Marchand de Biens : décision du 13 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01048

·

·

Marchand de Biens : décision du 13 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01048
Ce point juridique est utile ?

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 10

ARRÊT DU 13 FEVRIER 2023

(n° , 14 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01048 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC56J

Statuant Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Juin 2015 – tribunal de grande instance de Bobigny – RG 13/03722

Arrêt du 06 Novembre 2017 – Cour d’appel de Paris RG 15/15981

Arrêt du 04 Novembre 2020 -Cour de Cassation de PARIS – RG n° 617 F-D

DEMANDEUR A LA SAISINE

S.A. LUPA Société de droit Luxembourgeois

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

L- [Localité 3]

Représentée par Me Pierre DEDIEU de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

Représentée par Me Jean-Fabrice BRUN de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : NAN 1701, avocat plaidant

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

INTIME A LA SAISINE

LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D’ILE DE FRANCE

Le Directeur Régional des Finances Publiques d’Ile de France et du département de Paris qui élit domicile en ses bureaux du Pôle Fiscal Parisien 1, Pôle Juridictionnel Judiciaire, situés [Adresse 2])

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Guillaume MIGAUD de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.BOCCALINI & MIGAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC430

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 09 Janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Brigitte BRUN-LALLEMAND, Première Présidente de chambre

Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ

ARRÊT :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signée par Brigitte BRUN-LALLEMAND, Première Présidente de chambre et par Sonia JHALLI, Greffière présente lors du prononcé.

FAITS ET PROCÉDURE

La société anonyme de droit luxembourgeois Lupa détient indirectement des participations dans plusieurs sociétés civiles, propriétaires d’immeubles en France.

La société Lupa n’ayant pas déposé la déclaration prévue à l’article 990 E 2° du code général des impôts précisant la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier 2005, ainsi que l’identité et l’adresse de ses associés, l’administration fiscale lui a, le 6 septembre 2005, notifié une proposition de rectification portant sur la taxe de 3 % sur la valeur vénale de ces immeubles prévue par l’article 990 D du code général des impôts.

Après rejet implicite de sa réclamation, la société Lupa a assigné l’administration fiscale afin de contester le bien-fondé de la rectification.

Par jugement prononcé le 25 juin 2015, le tribunal de grande instance de Bobigny a déclaré recevable la demande de la société Lupa d’annulation de la décision implicite de rejet mais l’en a débouté et l’a condamnée aux dépens ainsi qu’à verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile au directeur de la direction des résidents à l’étranger et des services généraux.

Par arrêt prononcé le 6 novembre 2017, cette cour a infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions, annulé la décision de rejet implicite de Monsieur le directeur des services fiscaux, prononcé le dégrèvement du montant de taxe de 3 % mis à la charge de la société Lupa SA au titre de l’année 2005, soit un montant de 2 433 663 euros, et condamné le directeur des services fiscaux aux dépens de première instance et d’appel ainsi qu’à payer la somme de 2 500 euros à la société Lupa au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt prononcé le 4 novembre 2020, la chambre commeciale, financière et économique de la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions l’arrêt prononcé le 6 novembre 2017, pour violation de l’article 990 E 2° du code général des impôts.

Par déclaration du 12 janvier 2021, la société Lupa a saisi la cour d’appel de renvoi.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 juillet 2021, la société Lupa demande à la cour de :

‘Vu l’article 63 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales

Vu l’article L57 du Livre des procédures fiscales

Vu les articles 990 D à F du Code général des impôts dans leur rédaction applicable,

Juger que le dispositif prévu aux articles 990 D et E du CGI porte atteinte au droit de l’Union européenne et aux principes fixés par la CEDH ;

Juger que la société Lupa SA n’est pas redevable de la taxe de 3% au titre de l’année 2005 dès lors que cette taxe aurait dû être mise à la charge des sociétés non exonérées interposées entre la société Lupa SA et les immeubles en cause ;

Prononcer l’irrégularité de la procédure d’imposition de la société Lupa SA au regard du principe du contradictoire et de loyauté des débats ;

Confirmer le jugement du 25 juin 2015 en ce qu’il a déclaré recevables les demandes de la société Lupa SA ;

Infirmer le jugement du 25 juin 2015 pour le surplus ;

Statuant à nouveau de ces chefs infirmés :

Annuler la décision de rejet implicite de Monsieur le Directeur des Services Fiscaux ;

Prononcer le dégrèvement du montant de taxe de 3% mis à la charge de la société Lupa SA au titre de l’année 2005, soit un montant de 2 433 663 euros ;

Débouter l’administration fiscale de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner l’administration fiscale au paiement d’une somme de 10.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner l’administration fiscale aux entiers dépens.’

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 mai 2021, le directeur régional des finances publiques d’Ile-de-France et de [Localité 5] demande à la cour de :

‘Dire et juger la société Lupa S.A. mal fondée en son appel du jugement rendu le 25 juin 2015

par le tribunal judiciaire de Bobigny,

Débouter la société Lupa S.A. de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Statuant à nouveau,

Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny du 25 juin 2015,

Y faisant droit,

Dire que l’équité ne commande pas le paiement de la somme de 10 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

Condamner la société Lupa S.A. à payer la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du C.P.C. ainsi qu’aux entiers dépens.’

