Saisie-attribution : décision du 7 décembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/08845

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Saisie-attribution : décision du 7 décembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 23/08845

7 décembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
23/08845

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 10

ARRÊT DU 07 DÉCEMBRE 2023

(n° , 4 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général

N° RG 23/08845 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHUD4

Décision déférée à la cour

Jugement du 02 mai 2023-Juge de l’exécution de Paris-RG n° 23/80408

APPELANTE

Madame [E] [H]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Palidant par Me Véronique DUFFAY, avocat au barreau de PARIS, toque : A0052

INTIMÉE

S.A.S. [8]

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentée par Me Denis BRACKA, avocat au barreau de PARIS, toque : D2139

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Madame Catherine Lefort, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Bénédicte Pruvost, président

Madame Catherine Lefort, conseiller

Monsieur Raphaël Trarieux, conseiller

GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire Grospellier

ARRÊT

-contradictoire

-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Bénédicte Pruvost, président et par Monsieur Grégoire Grospellier, greffier, présent lors de la mise à disposition.

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par jugement d’adjudication rendu le 22 septembre 2022 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris, la société [8] est devenue propriétaire d’un appartement situé dans un immeuble sis [Adresse 2], [Adresse 3] et [Adresse 4] occupé par Mme [E] [H], débitrice saisie.

Le 4 janvier 2023, elle a fait délivrer un commandement de quitter les lieux à Mme [H].

Par ordonnance de référé du 25 mai 2023, le tribunal judiciaire de Paris a fixé l’indemnité d’occupation due par Mme [H] au nouveau propriétaire à la somme de 870 euros par mois charges comprises.

Par assignation du 23 janvier 2023, Mme [H] a fait citer la société [8] devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris afin d’obtenir un délai d’un an pour quitter les lieux.

Par jugement du 2 mai 2023, le juge de l’exécution a :

rejeté la demande de délais aux fins de quitter les lieux de Mme [H],

dit irrecevable la demande aux fins d’expulsion formée par la société [8],

condamné Mme [H] au paiement de la somme de 1.200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le premier juge a estimé que Mme [H] ne justifiait pas de ce que son relogement ne pouvait avoir lieu dans des conditions normales, les revenus de 3.000 euros qu’elle disait percevoir permettant un relogement dans des conditions normales pour une personne seule.

Par déclaration du 11 mai 2023, Mme [H] a fait appel (partiel) de ce jugement.

Par conclusions n°3 du 26 octobre 2023, elle demande à la cour de :

infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a dit irrecevable la demande d’expulsion formée par la société [8],

Statuant à nouveau,

lui accorder des délais de douze mois pour quitter les lieux,

constater qu’elle a été expulsée suivant procès-verbal du 15 septembre 2023,

déclarer que par la multiplicité des mesures d’exécution mises en ‘uvre à son encontre, la société [8] a exercé des pressions répétées sur sa personne malgré la conclusion du contrat de location de l’appartement situé [Adresse 1] à [Localité 7] (92) le 25 août 2023,

condamner la société [8] à lui payer la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral,

condamner la société [8] au paiement d’une somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

débouter la société [8] de l’intégralité de ses demandes plus amples ou contraires,

condamner la société [8] aux entiers dépens, en ce compris les frais relatifs à la procédure d’expulsion de 999,90 euros.

Elle expose que le juge de l’exécution a fait une appréciation inexacte de sa situation, qu’elle exerce une profession libérale (traductrice) et perçoit en moyenne environ 2.000 euros par mois, qu’elle a entrepris des démarches en vue de son relogement dès juin 2022 qui n’ont pas abouti, qu’elle a finalement trouvé un appartement en location à [Localité 7] en juin 2023 pour lequel elle a entrepris des démarches pour obtenir un cautionnement bancaire, que la location s’est trouvée retardée par les saisies conservatoires pratiquées par la société [8] qui ont rendu indisponibles les fonds lui revenant de la vente aux enchères publiques de son ancien logement, qu’elle n’a donc pu signer le bail que le 25 août 2023, de sorte que sa demande de délais ne se justifie plus. A l’appui de sa demande de dommages-intérêts, elle invoque d’une part, les pressions exercées par la multiplicité des mesures d’exécution pratiquées pour des montants injustifiés qui l’ont entravée dans sa recherche d’un logement, d’autre part, la procédure d’expulsion mise en ‘uvre alors qu’elle venait de conclure un contrat de location, de sorte que son déménagement était imminent. Elle précise que l’attitude de la société [8] l’a conduite aux urgences en raison d’une tentative de suicide et qu’elle rencontre aujourd’hui des difficultés pour récupérer ses affaires dans son ancien appartement, de sorte qu’elle a dû acheter un lit, une table et de la vaisselle.

