Chauffeur Poids-Lourd : décision du 9 juillet 2020 Cour d’appel de Versailles RG n° 18/03936

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Chauffeur Poids-Lourd : décision du 9 juillet 2020 Cour d’appel de Versailles RG n° 18/03936
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

11e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 JUILLET 2020

N° RG 18/03936 – N° Portalis DBV3-V-B7C-SU75

AFFAIRE :

[J] [G]

C/

SAS SUEZ RV ILE-DE FRANCE

SAS PROSERVE DASRI

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Juin 2018 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : F 16/02752

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL Brihi-Koskas & Associés

la ASSOCIATION AVOCALYS

la SELARL ALERION SOCIETE D’AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF JUILLET DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [J] [G]

né le [Date naissance 1] 1986 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 9]

Représentant : Me Roger KOSKAS de la SELARL Brihi-Koskas & Associés, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0137 substitué par Me Olivia MAHL, avocate au barreau de PARIS

SYNDICAT GÉNÉRAL DES TRANSPORTS CFDT DU NORD OUEST FRANCILIEN

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentant : Me Roger KOSKAS de la SELARL Brihi-Koskas & Associés, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0137 substitué par Me Olivia MAHL, avocate au barreau de PARIS

APPELANTS

****************

SAS SUEZ RV ILE-DE FRANCE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentant : Me Arnaud LEBIGRE de la SELARL LEBIGRE, Plaidant, avocat au barreau de ROUEN – Représentant : Me Stéphane CHOUTEAU de l’ASSOCIATION AVOCALYS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 – N° du dossier 004053

INTIMEE

****************

SAS PROSERVE DASRI

N° SIRET : 832 336 077

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentant : Me Jacques PEROTTO de la SELARL ALERION SOCIETE D’AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0126

PARTIE INTERVENANTE

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 24 Juin 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Hélène PRUDHOMME, Président et Madame Bérangère MEURANT, conseiller, chargés du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Hélène PRUDHOMME, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

Le 2 octobre 1999, M. [J] [G] était embauché par la SAS Sita Île de France devenue la SAS Suez RV Île de France en qualité de conducteur poids-lourd ‘ collecteur DASRI-DIS (déchets d’activités de soins à risques infectieux- déchets industriel spécial). La convention collective applicable est celle de la convention collective nationale des activités du déchet.

Le 9 septembre 2016, le salarié saisissait le conseil de prud’hommes de Nanterre avec 20 autres collègues d’une demande de versement d’une prime conventionnelle pour travaux dangereux d’un montant mensuel de 70 euros, depuis septembre 2013, outre des dommages et intérêts d’un montant de 7 500 euros pour le préjudice subi. Le syndicat général des transports CFDT du nord-ouest francilien intervenait volontairement à l’instance.

À compter du 1er mars 2018, la SAS Suez RV Île de France cédait la partie de ses activités liées aux déchets d’activités de soins à risques infectieux à la SAS Proserve Dasri.

Par jugement contradictoire du 22 juin 2018, le conseil de prud’hommes en formation de départage a :

déclaré recevable le syndicat CFDT du nord-ouest francilien

débouté M. [G] de l’ensemble de ses demandes

débouté le syndicat CFDT du nord ouest francilien de la demande de dommages et intérêts

débouté les parties du surplus de leurs demandes

dit que chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles

condamné M. [G] à la moitié des dépens

condamné le syndicat général de transport CFDT du nord-ouest francilien à la moitié des dépens.

Le jugement était notifié aux parties le 30 août 2018 et le 19 septembre 2018, le salarié formait régulièrement appel de ce jugement.

Par acte du 8 août 2019, le salarié appelait en intervention forcée devant la cour d’appel la SAS Proserve Dasri.