Par arrêt du 24 octobre 2022, la cour d’appel de Paris, au visa des articles 16, 444, 564 et 633 du code de procédure civile, a ordonné la réouverture des débats, relevé d’office l’irrecevabilité de la demande de la société Lupa tendant à voir prononcer l’irrégularité de la procédure de rectification fiscale pour cause de violation du principe du contradictoire et de loyauté des débats, invité la société Lupa et le directeur régional des finances publiques d’Ile de France et de Paris à conclure sur cette irrecevabilité et renvoyé l’affaire et les parties à l’audience collégiale du lundi 9 janvier 2023 à 14H00 pour plaidoiries.

Par conclusions récapitulatives remises au greffe et notifiées par voie électronique le 23 décembre 2022, la société Lupa a complété le dispositif de ses dernières conclusions en demandant en outre à la cour de :

‘ Sur l’irrecevabilité soulevée d’office par la cour de [Localité 5] dans son arrêt en date du 26 octobre 2022,

Vu les articles 564 et 565 du Code de procédure civile,

Vu l’article L. 199 C du Livre des procédures fiscales,

Vu l’arrêt rendu par la Cour le 24 octobre 2022 aux fins de réouverture des débats,

Juger que la demande de voir prononcer l’irrégularité de la procédure fiscale formulée par la société Lupa en cause d’appel est recevable dès lors :

– qu’il s’agit d’une demande qui tend aux mêmes fins que la demande de dégrèvement du montant de la taxe de 3% mise à la charge de la société Lupa SA au titre de l’année 2005, soit un montant de 2 433 663 euros ; et

– qu’il ne s’agit en réalité que d’un moyen nouveau au soutien de cette demande de dégrèvement.

(…)’ .

L’administration fiscale n’a pas déposé de nouvelles conclusions sur l’irrecevabilité soulevée d’office par la cour le 24 octobre 2022.

L’affaire a été plaidée sur cette irrecevabilité à l’audience collégiale du 9 janvier 2023.

MOTIVATION

1.-Sur les dispositions du jugement attaqué soumises à la cour

La société Lupa demande à la cour d’appel de renvoi de confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bobigny en ce qu’il l’a déclarée recevable en sa demande d’annulation de la décision implicite de rejet de l’administration fiscale de sa réclamation contentieuse du 15 mai 2007.

Toutefois, l’administration fiscale n’a pas formé appel incident de ce chef du dispositif du jugement du tribunal de grande instance de Bobigny du 25 juin 2015, se limitant à en solliciter la confirmation. Elle ne soulève pas davantage de fin de non recevoir devant la cour d’appel de renvoi.

La fin de non recevoir invoquée par l’administration fiscale en première instance n’entre donc pas dans la saisine de la cour d’appel.

2.- Sur l’exigibilité de l’imposition

Les textes applicables à l’imposition litigieuse sont les articles 990 D et E du code général des impôts pris dans leur rédaction en vigueur au 1er janvier 2005, date du fait générateur de la taxe mise à la charge de la société Lupa par l’administration fiscale.

L’article 990 D du code général des impôts disposait alors que :

‘Les personnes morales qui, directement ou par personne interposée, possèdent un ou plusieurs immeubles situés en France ou sont titulaires de droits réels portant sur ces biens sont redevables d’une taxe annuelle égale à 3 % de la valeur vénale de ces immeubles ou droits.

Est réputée posséder des biens ou droits immobiliers en France par personne interposée, toute personne morale qui détient une participation, quelles qu’en soient la forme et la quotité, dans une personne morale qui est propriétaire de ces biens ou droits ou détentrice d’une participation dans une troisième personne morale, elle-même propriétaire des biens ou droits ou interposée dans la chaîne des participations. Cette disposition s’applique quel que soit le nombre des personnes morales interposées.’

L’article 990 E 2° et 3° disposait alors que :

‘ La taxe prévue à l’article 990 D n’est pas applicable :

(…)

2° Aux personnes morales qui, ayant leur siège dans un pays ou territoire ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, déclarent chaque année, au plus tard le 15 mai, au lieu fixé par l’arrêté prévu à l’article 990 F, la situation, la consistance et la valeur des immeubles possédés au 1er janvier, l’identité et l’adresse de leurs associés à la même date ainsi que le nombre des actions ou parts détenues par chacun d’eux ;

3° Aux personnes morales qui ont leur siège de direction effective en France et aux autres personnes morales qui, en vertu d’un traité, ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde, lorsqu’elles communiquent chaque année, ou prennent et respectent l’engagement de communiquer à l’administration fiscale, sur sa demande, la situation et la consistance des immeubles possédés au 1er janvier, l’identité et l’adresse de leurs actionnaires, associés ou autres membres, le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d’eux et la justification de leur résidence fiscale. L’engagement est pris à la date de l’acquisition par la personne morale du bien ou droit immobilier ou de la participation visés à l’article 990 D ou, pour les biens, droits ou participations déjà possédés au 1er janvier 1993, au plus tard le 15 mai 1993.

