Chauffeur Poids-Lourd : décision du 16 juin 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/05754

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Chauffeur Poids-Lourd : décision du 16 juin 2022 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 19/05754
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION B

————————–

ARRÊT DU : 16 JUIN 2022

PRUD’HOMMES

N° RG 19/05754 – N° Portalis DBVJ-V-B7D-LJKC

Monsieur [W] [Y]

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/003594 du 02/07/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de BORDEAUX)

c/

Société TRANSPORTS SAUVAGE

S.E.L.A.R.L. [E] [G]

Association C.G.E.A. D'[Localité 3]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée aux avocats le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 octobre 2019 (R.G. n°F18/00127) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LIBOURNE, Section Commerce, suivant déclaration d’appel du 30 octobre 2019,

APPELANT :

[W] [Y] Domicilié au Cabinet de Me DYKMAN Julie

né le 08 Octobre 1971 à [Localité 5] de nationalité Française,

demeurant [Adresse 2]

Représenté et assisté par Me Julie DYKMAN, avocat au barreau de LIBOURNE

INTIMÉE :

La Société TRANSPORTS SAUVAGE – En liquidation –

La S.E.L.A.R.L. [E] [G], représentée par son gérant Monsieur [E] [G], domicilié en cette qualité au siège social , en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL SOCIETE D’EXPLOITATION DES TRANSPORTS SAUVAGE nommé à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de SEDAN du 7 janvier 2021

inscrite au RCS de REIMS sous le n° 431.370.402,

[Adresse 1]

Représentée et assistée par Me DUCORPS substituant Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

Association C.G.E.A. D'[Localité 3] – INTERVENTION FORCEE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 4]

Représentée et assistée par Me Philippe DUPRAT de la SCP DAGG, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 31 mars 2022 en audience publique, devant Madame Elisabeth Vercruysse, vice-présidente placée auprès de la Première présidente, chargée d’instruire l’affaire, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Eric Veyssière, président,

Monsieur Hervé Ballereau, conseiller,

Madame Elisabeth Vercruysse, vice-président placée

greffière lors des débats : Sylvaine Déchamps,

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

Selon un contrat de travail du 27 avril 1999, la société Transports sauvage basée à [Localité 5] dans les Ardennes, a engagé M. [W] [Y] en qualité de chauffeur poids lourd.

Au dernier état de la collaboration, il percevait un salaire de base de 1 606,64 euros bruts pour 152 heures par mois, outre les éventuelles heures d’équivalence et heures supplémentaires.

Le 24 mars 2015, M. [W] [Y] a été victime d’un accident du travail. Ses lésions ont été prises en charge par la CPAM au titre de la législation relative aux risques professionnels.

Par courrier du 30 septembre 2015, il a informé son employeur de son déménagement dans la commune de [Localité 6], dans le département de la Gironde.

M. [W] [Y] a été placé en arrêt de travail jusqu’au 18 avril 2016.

Le 18 avril 2016, le médecin du travail l’a déclaré apte avec la restriction suivante : « pas de manutention (manuelle) de + de 10 kg ».

Il a bénéficié de 21 jours de congés payés sur la période d’avril-mai 2016. L’employeur et le salarié sont en désaccord sur les dates de ces congés.

Par la suite, M. [W] [Y] a été en arrêt de travail pour maladie du 23 mai 2016 au 7 novembre 2016.

Le 7 novembre 2016, le médecin du travail ne concluait ni à l’aptitude, ni à l’inaptitude de M. [W] [Y] et préconisait une rupture conventionnelle. Il reprenait tout de même la restriction concernant la manutention de charges de plus de 10 kilogrammes.

Le salarié a ensuite été de nouveau placé en arrêt maladie jusqu’au 27 mars 2017.

Le 27 mars 2017, le médecin du travail l’a déclaré apte avec la restriction suivante « pas de manutention de + de 10 kg ».

M. [W] [Y] a ensuite été en congés annuels jusqu’au 12 mai 2017, sa date de reprise étant prévue le 15 mai 2017.

Le 15 mai 2017, la société Transports sauvage a convoqué M. [W] [Y] à un entretien préalable à un éventuel licenciement avec mise à pied conservatoire.

Le 29 mai 2017, la société Transports sauvage a notifié à M. [W] [Y] une mise à pied disciplinaire de 12 jours, soit jusqu’au 1er juin 2017.

