison d’un litige sur le non paiement des heures supplémentaires, cette situation n’étant nullement évoquée dans sa lettre de démission.

En outre, c’est à juste titre que la société Normandie Transferts rappelle que M. [I], comme les autres salariés, sauf lorsqu’il était le conducteur du véhicule utilisé pour le déménagement du client, n’avait aucune obligation de se rendre au dépôt et qu’il pouvait tout à fait librement se rendre directement chez le client par ses propres moyens, bénéficiant le cas échéant, d’une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière.

Toutefois, et ainsi que le reconnaît l’employeur qui produit en ce sens plusieurs attestations de salariés, ce droit n’est pas exercé par les employés qui préfèrent utiliser le camion de déménagement pour être transportés sur leur lieu d’exécution de la prestation de travail et ce d’autant, que l’entreprise adopte une position qui leur est favorable puisqu’ils expliquent, contrairement à ce que soutient M. [I], que ce temps de transport leur est payé en temps de travail effectif, soit par compensation, étant autorisés à finir leur journée de travail dès le chantier terminé, soit par paiement d’heures d’équivalence. Au demeurant, l’examen croisé des relevés de conduite, des relevés d’heures quand ils ont été remplis par M. [I] et de ses bulletins de salaires démontre et confirme cette pratique souple mise en place dans l’entreprise, puisque le nombre d’heures d’équivalence, voire d’heures supplémentaires, sur les mois où sont produits des relevés d’heures et/ou de conduite est parfaitement cohérent avec les déclarations du salarié, à savoir qu’il a parfois été payé pour un nombre d’heures plus important que ce qu’il a déclaré.

Ainsi, il résulte de l’ensemble de ces éléments que la société Normandie Transferts rapporte la preuve suffisante non seulement que la demande de M. [I] repose sur un chiffrage incohérent, mais surtout qu’il a parfaitement été rémunéré, au titre de son temps de travail effectif, de toutes les heures qu’il a accomplies, que ce soit par le paiement de son salaire de base ou d’heures d’équivalence dont l’application n’est pas contestée par le salarié, ou d’heures supplémentaires majorées à 50 % ou encore de compensation sous forme de repos.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [I] de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires, au titre des repos compensateurs, ainsi que pour préjudice moral distinct.

II – Sur le travail dissimulé

Il résulte de l’article L. 8221-5 du code du travail qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur, soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche, soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Selon l’article L. 8223-1, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l’espèce, la demande de M. [I] étant fondée uniquement sur les heures supplémentaires non réglées qu’il réclamait à son employeur, c’est à juste titre que les premiers juges l’ont également débouté de sa demande à ce titre.

III – Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner M. [I] aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de le débouter de sa demande formulée en application de l’article 700 du code de procédure civile et de le condamner à payer à la société Normandie Transferts la somme de 300 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M. [S] [I] aux entiers dépens de la présente instance ;

Déboute M. [S] [I] de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [S] [I] à payer à la société Normandie Transferts la somme de 300 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La greffière La présidente

 


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