(…)’.

2.1.- Sur la contrariété au droit communautaire de la taxe sur la valeur vénale des immeubles

Enoncé des moyens

La société Lupa fait valoir qu’elle a fait l’objet d’un traitement fiscal discriminatoire dès lors que, au seul motif qu’elle était immatriculée au Luxembourg, pays n’ayant pas conclu avec la France une convention contenant une clause prévoyant une égalité de traitement en matière fiscale, elle ne pouvait pas bénéficier, au titre de l’année 2005, de l’exonération de la taxe de 3% prévue par l’article 990 E 3° du code général des impôts au profit des personnes morales ayant leur siège de direction effective en France et aux autres personnes morales qui, en vertu d’un traité, ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde. Elle soutient que ce régime d’exonération est moins contraignant que celui de l’article 990 E 2° de ce code puisqu’il permet de ne pas avoir à déposer une déclaration spécifique chaque année, le 15 mai au plus tard, évitant ainsi que se réalise, comme en l’espèce, un risque d’omission ou de tardiveté de déclaration pour un motif légitime qui ne peut bénéficier qu’une seule fois d’une tolérance administrative de régularisation.

En critique du jugement déféré, la société Lupa souligne que la discrimination ne consiste pas dans le fait, pour une société de droit luxembourgeois, de ne pouvoir être exonérée de la taxe de 3 % par application de l’article 990 E 2° du code général des impôts mais dans le fait qu’elle ne puisse l’être sur la base d’une simple déclaration d’intention comme cela aurait été le cas pour une société ayant son siège en France.

La société Lupa soutient que les dispositions de l’article 990 E, pris dans sa rédaction applicable jusqu’au 1er janvier 2008, créent une discrimination injustifiée entre personnes morales non résidentes, selon qu’elles peuvent ou non invoquer l’existence d’un traité en application duquel elles ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde.

Elle fait valoir que cette discrimination est contraire à l’article 52 du traité CE, devenu après modification l’article 49 du traité de fonctionnement de l’Union européenne, qui interdit les restrictions à la liberté d’établissement, ainsi qu’à l’article 73 B du traité CE devenu l’article 56 du traité CE puis l’article 63 du traité de fonctionnement de l’Union européenne, qui pose le principe de la liberté des mouvements de capitaux.

La société Lupa soutient que cette discrimination n’est pas justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général proportionnée au but poursuivi qui est de lutter contre la fraude fiscale dans les situations où il n’est pas possible à l’administration fiscale française de connaître l’identité de propriétaires d’immeubles situés en France, alors que, dans l’Union européenne, les Etats membres peuvent demander des informations à des fins fiscales conformément aux dispositions de la directive 77/7999/CE.

La société Lupa fait valoir que cette discrimination a été reconnue par arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 11 octobre 2007 (C-451/05, société Européenne et luxembourgeoise d’investissements Elisa) et par le législateur qui, à la suite de cet arrêt, a modifié le dispositif de la taxe de 3 % en dispensant toutes les personnes morales ayant leur siège dans un Etat membre de l’Union européenne de l’obligation de déclaration annuelle précédemment prévue à l’article 990 E 2° du code général des impôts.

En réponse, l’administration fiscale fait valoir que les renseignements demandés en matière immobilières aux personnes morales ayant leur siège en France et à celles ayant leur siège dans un Etat de l’Union européenne sont identiques, qu’il en résulte une égalité de traitement, l’article 990 E 3° fixant simplement des modalités pratiques de déclaration qui permettent, sans discrimination, de mettre en oeuvre cette égalité de traitement dans la plus grande transparence.

Elle fait valoir que la référence à cette disposition par la société Lupa est inopérante car, en tant que société ayant son siège au Luxembourg, elle ne pouvait en solliciter l’application, faute de conclusion d’une convention contenant une clause d’égalité de traitement entre la France et le Grand-Duché du Luxembourg.

Concernant la différence de traitement entre personnes morales étrangères selon que l’Etat sur le territoire duquel elles ont leur siège social a conclu ou non un traité contenant une clause de non discrimination avec la France, l’administration fiscale souligne que les dispositions des 2° et 3° de l’article 990 E du code général des impôts ont été déclarées conformes à la Constitution par décision du Conseil constitutionnel n°2011-165 QPC du 16 septembre 2011 en considération de l’objectif constitutionnel de lutte contre la fraude fiscale et l’évasion fiscale et que la Cour de justice de l’Union européenne admet qu’il soit apporté des restrictions à la libre circulation des capitaux dans la limite de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

Elle fait valoir que l’atteinte alléguée à l’article 56 du traité CE n’est pas caractérisée dès lors qu’en application de l’article 58 du traité CE et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, en matière de réglementation fiscale nationale, une différence de traitement entre contribuables résidents et non-résidents ne porte pas atteinte à la liberté de circulation des capitaux dès lors que les situations réglementées ne sont pas objectivement comparables ou que cette différence de traitement est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.

