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SM/OC
COPIE OFFICIEUSE
COPIE EXÉCUTOIRE
à :
– SCP GERIGNY & ASSOCIES
– Mme [G]
– Procureur Général
LE : 23 MARS 2023
COUR D’APPEL DE BOURGES
CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 23 MARS 2023
N° – Pages
N° RG 22/00976 – N° Portalis DBVD-V-B7G-DPUG
Décision déférée à la Cour :
Décision rendue par la Chambre des notaires en date du 06/09/2022
PARTIES EN CAUSE :
I – Me [D] [R]-[W]
né le [Date naissance 5] 1978 à [Localité 3]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Comparante
assistée de par la SCP GERIGNY & ASSOCIES, avocat au barreau de BOURGES et Plaidant par la SELARL CORNET-VINCENT-SEGUREL, avocat au barreau de RENNES
APPELANTE suivant déclaration du 05/10/2022
II – M. LE PROCUREUR GENERAL près la Cour d’Appel de BOURGES
[Adresse 6]
[Localité 3]
représenté à l’audience par Monsieur BONNEFOY, Avocat Général,
INTIMÉ
En présence de :
– CHAMBRE REGIONALE DE DISCIPLINE DES NOTAIRES DE LA COUR D’APPEL DE BOURGES, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social :
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Mme PREVOST, Présidente de la Chambre de discipline du conseil régional des notaires de la Cour d’appel de BOURGES
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 02 Février 2023 hors la présence du public, la Cour étant composée de :
MME CLEMENT Présidente de Chambre
M. TESSIER-FLOHIC Président de Chambre
M. PERINETTI Conseiller
***************
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme MAGIS
***************
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
***************
EXPOSÉ DU LITIGE ET PROCÉDURE
Maître [D] [R]-[W], notaire à Les AIX d’ANGILLON (18), associée de la SCP ‘Sylvain [W]- [D] [R]-[W]’, a été citée à comparaître devant la Chambre régionale de discipline des Notaires de la cour d’appel de Bourges par acte d’huissier du 25 [W] 2022 pour le 6 septembre 2022.
Par décision du 6 septembre 2022, la Chambre régionale de discipline des Notaires de la cour d’appel de Bourges a, après avoir rejeté l’exception de nullité de la citation au motif de l’insuffisance de précision des manquements reprochés à Maître [R]-[W] :
– prononcé à l’encontre de cette dernière la peine de la censure simple,
– prononcé à titre de peine complémentaire, son inéligibilité aux chambres et organismes professionnels pendant une durée de trois ans.
La chambre régionale de discipline, au visa de l’article 30 du règlement national des Notaires, des articles L561-5 alinéa 1 et L 561-6 du code monétaire et financier et
R 561-12-1 du même code uniquement pour l’acte reçu le 28 décembre 2018, a retenu les manquements suivants :
-‘ manquement de vigilance sur le contrôle de justificatifs d’origine des fonds sur plusieurs ventes avec les mêmes intervenants dans des délais rapprochés, caractérisant le non respect de ladite obligation de vigilance imposée au notaire dans le dispositif de lutte contre le blanchiment,
– manquement de vigilance sur l’examen attentif des opérations effectuées ( achat pour revendre entre les mêmes sociétés, parfois avec le même gérant société vendeur / société acquéreur, avec des prix élevés de revente et à des dates très rapprochées), en veillant à ce qu’elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu’elles ont de leur relation d’affaires’
Suivant déclaration d’appel du 5 octobre 2022, Maître [R]-[W] a relevé appel de cette décision dans des conditions de régularité non discutées.
L’affaire est venue à l’audience du 29 novembre 2022 à laquelle elle a été renvoyée au 2 février 2023.
A cette date, l’audience s’est tenue devant la cour d’appel, en chambre du conseil.
Ont été entendus le président de chambre en son rapport, Me [R]- [W], Madame la présidente de la chambre régionale de discipline en ses observations orales, Maître Harel, conseil de Maître [R]-[W], ainsi que le procureur général en ses réquisitions.
Aux termes de ses dernières conclusions reçues le 31 janvier 2023, développées oralement lors de l’audience, Me [R]-[W] demande à la cour de :
– à titre principal, annuler la décision de la chambre régionale de discipline des notaires de la cour d’appel de Bourges pour violation du principe du contradictoire et pour absence de motivation et statuant à nouveau, juger que les manquements reprochés ne sont pas établis et en conséquence la renvoyer de fins des poursuites,
– à titre subsidaire, réformer la décision de la chambre régionale de discipline des notaires et juger que les manquements ne sont pas établis et en conséquence la renvoyer des fins des poursuites
La présidente de la chambre régionale de discipline a rappelé notamment que dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, le justificatif de l’origine des fonds doit être obtenu antérieurement aux ventes et non postérieurement, qu’un ordre de virement, un avis d’opéré ou une attestation du client ne constituent pas un justificatif de l’origine des fonds, pas plus qu’il est satisfait à l’obligation de vigilance par un simple recoupement entre un RIB et un avis de virement.