Dans leurs conclusions du 23 juin 2020 soutenues à l’audience par leur avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, M. [G] et le syndicat général des transports CFDT du nord-ouest francilien demandent à la cour de :

– infirmer intégralement le jugement rendu le 22 juin 2018 par le conseil de prud’hommes de Nanterre

En conséquence, et statuant à nouveau,

– dire et juger que les Sociétés Suez Rv Île De France et Proserve Dasri auraient dû verser une prime spécifique dite « DASRI » aux salariés effectuant des travaux dangereux liés à l’activité de traitement des Déchets d’Activités de Soins à Risque Infectieux en application de l’article 3.14 de la Convention Collective Nationale Étendue des Activités du Déchet du 11 mai 2000

– fixer le montant de la prime pour travaux dangereux à un montant forfaitaire mensuel de 70 euros brut ;

En conséquence,

– condamner solidairement les Sociétés Proserve Dasri et Suez RV Île de France à verser à M. [G] un rappel de salaires au titre de la prime pour travaux dangereux et pour la période allant du 1er septembre 2013 au 28 février 2018, et une indemnité de congés payés afférent d’un montant de 3 780 euros, outre 378 euros de congés payés afférents

– condamner solidairement les Sociétés Proserve Dasri et Suez RV Île de France à verser à M. [G] un rappel de salaires au titre de la prime pour travaux dangereux et pour la période allant du 1er mars 2018 au 30 juin 2020, et une indemnité de congés payés afférent d’un montant de 1 960 euros, outre 196 euros de congés payés afférents ;

– enjoindre à la Société Proserve Dasri de verser à M. [G] une prime pour travaux dangereux à compter du 1er juillet 2020 dont le montant est fixé forfaitairement à 70 euros, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ;

– condamner solidairement les Sociétés Proserve Dasri et Suez RV Île De France à verser à M. [G] la somme de 7 500 euros à titre de dommages et intérêts ;

– condamner solidairement les Sociétés Proserve Dasri et Suez RV Île De France à verser au Syndicat Général des Transports CFDT du Nord-Ouest Francilien la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

– dire et juger que la cour se réserve de la connaissance et de l’appréciation de toute difficulté éventuelle susceptible de surgir dans l’exécution de l’ordonnance sollicitée notamment en ce qui concerne la liquidation de l’astreinte conformément l’article L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution ;

– condamner solidairement les Sociétés Proserve Dasri et Suez RV Île De France à verser à M. [G] la somme de 1 000 euros H.T. chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner solidairement les Sociétés Proserve Dasri et Suez RV Île De France à verser au Syndicat Général des Transports CFDT du Nord-Ouest Francilien la somme de 2 000 euros H.T. au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner solidairement les Sociétés Proserve Dasri et Suez RV Île De France aux entiers dépens.

Dans ses écritures du 17 juin 2020 également développées à l’audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, la société Suez RV Île de France demande à la cour d’appel de :

à titre principal,

– confirmer le jugement de départage du conseil de prud’hommes de Nanterre en date du 22 juin 2018 en toutes ses dispositions.

En conséquence :

– débouter le salarié et le syndicat CFDT du Nord-Ouest Francilien de toutes leurs demandes, fins et conclusions.

– condamner le salarié appelant à verser à la société Suez RV Île De France la somme de 100 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC.

à titre subsidiaire

– constater que la prime « travaux dangereux » est juridiquement qualifiée comme suit par les appelants (page n°36 des conclusions n°2) : « la prime litigieuse est versée en contrepartie du travail réalisé par les salariés et destinée à compenser la sujétion permanente liée au caractère dangereux de leurs missions ».

– constater que les décomptes présentés au titre des demandes de ce chef n’intègrent aucunement les périodes de suspension du contrat de travail.

en conséquence :

– constater le caractère injustifié des demandes de rappel de salaire formulées.

– débouter le salarié et le syndicat CFDT du Nord-Ouest Francilien de toutes leurs demandes, fins et conclusions.

à titre infiniment subsidiaire

– fixer le montant de la prime DASRI à la somme de 2 euros bruts par jour effectivement travaillé et rappeler que les salariés éligibles sont les chauffeurs de collecte de l’activité DASRI présentant la compétence ADR.

– enjoindre à la société Suez RV Île de France de procéder aux calculs et au versement des rappels de salaire dus pour la période du 9 septembre 2013 au 1er mars 2018.

– débouter le salarié du surplus de ses demandes.

– débouter le syndicat CFDT du Nord-Ouest Francilien de sa demande indemnitaire.

– rapporter le quantum de l’article 700 du CPC à hauteur de 50 euros par salarié.

