Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 11
ARRET DU 27 FEVRIER 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/07125 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEFYY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOBIGNY – RG n° 19/03848
APPELANT
Monsieur [U] [W]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Me Jean-Charles NEGREVERGNE, avocat au barreau de MEAUX
INTIMEE
G.I.E. FUELLING AVIATION SERVICE (FAS)
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Elodie CHRISTOPHE, avocat au barreau de LYON, toque : 827
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 Décembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
M. [U] [W], né en 1989, a été engagé par la société C.R.I.T. pour différentes missions d’intérim par contrats écrits pour le compte du G.I.E. Fuelling aviation service ( ci après groupement FAS), pour la période allant du 19 septembre 2016 au 26 février 2018, en qualité d’avitailleur.
Le groupement F.A.S. entre dans le champ d’application de la convention collective de l’industrie du pétrole.
La dernière mission d’interim s’est achevée le 26 février 2018.
Le groupement F.A.S. occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Demandant la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée et diverses indemnités consécutives à la rupture du contrat, outre des dommages et intérêts pour perte de chance de prime d’intéressement et de participation, M.[I] [W] a saisi le 5 septembre 2019 le conseil de prud’hommes de Bobigny qui, par jugement du 6 juillet 2021, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit:
– déboute M. [W] [Z] l’ensemble de ses demandes,
– déboute la société F.A.S. de sa demande reconventionnelle,
– condamne M. [W] [U] aux dépens.
Par déclaration du 5 août 2021, M. [W] a interjeté appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 7 juillet 2021.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 31 août 2021, M.[U] [W] demande à la cour de :
– dire et juger la demande de M. [W], concluant, recevable et bien fondée,
– infirmer le jugement entrepris,
Et statuant à nouveau,
– requalifier l’ensemble des contrats de mission successifs de M. [W] en contrat à durée indéterminée à compter du 19 septembre 2016,
En conséquence :
– condamner la société F.A.S. à lui payer les sommes suivantes :
– 5.000 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de requalification conformément à l’article L 1251-35 du code du travail,
– 2.801,35 euros à titre d’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,
– 2.801,35 euros à titre d’indemnité de préavis, conformément à l’article 310 de la convention collective applicable,
– 2.801,13 euros à titre de congés payés y afférents,
– 16.808 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
– 1.108,87 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
– 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de prime d’intéressement et de participation,
– condamner la société F.A.S. à payer la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– assortir l’ensemble des condamnations du taux d’intérêt légal à compter de la saisine pour les sommes à caractère salarial et à compter du prononcé pour les sommes indemnitaires,
– ordonner la capitalisation des intérêts,
– ordonner l’exécution provisoire de droit et de l’article 515 du code de procédure civile, nonobstant appel et sans caution,
– condamner la société F.A.S. aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 8 novembre 2021, le groupement Fuelling aviation service demande à la cour de :
– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bobigny du 6 juillet 2021,
– constater que le recours à l’intérim était légal et que les contrats de missions étaient conformes,
– rejeter la demande de requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée,
– débouter M. [W] de l’ensemble de ses demandes,
– condamner M. [W] au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [W] aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 octobre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 21 décembre 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
Sur la demande de requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée
Aux termes de l’article L.1251-1 du code du travail, le recours au travail temporaire a pour objet la mise à disposition temporaire d’un salarié par une entreprise de travail temporaire au bénéfice d’un client utilisateur pour l’exécution d’une mission dans les cas notamment de remplacement d’un salarié absent ou d’un accroissement d’activité.
Le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
C’est à l’employeur qu’il incombe de justifier de la réalité du motif des recours aux contrats de mission.
Pour infirmation du jugement déféré, M. [W] fait valoir que les contrats d’intérim successifs ont eu pour objet ou pour effet de pourvoir à l’activité permanente de l’entreprise par le biais de 214 contrats d’intérim entre le 19 septembre 2016 et le 16 mars 2018 (et non le 26 février 2018), ceux-ci ayant pour objet soit le remplacement de personnel absent, en congés, en récupération ou en heures de délégation alors qu’il a conservé le même poste d’avitailleur pour le compte de la société FAS. Il ajoute en outre que la société FAS ne justifie pas du motif de recours en lien avec l’accroissement temporaire d’activité
La société FAS réplique que le remplacement des salariés absents correspondait bien à un besoin réel de l’entreprise la contraignant à recourir au travail temporaire, précisant que le recours en raison d’un accroissement d’activité était exceptionnel et essentiellement durant les mois de juillet à septembre 2017 en raison des vols supplémentaires imposés par les compagnies aériennes et les vols charters, ponctuels et non liés à l’activité normale de l’entreprise.
Il ressort du dossier que M. [W] a travaillé pour la société FAS dans le cadre de 214 contrats de mission dont la plupart d’une journée, à raison de 16 à 17 jours en moyenne répartis sur l’ensemble des mois. La plupart des motifs des contrats concerne le remplacement de salariés en congés payés, en récupération, en stage, en délégation ou en maladie, pour la majorité prévisibles, ce qui fait présumer que l’effectif permanent de la société FAS était insuffisant pour faire face à l’activité normale de l’entreprise et que le recours à l’intérim procédait d’un sous-effectif structurel.