Par la suite, M. [W] [Y] a de nouveau été placé en arrêt de travail.

Par courrier du 4 septembre 2018, M. [W] [Y] a pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.

Le 18 septembre 2018, M. [W] [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Libourne.

Par jugement du 11 octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Libourne a :

‘débouté M. [W] [Y] de sa demande d’annulation de mise à pied et, en conséquence de sa demande de paiement de l’arriéré de la mise à pied injustifiée et les congés y afférents ;

‘dit et jugé que la prise d’acte ne mentionnait pas de faute grave imputable à l’employeur et produisait les effets d’une démission ;

‘débouté en conséquence M. [W] [Y] de l’intégralité de ses demandes ;

‘débouté la société Transports sauvage de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

‘condamné M. [W] [Y] aux entiers dépens.

Par déclaration du 30 octobre 2019, M. [W] [Y] a relevé appel du jugement.

Par jugement du 7 janvier 2021, le tribunal de commerce de Sedan a placé la société Transports sauvage en liquidation judiciaire et désigné la Selarl [E] [G] en qualité de mandataire liquidateur.

Par ses dernières conclusions du 10 février 2022, M. [W] [Y] demande à la cour d’appel de :

‘réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;

‘dire et juger que la mise à pied à titre conservatoire ainsi que la mise à pied disciplinaire prononcées à son encontre ne sont pas justifiées et partant doivent être annulées ;

‘en conséquence prononcer l’annulation de ces mises à pied ;

‘dire et juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

‘fixer sa créance au passif de la société Transports sauvage placée en liquidation judiciaire le 7 janvier 2021 comme suit :

– 803,33 euros au titre d’arriérés de salaire correspondant à la mise à pied injustifiées, outre 80,33 euros au titre des congés payés afférents,

– 3 213,28 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 32,13 euros au titre des congés payés afférents,

– 1 927,96 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés,

– 8 568,74 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

– 30 526 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;

‘déclarer opposable l’arrêt à intervenir à l’AGS-CGEA d'[Localité 3] ;

‘ordonner la remise des bulletins de salaire depuis le mois de mai 2017 et des bulletins de salaire manquants depuis 1999 ainsi que des documents de fin de contrat.

Aux termes de ses dernières conclusions du 31 mai 2021, la société [E] [G], en qualité de liquidateur de la société Transports sauvage, demande à la cour d’appel de :

‘confirmer le jugement déféré ;

‘dire et juger que M. [W] [Y] ne démontre pas les manquements suffisamment graves de la société Transports sauvage qui auraient empêché la poursuite du contrat de travail et, dès lors, que sa prise d’acte de la rupture doit produire les effets d’une démission ;

‘débouter en conséquence M. [W] [Y] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

‘condamner M. [W] [Y] aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions du 11 février 2022, le CGEA d'[Localité 3] demande à la cour d’appel de :

à titre principal,

‘confirmer le jugement déféré en ce qu’il a requalifié la prise d’acte de M. [W] [Y] en démission et l’a débouté de ses demandes ;

à titre infiniment subsidiaire, en cas de requalification de la prise d’acte en licenciement,

‘débouter M. [W] [Y] de sa réclamation au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés ;

‘fixer la créance de M. [W] [Y] au passif de la société Transports sauvage aux sommes suivantes :

– 3 213 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 321,30 euros au titre des congés payés afférents,

– 8 426,90 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– 5 029 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

‘débouter en toute hypothèse M. [W] [Y] de sa demande à hauteur de 30 526 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

sur sa garantie,

‘lui déclarer opposable l’arrêt à intervenir dans la limite légale de sa garantie laquelle exclut l’éventuelle astreinte et l’indemnité allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er mars 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de nullité de la mise à pied disciplinaire

Sur la recevabilité de l’action en contestation de la sanction

L’article L.1471-1 du code du travail dispose que toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

En application de l’article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure.

Il est ainsi admis que la saisine de la juridiction prud’homale emporte interruption de la prescription pour l’ensemble des actions nées du même ensemble contractuel, même si leur fondement ou leur objet est différent.

Sur ce,

La société Transports Sauvage soulève la prescription de cette action en contestation de la mise à pied disciplinaire, la demande d’annulation ayant été pour la première fois formulée dans des conclusions du 5 juin 2019, soit plus de deux ans après la notification de la sanction le 29 mai 2017.