La société [8] a constitué avocat le jour de la clôture et n’a pas conclu.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il convient de rappeler que l’intimé qui ne conclut pas devant la cour est réputé demander la confirmation du jugement et s’en approprier les motifs.

Mme [H] ne produit pas le contrat de location allégué, mais elle produit des notes de location et note d’honoraires du gestionnaire de biens, dont il ressort qu’elle a signé un bail d’habitation le 24 août 2023 pour une durée de trois ans à compter du 25 août 2023, portant sur un appartement situé [Adresse 1]. Elle justifie également de son expulsion selon procès-verbal du 15 septembre 2023.

L’appelante admet que sa demande de délais est devenue sans objet. Dans ces conditions, la cour ne peut que confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté cette demande.

Mme [H] justifie de nombreuses recherches de logement depuis juin 2022 dans le secteur privé et de plusieurs refus. Elle a également effectué une demande de logement social en janvier 2023. Concernant l’appartement de [Localité 7], elle justifie avoir effectué une demande de cautionnement bancaire en juin 2023 et avoir informé en août 2023 la préfecture de la présente procédure d’appel et de la signature prochaine d’un contrat de location. Elle établit en outre, par une attestation de l’organisme mixte de gestion agréé des professions indépendantes datée du 27 juin 2023, qu’elle a perçu en 2022 des revenus d’un montant moyen de 1.707 euros par mois.

Elle produit également de nombreux actes de saisie conservatoire et d’exécution forcée (conversions, saisies-attributions) et justifie de ce que l’indemnité d’occupation finalement fixée était d’un montant inférieur aux montants pour lesquels les saisies conservatoires avaient été réalisées. La saisie-attribution du 16 juin 2023 est intervenue trois semaines après la date de l’ordonnance de référé fixant l’indemnité d’occupation. De même, l’expulsion est intervenue trois semaines après la signature du bail. Elle produit un décompte de créance du commissaire de justice mandaté par la société [8] en date du 24 octobre 2023, dont il ressort qu’elle reste devoir la somme de 4.504,07 euros, ce qui équivaut à peu près au montant des frais, notamment ceux de l’expulsion qui s’élèvent à 999,90 euros.

Enfin, Mme [H] produit un compte-rendu de passage aux urgences en date du 14 septembre 2023, soit la veille de l’expulsion. Toutefois, ce document n’est pas complet et ne permet pas à la cour de comprendre pour quel motif médical elle a été reçue aux urgences, la « TS par phlébotomie » étant mentionnée dans l’anamnèse, de même que « pas d’idées suicidaires ». Même si la rubrique Antécédents indique « aucun antécédent psy ni traitement psychotrope » et que l’anamnèse mentionne « contexte d’expulsion de son logement, suite à des difficultés professionnelles (traductrice scientifique, dit avoir eu de nombreux retards de paiement + piratage de son compte) », il n’est pas certain que la tentative de suicide mentionnée ait eu lieu le 14 septembre 2023 et qu’elle soit la cause de son admission aux urgences. Il n’en reste pas moins que Mme [H] a fait état, lors de son passage à l’hôpital, de ses difficultés financières et notamment de sa procédure d’expulsion.

Il est vrai que même si la société [8] était en droit de recouvrer sa créance et de prendre possession du bien immobilier qu’elle a acquis, elle a agi en l’espèce avec une certaine témérité en multipliant les actes, alors que par ailleurs, il ne ressort pas du jugement qu’elle ait fait état d’un besoin impérieux et urgent d’entrer dans les lieux.

Enfin, il est indéniable que l’expulsion intervenue en l’absence de Mme [H], à une date où le déménagement de celle-ci était imminent, a compliqué le déménagement de ses meubles et affaires personnelles, ce dont elle justifie par la production d’échange de mails avec le commissaire de justice en octobre 2023. En outre, l’expulsion, dont le coût (999,90 euros) n’est pas négligeable, n’était plus utile en septembre 2023 et apparaît dès lors disproportionnée.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’expulsion est abusive et a causé à Mme [H] un préjudice justifiant de faire droit à sa demande de dommages-intérêts à hauteur de 1.500 euros incluant le coût de l’expulsion. La société [8] sera donc condamnée au paiement de cette somme.

Au vu de la présente décision, il convient d’infirmer les condamnations accessoires de Mme [H] et de condamner la société [8] aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’au paiement d’une somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

INFIRME le jugement rendu le 2 mai 2023 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris, en ce qu’il a condamné Mme [E] [H] à payer à la société [8] la somme de 1.200 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Statuant à nouveau dans cette limite,

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société [8] à payer à Mme [E] [H] la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts,

CONDAMNE la société [8] à payer à Mme [E] [H] la somme de 1.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [8] aux dépens de première instance et d’appel.

Le greffier, Le président,

 


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