Dans ses conclusions du 22 juin 2020 encore développées à l’audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, la SAS Proserve Dasri demande à la cour d’appel de :

à titre principal

– confirmer le jugement de départage rendu le 22 juin 2018 par le conseil de prud’hommes de Nanterre

Par conséquent :

– débouter l’ensemble des salariés de leurs demandes, ‘ns et conclusions ;

– débouter le Syndicat Général des Transports CFDT du Nord-Ouest Francilien de toutes ses demandes, ‘ns et conclusions ;

– condamner chacun des salariés appelants à verser à la société Proserve Dasri la somme de 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

à titre subsidiaire :

– ramener le montant de la prime DASRI à de plus juste proportion suivant l’argumentaire développé par la société Suez RV Île De France ;

– dire et juger qu’il n’y a pas lieu à solidarité ‘nancière entre les sociétés Suez RV Île de France et Proserve Dasri ;

Par conséquent :

– limiter la condamnation de la société Proserve Dasri aux rappels de salaires dus à compter du jour du transfert des contrats de travail, soit le 1er mars 2018.

– débouter le salarié du surplus de ses demandes ;

– débouter le Syndicat Général des Transports CFDT du Nord-Ouest Francilien de l’intégralité de ses demandes, ‘ns et conclusions.

Vu l’ordonnance de clôture du 24 juin 2020.

SUR CE,

Sur l’application de l’article 3.14 de la convention collective nationale des activités de déchets et la majoration de salaire pour travail dangereux :

Il est prévu à cet article que « conformément aux dispositions légales, les entreprises définiront, en tenant compte le cas échéant de leurs particularités, des majorations de salaire pour les travaux pénibles et dangereux, ces majorations s’ajouteront le cas échéant à celles prévues par la présente convention collective » ;

Le salarié indique qu’en sa qualité de conducteur poids-lourds, collecteur DASRI-DIS, il manipule des produits dangereux au titre de ses fonctions, par des opérations de manutention des produits et déchets collectés chez les clients de l’entreprise, hôpitaux, cliniques et laboratoires. Il mentionne qu’il est exposé à des risques graves de blessures du fait de la présence d’objets coupants, tranchants ou perforants outre à des risques infectieux par coupures, contact ou projections avec des produits liquides tandis que les activités de transport, de chargement et déchargement de ces matières et marchandises dangereuses sont régies par des normes européennes spécifiques au transport des matières dangereuses.

D’ailleurs, il précise que son employeur a mis en place des consignes de sécurité destinées à répondre au risque réel pour la santé et la sécurité des salariés, demandant de ne pas collecter les emballages non conformes, non verrouillés, souillés et non identifiés, ces déchets à collecter devant être placés par le client dans des emballages rigides et hermétiques pour éviter tout contact direct entre les salariés et les déchets manipulés. Il mentionne que dans le cadre de la récente crise sanitaire marquée par la pandémie de Covid-19 depuis le début de l’année 2020, il justifie encore plus du caractère dangereux de ses fonctions puisque la contamination du virus peut se faire par simple contact avec les déchets et leurs emballages possiblement souillés par le coronavirus à l’origine de la maladie Covid-19.

Il invoque encore le fait que d’autres sociétés du groupe Suez Environnement ont mis en place cette prime et que son nouvel employeur, la SAS Proserve Dasri, verse la prime à certains salariés affectés à la collecte de ces déchets, ceux qui étaient précédemment employés par la société Veolia, avant leur transfert à la SAS Proserve Dasri.

La SAS Suez RV Île de France reconnaît l’existence de l’article 3.14 de la convention collective depuis le 18 juillet 2001. Ainsi, elle rappelle que cet article conventionnel a été pris à une époque où les protocoles de sécurité n’étaient pas ceux actuels. Elle expose qu’elle a mis en place des consignes spécifiques de sécurité pour n’exposer au risque biologique aucun de ses salariés et rappelle que ceux-ci collectent des emballages et ont pour obligation de s’assurer qu’il n’y a aucun objet piquant et/ou tranchant dépassant de ces emballages et qu’ils ont interdiction de collecter des emballages non conformes, non verrouillés et non identifiés (pièce 6 fiche sécurité/métier).