M. [W] [Y] ne répond pas sur cette fin de non-recevoir.

En l’espèce, M. [W] [Y] s’est vu notifier le 15 mai 2017 sa mise à pied conservatoire avant un entretien prévu le 23 mai 2017 ; par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mai 2017, la société Transports Sauvage lui a notifié une mise à pied disciplinaire de 12 jours, soit jusqu’au 1er juin 2017.

Le salarié connaissait le reproche qui lui était fait par l’employeur dès le 15 mai 2017, date à laquelle il a adressé un premier courrier contestant les faits.

C’est donc à compter de cette date que le délai de prescription a commencé à courir.

M. [W] [Y] a saisi le conseil des prud’hommes de Libourne le 18 septembre 2018, dans le cadre du délai légal de deux ans. Il n’est pas contesté que dans un premier temps il n’ait pas formulé de demande d’annulation de cette sanction disciplinaire.

En application des dispositions ci-dessus rappelées, cette saisine a interrompu le délai de prescription pour toutes les demandes liées à l’exécution du contrat de travail liant M. [W] [Y] et la société Transports Sauvage, de sorte que la demande du salarié n’est pas prescrite.

La décision déférée sera infirmée sur ce point.

Sur la demande de nullité de la sanction

Les articles L.1333-1 et L.1333-2 du code du travail disposent qu’en cas de litige, le conseil de prud’hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés sont de nature à justifier une sanction.

L’employeur fournit au conseil de prud’hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Le conseil de prud’hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Sur ce,

M. [W] [Y] soutient que cette sanction était parfaitement injustifiée dès lors qu’elle se fonde sur la non-exécution d’une tâche qui était en totale contradiction avec les préconisations de la médecine du travail : il n’a pas pu débâcher sa remorque pour se prémunir au vu de son état de santé et respecter les préconisations qui lui avaient été faites par la médecine du travail à plusieurs reprises, à savoir de ne pas faire de manutentions de plus de 10 kg.

Il ajoute que l’étude faite par le médecin du travail le 18 mai 2017 ne peut être considérée comme probante dès lors qu’elle a été réalisée en son absence et sans l’examiner de nouveau.

La société Transports Sauvage répond que la sanction était justifiée et proportionnée. Il lui était reproché d’avoir refusé de débâcher sa remorque, empêchant de ce fait le chargement et le transport qui lui avaient été confiés chez le client ; d’avoir ainsi désorganisé l’entreprise et mis en péril sa relation avec le client qui a manifesté son fort mécontentement par courrier du jour-même. L’employeur ajoute qu’il n’était pas demandé à M. [W] [Y] de retirer les bâches, mais simplement de les ouvrir selon un système de rideaux coulissants, ce qui était parfaitement compatible avec son état de santé et les restrictions du médecin du travail, ce que ce dernier a confirmé lors d’une étude de poste le 18 mai 2017. Selon lui cette attitude a constitué un refus d’obéissance et partant une faute professionnelle.

Après son accident du travail du 24 mars 2015, M. [W] [Y] a effectué trois visites de reprise auprès du médecin du travail, les 18 avril 2016, 7 novembre 2016 et 27 mars 2017. À chaque fois, une restriction a été posée, l’interdiction de manutention de charges d’un poids supérieur à dix kilogrammes.

Il n’est pas contesté que l’employeur avait tout à fait connaissance de cette restriction. Des échanges de courriers avaient d’ailleurs eu lieu entre le salarié et lui quant à l’organisation de sa reprise, la société Transports Sauvage prenant l’engagement d’adapter les tâches qui lui seraient confiées.

S’agissant de l’étude de poste faite par le médecin du travail le 18 mai 2017, il convient de relever qu’il n’existe aucune obligation légale de présence ou de nouvel examen du salarié. En l’occurrence, compte tenu du suivi de ce salarié par la médecine du travail, et du caractère très récent de la dernière visite, l’étude de poste du 18 mai 2017 qui se réfère à la dernière visite de reprise et au dernier rapport du médecin spécialiste, doit être considérée comme probante.

Le médecin du travail en conclusion estime sans ambiguïté que la man’uvre de débâchage du camion « n’est pas contre-indiquée avec l’état de santé du salarié ».

M. [W] [Y] ne produit aucune autre pièce permettant d’établir que ce geste serait dangereux compte tenu de sa pathologie ou équivaudrait à une manutention de charge de plus de dix kilogrammes.