Elle souligne qu’en l’espèce, la société Lupa pouvait prétendre à l’exonération de la taxe de 3 % prévue à l’article 990 E 2° pour autant qu’elle respecte l’obligation déclarative instituée par ce texte et qu’elle a perdu le bénéfice de cette exonération de son seul fait, en ne procédant pas au dépôt de la déclaration de l’année 2005 dans le délai légal alors qu’elle avait déjà bénéficié d’une tolérance administrative pour des années antérieures puisqu’une régularisation avait pu intervenir, faute de déclarations, à la suite d’une mise en demeure que lui avait adressée l’administration fiscale.

L’administration fiscale conteste l’assimilation opérée par la société Lupa à la situation examinée par l’arrêt ‘Elisa’ de la Cour de justice des Communautés européennes du 11 octobre 2007 dans la mesure où, dans cette espèce, la personne morale redevable de la taxe de 3 % était une société holding de droit luxembourgeois qui ne relevait de la convention franco-luxembourgeoise de coopération administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale du 1er avril 1958 et qui ne pouvait ainsi prétendre bénéficier ni des dispositions du 2° de l’article 990 E du code général des impôts, ce qui n’était pas le cas de la société Lupa, ni des dispositions du 3° de cet article.

L’administration fiscale fait enfin valoir que la modification de l’article 990 E du code général des impôts entrée en vigueur le 1er janvier 2008 ne caractérise pas une contrariété du dispositif fiscal antérieur au droit de l’Union européenne dès lors que le bénéfice des exonérations de la taxe de 3 % demeure subordonné à la démonstration de sa localisation par la personne morale redevable de cette taxe.

Réponse de la cour

Par arrêt du 11 octobre 2007 (affaire C-451/05, Européenne et Luxembourgeoise d’investissements SA (ELISA) c/ Directeur général des impôts), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que l’article 73 B du traité CE, devenu l’article 56 du traité CE puis l’article 63 du traité de fonctionnement de l’Union européenne, ‘doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, [telle que celle des articles 990 D et E pris dans leur rédaction en vigueur jusqu’au 1er janvier 2008], qui exonère les sociétés établies en France de la taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par des personnes morales, alors qu’elle subordonne cette exonération, pour les sociétés établies dans un autre État membre, à l’existence d’une convention d’assistance administrative conclue entre la République française et cet État en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales ou à la circonstance que, par application d’un traité comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité, ces sociétés ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle sont assujetties les sociétés établies en France et ne permet pas à la société établie dans un autre État membre de fournir des éléments de preuve permettant d’établir l’identité de ses actionnaires personnes physiques.’

Il doit être relevé que, dans cette affaire Elisa, la personne morale redevable de la taxe de 3% sur la valeur vénale des immeubles possédés en France était une société holding de droit luxembourgeois régie par la loi du 31 juillet 1929 à laquelle ne s’appliquait pas la convention conclue entre la République française et le Grand-Duché du Luxembourg le 1er avril 1958 tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et la fortune et qui ne pouvait donc se prévaloir ni de l’existence entre les deux Etats d’une convention d’assistance administrative ni d’un traité contenant une clause de non discrimination selon la nationalité, de sorte qu’elle ne pouvait satisfaire à aucune des conditions d’exonération posées par les dispositions de l’article 990 E du code général des impôts.

Il en découle que l’ancien dispositif de la taxe de 3 % prévue aux articles 990 D et E du code général des impôts ne porte pas atteinte à l’article 73 B du traité CE, devenu l’article 56 du traité CE puis l’article 63 du traité de fonctionnement de l’Union européenne, pour les personnes morales qui ont leur siège social dans un Etat ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative ou un traité de non-discrimination selon la nationalité, dès lors qu’il permet à ces personnes, en toutes circonstances, d’obtenir le bénéfice de l’exonération en justifiant soit du dépôt des déclarations de taxe de 3 % visées par l’article 990 E 2° du code général des impôts, soit de l’engagement prévu à l’article 990 E 3° de ce code ( Cour de cassation, chambre commerciale, 29 septembre 2009, pourvoi n°08-14.538, publié Bull.2009, IV, n°117).

Dans cette situation en effet, la personne morale ayant son siège dans un Etat membre de l’Union européenne, comme cela est le cas de la société anonyme de droit luxembourgeois Lupa, ne rencontre, du fait de la réglementation fiscale nationale, aucun obstacle extérieur ou indépendant de sa volonté de nature à l’exclure du bénéfice de l’exonération de la taxe sur la valeur vénale des immeubles situés en France qu’elle possède directement ou par personne interposée et est donc à même de l’obtenir en toutes circonstances sous la seule condition de s’acquitter de ses obligations déclaratives.