Elle indique que les véhicules sont spécifiquement dédiés à ce type de collecte, des contenants spécifiques sont exigés « soit des sacs plastiques dans un conteneur rigide, soit un emballage plastique rigide, soit un emballage carton doublé d’une sache plastique. Tout objet susceptible de provoquer une perforation des conditionnements doit être placé dans un emballage rigide avant d’y être déposé. Les conditionnements doivent être hermétiquement fermés par le producteur et présenter un aspect extérieur non détérioré notamment sans accroc, tâche ou humidité » de sorte que la dangerosité du déchet induit des formations, des contenants, des camions, des procédures de désinfection spécifiques et des règles particulières de collecte afin que celles-ci puissent s’exercer dans les mêmes conditions de sécurité que toutes les autres collectes.

Elle relève qu’il ne peut sérieusement être fait de comparaison avec le contexte de la crise sanitaire actuelle, les îlotiers étant exposés à des masques ou des gants usagés jetés sur la voirie, les exposant de la même manière au virus que les agents de collecte DASRI, sauf que, pour ces derniers, les produits et leur dangerosité sont identifiés et des contenants spécifiques mis à disposition des clients afin d’éviter toute exposition des agents de collecte au danger et rappelle que le confinement a été institué car tous les français étaient tous susceptibles d’être exposés sans qu’ils soient nécessairement affectés à la collecte DASRI ; elle rappelle que les principaux risques statistiques liés à l’activité de collecte DASRI sont à part égale liés à la manutention et aux chutes de sorte que le risque prégnant est très loin d’être biologique.

Aussi, elle conteste qu’elle avait l’obligation d’entrer en voie de négociation sur la prime DASRI, peu importe qu’une prime soit versée par certaines entités du groupe Suez, l’accord d’une entreprise distincte de la SAS Suez RV Île de France appartenant ou non au même groupe lui est inopposable et d’autant que si seule la société CIE verse ladite prime DASRI, elle n’applique cependant pas la convention collective nationale des activités du déchet mais celle des ouvriers, employés, techniciens et agents de maîtrise de l’exploitation d’équipements thermiques et de génie climatique de sorte que la prime servie ne repose pas sur l’article 3.14 de la convention collective en vigueur au sein de la SAS Suez RV Île de France.

Elle relate qu’elle a interrogé la Fédération nationale des activités du déchet sur l’interprétation à donner de l’article 3.14 de la notion de travail dangereux ou pénible qui lui a répondu « il me semble que cet article n’est pas appliqué. Au niveau de la branche, plusieurs études inachevées ont été menées depuis 2000 sur la définition des postes pénibles probablement motivées par cet article 3.14 » ; ainsi, la convention collective a été écrite en mai 2000 et son extension date de juillet 2001 et précise que cet article était mis en oeuvre conformément aux dispositions légales, aucune obligation n’ayant été faite de négocier entre partenaires sociaux sur l’activité de collecte DASRI, la société exposant qu’elle a par ailleurs négocié en 1999 une prime de non-accident pour les salariés collecteurs, les chauffeurs de l’entreprise percevant également un bonus bon conducteur de sorte que, parmi les salariés appelants, seul M. [H], en sa qualité d’équipier de collecte, ne bénéficie d’aucune de ces deux primes et que les primes versées à certains sont supérieures à la prime qu’ils réclament présentement tandis que l’entreprise applique une grille de salaire différente par secteur d’activité de collecte tenant compte des spécificités de chaque poste occupé, des aptitudes et habilitations nécessaires à sa réalisation sans risque.

Elle verse le rapport d’expertise qu’elle a sollicité en juillet 2016 auprès du bureau d’études Alpha Groupe concernant le contrôle de surface des camions de transport des déchets DASRI relevant qu’« aucun salarié n’est exposé, dans le cadre de son travail à des agents biologiques pathogènes mettant en danger leur santé et leur sécurité ». (pièce 7)

Elle conteste enfin l’évocation par les salariés du principe de l’Estoppel dans le fait qu’elle conclut à la fois que leurs demandes ne sont ni fondées, ni justifiées.

À titre subsidiaire, elle demande à la cour de fixer cette prime à hauteur de 2 euros bruts par jour effectivement travaillé, pour la période comprise entre le 09/09/2013 et le 01/03/2018.