Il est ainsi mal fondé à justifier son refus par le respect des préconisations médicales.

La cour d’appel relève enfin que le 15 mars 2017 était le premier jour de reprise effective de son poste par M. [W] [Y], après près de deux ans d’arrêt de travail puis une période de congés. Toutes les précautions avaient été prises par la société Transports Sauvage pour que les préconisations de la médecine du travail soient respectées.

Le refus de débâchage de M. [W] [Y] a entraîné l’intervention d’un autre chauffeur de l’entreprise et un fort mécontentement du client, qui avait menacé de mettre fin à la relation commerciale le liant avec la société Transports Sauvage.

Dans ces conditions, le refus infondé de M. [W] [Y] de remplir une tâche lui incombant en exécution de son contrat de travail et compatible avec son état de santé, constitue une faute qui a été sanctionnée de façon justifiée et proportionnée par une mise à pied disciplinaire de douze jours.

Il sera donc débouté de sa demande d’annulation de la sanction, et de sa demande de rappel de salaire et d’indemnité compensatrice de congés payés au titre de la mise à pied injustifiée.

La décision déférée sera réformée en ce qu’elle n’a pas statué sur le bien fondé de la sanction.

Sur la rupture du contrat de travail

Sur la demande de requalification de la prise d’acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse

Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifient et si les manquements sont suffisamment graves et empêchent la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d’une démission.

La rupture du contrat de travail est immédiate et la prise d’acte ne peut être rétractée.

L’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige.

Le juge doit examiner l’ensemble des manquements de l’employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans sa lettre de rupture.

Sur ce,

M. [W] [Y] reproche à la société Transports Sauvage les faits suivants :

– le non-paiement du salaire pendant la mise à pied injustifiée,

– le fait de ne pas donner de travail au salarié,

– le fait de ne pas respecter les préconisations de la médecin du travail en lui imposant de tirer des bâches de 250 kg.

La société Transports Sauvage reprend, sur les premier et troisième griefs, les observations faites dans le cadre de la demande d’annulation de la mise à pied. Sur le deuxième, elle fait valoir que dans la période du 1er janvier 2016 au 4 septembre 2018, c’est-à-dire pendant deux ans et huit mois, M. [W] [Y] s’est présenté trois fois à son poste de travail :

– le 23 mars 2016 mais il avait été mis en congés jusqu’au 31 mai et est donc rentré chez lui,

– le 28 mars 2017, mais il avait oublié en Gironde la carte sim de son téléphone portable professionnel, de telle sorte qu’il ne pouvait pas travailler,

– le 15 mai 2017, lors duquel chez son premier client il a refusé de débâcher le camion ;

elle en conclut qu’elle n’a en aucune façon refusé de donner du travail à son salarié.

Sur le premier et le troisième grief, la cour d’appel rappelle qu’il a été précédemment établi que l’employeur avait respecté les préconisations de la médecine du travail, et que la mise à pied était justifiée. Ces deux griefs sont donc inopérants.

S’agissant du refus de lui donner du travail, il ressort des nombreux échanges de courriers entre les parties, et des calendriers reprenant les diverses absences de M. [W] [Y] ainsi que leurs motifs, qu’effectivement depuis son accident du travail le 24 mars 2015, le salarié a enchaîné des périodes d’arrêt de travail entrecoupées de périodes de congés payés, sans reprise effective avant le 15 mai 2017.

Il s’était pendant la période présenté à deux reprises à l’entreprise pour reprendre son poste.

Le 23 mars 2016, il estimait avoir soldé sa période de congés payés, ayant décidé de la période à laquelle il voulait les prendre. Il doit cependant être rappelé que la détermination des dates de congés constitue une prérogative de l’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction. En l’espèce, l’employeur avait fait droit à la demande de congés du salarié, mais avait fixé d’autres dates pour les prendre. Le salarié qui n’en a pas tenu compte ne peut reprocher à son employeur de ne pas lui avoir fourni de travail un jour où il devait être en congés.

Le 28 mars 2017, il n’est pas contesté qu’il s’est présenté à l’entreprise sans la carte sim de son téléphone portable professionnel, sans lequel il ne peut exécuter ses missions, devant recevoir ses instructions sur ce téléphone et devant pouvoir à tout moment joindre son employeur ou être joint par lui, notamment pendant ses déplacements à l’étranger. Il ne peut à nouveau pas être reproché à la société Transports Sauvage de ne pas lui avoir fourni de travail ce jour-là.