La société Lupa soutient à tort que le fait qu’elle ne puisse se prévaloir, jusqu’au 1er janvier 2008, de la faculté de satisfaire à ses obligations déclaratives par la simple souscription de l’engagement de communication d’informations sur demande de l’administration fiscale prévu par les dispositions de l’ancien article 990 E 3° du code général des impôts au motif que la convention conclue entre la République française et le Grand-Duché du Luxembourg le 1er avril 1958 ne contient pas de clause d’égalité de traitement selon la nationalité, constitue une discrimination portant atteinte à la liberté d’établissement et à la liberté de circulation des capitaux garanties par les anciens articles 52 et 73 B du traité CE.

En effet, la non assimilation en matière de réglementation fiscale de la personne morale étrangère à une personne morale ayant son siège en France, en l’absence de traité contenant une clause d’égalité de traitement, et le traitement fiscal différencié des contribuables non résidents selon qu’ils aient ou non leur siège dans un Etat ayant conclu avec la France un tel traité, n’est pas en soi constitutive d’une discrimination portant atteinte au droit de l’Union européenne dès lors que, comme en l’espèce, pour les personnes morales ayant leur siège dans un Etat membre de l’Union européenne, elle n’a pas pour effet de les priver de l’exonération d’impôt en toutes circonstances et de façon irrésistible pour elles.

La perte d’une modalité déclaratoire par la société Lupa en raison de l’absence de stipulation d’une clause d’égalité de traitement dans le traité franco-luxembourgeois du 1er avril 1958, ne la prive pas en effet du droit à bénéficier de l’exonération pour autant qu’elle respecte l’obligation déclarative annuelle prévue à l’article 990 E 2° du code général des impôts.

Il convient à cet égard de relever que la société Lupa n’a pas sollicité le bénéfice des dispositions de l’article 990 E 3° à la date du fait générateur de l’imposition litigieuse mais s’est au contraire expressément soumise au dispositif déclaratoire de l’article 990 E 2°, omettant cependant de déposer la déclaration annuelle obligatoire avant le 15 mai 2005 alors qu’elle avait déjà bénéficié d’une tolérance administrative pour procéder à une régularisation de sa situation pour les années d’imposition 2002 et 2003.

Il convient également de préciser que la modification apportée à l’article 990 E du code général des impôts par la loi n°2007-1824 du 25 décembre 2007 n’est pas de nature à caractériser la contrariété des anciennes dispositions de ce texte au droit de l’Union européenne comme le soutient la société Lupa en contradiction avec la jurisprudence établie de la Cour de justice de l’Union européenne depuis l’arrêt ELISA du 11 octobre 2007susévoqué.

Le premier juge a donc exactement retenu que les dispositions de l’ancien article 990 E 3° du code général des impôts ne sont pas contraires au droit de l’Union européenne.

2.2.- Sur la contrariété à la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales de la taxe sur la valeur vénale des immeubles

Enoncé des moyens

La société Lupa fait valoir que la taxe sur la valeur vénale des immeubles, en raison de sa finalité dissuasive, a la nature d’une pénalité applicable en cas de non-respect du formalisme déclaratif institué par les dispositions de l’article 990 E du code général des impôts, peu important le fait qu’elle ne soit pas considérée comme une sanction en droit interne dès lors qu’elle revêt cette qualité au regard du volet pénal de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, applicable en matière fiscale.

La société Lupa soutient que la taxe de 3 % viole le principe constitutionnel de proportionnalité des peines, tiré de cet article en ce qu’elle s’applique de façon forfaitaire et non plafonnée sur la valeur des immeubles possédés directement ou indirectement en France sans que le juge soit en mesure d’en assurer la modulation en fonction de la gravité des comportements réprimés.

En réponse, l’administration fiscale fait valoir que l’article 990 D du code général des impôts institue une imposition dont il définit l’assiette et les règles de liquidation et que l’article 990 E, qui définit les conditions auxquelles est subordonnée l’exonération de cette taxe, est également une règle d’assiette de l’impôt.

Elle en déduit que la taxe de 3 % ne peut être qualifiée de pénalité dès lors qu’elle n’en a pas la nature, puisque toute sanction en matière fiscale vient compléter un dispositif d’assiette sous forme d’une majoration, d’une pénalité ou d’une amende dont l’application obéit à des règles juridiques propres.

L’administration fiscale expose qu’en l’espèce le redressement notifié à la société Lupa porte sur l’imposition à la taxe de 3 % en raison de la perte, de son fait, de la faculté de bénéficier de l’exonération d’impôt et n’inclut aucune pénalité, seuls des intérêts de retard ayant été appliqués sur les droits liquidés au titre de l’année 2005.

Réponse de la cour

Les pénalités applicables en cas de manquement délibéré du contribuable constituent des accusations en matière pénale au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH 24/02/1994, no 3/1993/398/476, Bendenoun C. France). De même, une majoration prévue en cas d’erreurs commises dans une déclaration fiscale relève de la matière pénale au sens de cette disposition (CEDH 23/11/2006, no 73053/01). Il en résulte que les principes énoncés par cet article sont applicables à la contestation de ces pénalités et majorations devant le juge de l’impôt.