Aux termes de ses réquisitions écrites en date du 31 janvier 2023 auxquelles il est référé et qui ont été reprises oralement lors de l’audience, le procureur général près la cour d’appel de Bourges demande à la cour de confirmer la décision attaquée.
Me [R]-[W] a eu la parole en dernier.
MOTIFS
Il est rappelé que Me [R]-[W] exerce la profession de notaire depuis 2008.
Le 3 décembre 2019, l’office notarial a fait l’objet de l’inspection annuelle, les inspecteurs ayant été notamment missionnés pour réaliser un examen de quelques actes reçus pour le compte de la SARL JOFFRE INVESTISSEMENT dont le gérant est M. [I] [U]. La mission a été élargie à la SCI CROISSANCE FONCIERE qui s’est portée acquéreur de divers biens acquis par la SARL Joffre investissement et dont le gérant (non associé), M. [F] travaillait avec M. [U] jusqu’en mai 2019.
Le 5 mars 2020, il a été demandé à Me [R]-[W] de produire les actes reçus par elle ayant comme contractants la SARL Joffre Investissements, la SCI Croissance Foncière et la SCI Croissance Foncière II, cette dernière ayant comme gérant ( non associé) M. [U].
La SCI CROISSANCE FONCIERE a été constituée le 4 janvier 2017 et comprend 14 associés.
La SCI CROISSANCE FONCIERE II a été constituée le 25 octobre 2018 et comprend 5 associés.
Les actes visés par la citation délivrée le 25 [W] 2022 ont été reçus par Me [R]-[W] en 2018 et 2019, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance 2022-544 du 13 avril 2022 et du décret 2022-900 du 17 juin 2022.
La présente procédure est par conséquent régie par les dispositions de l’ordonnance 45-1418 du 28 juin 1945, du décret 45-0117 du 19 décembre 1945, de la loi 73-546 du 25 juin 1973 et du décret 73-12025 du 28 décembre 1973.
– Sur l’annulation de la décision pour non respect du principe du contradictoire :
A l’appui de sa demande principale, Me [R]-[W] fait valoir que lors de l’audience du 6 septembre 2022, lorsque la parole a été donnée au syndic pour ses réquisitions, celui-ci a en réalité lu un document de plusieurs pages, document qui a été repris in extenso dans la décision querellée et qui a ajouté de ‘nombreux éléments’ qui ne figuraient pas dans la citation et qu’elle a découverts à l’audience, sans que ces réquisitions lui aient été transmises ainsi qu’à son conseil.
Elle soutient que la décision a été rendue en violation de l’exigence du contradictoire, de l’article 16 du code de procédure civile et de l’article 16§ 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le ministère public a répliqué qu’il n’existe aucune obligation pour le syndic de faire connaître en amont les réquisitions qu’il va prendre lors de l’audience, que si le texte de ces réquisitions a été repris dans la décision entre la moitié de la page 6 et la moitié de la page 13, il ne s’agit que de la transcription de son point de vue juridique mais non de son adoption littérale.
Si à l’audience et sur question de la cour, Me [R] [W] et son conseil ont précisé que les éléments dont ils n’avaient pas eu connaisance apparaissent à partir du paragraphe commençant par les termes ‘ contrairement à ce qu’affirme votre avocat’, il ressort de la lecture de la décision qu’à ce point de son exposé, le syndic de la chambre régionale de discipline rappelle que Me [R]-[W] a communiqué le 16 mars 2020, 15 actes intervenus en 2018 et en prend deux exemples qui illustrent de la même façon que les actes exposés plus haut, les manquements qui lui sont reprochés.
Le syndic a donc repris des ventes dont Me [R] avait connaissance.
Au surplus, aucune obligation ne repose sur le syndic, par un parallélisme avec le ministère public, de donner connaissance à la partie de ce qu’elle développera à l’audience, lesdits développements pouvant la plupart du temps n’avoir pas été préalablement manuscrits.
Dès lors que la décision mentionne que Me [R]-[W] a eu la parole en dernier et qu’elle a donc pu répliquer aux conclusions orales développées lors de l’audience, aucune violation du principe du contradictoire n’est constatée. Ce moyen tendant à l’annulation de la décision entreprise sera dès lors écarté.
