Saisie-attribution : décision du 11 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 23/81827

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Saisie-attribution : décision du 11 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 23/81827

11 janvier 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
23/81827

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
N° RG 23/81827 – N° Portalis 352J-W-B7H-C3FVW

N° MINUTE :

CE à Me Me OLEWNICZAK
CCC à Me DEBRAY
CCC aux parties en LRAR
Le :
PÔLE DE L’EXÉCUTION
JUGEMENT rendu le 11 janvier 2024

DEMANDERESSE

La société ANGLAIS@PARIS REIMS ORLEANS (anciennement VH BLUE)
RCS PARIS 408 472 116
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Me Yann DEBRAY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #B0888

DÉFENDERESSE

Madame [I] [S]
née le [Date naissance 2] 1983 à [Localité 4]
[Adresse 3]
[Adresse 3]

représentée par Me Pauline OLEWNICZAK, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #C0405

JUGE : Monsieur Cyril ROTH, 1er Vice-Président adjoint, juge de l’Exécution par délégation du Président du Tribunal judiciaire de PARIS.

GREFFIER : Madame Camille RICHY lors des plaidoiries
Madame Amel OUKINA lors de la mise à disposition

DÉBATS : à l’audience du 29 Novembre 2023 tenue publiquement,

JUGEMENT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoire, susceptible d’appel

EXPOSE DU LITIGE

Le 15 juin 2015, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure collective à l’égard de la société VH Blue, aujourd’hui devenue Anglais@Paris Reims Orléans (l’employeur).

Par un arrêt du 23 octobre 2018, rectifié le 22 octobre 2019, la cour d’appel de Paris, infirmant un jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 24 août 2015, a fixé au passif de l’employeur une dette d’un certain montant envers Mme [S].

Le 25 juin 2020, le tribunal de commerce de Paris a clôturé la procédure collective de l’employeur.

Sur le fondement de l’arrêt du 23 octobre 2018, Mme [S] a, le 27 septembre 2023, fait pratiquer une saisie-attribution sur les comptes de l’employeur dans les livres de la Banque populaire Rives de [Localité 4]. Cette saisie lui a été dénoncée le 3 octobre suivant.

Le 2 novembre 2023, l’employeur a assigné Mme [S] devant le juge de l’exécution.

Il sollicite la mainlevée de la saisie-attribution et l’octroi de 5.000 € de dommages intérêts pour saisie abusive, subsidiairement le cantonnement des effets de la saisie à la somme de 9.750 €, en tout cas l’allocation d’une indemnité de procédure de 3.000 €.
En défense, Mme [S] conclut au rejet de ces prétentions, subsidiairement demande au juge de l’exécution d’assortir d’une astreinte de 100 € par jour l’obligation faite à l’employeur de payer les sommes qui lui sont dues, en tout cas réclame 5.000 € de dommages intérêts pour procédure abusive, outre une indemnité de procédure de 2.400 €.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait référence à leurs conclusions écrites respectives visées à l’audience.

MOTIFS

Sur la recevabilité de la contestation

La contestation a été introduite dans le mois de la dénonciation de la saisie-attribution à la partie débitrice.

L’assignation introductive d’instance a été dénoncée à l’huissier l’ayant instrumentée par lettre recommandée avec accusé de réception, avant l’expiration du premier jour ouvrable suivant sa délivrance.

La contestation est donc recevable au regard des dispositions de l’article R. 211-11 du code des procédures civiles d’exécution.

Sur la demande de mainlevée

Aux termes de l’article L. 111-2 du code des procédures civiles d’exécution, le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur.

Selon l’article L. 211-1 de ce code, tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir le paiement, saisir entre les mains d’un tiers les créances de son débiteur.

Un jugement ne contenant pas dans son dispositif le terme de condamnation mais y constatant néanmoins une créance liquide et exigible constitue un titre exécutoire permettant toute mesure d’exécution forcée (2ème Civ., 23 oct 2008, n°07-20.035, publié ; 2ème Civ., 19 nov 2009, n°08-14.325, publié).

Pour autant, il est désormais acquis que la décision de justice se bornant à fixer le montant d’une créance détenue sur une société faisant l’objet d’une procédure collective ne constitue pas un titre exécutoire au sens des articles L. 111-2 et L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution ; qu’une telle décision ne peut donc servir de fondement à une mesure d’exécution forcée (2e Civ., 14 janvier 2021, n° 18-23.238, publié ; Com., 4 juillet 2018, n°16-22.986 ; Com., 8 janvier 2020, n°18-22.462 ; Com, 20 octobre 2021, n°19-25.907 ; plusieurs de ces décisions ont censuré des arrêts ayant admis la validité de mesures d’exécution forcée pourtant pratiquées après la fin d’un plan de continuation).

Or les sommes dues par l’employeur en exécution du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant la procédure collective sont soumises au régime de la procédure collective (Soc., 27 octobre 1998, n°95-45.354 ; 4 juillet 2012, n°11-12.573).