Toutefois, la société Lupa soutient à tort qu’une définition autonome de la sanction en matière fiscale puisse être faite sur le fondement de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

En effet, la nature des redressements opérés par l’administration fiscale est déterminée par la réglementation fiscale nationale, laquelle est d’interprétation stricte.

Il en résulte qu’une règle instituant une sanction ne peut se confondre avec une règle fiscale destinée à asseoir l’assiette et la liquidation d’une imposition.

L’article 990 D du code général des impôts institue une taxe sur la valeur vénale des biens immobiliers situés en France détenus directement ou indirectement par des personnes morales et en détermine l’assiette. L’article 990 E du code général des impôts, qui définit les conditions dans lesquelles les personnes morales visées à l’article 990 D de ce code peuvent être exonérées de cette taxe, est également, par nature, une règle d’assiette comme l’a exactement rappelé le premier juge.

Il ne peut être procédé à une interprétation téléologique de ces deux textes, comme le demande la société Lupa, afin de conférer à la taxe de 3 % la nature d’une sanction qu’ils ne prévoient pas.

Par suite, c’est à juste titre que le premier juge a retenu que la taxe sur la valeur vénale des immeubles n’a pas la nature d’une pénalité soumise aux dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

2.3.- Sur l’inexigibilité de la taxe de 3 % à l’égard de la société Lupa sur le fondement de l’article 990 F du code général des impôts

Enoncé des moyens

La société Lupa soutient qu’elle n’était pas redevable de la taxe de 3% dès lors qu’en application de l’article 990 F du code général des impôts, lorsqu’il existe comme en l’espèce une chaîne de participation, chaque immeuble appartenant à une société civile immobilière immatriculée en France, elle-même détenu à 100 % par une société anonyme de droit luxembourgeois dont le capital est détenu à 100 % par la société Lupa, la taxe sur la valeur vénale des immeubles est due par les personnes morales qui, dans cette chaîne, sont les plus proches des immeubles et qui ne sont pas exonérées en application du 2° ou du 3° de l’article 990 E du code général des impôts.

La société Lupa fait valoir que les sociétés anonymes de droit luxembourgeois interposées n’ayant pas déposé la déclaration obligatoire au 15 mai 2005 et les sociétés civiles immobilières françaises n’ayant pas pris l’engagement de communication d’informations prévu à l’article 990 E 3°, la taxe restait due par ces dernières puisque, non exonérées, elles étaient les plus proches des immeubles imposés dans la chaîne de participation.

Réponse de la cour

L’article 990 D du code général des impôts, pris dans sa rédaction applicable à la date du fait générateur de l’imposition litigieuse, définit l’assiette et les règles de liquidation de la taxe sur la valeur vénale des immeubles situés en France que possède directement ou indirectement une personne morale.

Il dispose en son deuxième alinéa que : Est réputée posséder des biens ou droits immobiliers en France par personne interposée, toute personne morale qui détient une participation, quelles qu’en soient la forme et la quotité, dans une personne morale qui est propriétaire de ces biens ou droits ou détentrice d’une participation dans une troisième personne morale, elle-même propriétaire des biens ou droits ou interposée dans la chaîne des participations. Cette disposition s’applique quel que soit le nombre des personnes morales interposées.’

L’article 990 F de ce code, pris dans sa rédaction applicable en l’espèce, dispose en son premier alinéa que : ‘La taxe est due à raison des immeubles ou droits immobiliers possédés au 1er janvier de l’année d’imposition, à l’exception des biens régulièrement inscrits dans les stocks des personnes morales qui exercent la profession de marchand de biens ou de promoteur-constructeur. Lorsqu’il existe une chaîne de participations, la taxe est due par la ou les personnes morales qui, dans cette chaîne, sont les plus proches des immeubles ou droits immobiliers et qui ne sont pas exonérées en application du 2° ou du 3° de l’article 990 E. Toute personne morale interposée entre le ou les débiteurs de la taxe et les immeubles ou droits immobiliers est solidairement responsable du paiement de cette taxe.’

S’il résulte de ces deux textes que, pour être exonérée de la taxe sur la valeur vénale des immeubles, chaque personne morale interposée, maillon d’une chaîne de participation, doit satisfaire à l’une des modalités de l’obligation déclarative prévue à l’article 990 E du code général des impôts, il n’en découle pas pour autant que lorsqu’une ou plusieurs des personnes morales interposées dans cette chaîne de participation ne remplit pas son obligation déclarative alors cela la rend seule redevable de la taxe et en exonère la personne morale de tête de cette chaîne de participation, réputée posséder l’immeuble aux termes de l’article 990 D du code général des impôts, qui est la règle d’assiette de cette imposition.

