Saisie-attribution : décision du 16 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Bordeaux RG n° 23/06141

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Saisie-attribution : décision du 16 janvier 2024 Tribunal judiciaire de Bordeaux RG n° 23/06141

16 janvier 2024
Tribunal judiciaire de Bordeaux
RG n°
23/06141

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BORDEAUX

LE JUGE DE L’EXECUTION

JUGEMENT DU 16 Janvier 2024

DOSSIER N° RG 23/06141 – N° Portalis DBX6-W-B7H-YARL
Minute n° 24/ 12

DEMANDEUR

Monsieur [V] [S]
né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 8]
demeurant [Adresse 5]
[Localité 3]

représenté par Maître Lucie BELLANGÉ, avocat au barreau de BORDEAUX

DEFENDEUR

Caisse URSSAF ILE DE FRANCE, prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est [Adresse 2]
venant aux droits de la CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PREVOYANCE ET D’ASSURANCE VIEILLESSE (CIPAV)
dont le siège social est [Adresse 7]

représentée par Maître Marie-Anne BLATT de la SELARL CABINET CAPORALE – MAILLOT – BLATT ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

JUGE DE L’EXECUTION : Marie BOUGNOUX, Vice-présidente
GREFFIER : Géraldine BORDERIE, Greffier

A l’audience publique tenue le 28 Novembre 2023 en conformité au Code des Procédures Civiles d’Exécution et des articles L 311-12 et L 311-12-1 du Code de l’organisation judiciaire, les parties présentes ou régulièrement représentées ont été entendues et l’affaire a été mise en délibéré au 16 Janvier 2024, et le jugement prononcé par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

Le 16 janvier 2024
Formules exécutoires aux avocats + dossiers
Copies Certifiées Conformes
par LRAR + LS aux parties

EXPOSE DU LITIGE

Se prévalant de quatre contraintes signifiées les 25 novembre 2021 et 30 mars 2022, la CIPAV a fait diligenter le 24 mai 2023, une saisie-attribution sur les comptes bancaires de Monsieur [V] [S] pour recouvrir une somme de 74.099,47 euros.

Par acte de commissaire de justice signifié le 3 juillet 2023, Monsieur [S] a fait assigner l’URSSAF ILE DE FRANCE (ci-après l’URSSAF) venant aux droits de la CIPAV devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Bordeaux afin de voir ordonnée la mainlevée de cette mesure.

A l’audience du 28 novembre 2023 et dans ses dernières écritures, Monsieur [V] [S] sollicite d’être déclaré recevable en ses demandes et à titre principal que soit constatée la caducité de la saisie et à défaut sa nullité et que soit ordonnée la mainlevée de cette mesure. A titre subsidiaire, il sollicite des délais de paiement et en tout état de cause, que soit ordonnée la mainlevée de la saisie et que l’URSSAF soit condamnée aux dépens et à lui verser la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts outre 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, le demandeur fait valoir que le juge de l’exécution a compétence pour statuer en application de l’article L213-6 du Code des procédures civiles d’exécution et qu’il a respecté les prescriptions de l’article R211-11 du Code des procédures civiles d’exécution. Sur le fond, il soutient que l’URSSAF a saisi un compte joint et n’a pas dénoncé cette saisie à son épouse co-titulaire, ce qui induit la caducité de la mesure de saisie en application de l’article R211-22 du Code des procédures civiles d’exécution. Il fait par ailleurs valoir, au visa des articles 648, 654, 655, 656, 657, 659 et 114 du code de procédure civile que l’URSSAF ne détient pas de titre exécutoire régulier dans la mesure où il indique n’avoir jamais reçu d’appel de cotisation ou de réponse à ses observations sur le fait qu’il n’était pas débiteur, pas plus qu’il n’a reçu de signification de contraintes, réalisées à une mauvaise adresse alors qu’il estime avoir signalé son déménagement. Il fait également valoir qu’en application de l’article L244-3 du code de la sécurité sociale, certaines cotisations réclamées sont prescrites, et ne constituent donc pas une créance certaine, liquide et exigible autorisant une saisie-attribution. Il fonde enfin sa demande de dommages et intérêts sur l’article 1240 du code civil et sur le fait qu’il a toujours réglé ses cotisations et a toujours contesté toute affiliation à la CIPAV sans que celle-ci ne réponde à cette objection.