Cette jurisprudence est critiquée ; le professeur [D] constate que l’arrêt des poursuites individuelles étant une protection – une sorte d’immunité – personnelle et essentiellement provisoire du débiteur, de sorte qu’il n’est pas certain que le fait que le jugement ne porte pas de condamnation interdise forcément d’y voir un titre exécutoire le moment venu ([D], Gaz. Pal. n°11 du 16 mars 2021, p. 28) ; d’autre part, le jugement mettant fin à la procédure collective dont a bénéficié le débiteur à nouveau in bonis n’a pas pour effet d’effacer ses dettes, et la décision d’une juridiction du fond fixant une dette à son passif, revêtue de l’autorité de chose jugée, fait obstacle à toute nouvelle action en justice du créancier.

Mais la sécurité juridique impose ici de ne pas remettre en cause cette solution.

En l’espèce, l’arrêt du 23 octobre 2018 condamne l’employeur à verser diverses sommes à Mme [S] ; l’arrêt du 22 octobre 2019 en modifie le dispositif de telle manière que l’arrêt rectifié se borner à fixer les créances de celle-ci au passif de l’employeur.

Cet arrêt rectifié, revêtu de la formule exécutoire, constitue, en la forme, un titre exécutoire au sens des articles 502 du code de procédure civile et L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution.

Mais il ne permet pas l’exécution forcée contre l’employeur, quand bien même la procédure collective dont il a bénéficié a pris fin purement et simplement par un jugement du 25 juin 2020 ayant constaté la bonne exécution du plan de sauvegarde.

De là suit que la saisie-attribution pratiquée le 27 septembre 2023 à la requête de Mme [S] doit être annulée.

La demande tendant à son cantonnement est partant sans objet.

Sur la demande d’astreinte

Aux termes de l’article L. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution peut assortir d’une astreinte une décision rendue par un autre juge si les circonstances en font apparaître la nécessité.

Les obligations de payer une somme d’argent, bien que générant des intérêts au taux légal, peuvent être assorties d’une astreinte (Com, 3 déc 1985, publié ; Soc, 29 mai 1990, n°87-40.182, publié ; Soc, 12 jan 1994, n°92-42.062).

Cette solution a notamment été employée dans une situation où, le créancier étant une personne publique, aucune voie d’exécution forcée n’était possible contre lui (Com, 17 avril 1956, JCP 1956, II, 9330, notamment cité par [N] & [T], in Procédures civiles d’exécution, §77) ; aujourd’hui, l’astreinte est prévue au code de justice administrative et communément utilisée par les juridictions administratives.

En l’espèce, si l’arrêt du 23 octobre 2018 ne constitue pas pour Mme [S] un titre exécutoire permettant l’usage de voies d’exécution forcée, il institue une obligation de payer à la charge de l’employeur.

Au cours de l’exécution du plan de sauvegarde dont a il bénéficié, l’employeur a adressé à Mme [S] deux règlements partiels, qu’ont accompagnés deux courriers officiels de son conseil en date des 6 et 13 décembre 2019 versés aux débats, ce dont il résulte que la créance de Mme [S] était considérée comme dûment déclarée au passif ; il n’est pas allégué par l’employeur que le plan en prévoyait l’effacement partiel.

Bien qu’à nouveau in bonis depuis plus de trois ans, la procédure collective ayant pris fin par le jugement du 25 juin 2020, l’employeur, dont l’obligation de payer n’est pas éteinte, ne s’est pas acquitté spontanément du solde de sa dette envers Mme [S].

Ce délai et l’impossibilité faite à Mme [S] de faire usage contre lui de voies d’exécution forcée résultant de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation rendent nécessaire le prononcé d’une astreinte suivant les modalités prévues au dispositif.

Sur les demandes accessoires

L’issue du litige implique le rejet de la demande reconventionnelle de dommages intérêts pour procédure abusive dirigée contre l’employeur.

L’absence de paiement spontané par l’employeur d’une dette à caractère en partie alimentaire constitue une faute exclusive de tout abus lié à la saisie-attribution contestée ; la demande de dommages intérêts de l’employeur sera en conséquence également écartée.

L’équité commande enfin d’allouer à Mme [S] l’intégralité de l’indemnité de procédure qu’elle réclame.

PAR CES MOTIFS,

le juge de l’exécution

Annule la saisie-attribution du 27 septembre 2023 ;

Rejette les demandes de dommages intérêts ;

Dit que l’obligation de payer faite à la société Anglais@Paris Reims Orléans est assortie d’une astreinte de 100 € par jour, pendant 500 jours, à compter de la signification du présent jugement ;

Condamne la société Anglais@Paris Reims Orléans à verser à Mme [S] la somme de 2.400 €au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Anglais@Paris Reims Orléans aux dépens.

Le greffierLe juge de l’exécution

 


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