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20 février 2024
Cour d’appel de Paris
RG n°
22/16931
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 3
ARRÊT DU 20 FEVRIER 2024
(n° 66 , 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/16931 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGPJY
Décision déférée à la Cour : Ordonnance de référé du 26 Septembre 2022 -Président du TC de Paris – RG n° 2022019574
APPELANTE
S.A.S. GALENIC COSMETICS LABORATORY RCS de Paris n°889310108, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 5]
Ayant pour avocat postulant Me Thierry SERRA de la SELARL SERRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0280
Représentée à l’audience par Me Nicolas VALLUET du cabinet ACHACHE VALLUET ARILLA ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A. L’OREAL, RCS de Paris n°632012100, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
Ayant pour avocat postulant Me Luca DE MARIA de la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Représentée à l’audience par Me Olivier BLUCHE de la SELARL REINHART MARVILLE TORRE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 15 Janvier 2024, après qu’un rapport ait été fait par Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre, en audience publique, devant la Cour composée de :
Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre
Anne-Gaël BLANC, Conseillère
Valérie GEORGET, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Jeanne PAMBO
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre et par Jeanne PAMBO, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
********
M. [K] a été embauché par la société L’Oréal le 11 avril 2007 en tant qu’ingénieur. Il y a occupé différents postes, et en dernier lieu les fonctions de directeur international au développement des produits solaires à compter du mois d’avril 2020. Par courrier du 29 mars 2021, M. [K] a démissionné de son emploi à la société L’Oréal.
Par requête en date du 20 janvier 2022, la société L’Oréal a sollicité du président du tribunal de commerce de Paris qu’il ordonne une mesure d’instruction in futurum en soutenant l’existence de faits de concurrence déloyale commis par la société Galenic Cosmetics Laboratory (ci-après Galenic) et sa maison mère la société de droit chinois Yatsen, qui participaient à la violation de la clause de non-concurrence à laquelle était assujetti M. [K]. Par ordonnance du 25 janvier 2022, le président du tribunal de commerce de Paris a fait droit à la demande et a commis un huissier de justice pour exécuter la mesure. L’huissier instrumentaire a procédé aux opérations requises les 28, 30 et 31 mars 2022.
Par acte extrajudiciaire du 19 avril 2022, la société Galenic a fait assigner en référé la société L’Oréal devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins, notamment, de rétractation de l’ordonnance sur requête du 25 janvier 2022 et de restitution des documents et pièces appréhendés par l’huissier commis.
Par ordonnance de référé du 26 septembre 2022, le président du tribunal de commerce de Paris a :
dit que l’ordonnance du 25 janvier 2022 est conforme aux dispositions des articles 145 et 493 du code de procédure civile et débouté la société Galenic Cosmetics Laboratory de sa demande de rétractation de cette ordonnance ;
dit que la levée de séquestre de pièces obtenues lors des opérations de constat par l’huissier instrumentaire doit se faire conformément aux articles R. 153-3, R. 153-4, R. 153-5, R. 153-6, R. 153-7 et R. 153-8 du code de commerce ;
dit que la procédure de levée de séquestre sera la suivante :
demandé à la société Galenic Cosmetics Laboratory de faire un tri sur les pièces séquestrées et de les classer en trois catégories :
catégorie « A » : les pièces qui pourront être communiquées sans examen, notamment celles qui appartiendraient au requérant en ce qu’elles ont été identifiées ;
catégorie « B » : les pièces qui sont concernées par le secret des affaires et que la société Galenic Cosmetics Laboratory refuse de communiquer ;
catégorie « C » : les pièces que la société Galenic Cosmetics Laboratory refuse de communiquer mais qui ne sont pas concernées par le secret des affaires.
dit que ce tri sera communiqué sous forme numérique à la SAS Stéphane Van Kemmel, ès qualités, pour un contrôle de cohérence avec les éléments en séquestre ;
dit que la SAS Stéphane Van Kemmel, ès qualités, tiendra informé le tribunal dès finalisation des opérations de contrôle de cohérence ;
dit que pour les pièces concernées par le secret des affaires, la société Galenic Cosmetics Laboratory, conformément aux articles R. 153-3, R. 153-4, R. 153-5, R. 153-6, R. 153-7 et R. 153-8 du code de commerce, communiquera au tribunal « un mémoire précisant pour chaque information ou partie de la pièce en cause, les motifs qui lui confèrent le caractère d’un secret des affaires » ;
fixé le calendrier suivant :
communication à la SAS Stéphane Van Kemmel, ès qualités, et au tribunal des tris des fichiers demandés au plus tard dans un délai de cinq semaines à compter de la date de signification de l’ordonnance ;
renvoi de l’affaire, après finalisation des opérations de contrôle de cohérence par l’huissier, à la première audience utile pour examen de la fin de la levée de séquestre ;
demande qu’une clause de confidentialité soit signée entre la société L’Oréal et son avocat, qui sera remise à l’huissier, ce qui permettra aux seuls conseils des deux parties de compulser les pièces des catégories B et C, afin de ne soumettre au tribunal que les pièces que L’Oréal estime nécessaires à la solution du litige et pour lesquelles la société Galenic Cosmetics Laboratory s’oppose toujours à leur communication, leur libération.
dit que la SAS Stéphane Van Kemmel, ès qualités de séquestre, ne pourra procéder à la libération des éléments susvisés et/ou la destruction des pièces communicables, qu’après que tous les délais d’appel seront expirés, que dans cette attente la SAS Stéphane Van Kemmel, ès qualités, conservera sous séquestre l’ensemble des pièces ;
condamné la SAS Galenic Cosmetics Laboratory à payer à la SA L’Oréal la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties ;
condamné en outre la SA L’Oréal aux dépens de l’instance.