A l’audience du 28 novembre 2023 et dans ses dernières écritures, l’URSSAF conclut à l’incompétence du juge de l’exécution pour connaître de ces demandes et à l’irrecevabilité de la demande sur le fondement de l’article R211-11 du Code des procédures civiles d’exécution. A titre subsidiaire, elle conclut au rejet de toutes les prétentions du demandeur, à la validation de la saisie-attribution et à la condamnation de Monsieur [S] aux dépens et au paiement d’une somme de 800 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses écritures, l’URSSAF fait valoir que le juge de l’exécution n’a pas compétence pour statuer sur l’existence de la créance, le montant de celle-ci et la qualité de débiteur mais uniquement sur les difficultés d’exécution. Elle soutient également que le demandeur ne justifie pas de la dénonciation de l’assignation en contestation de la saisie à l’huissier ayant procédé à celle-ci dans le délai d’un jour ou au plus tard dans le premier jour ouvrable suivant. S’agissant de la caducité de la mesure de saisie, elle souligne que le tiers saisi n’a pas indiqué l’identité du tiers cotitulaire du compte de telle sorte qu’elle ne pouvait dénoncer la saisie à cette personne, cette obligation incombant au tiers saisi et n’étant en tout état de cause pas sanctionnée par la nullité aux termes de l’article R211-22 du code des procédures civiles d’exécution. Au visa des articles L111-2, L111-3 du code des procédures civiles d’exécution et L244-9 du code de la sécurité sociale, elle souligne que les contraintes ont été signifiées selon les formalités de l’article 659 du code de procédure civile et donc valablement, Monsieur [S] ayant changé d’adresse sans s’acquitter de son obligation déclarative à cet égard. Elle conteste toute prescription, soulignant qu’elle a adressé des mises en demeure de payer interruptives de ces délais.

L’affaire a été mise en délibéré au 16 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes principales

– Sur la recevabilité et la compétence

L’article L213-6 du Code de l’organisation judiciaire donne compétence exclusive au juge de l’exécution pour connaître des difficultés relatives aux titres exécutoires ou des contestations s’élevant à l’occasion de l’exécution forcée à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.

Ainsi, le juge de l’exécution ne peut être saisi de difficultés relatives à un titre exécutoire qu’à l’occasion des contestations portant sur les mesures d’exécution forcée engagées ou opérées sur le fondement de ce titre et n’a pas compétence pour connaître de demandes tendant à remettre en cause le titre dans son principe ou la validité des droits et obligations qu’il constate.

En l’espèce, la demande de Monsieur [S] est bien fondée sur la contestation d’une mesure d’exécution forcée engagée antérieurement à la saisine de la présente juridiction. Elle tend à faire constater des défauts procéduraux ou l’absence de créance certaine, liquide et exigible servant de base à la saisie-attribution. Ces contestations relèvent donc bien de difficultés d’exécution et partant de la compétence du juge de l’exécution.

Selon l’article R 211-11 du code des procédures civiles d’exécution, à peine d’irrecevabilité, les contestations relatives à la saisie sont formées dans le délai d’un mois à compter de la dénonciation de la saisie au débiteur. Sous la même sanction, elles sont dénoncées le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, à l’huissier de justice qui a procédé à la saisie.
L’auteur de la contestation en informe le tiers saisi par lettre simple. Il remet une copie de l’assignation, à peine de caducité de celle-ci, au greffe du juge de l’exécution au plus tard le jour de l’audience.

En l’espèce, la mesure de saisie-attribution pratiquée le 24 mai 2023 a été dénoncée au débiteur le 1er juin 2023, le délai de contestation de la saisie-attribution expirait le 3 juillet 2023, jour ouvrable suivant. La contestation est intervenue le 3 juillet 2023, soit avant l’expiration du délai.

Le demandeur produit en outre une copie du courrier en date du 3 juillet 2023 de l’huissier ayant délivré l’assignation adressé à l’huissier ayant pratiqué la saisie pour lui dénoncer une copie de l’assignation ainsi que l’accusé de réception de ce courrier, si bien que la formalité requise par l’article R 211-11 du code des procédures civiles d’exécution à peine d’irrecevabilité est justifiée.

La contestation est donc recevable.

– Sur la caducité de la saisie-attribution

L’article R211-22 du Code des procédures civiles d’exécution dispose :
« Lorsque la saisie est pratiquée sur un compte joint, elle est dénoncée à chacun des titulaires du compte.
Si les noms et adresses des autres titulaires du compte sont inconnus de l’huissier de justice, ce dernier demande à l’établissement qui tient le compte de les informer immédiatement de la saisie et du montant des sommes réclamées. »

La déclaration du tiers saisi figurant en annexe de la dénonciation de saisie-attribution mentionne en effet la saisie d’un compte joint. Néanmoins l’identité du cotitulaire du compte n’est pas précisée de telle sorte qu’il ne peut être fait grief au commissaire de justice de ne pas avoir dénoncé auprès de l’épouse de Monsieur [S] l’acte. En tout état de cause, l’absence de dénonciation par le tiers saisi n’est pas susceptible d’emporter la caducité de l’acte de saisie, aucune sanction n’étant prévue par le texte invoqué.

La demande de Monsieur [S] à ce titre sera donc rejetée.