La SAS Proserve Dasri rappelle qu’elle a été créée suite à la fusion en 2018 des sociétés du groupe GC et Medisita/Suez et ainsi, à compter du 1er mars 2018, la SAS Suez RV Île de France, anciennement dénommée Sita Île de France, lui a cédé la partie de ses activités liées aux déchets d’activités de soins à risque infectieux. Elle est donc devenue à compter de cette date, et présentement, l’employeur de 19 des 21 salariés présents dans la procédure, MM. [B] et [H] n’ayant pas été intégrés tandis que M. [O] a pris sa retraite le 28 février 2019. Ces salariés occupent un emploi de chauffeur poids-lourd ou collecteur intervenant au moment de la collecte et du transport des dits déchets. Ils effectuent des opérations de référencement visant à assurer le suivi de la marchandise collectée, de manutention d’emballages ou bacs dédiés et de conduite de véhicule de transport.

La société Proserve Dasri relève que la convention collective susvisée n’impose pas le versement d’une prime DASRI mais demande aux employeurs de définir des majorations de salaire à accorder aux salariés qui effectuent des travaux pénibles ou dangereux. Elle conteste que les salariés appelants justifient exercer dans le cadre de son activité des travaux dangereux. Elle relève qu’ils ont été formés à l’activité de collecte et bénéficient d’une habilitation ADR pour les chauffeurs et rappelle qu’il ne sont pas en charge du conditionnement des déchets DASRI. Ils doivent refuser de manipuler et de collecter tout contenant leur paraissant suspect ou semblant présenter un danger de sorte qu’il n’y a aucune exposition directe des salariés aux déchets DASRI collectés et si le contenu transporté est dangereux, il n’en est pas du tout de même s’agissant des contenants collectés, manipulés et transportés par les salariés appelants.

Elle estime que si d’autres sociétés du groupe Suez accordent une prime DASRI à leurs salariés, soit suivant les affirmations des salariés les sociétés CIE, Novergie, Veolia Environnement, Sita Reims, Sita Alsace et Sita Nord-ouest, ces sociétés sont indépendantes et leurs engagements lui sont inopposables et alors qu’il n’est pas démontrée qu’elles versent une prime au titre de l’article 3.14 de la convention collective.

À titre subsidiaire, la SAS Proserve Dasri demande que la prime soit limitée à compter du jour du transfert et que son montant soit fixé à hauteur de 2 euros bruts par jour effectivement travaillés, s’alignant sur la demande de la SAS Suez RV Île de France.

La cour constate que si le caractère dangereux des produits collectés n’est pas contesté (aiguilles, scalpels, seringues, lancettes, cathéters, pansements, gants souillés, poches de sang vides, déchets anatomiques humains non aisément identifiables, déchets présentant un risque infectieux du fait qu’ils contiennent des micro-organismes viables ou leurs toxines dont on sait ou dont on a de bonnes raisons de croire qu’en raison de leur nature, de leur quantité ou de leur métabolisme, ils causent la maladie chez l’homme ou chez d’autres organismes vivants…), il convient de vérifier si la collecte et le transport de ces déchets et produits d’activité de soins à risques infectieux (DASRI) sont dangereux pour les salariés qui les effectuent au regard des procédures qui sont mises en place par l’employeur.

Aucune définition conventionnelle ou légale n’existe sur la notion de travail dangereux.

En ce qui concerne l’application de l’article 3.14 de la convention collective nationale des activités du déchet à la relation de travail, il apparaît que la SAS Suez RV Île de France et la SAS Proserve Dasri relèvent de cette convention ; les partenaires sociaux n’ont pas réussi à s’entendre sur l’effectivité de cette disposition dans l’entreprise (malgré un préavis de grève déposé en 2015 à ce propos), les salariés sollicitant directement son application au motif qu’ils effectuent un travail dangereux ; peu importe que d’autres entreprises spécialisées dans la collecte des déchets du même type (DASRI) ou que les entreprises, employeurs successifs des salariés, leur versent des primes de risques ou des primes zero accident, ou encore des primes bon conducteur, ces primes ne correspondent pas à la définition de la majoration de salaire conventionnelle instituée par l’article 3.14 ; cette majoration doit s’appliquer aux travaux pénibles ou dangereux, l’entreprise devant la définir aux termes de cet article.