Par déclaration du 30 septembre 2022, la société Galenic a interjeté appel de cette décision en critiquant l’ensemble de ses chefs de dispositif.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé de leurs prétentions et moyens, savoir :
pour la société Galenic, ses dernières conclusions du 15 juin 2023 ;
pour la société L’Oréal, ses dernières conclusions du 21 juin 2023.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 juin 2023.
Sur ce,
En vertu de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. L’article 493 du même code prévoit que l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.
Par ailleurs, il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d’appel, saisie de l’appel d’une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d’une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d’instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, est investie des attributions du juge qui l’a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.
Cette voie de contestation n’est donc que le prolongement de la procédure antérieure : le juge doit apprécier l’existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l’appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. L’application de ces dispositions suppose de constater la possibilité d’un procès potentiel, non manifestement voué à l’échec, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu’il revienne au juge des référés de se pron&oncer sur le fond et dont la solution peut dépendre de la mesure d’instruction sollicitée. Cette mesure ne doit pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d’autrui. Le juge doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l’ordonnance qui y fait droit.
Pour justifier la dérogation au principe du contradictoire dans sa requête du 20 janvier 2022, la société L’Oréal y expliquait que si elle empruntait une voie contradictoire, elle serait privée de l’effet de surprise nécessaire à l’utilité des mesures sollicitées et s’exposerait à un risque important de disparition définitive ou de détérioration des éléments de preuve propres à lui permettre de saisir ultérieurement toute juridiction apte à apprécier les mérites de sa thèse.
Elle rappelait que les sociétés Yatsen et Galenic n’avaient pas hésité à nier l’embauche de M. [K] et l’existence de son travail en France, et qu’elles avaient même volontairement fait procéder, sur le site internet de l’association professionnelle Cosmed, à l’effacement de la mention du poste de responsable qualité occupé par M. [K] au sein de la société Galenic. La société L’Oréal affirmait que cette attitude faisait craindre que l’organisation d’un débat contradictoire préalable permette aux défenderesses d’organiser le tri et la modification, voire la destruction, des éléments de preuve sollicités. Elle ajoutait qu’il existait un risque important de destruction et de disparition définitive des éléments de preuve dans la mesure où leur nature (courriers électroniques, fichiers informatiques) les rendait vulnérables et aisés à détruire. La société L’Oréal soutenait également que les sociétés Galenic et Yatsen, dans le cadre d’une procédure contradictoire, avaient un intérêt majeur à refuser toute communication de documents qui les incriminerait, pour échapper à l’atteinte à leur réputation qui en résulterait.
S’agissant de l’ordonnance sur requête du 25 janvier 2022, le président du tribunal de commerce justifiait la dérogation au principe du contradictoire en retenant que la requérante avait réuni des indices de violation de la clause de non-concurrence et que l’embauche avait été dissimulée, M. [K] ayant refusé de répondre aux questions de son ancien employeur.
Cependant, il convient d’observer que la société L’Oréal relate elle-même avoir demandé à M. [K] de lui communiquer la dénomination et l’adresse de son nouvel employeur, la nature et le lieu de sa nouvelle activité professionnelle, un descriptif de ses attributions professionnelles et le périmètre géographique de leur exercice, quelques jours après sa démission, par lettre recommandée avec avis de réception du 6 avril 2021, puis à nouveau par lettre recommandée avec avis de réception du 28 juin 2021, et encore par lettre recommandée avec avis de réception du 3 août 2021, en lui précisant qu’elle n’hésiterait pas à actionner les moyens judiciaires à sa disposition en cas de refus.
Par lettres du 7 juillet 2021 et 25 août 2021, M. [K] a indiqué à la société L’Oréal qu’il considérait que la clause de non-concurrence ne lui était pas opposable, en raison de son champ géographique trop large. Par lettre recommandée avec AR du 14 septembre 2021, L’Oréal a alors mis M. [K] en demeure de cesser immédiatement et jusqu’au 30 juin 2022, toute activité contrevenant à sa clause de non-concurrence et de communiquer les informations relatives à son nouvel employeur.
La société L’Oréal explique par ailleurs qu’à la même période, elle a procédé à des recherches approfondies en source ouverte et qu’elle a pu constater que M. [K] était apparu en qualité de responsable réglementaire de Galenic sur l’annuaire professionnel de Cosmed, une association professionnelle des TPE, PME et ETI de la filière cosmétique.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 27 septembre 2021, l’avocat de la société L’Oréal a informé Mme [R], directrice générale de la société Galenic, de l’existence d’une obligation de non-concurrence dûment rémunérée souscrite par M. [K] au bénéfice de la société L’Oréal et sur la complicité de violation de ladite clause dont elle se rendait coupable en recourant aux services de M. [K], directement ou indirectement.