– Sur l’annulation de la décision pour absence de motivation :
Aux termes de l’article 9 du décret précité du 28 décembre 1973, la décision prise par la chambre doit être motivée.
Selon Me [R], la décision ne contient aucun raisonnement mais se borne à énoncer une conclusion alors que ‘ la décision doit énoncer en quoi les faits sur lesquels elle se fonde constituent une violation des dispositions légales et réglementaires visées’.
Le ministère public a soutenu que si la motivation pouvait paraître imparfaite, elle n’était nullement inexistante et devait être mise en corrélation avec le caractère particulièrement détaillé de la citation, reprenant acte par acte, les errements reprochés.
Il ressort de la décision attaquée qu’elle a en premier lieu rejeté l’exception de nullité de la citation considérant que les manquements y étaient suffisamment précisés et en second lieu a énoncé la consistance des manquements en indiquant que ‘les actes vérifiés et tous énumérés, en raison de leur nature ( ventes rapprochées à des prix très élevés, gérants identiques) n’ont pas fait l’objet d’un examen attentif tout au long de la relation d’affaires’.
La cour constate en conséquence l’existence d’une motivation, s’appuyant sur l’ensemble des actes énumérés supra dans la décision, de sorte que le moyen d’annulation tendant à l’absence de motivation est de même écarté.
Au fond :
Sur le manquement à l’obligation de vigilance : absence répétée de justificatifs de l’origine des fonds :
Aux termes de l’article 30 du Règlement national des Notaires, ‘ le notaire doit se conformer aux dispositions du code monétaire et financier relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et aux prescriptions définies par le législateur français et européen et le Conseil supérieur du Notariat. Il doit mettre en place les procédures et la formation de ses collaborateurs appropriées et en justifier à toute demande formulée par la Chambre ou à l’occasion des inspections’.
Aux termes de l’article L 561-5 alinéa 1 du code monétaire et financier, ‘Avant d’entrer en relation d’affaires avec leur client ou de l’assister dans la préparation ou la réalisation d’une transaction, les personnes mentionnées à l’article L 562-2 :
1° identifient leur client et le cas échéant, le bénéficiaire effectif au sens de l’artic le L.561-2-2 ( le bénéficiaire de de la relation d’affaires)
2° vérifient ces éléments d’identification sur présentation de tout document écrit à caractère probant.
Elles identifient dans les mêmes conditions l’identité de leurs clients occasionnels et, le cas échéant, leurs bénéficiaires effectifs, lorsqu’elles soupçonnent qu’une opération pourrait participer au blanchiment des capitaux (…)’.
Il est rappelé que les obligations du notaire dans la lutte contre le blanchiment des capitaux existent depuis 2009 et que l’arrêté du 2 septembre 2009 pris pour l’application de l’article R 561-12 du code monétaire et financier vise le contrôle de la provenance et de la destination des fonds. C’est ainsi que les inspections des offices notariaux comprennent notamment le contôle de la justification de l’origine des fonds.
Les ventes visées à la citation sont les suivantes :
1er groupe de ventes
– le 21 juin 2018, vente [Localité 7]-[Localité 8] / Joffre Investissement 110 000 €
– le même jour, revente Joffre Investissement / SCI Croissance Foncière 270 000 €
2ème groupe de ventes
– le 14 décembre 2018, par un autre notaire, vente DLC Finances / Joffre Investissement
30 500 €
– le 28 décembre 2018, revente Joffre Investissement /SCI Croissance Foncière II 60 000 €
3ème groupe de ventes
– le 16 février 2018 vente Mennetrey-Smith / Joffre Investissement 80 000 €
– le 13 mars 2018 revente Joffre Investissement/ SCI Croissance Foncière 192 000 €
4ème groupe de ventes
– le 16 février 2018, vente Mennetrey-Smith / Joffre Investissement 130 000 €
– le 28 décembre 2018, revente Joffre Investissement / SCI Croissance Foncière II 312 000 €
5ème groupe de ventes
– le 16 février 2018, vente Jabouille / Joffre Investissement 68 000 €
– le même jour , revente Joffre Investissement / SCI Croissance Foncière II 160 000 €
6ème groupe de ventes
– le 13 mars 2018, vente Daublon / Joffre Investissement 131 000 €
– le 21 juin 2018, revente Joffre Investissement /SCICroissance Foncière 300 000 €
7ème groupe de ventes
– le 28 septembre 2017, vente Ass. des Pupilles de l’ enseignement public du Cher / Joffre Investissement 75 000 €
– le 16 février 2018, revente de 5 lots à SCI Croissance Foncière 140 000 €
– le 21 juin 2018, revente de 2 lots à des particuliers au prix de 25 000 €.