Il convient, dans un premier temps, de rechercher si le salarié exerce un travail dangereux. Le salarié, conducteur poids-lourd-collecteur DASRI, affirme que l’activité de collecte et de transport des déchets d’activités de soins à risques infectieux est une activité dangereuse devant entraîner la majoration de salaire pour les travaux pénibles et dangereux prévue par la convention collective nationnale du déchet tandis que les SAS Suez RV Île de France et SAS Proserve Dasri contestent que le travail effectué par le salarié puisse revêtir le caractère de dangerosité prévu par l’article 3.14 de la dite convention.

L’employeur expose l’ensemble des mesures mises en place pour protéger ses salariés de l’agence de déchets d’activités de soins de [Localité 11] de la dangerosité des déchets d’activité de soins à risques infectieux dont ils assurent la collecte et le transport jusqu’à l’usine de [Localité 10] où les déchets sont incinérés : formation du salarié sur les déchets spéciaux, consignes de sécurité prodiguées par l’entreprise, protocoles à respecter, véhicules adaptés, équipements de protection individuelle obligatoires, contrôle de conformité, contenants spécifiques hermétiques, et enfin, autorisation donnée au salarié de refuser une collecte d’emballages non conformes, non verrouillés ou non identifiés ;

Si l’ensemble de ces dispositifs visent à préserver la santé et la sécurité du salarié, il apparaît qu’ils minimisent le risque de danger mais ne le suppriment pas totalement de sorte que l’entreprise a défini un protocole de soins à respecter lorsque, par mégarde ou par malchance, le salarié se blesse ou se trouve en contact avec les déchets collectés (pièce 6 de l’employeur) ; d’ailleurs, l’employeur reconnaît dans ses écritures que les principaux risques statistiques liés à l’activité DASRI résultent à 93,33 % de la manutention des déchets (manutention manuelle, port de charges et risques d’infection) et des chutes et chocs des agents ; aussi, et sans qu’il soit besoin de s’apesantir sur la crise sanitaire résultant de la pandémie du coronavirus du 1er semestre 2020, ni de se référer aux résultats de l’expertise réalisée par le bureau d’études Alpha Groupe en juillet 2016 portant sur les surfaces des camions de transport des DASRI avant désinfection, hors de propos, l’activité de manutention de ces contenants confiée au salarié est une activité à risque spécifique. D’ailleurs, la SAS Suez RV Île de France ne peut, sans se contredire, prétendre qu’elle procède à la majoration des salaires de ces chauffeurs-collecteurs pour tenir compte des ‘spécificités auquel ils sont soumis’ et ‘du risque auquel le salarié peut être exposé’ et soutenir ensuite qu’ils n’effectuent pas un travail dangereux pour refuser de leur faire bénéficier des dispositions de cet article 3.14 de la convention collective. Aussi, et compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la cour déclare que le salarié, chauffeur-collecteur DASRI, effectue un travail dangereux devant entraîner la majoration conventionnelle pour travail dangereux.

Il convient dans un second temps de rechercher le montant de la majoration due pour travail dangereux, cette majoration n’ayant pas été fixée par les partenaires sociaux ; le salarié réclame l’octroi d’une prime de 70 euros par mois depuis le 09/09/2013, en référence à la prime versée par la société Sita Nord Est, qui appartient au même groupe Suez que la SAS Suez RV Île de France, à un salarié en juillet 2016 (pièce 10 du salarié), en exposant que ce montant est pour le moins « raisonnable » au regard de la prime DASRI de 200 euros versée par la SAS Proserve Dasri aux anciens salariés de la société Veolia dont elle a repris les contrats de travail (bulletin de salaire de mars 2020 d’un salarié de la SAS Proserve Dasri, pièce 25 du salarié). L’employeur conclut au débouté du montant sollicité et fait valoir que la grille de salaire en vigueur dans l’entreprise et les primes spécifiques versées aux salariés les remplissent de leurs droits ; à titre subsidiaire, il propose une indemnité d’un montant par jour travaillé de 2 euros bruts.