L’affirmation générale de M. [W] [Y] dans son courrier de prise d’acte selon laquelle il a à plusieurs reprises contacté la société Transports Sauvage qui lui a toujours répondu qu’il n’ya avait pas de poste pour lui, n’est étayée par aucune pièce, et au contraire démentie par les échanges de courriers avec l’employeur qui lui demande à plusieurs reprises de reprendre son poste à l’issue de sa période d’arrêt de travail.

Aucun des griefs invoqués n’étant démontré, M. [W] [Y] sera débouté de sa demande de requalification de la prise d’acte de rupture du contrat de travail, et de l’ensemble de ses demandes subséquentes. La décision déférée sera confirmée sur ces points.

Sur la demande de transmission des bulletins de salaire et documents de fin de contrat

Il résulte de l’article L.3243-2 du code du travail qu’à défaut d’avoir remis le bulletin de paie au salarié, l’employeur doit le lui faire parvenir par tout moyen.

L’article L.1471-1 du code du travail dispose que toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

En application de l’article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure.

Il est ainsi admis que la saisine de la juridiction prud’homale emporte interruption de la prescription pour l’ensemble des actions nées du même ensemble contractuel, même si leur fondement ou leur objet est différent.

Sur ce,

M. [W] [Y] demande les bulletins de salaire qu’il indique ne pas avoir reçus depuis 1999, ainsi que les documents de fin de contrat.

La société Transports Sauvage répond avoir transmis à M. [W] [Y] chaque mois depuis le début de la relation contractuelle son bulletin de salaire et lui avoir adressé les documents de fin de contrat quelques jours après la rupture. Elle a de nouveau communiqué en cours de procédure la totalité des bulletins de paie des années 2017 et 2018, outre les documents de fin de contrat.

S’agissant des bulletins de salaire qui seraient manquants pour les années 1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011, l’employeur soulève la prescription de cette demande et indique que malgré ses recherches, ces documents, qu’elle n’est tenue de conserver que pendant cinq ans, n’ont pas pu être retrouvés.

M. [W] [Y] ne conclut pas sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par l’employeur.

Il est constant que la saisine du conseil des prud’hommes par M. [W] [Y] a été faite le 18 septembre 2018.

En application des dispositions ci-dessus rappelées, la demande de communication de bulletins de salaire pour les années 1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011 est donc prescrite.

La cour d’appel retient par ailleurs que la société Transports Sauvage justifie avoir transmis à M. [W] [Y] l’intégralité des bulletins de salaire des années 2017 et 2018, ainsi que les documents de fin de contrat, de sorte que sa demande est sans objet.

Le conseil des prud’hommes n’ayant pas statué sur cette demande, mais simplement débouté M. [W] [Y] de l’intégralité de ses demandes, la décision déférée sera infirmée sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l’équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l’autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

La décision déférée sera confirmée sur ces points.

Les dépens d’appel seront supportés par la liquidation judiciaire de la société Transports Sauvage,

L’équité ne commande pas de faire droit aux demandes d’indemnité au titre des frais irrépétibles dans le cadre de la procédure d’appel,

PAR CES MOTIFS

La cour,

confirme la décision déférée en ce qu’elle a débouté M. [W] [Y] de sa demande de requalification de la prise d’acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de l’ensemble de ses demandes subséquentes et en ce qu’elle a statué sur les dépens et les frais irrépétibles ;

– l’infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de nullité de la sanction disciplinaire ;

Déboute M. [W] [Y] de sa demande d’annulation de la sanction

– Constate la prescription de la demande formulée par M. [W] [Y] de transmission des bulletins de salaire des années 1999, 2000, 2001, 2002, 2003, 2004, 2005, 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011 ;

– Déboute M. [W] [Y] de sa demande de transmission des bulletins de salaire des années 2017, 2018 et des documents de fin de contrat ;

– Rejette les demandes au titre des frais irrépétibles non compris dans les dépens ;

– Dit que les dépens seront supportés par la liquidation judiciaire de la société Transports Sauvage

– Déclare le présent arrêt opposable à l’Unedic délégation AGS ‘ Centre de gestion et d’étude AGS (CGEA) d'[Localité 3].

Signé par Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

S. Déchamps E. Veyssière

 


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