Il ressort du rapport d’inspection du 3 décembre 2019 que :
Dans les 1er et 2ème groupes de ventes, l’origine des fonds n’a pas été justifiée le jour de l’inspection.
Dans le 4ème groupe de ventes, l’origine des fonds n’est pas justifiée, le syndic exposant que les inspecteurs ont seulement déduit que par recoupement des RIB et des virements émis par l’office, le virement reçu de l’acquéreur émane bien de son compte. Cependant force est de constater que l’origine même des fonds n’est pas justifiée, étant rappelé comme l’a fait à l’audience Mme la présidente de la chambre régionale de discipline des notaires, que ces recoupements sont postérieurs à la vente alors que le justificatif de l’origine des fonds doit être produit antérieurement à la vente.
Par ailleurs,
Dans le 5ème groupe de ventes, il n’est produit des documents ( RIB, virement de la CDC), au demeurant insuffisants à prouver l’origine des fonds, que pour la première vente mais pas pour la seconde.
Dans le 6ème groupe de ventes, il n’est produit qu’un ordre de virement pour la seconde vente mais pas pour la première.
Dans le 7ème groupe de ventes, il n’est apporté aucun document justifiant de l’origine des fonds à l’exception de la 2ème vente.
C’est donc vainement que Me [R]-[W] soutient avoir justifié de l’origine des fonds hormis les cas où la Banque lui a opposé le secret bancaire, les éléments fournis aux inspecteurs a posteriori ne constituant pas des preuves de l’origine des fonds.
Il n’est par ailleurs pas rapporté la preuve ni même allégué qu’elle aurait engagé des démarches ou effectué des recherches pour vérifier et s’enquérir de l’origine de ces fonds avant la réitération des actes authentiques.
Il ressort de ces éléments que Me [R]-[W] n’a pas contrôlé l’origine des fonds avant de régulariser les ventes ni leur destination, l’acte authentique ne permettant pas en lui-même une traçabilité des fonds utilisés.
Partant, cette absence de vérification contrevient au dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux auquel est astreint tout notaire.
Sur le grief d’une ‘absence répétée d’examen attentif aux opération effectuées en veillant à ce qu’elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu’elles ont de leur relation d’affaire’:
L’article L 561-6 du code monétaire et financier dispose : ‘ Pendant toute la durée de la relation d’affaires et dans les conditions fixées par un décret en Conseil d’Etat, ces personnes exercent, dans la limite de leurs droits et obligations, une vigilance constante et pratiquent un examen attentif des opérations effectuées en veillant à ce qu’elles soient en cohérence avec la connaissance actualisée qu’elles ont de leur relation d’affaire’.
Me [R] conclut en premier lieu que pour que le manquement à cette obligation de vigilance soit caractérisé, il serait nécessaire que soit établi :
– que les informations à la connaissance du notaire faisaient apparaître des incohérences qui devaient faire soupçonner que les fonds utilisés provenaient d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou d’une fraude fiscale,
– qu’une déclaration de soupçon aurait dû être transmise.
Or ainsi que le relève à juste titre le ministère public, ces dispositions prévues à l’article L.561-15 du code monétaire et financier ne sont pas visées à la citation.
En second lieu, Mme [R] fait valoir que chacune des sociétés a agi dans le cadre de son objet social : marchand de biens pour Joffre Investissements et Investissement immobilier pour les sociétés Croissance Foncière et Croissance Foncière II, qu’il était cohérent que la société Joffre investissements revende les biens avec une marge, que les sommes versées l’ont toujours été à partir d’un compte ouvert auprès d’ une banque institutionnelle de premier rang ( BNP, Crédit Mutuel, CIC), qu’il n’y avait pas d’incohérence à ce que plusieurs opérations interviennent entre les mêmes sociétés, que l’existence de prix élevés n’est pas incohérente dès lors qu’il est dans l’objet même de la société Joffre Investissement de revendre plus cher qu’elle n’a acheté et rapidement, qu’en outre, certains actes concernent des ventes à des particuliers, comme l’acte de vente époux [L], qu’enfin les observations de l’inspection sur le fait que certains actes induiraient une lésion, sont sans incidence.
Il est constant que :
Dans les 2ème, 4ème et 5ème groupes de vente, le gérant de la société vendeur dans la seconde vente ( qui était acquéreur dans la première vente) est le même que celui de la société acquéreur en la personne de M. [U].