Il en résulte que la société Lupa, réputée posséder les immeubles situés en France selon les dispositions de l’article 990 D, est redevable à ce titre de la taxe sur la valeur vénale de ces immeubles, sans que le manquement à leurs obligations déclaratives des sociétés civiles immobilières propriétaires de ces immeubles et des sociétés anonymes de droit luxembourgeois interposées qui contrôlent 100 % du capital de chaque société civile immobilière puisse l’exonérer de ses propres obligations déclaratives et, en l’absence d’exonération à son profit, de la charge de l’impôt.

La société Lupa s’est au demeurant reconnue redevable de l’impôt tant pour les années 2002 et 2003, après mise en demeure d’avoir à régulariser sa situation déclarative adressée par l’administration fiscale, que pour l’année 2004, année d’imposition pour laquelle elle a déposé la déclaration annuelle obligatoire dans le délai légal. Il en est de même pour l’année 2005 en litige puisqu’elle a finalement adressé la déclaration annuelle n°2746 tardivement, le 30 août 2005, sans contester sa qualité de redevable de l’impôt mais en sollicitant le bénéfice de l’exonération.

2.4.- En conclusion sur l’exigibilité de la taxe de 3 %

Il résulte de ce qui précède que la société Lupa est redevable de la taxe sur la valeur vénale des immeubles qu’elle possède en France par sociétés interposées prévue à l’article 990 D du code général des impôts au titre de l’année 2005, faute d’avoir accompli, dans les conditions fixées par l’article 990 E 2° du code général des impôts, l’obligation déclarative imposée par ce texte pour être exonérée de la taxe annuelle de 3 %, alors qu’il est acquis qu’elle avait précédemment bénéficié d’une tolérance administrative fiscale et ne pouvait disposer d’une nouvelle possibilité de régulariser tardivement sa déclaration.

3.- Sur la régularité de la procédure de rectification

3.1.- Sur la recevabilité de la demande de la société Lupa tendant à voir prononcer l’irrégularité de la procédure de rectification fiscale pour cause de violation du principe du contradictoire et de loyauté des débats

Sur l’irrecevabilité soulevée d’office par la cour le 24 octobre 2022, la société Lupa fait valoir que sa demande tendant à voir prononcer l’irrégularité de la procédure fiscale pour violation du principe du contradictoire ne peut constituer une demande nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure civile dès lors qu’elle poursuit la même finalité que sa demande initiale formée en première instance, à savoir l’obtention d’un dégrèvement de la taxe de 3 % prévue à l’article 990 D du code général des impôts.

Elle soutient que cette demande constitue en réalité un moyen nouveau et non une prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile et qu’elle est dès lors recevable en cause d’appel en application de l’article L. 199 C du livre des procédures fiscales.

Sur ce,

En application des articles 563 du code de procédure civile et L. 199 C du livre des procédures fiscales, l’administration fiscale et le contribuable peuvent faire valoir tout moyen nouveau devant la cour d’appel, dans la limite du dégrèvement ou de la restitution sollicitée.

La contestation par la société Lupa de la régularité de la procédure de rectification fiscale pour cause de violation du principe du contradictoire et de loyauté des débats a pour finalité de soutenir et fonder sa demande d’annulation de la décision de rejet de sa contestation de la rectification d’impôt qui lui a été notifiée et de dégrèvement total de la taxe de 3 % qui lui a été appliquée pour l’année 2005.

Cette contestation n’est donc pas constitutive d’une demande nouvelle mais est un moyen nouveau présenté au soutien de la demande de dégrèvement d’impôt formée par la société Lupa dans l’acte introductif d’instance. Elle est donc recevable en cause d’appel.

3.2.- Sur la violation du principe du contradictoire et de loyauté des débats

Enoncé des moyens

La société Lupa fait valoir que la procédure de rectification est irrégulière dès lors que l’administration fiscale n’a pas notifié les actes de la procédure postérieurs à la proposition de rectification aux sociétés interposées dans la chaîne de détention des immeubles imposés alors qu’elles sont tenues solidairement au paiement de la taxe de 3 % en vertu des dispositions de l’article 990 F du code général des impôts. Elle en conclut que la décision de rejet implicite de sa réclamation contentieuse est nulle car cette irrégularité de la procédure de rectification a porté atteinte au principe du contradictoire et de loyauté des débats et qu’elle est en droit de se prévaloir de cette irrégularité quand bien même elle n’affecte pas la procédure mise en oeuvre à son égard.

L’administration fiscale soutient qu’en l’espèce, en dépit de l’interposition de sociétés civiles immobilières dans la chaîne de détention des immeubles imposés à la taxe de 3 %, il n’existe aucun co-débiteur solidaire du paiement de cette taxe dès lors que les SCI en sont exonérées au motif que le siège de leur direction effective est situé en France.

Réponse de la cour

L’article 990 F du code général des impôts institue une solidarité de paiement de la taxe sur la valeur vénale des immeubles situés en France détenu par une personne morale entre le débiteur principal de cette taxe et toutes les personnes morales ou entités interposées, sans exclure de cette obligation solidaire au paiement de la taxe de 3 % celles de ces personnes interposées qui pourraient valablement se prévaloir d’une exonération d’impôt au motif qu’elles ont satisfait aux obligations déclaratives prévues aux 2° et 3° de l’article 990 E.