De surcroît la cour observe que la société FAS ne démontre pas des accroissements temporaires d’activité ayant justifié le recours à l’intérim dès le mois de décembre 2016 (ne pouvant être rattaché aux périodes de vacances de l’été 2017) ni être justifiés par les attestations trop générales de MM [T] et [E] qui ne se réfèrent pas à la situation de M. [W].
Dès lors par infirmation du jugement entrepris, il convient d’ordonner la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 19 septembre 2016.
L’indemnité de requalification sera fixée par application de l’article L1251-41 du code du travail à la charge de l’entreprise utilisatrice à un montant ne pouvant être inférieur à un mois de salaire, soit 2801, 35 euros.
En cessant toute collaboration avec M. [W] à compter du 16 mars 2018, la société FAS a mis fin à la relation de travail sans motiver la rupture qui doit dès lors s’analyser comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’appelant est par conséquent en droit de prétendre à une indemnité légale de licenciement de 1108,87 euros non discutée dans son quantum ainsi qu’une indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 2801,35 euros dans les termes de l’article 310 de la convention collective applicable, pas plus contestée dans son quantum.
S’agissant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [W] demande à la cour d’écarter le barème légal d’indemnisation intervenu au mépris de l’article 24 de la charte sociale européenne et de l’article 10 de la convention 158 de l’OIT. Il sollicite en réparation du préjudice subi une somme de 16 808 euros représentant 6 mois de salaire.
Aux termes de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (l’OIT), si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
Il est de droit que les stipulations de cet article 10 qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l’encontre d’autres particuliers et qui, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale de la convention, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire, sont d’effet direct en droit interne. En effet, la Convention n° 158 de l’OIT précise dans son article 1er : « Pour autant que l’application de la présente convention n’est pas assurée par voie de conventions collectives, de sentences arbitrales ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière conforme à la pratique nationale, elle devra l’être par voie de législation nationale. »
Selon la décision du Conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail, ayant adopté en 1997 le rapport du Comité désigné pour examiner une réclamation présentée en vertu de l’article 24 de la Constitution de l’OIT par plusieurs organisations syndicales alléguant l’inexécution par le Venezuela de la Convention n° 158, le terme « adéquat » visé à l’article 10 de la Convention signifie que l’indemnité pour licenciement injustifié doit, d’une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d’autre part raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.
En outre, les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations ci-dessus énumérées, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi. Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions précitées de l’article L. 1235-4 du code du travail.
Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.
Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée.
M. [W] peut dès lors prétendre en application de l’article L1235-3 du code du travail, au regard de son ancienneté et des effectifs de la société au jour du licenciement, à une indemnité de licenciement comprise 1 et 2 mois de salaire qu’il y a lieu d’évaluer à 4 000 euros.
Par application de l’article L1235-2 du code du travail, le licenciement ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, M. [W] ne peut prétendre à une indemnité pour irrégularité de la procédure.
Sur la demande d’indemnité pour perte de chance de percevoir une prime d’intéressement et de participation
M. [W] soutient que la société FAS verse chaque année à son personnel titulaire une prime de participation et une prime d’intéressement. Il estime avoir perdu une chance de les percevoir et réclame une indemnité de 1000 euros à ce titre.
La société FAS réplique qu’il n’y a aucune participation en son sein et que les travailleurs temporaires ne peuvent prétendre à la prime d’intéressement.
Au constat qu’en considération de la requalification en contrat à durée indéterminée M. [W] n’était plus un travailleur temporaire de la société FAS il a perdu une chance de percevoir une prime de participation. Aucune des parties ne produit d’élément sur son montant aussi au regard de son ancienneté au sein de la société il sera fait droit à la demande d’indemnité pour perte de chance de percevoir cette prime à hauteur de 500 euros.
Sur les autres dispositions
La présente décision n’est susceptible que d’un pourvoi en cassation, recours qui est dépourvu d’effet suspensif. Il n’y a donc pas lieu d’assortir les condamnations prononcées de l’exécution provisoire.
La cour rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
Partie perdante le société FAS est condamnée aux dépens d’instance et d’appel et à verser à M. [W] une indemnité de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
INFIRME le jugement déféré sauf en ce qu’il a rejeté la demande d’indemnité pour irrégularité de la procédure.
Et statuant à nouveau des chefs infirmés :
REQUALIFIE la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 19 septembre 2016.
CONDAMNE la société GIE Fuelling aviation service à payer à M. [U] [W] les sommes suivantes :
-2801, 35 euros à titre d’indemnité de requalification.
– 2 801,35 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis majorée de 280, 11 euros de congés payés.
-4 000 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
-1 108,87 euros à titre d’indemnité de licenciement.
-500 euros à titre d’indemnité pour perte de chance de percevoir une prime d’intéressement.
DIT n’y avoir lieu à prononcer l’exécution provisoire de la présente décision.
RAPPELLE que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l’employeur de sa convocation devant le conseil de prud’hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.
CONDAMNE la société GIE Fuelling aviation service aux dépens d’instance et d’appel.
CONDAMNE la société GIE Fuelling aviation service à payer à M. [U] [W] une somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
La greffière, La présidente.