Sur ce, et sans qu’il y ait lieu de retenir en l’espèce l’application du principe de l’Estoppel que les salariés soulèvent à tort, il apparaît que le bulletin de salaire d’un salarié de la société Sita Nord Est (pièce 10 du salarié) donne une indication pour fixer la majoration en fonction de ce bulletin de salaire datant de 2016 même si l’employeur affirme, sans être démenti, que l’accord d’entreprise sur lequel reposait cette prime a depuis lors été dénoncé et qu’il n’est pas justifié du maintien de la prime à la suite ; quant à la SAS Proserve Dasri, elle ne s’explique pas sur l’unique bulletin de salaire d’un de ses salariés « conducteur de mate » suivant le bulletin de salaire tronqué versé aux débats datant de mars 2020 et fixant à la somme de 200 euros la prime DASRI, sauf à reconnaître qu’elle la verse à ce salarié en fonction des accords pris par son ancien employeur et qu’elle se trouve dans l’obligation de la maintenir à la suite du rachat de l’activité en mars 2018.

Au vu de ces éléments et alors que l’employeur ne justifie pas qu’il y a lieu de limiter le montant de l’augmentation de salaire « par jour travaillé » alors qu’il démontre par la pièce 25 qu’il verse une prime DASRI mensuelle à au moins l’un de ses salariés, et que, comme le salarié le reconnaît « la prime litigieuse est versée en contrepartie du travail réalisé par les salariés et destinée à compenser la sujétion permanente liée au caractère dangereux de leurs missions », il convient de retenir comme correspondant à la juste indemnisation du travail dangereux prévue à l’article 3.14 de la convention collective sus visée, une augmentation de salaire mensuelle de 70 euros qu’il convient de mettre à la charge des employeurs successifs du salarié, à proportion de sa période de travail dans l’entreprise, soit, en ce qui concerne la SAS Suez RV Île de France pour la période du 09/09/2013 au 28/02/2018 et pour la SAS Proserve Dasri pour la période du 01/03/2018 jusqu’à la date de l’arrêt de l’exercice de cette activité par le salarié, sans qu’il soit besoin d’assortir cette obligation de faire d’une astreinte, à défaut d’allégations le justifiant.

Sur la demande de dommages et intérêts :

Le salarié réclame l’octroi de la somme de 7 500 euros pour violation, par l’employeur, d’un accord collectif et d’une convention collective qui lui cause « nécessairement » un préjudice : il évoque le préjudice financier qu’il a subi, qui ne peut être entièrement réparé par un rattrapage de salaire limité par la prescription et bien tardif, alors que l’employeur avait parfaitement conscience de ses obligations conventionnelles puisque les autres sociétés du groupe Suez Environnement versent une prime DASRI en application de l’article 3.14 de la convention collective susvisée, que la SAS Suez RV Île de France s’était même engagée en 2013 à négocier l’instauration d’une prime DASRI avec les délégués syndicaux de l’entreprise « les primes et indemnités font partie des thèmes de négociations telles que prévues dans l’accord de méthode pour lequel sera incluse la prime DASRI » (pièce 6 du salarié) et n’en a rien fait, laissant les salariés engager un mouvement de grève pour obtenir le « paiement de leurs primes dont la prime mensuelle DASRI-DID de 200 euros pour le personnel de l’agence de [Localité 11] qui collecte des déchets d’activités de soins et déchets dangereux-NAO 2013, 2014, 2015 » (pièce 7 du salarié) et les contraignant à engager une procédure judiciaire impliquant démarches, tracas, procédures, aléas et frais.

Les sociétés employeurs soutiennent que le salarié ne justifie pas d’un préjudice indépendant du retard apporté au paiement de la prime et causé par sa mauvaise foi, le préjudice financier étant réparé par l’octroi des intérêts légaux et le préjudice moral étant totalement injustifié, l’interprétation divergente de dispositions conventionnelles ne caractérisant pas la faute alléguée.