Il en résulte que toute personne morale interposée dans la chaîne de participation à la possession d’un immeuble situé en France est tenue solidairement au paiement de la taxe de 3 % prévue à l’article 990 D du code général des impôts quand bien même elle remplirait, par l’effet de la déclaration qu’elle a effectuée ou de l’engagement qu’elle a pris auprès de l’administration fiscale, les conditions pour être exonérée de cet impôt.

En tout état de cause, il n’est pas démontré par l’administration fiscale que les neufs sociétés civiles immobilières propriétaires des immeubles imposés aient souscrit, avant le 1er janvier 2005, un engagement de communication d’informations sur demande de l’administration fiscale et que les neuf sociétés anonymes de droit luxembourgeois interposées qui les contrôlent aient déposés une déclaration n° 2746 au plus tard le 15 mai 2005, de sorte qu’il n’est pas établi que toutes ces sociétés interposées étaient exonérées de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles.

Si l’administration fiscale peut choisir de notifier une proposition de rectification à l’un seulement des redevables solidaires de la dette fiscale, la procédure ensuite suivie doit être contradictoire et la loyauté des débats l’oblige à notifier les actes de celle-ci à tous ces redevables, y compris pendant la phase contentieuse (Cour de cassation, chambre commerciale, 18 novembre 2008, pourvoi n°07-19.762).

En l’espèce, il est constant que la proposition de rectification du 6 septembre 2005 a été uniquement notifiée à la société Lupa et qu’aucun des actes ultérieurs de la procédure de rectification qu’il s’agisse de la réponse aux observations du contribuable du 10 octobre 2005, des contestations et réclamations de la société Lupa, seule ou représentée par son avocat, des 27 septembre 2005, 29 décembre 2006 et 15 mai 2007 et de la décision expresse de rejet du 25 avril 2008, mais également de l’avis de mise en recouvrement émis le 27 décembre 2005, n’a été notifié ni aux neuf sociétés civiles immobilières qui sont propriétaires des immeubles imposés ni aux neuf sociétés anonymes de droit luxembourgeois interposées contrôlant 100 % du capital social des sociétés civiles immobilières.

L’administration fiscale avait connaissance de l’existence et de l’identité de chacune des neufs sociétés civiles immobilières puisqu’elle les mentionne dans la proposition de rectification du 6 septembre 2005. Elle connaissait également, ou pouvait connaître, chacune des neufs sociétés anonymes de droit luxembourgeois interposées puisque ces dernières ont déposé leur déclaration n°2065 au titre de l’impôt sur les sociétés et figuraient, chacune, comme associée unique dans les statuts de chaque société civile immobilière.

Il en résulte que la procédure de rectification est irrégulière faute de préserver le caractère contradictoire de la procédure et la loyauté des débats à l’égard de l’ensemble de personnes morales tenues solidairement au paiement de la taxe sur la valeur vénale des immeubles, et ne peut donc donner lieu à recouvrement, y compris à l’égard de la société Lupa, en raison de la nullité qui l’atteint.

Par suite, le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a débouté la société Lupa de ses demandes. La décision de rejet implicite du directeur des services fiscaux sera annulée et il sera prononcé le dégrèvement de la taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par les personnes morales mise en recouvrement le 27 décembre 2005.

4.- Sur les frais du procès

Partie perdante au procès, l’Etat représenté par le directeur régional des finances publiques d’Ile de France et de [Localité 5], sera condamné aux dépens mentionnés à l’article R.* 207-1 du livre des procédures fiscales exposés par la société Lupa en première instance et dans les instances d’appel.

En considération de la nature du litige, l’équité commande qu’il soit alloué à la société Lupa une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile afin de compenser les frais de justice non compris dans les dépens qu’elle a été contrainte d’exposer afin d’assurer la défense judiciaire de ses intérêts.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau :

Déclare recevable la contestation de la société Lupa tirée de l’irrégularité de la procédure de rectification fiscale,

Déclare irrégulière la procédure de rectification mise en oeuvre par proposition de rectification du 6 septembre 2005,

Annule la décision de rejet implicite du directeur des services fiscaux,

Prononce le dégrèvement de la taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par les personnes morales mise en recouvrement le 27 décembre 2005,

Y ajoutant,

Condamne l’Etat représenté par le directeur régional des finances publiques d’Ile de France et de [Localité 5] aux dépens mentionnés à l’article R.* 207-1 du livre des procédures fiscales exposés par la société Lupa en première instance, dans la première instance d’appel et dans la présente instance,

Condamne l’Etat représenté par le directeur régional des finances publiques d’Ile de France et de [Localité 5] à payer la somme de 3 000 euros à la société anonyme Lupa au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

La greffière, La Présidente,

S.JHALLI B.BRUN-LALLEMAND

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x