Bien que le notaire ne soit pas juge du prix, il lui appartient de veiller à la cohérence des opérations qu’il traite, cette cohérence portant naturellement sur le prix. Le fait de passer un acte à un prix très disproportionné avec le prix d’achat le même jour ou à une date rapprochée va à l’encontre de l’obligation de cohérence exigée de lui, la qualité de marchand de biens et investisseurs des clients ne justifiant nullement des ‘marges’ telles qu’elles résultent des actes passés par Me [R]-[W], listés ci-dessus, certaines dépassant les +100% de plus value dans le cadre d’acquisitions-cessions effectuées le même jour comme dans les 1er et 5ème groupe de ventes.
Par ailleurs le fait que des ventes aient eu lieu pour des prix ‘normaux’ à des particuliers ne justifient en rien les autres actes litigieux et met au contraire en évidence l’incohérence de ces derniers.
Il ressort des ces éléments que :
– Me [R]-[W] n’a pas contrôlé la cohérence des opérations alors d’une part que les prix de revente étaient disproportionnés par rapport au prix de la première opération, les deux opérations intervenant soit le même jour soit à des dates rapprochées, et d’autre part que les actes intervenaient entre des sociétés dont les deux gérants (l’un comme l’autre non associés desdites sociétés) avaient des liens professionnels entre eux ou bien étaient la même personne.
Ces faits, répétés, constituent également un manquement à l’obligation de vigilance à laquelle est astreint le notaire dans le cadre du dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux, les arguments avancés par Me [R] et repris ci-dessus ne permettant pas d’écarter les incohérences récurrentes des actes visés et de déclarer comme elle le soutient que ‘ les opérations étaient tout à fait normales’.
La poursuite vise également, uniquement pour un acte postérieur au 1er octobre 2018, date de son entrée en vigueur, l’article R 561-12-1 du code monétaire et financier qui dispose : ‘ Pour l’application de l’article L 561-6 , les personnes mentionnées à l’article L.561-2 mettent en oeuvre des mesures permettant de s’assurer de la cohérence des opérations effectuées au titre d’une relation d’affaires avec la connaissance de cette relation d’affaires actualisée conformément à l’article R.561-12. Ces mesures doivent notamment permettre de s’assurer que les opérations effectuées sont cohérentes avec les activités professionnelles du client, le profil de risque présenté par la relation d’affaires et si nécessaire, selon l’appréciation du risque, l’origine et la destination des fonds concernés par les opérations’.
Ce texte pris pour l’application de l’article L 561-6 tend à préciser les obligations du notaire sur la cohérence des opérations. Il n’en demeure pas moins que cette obligation ressortait déjà de l’article L561-6 qui impliquait en tout état de cause une vigilance et un examen attentif des opérations quant à leur cohérence avec la connaissance actualisée de leur relation d’affaires.
Les articles réglementaires ne priment pas sur les dispositions issues de la loi.
La poursuite a visé le texte réglementaire nouvellement entré en vigueur, uniquement pour l’acte du 28 décembre 2018, ce dont il ne se déduit pas que les actes litigieux antérieurs à cette entrée en vigueur ne peuvent encourir le grief de manquement à l’obligation de vigilance de la cohérence des affaires et de vérification de l’origine des fonds, ainsi que tente de le soutenir l’appelante.
La décision est par conséquent confirmée en ce qu’elle a retenu à l’encontre de Me [R]-[W] des manquements disciplinaires.
En vertu de l’article 58 du règlement national des Notaires, toutes infractions aux dispositions du règlement ainsi qu’à son préambule et ses annexes sont suceptibles de donner lieu au prononcé de l’une des sanctions disciplinaires prévues à l’article 3 de l’ordonnance n°45-1418 du 28 juin 1945 dans ses dispositions alors en vigueur au jour des faits sur lesquels elle a à statuer.
Sur la proportionalité de la sanction disciplinaire à prononcer à l’endroit de Me [R]-[W], il ressort que c’est par une juste appréciation des éléments de fait et de droit que la chambre des notaires statuant en formation disciplinaire a infligé une peine de censure simple, les fautes caractérisées justifiant au delà d’un rappel à l’ordre, une telle sanction disciplinaire.
Il convient en conséquence de confirmer la décison de la chambre régionale de discipline des Notaires de la cour d’appel de Bourges en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour,
– Déboute Me [R]-[W] de sa demande en nullité de la décision attaquée ;
– Confirme en toutes ses dispositions la décision de la chambre régionale de discipline des notaires de la cour d’appel de Bourges du 6 septembre 2022 ;
– Dit que les dépens sont à la charge de Maître [R]-[W].
L’arrêt a été signé par Mme CLEMENT, Président, et par Mme MAGIS, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président
S. MAGIS O. CLEMENT