Alors que si l’appréciation inexacte qu’une partie fait de ses obligations n’est pas en soi constitutive d’une faute justifiant sa condamnation à des dommages et intérêts, il apparaît que le refus des sociétés employeurs de répondre aux demandes légitimes des salariés tendant à la reconnaissance du caractère dangereux des tâches confiées leur a occasionné un préjudice moral, le préjudice financier étant réparé quant à lui par la condamnation à paiement assortie des intérêts au taux légal ; la cour condamne les sociétés SAS Suez RV Île de France et SAS Proserve Dasri à lui verser chacune la somme de 500 euros en réparation du préjudice subi.

Sur l’intervention du syndicat :

La SAS Suez RV Île de France ne conteste plus, en cause d’appel, la recevabilité de l’intervention du syndicat mais conclut sur le défaut de préjudice subi par lui tandis que la SAS Proserve Dasri conclut au défaut d’intérêt à agir et subsidiairement à l’absence de preuve d’un préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession.

Il convient de confirmer, pour les motifs indiqués par le premier juge, la recevabilité de l’intervention du syndicat général des transports CFDT du nord-ouest francilien ;

Le syndicat expose que le non-respect des dispositions d’une convention collective cause nécessairement un préjudice à l’intérêt collectif de l’ensemble de la profession et invoque la résistance abusive de la direction qui a conduit à décrédibiliser les représentants du personnel et des syndicats à l’égard des salariés qu’ils sont censés représenter.

En effet, le refus des sociétés employeurs de procéder à l’exécution de la convention collective à laquelle son objet social la reliait, obligeant le syndicat sus mentionné à agir en justice lui a causé un préjudice portant sur l’intérêt collectif de la profession qu’il représente ; compte tenu de ces éléments et au vu des éléments mentionnés, il convient de condamner chacune des SAS Suez RV Île de France et SAS Proserve Dasri à lui verser la somme de 100 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les intérêts

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation dans les conditions ci-dessous indiquées. S’agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens d’appel seront mis à la charge des SAS Suez RV Île de France et SAS Proserve Dasri par moitié pour chacune d’elle.

La demande formée par M. [G] au titre des frais irrépétibles sera accueillie, à hauteur de 150 euros.

La demande formée par le Syndicat au titre des frais irrépétibles sera accueillie à hauteur de la somme de 50 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions

Et statuant à nouveau des dispositions infirmées,

Dit que les SAS Suez RV Île de France et SAS Proserve Dasri sont redevables à l’égard de M. [J] [G] du règlement de la majoration de salaire prévue par l’article 3.14 de la convention collective nationale des activités du déchet, pour la période allant du 09/09/2013 jusqu’au 28/02/2018 pour la première, et à compter du 01/03/2018 jusqu’à la date de l’arrêt de l’exercice de cette activité par le salarié pour la seconde,

En conséquence, condamne la SAS Suez RV Île de France à régler à M. [G] une majoration de salaire d’un montant mensuel de 70 euros outre les congés payés (7 euros) du 09/09/2013 jusqu’au 28/02/2018

Condamne la SAS Proserve Dasri à régler à M. [G] une majoration de salaire d’un montant mensuel de 70 euros outre les congés payés (7 euros) du 01/03/2018 jusqu’à la date de l’arrêt de l’exercice de cette activité par le salarié

Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation pour les sommes précédemment dues et à compter de chaque échéance mensuelle due pour les sommes postérieures

Condamne la SAS Suez RV Île de France à verser à M. [G] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral

Condamne la SAS Proserve Dasri à verser à M. [G] la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral

Condamne la SAS Suez RV Île de France à verser au syndicat général des transports CFDT du nord-ouest francilien la somme de 100 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral

Condamne la SAS Proserve Dasri à verser au syndicat général des transports CFDT du nord-ouest francilien la somme de 100 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral

Dit que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt

Déboute les parties du surplus de leurs demandes

Condamne les SAS Suez RV Île de France et SAS Proserve Dasri par moitié aux dépens de première instance et d’appel

Condamne les SAS Suez RV Île de France et SAS Proserve Dasri par moitié à verser à M. [G] la somme de 150 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne les SAS Suez RV Île de France et SAS Proserve Dasri par moitié à verser au syndicat général des transports CFDT du nord-ouest francilien la somme de 50 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme Sophie RIVIERE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIERLe PRESIDENT

 


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