– Sur la nullité de la saisie-attribution

L’article L111-2 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit : « Le créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l’exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d’exécution. »

L’article L244-9 du Code de la sécurité sociale dispose :
« La contrainte décernée par le directeur d’un organisme de sécurité sociale pour le recouvrement des cotisations et majorations de retard comporte, à défaut d’opposition du débiteur devant le tribunal judiciaire spécialement désigné en application de l’article L. 211-16 du code de l’organisation judiciaire, dans les délais et selon des conditions fixés par décret, tous les effets d’un jugement et confère notamment le bénéfice de l’hypothèque judiciaire.
Le délai de prescription de l’action en exécution de la contrainte non contestée et devenue définitive est de trois ans à compter de la date à laquelle la contrainte a été notifiée ou signifiée, ou un acte d’exécution signifié en application de cette contrainte. »
Il est constant que pour que le débiteur ait été en mesure de faire opposition, cette contrainte doit avoir fait l’objet d’une signification.
A ce titre les articles 654 et 655 du code de procédure civile prévoient que la signification doit être faite à personne et à défaut à domicile. Si ces modalités sont impossibles, l’article 659 indique :
« Lorsque la personne à qui l’acte doit être signifié n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte.
Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l’huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, une copie du procès-verbal, à laquelle est jointe une copie de l’acte objet de la signification.
Le jour même, l’huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l’accomplissement de cette formalité.
Les dispositions du présent article sont applicables à la signification d’un acte concernant une personne morale qui n’a plus d’établissement connu au lieu indiqué comme siège social par le registre du commerce et des sociétés. »

L’article 693 du même code prescrit le respect des dispositions à peine de nullité, l’article 114 exigeant la démonstration d’un grief.

Les quatre contraintes versées aux débats par la défenderesse mentionnent l’adresse : « [Adresse 6] », adresse déclarée par Monsieur [S] à compter de son déménagement survenu en 2018 ainsi qu’en témoigne la pièce 28 qu’il verse aux débats consistant en un appel de cotisation URSSAF adressé à ce nouveau domicile dès l’année 2018.

Pour autant les contraintes ont toutes été signifiées par le commissaire de justice au [Adresse 4], et toutes en application des dispositions de l’article 659 du Code de procédure civile.

L’URSSAF est donc mal fondée à invoquer le fait que le demandeur n’ait pas respecté son obligation de déclarer sa nouvelle adresse puisque la CIPAV la détenait et a pu établir les contraintes en la mentionnant. Dès lors, le commissaire de justice n’a pas respecté son obligation de signification à personne et à tout le moins à domicile alors qu’il avait en main le document à signifier comportant lui-même la bonne adresse.

Monsieur [V] [S] a subi un grief évident résidant dans l’impossibilité de faire opposition à ces contraintes et partant d’éviter la saisie-attribution pratiquée à son encontre.

Les significations des quatre contraintes en date du 25 novembre 2021et du 30 mars 2022 seront donc annulées. Le procès-verbal de la saisie-attribution pratiquée en application de ces contraintes doit être également annulé.

La mainlevée de cette saisie-attribution sera par conséquent ordonnée.

– Sur les dommages et intérêts

L’article 1240 du Code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Si le comportement de l’URSSAF et avant elle de la CIPAV peut être constitutif d’une faute résidant dans le fait d’avoir fait pratiquer une mesure de saisie alors que la créance avait été contestée sans prendre le temps de répondre à Monsieur [S], ce dernier ne verse aux débats aucun élément justifiant le préjudice invoqué, autre que l’indemnisation des frais de représentation par lui exposés pour faire valoir ses droits déjà indemnisés au tire de l’article 700 du Code de procédure civile.

Sa demande sera donc rejetée.

Sur les autres demandes

Il résulte des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie.

En outre l’article 700 du même code prévoit que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.

L’URSSAF partie perdante, sera condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Il sera rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire en application de l’article R 121-21 du code des procédures civiles d’exécution.

PAR CES MOTIFS
Le Juge de l’exécution statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort,
DIT que le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Bordeaux est compétent pour connaître du présent litige ;
DECLARE la contestation de la saisie-attribution pratiquée par l’URSSAF ILE DE FRANCE venant aux droits de la CIPAV sur les comptes bancaires de Monsieur [V] [S] le 24 mai 2023 recevable ;
ANNULE les actes de signification des quatre contraintes des 2 novembre 2021 et 10 mars 2022 délivrés par l’URSSAF ILE DE FRANCE venant aux droits de la CIPAV les 25 novembre 2021 et 30 mars 2022 ;
ANNULE en conséquence le procès-verbal de saisie-attribution pratiquée par l’URSSAF ILE DE FRANCE venant aux droits de la CIPAV sur les comptes bancaires de Monsieur [V] [S] en date du 24 mai 2023 ;
ORDONNE mainlevée de la saisie-attribution pratiquée par l’URSSAF ILE DE FRANCE venant aux droits de la CIPAV sur les comptes bancaires de Monsieur [V] [S] le 24 mai 2023 ;
CONDAMNE l’URSSAF ILE DE FRANCE venant aux droits de la CIPAV à payer à Monsieur [V] [S] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE l’URSSAF ILE DE FRANCE venant aux droits de la CIPAV aux dépens ;
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire en application de l’article R 121-21 du code des procédures civiles d’exécution.
La présente décision a été signée par le Juge de l’exécution et par le Greffier présent lors de sa mise à disposition.

LE GREFFIER, LE JUGE DE L’EXECUTION,

 


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