L’avocat de la société L’Oréal terminait ce courrier de la manière suivante :
Nous vous informons que L’Oréal nous a mandaté pour tirer toutes les conséquences juridiques de votre absence de réponse ou de votre refus de déférer à la présente. L’Oréal reprendra alors sa liberté d’action et nous mettrons alors en ‘uvre à votre encontre toutes les mesures conservatoires utiles et engagerons toutes les actions judiciaires appropriées pour faire cesser vos agissements et préserver les droits de la société L’Oréal.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 6 octobre 2021, la directrice générale de la société Galenic a contesté l’engagement de M. [K] dans les effectifs de la société Galenic, tout en indiquant que M. [K] faisait partie des effectifs de la société Yatsen, actionnaire majoritaire de la société Galenic.
Le 18 octobre 2021, un huissier de justice s’est rendu, à la requête de la société L’Oréal, à l’adresse de l’établissement secondaire de Galenic, situé [Adresse 2]. Il ressort du constat que lorsque l’huissier s’est présenté à l’entrée des locaux de l’entreprise, une première personne lui a répondu que M. [K] n’était pas présent sur les lieux, tout en lui demandant de patienter. Puis deux autres personnes présentes sur place et n’ayant pas décliné leur identité l’ont questionné sur les motifs de sa venue, lui ont demandé sa carte de visite, pour affirmer ensuite que M. [K] ne faisait pas partie de la société.
Le 10 novembre 2021, un huissier de justice s’est rendu, à la requête de la société L’Oréal, au [Adresse 3]), près de [Localité 6], où, rencontrant M. [K], il lui a fait sommation interpellative de répondre à treize questions concernant son nouvel employeur et son activité professionnelle. L’intéressé a refusé d’y répondre, sauf pour indiquer qu’il n’avait ‘pas de poste dans la société’ et qu’il n’avait pas de contrat en France.
Il résulte de ce qui précède que la société L’Oréal a requis un huissier qui s’est déplacé tant au domicile de M. [K] que dans les locaux de la société Galenic à [Localité 6], recherchant à l’évidence toutes informations utiles concernant la situation de M. [K] au regard de son contrat de travail, et que la société L’Oréal a expédié de nombreuses mises en demeure et demandes d’information, dont l’une, adressée à la société Galenic le 27 septembre 2021, avertissait de manière explicite que des mesures conservatoires seraient recherchées et des actions judiciaires engagées.
Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la société Galenic était parfaitement informée des critiques formulées par la société L’Oréal et des mesures qu’elle envisageait, et était donc en mesure, si elle le souhaitait, dès le 27 septembre 2021 ‘d’organiser le tri et la modification, voire la destruction, des éléments de preuve sollicités’ de sorte que la nécessité de procéder par effet de surprise n’est pas établie. Il n’était donc pas justifié de déroger au principe de la contradiction en procédant par voie de requête près de quatre mois plus tard, le 20 janvier 2022.
Par ailleurs, l’ordonnance du 25 janvier 2022 ne fournissait aucun motif utile de déroger au principe de la contradiction, en se bornant à faire état des indices réunis par la société L’Oréal et du refus de répondre aux questions de M. [K].
L’ordonnance entreprise sera donc infirmée en toutes ses dispositions, et l’ordonnance du 25 janvier 2022 rétractée avec les conséquences de droit quant aux pièces saisies.
Il n’est pas nécessaire d’accueillir la demande de la société Galenic tendant à faire interdiction à la société L’Oréal de produire et faire usage des pièces, cette interdiction découlant directement de la décision de rétractation. En outre, il apparaît que les pièces sont toujours séquestrées et n’ont pas été remises à la partie requérante. Par ailleurs, il n’y a pas lieu d’interdire à la société L’Oréal de faire usage des procès-verbaux de constat des 28, 30 et 31 mars 2022, ces pièces ne contenant aucun renseignement concernant le contenu des pièces saisies ou recherchées, et se bornant à décrire les diligences matérielles de l’huissier assisté du technicien informatique.
La société L’Oréal sera tenue d’une somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme l’ordonnance entreprise quant à la charge des dépens de première instance ;
L’infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Rétracte l’ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Paris du 25 janvier 2022 (22.91 – 22.3757) et annule par voie de conséquence les opérations de constat et de saisies qui ont été opéré sur son autorisation ;
Ordonne la restitution à la société Galenic Cosmetics Laboratory des pièces et documents saisis ou copiés ainsi que des copies des disques durs et fichiers, séquestrés ou archivés par les huissiers de justice instrumentaires, dont il ne pourra être fait aucun usage ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Condamne la société L’Oréal à payer à la société Galenic Cosmetics Laboratory une somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société L’Oréal aux entiers dépens de première instance et d’appel, et dit que Me Serra, avocat au barreau de Paris, pourra recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT